Par la Commission Lutte du PRCF – Des cégétistes participant à la réflexion de notre commission Luttes ont assisté à la réunion de Gardanne (13), où un millier de syndicalistes venus de tout le pays ont partagé leur volonté d’en découdre avec le capital, d’en finir avec les orientations « accompagnatrices » des directions confédérales, état-major de la CGT inclus, et de construire le « tous ensemble en même temps » indispensable pour stopper l’euro-destruction du pays, des libertés démocratiques et des acquis.
Dans cet esprit nous publions la stimulante contribution de Jean-Pierre Page, ancien responsable international de la CGT.
CGT : un avant et un après Gardanne !
La CGT a un urgent besoin de rénovation. – par Jean Pierre Page
Il est donc significatif dans cette période de grands bouleversements que près d’un millier de militants de la CGT représentants des syndicats de toutes les régions de France et professions se soient réunis à Gardanne le 20 mai pour débattre, décider et assumer ce que devrait être, selon eux la réponse syndicale à ce qui n’est plus et ne sera jamais plus « la situation d’avant ».
1-Pourquoi Gardanne ?
La crise pandémique constitue un formidable révélateur en forme « d’opération vérité » des tares, des travers et des insuffisances du système capitaliste, de son incapacité par sa logique à répondre aux besoins les plus élémentaires de toute l’humanité. Dans ce contexte, cette « opération vérité », inattendue pour certains et moins pour d’autres peut s’appliquer également aux capacités des organisations sociales et politiques, aux états, aux gouvernements, et à leurs capacités à résister, à promouvoir des solutions, des réponses, des alternatives. Ceci concerne donc le syndicalisme en général et la CGT en particulier. Il est donc significatif dans cette période de grands bouleversements que près d’un millier de militants de la CGT représentants des syndicats de toutes les régions de France et professions se soient réunis à Gardanne le 20 mai pour débattre, décider et assumer ce que devrait être, selon eux la réponse syndicale à ce qui n’est plus et ne sera jamais plus « la situation d’avant ». De par son caractère inhabituel en forme d’événement, cette initiative mérite qu’on y réfléchisse, surtout si, comme c’est le cas, elle a été couronnée de succès, et est porteuse de propositions pour un projet de rénovation et de conquête.
Il est un fait, que depuis plus d’un an, certains mesquins diraient depuis plus longtemps, nous assistons à une discrétion préoccupante et constante des confédérations syndicales vis-à-vis des principaux défis sociaux, CGT compris. Elles donnent souvent l’impression d’être comme KO debout ! Dire même qu’elles semblent incapables de réagir au niveau des exigences de la situation relève d’un euphémisme. D’autant plus que dans la même période, le gouvernement et le patronat aux côtés de l’Union européenne n’ont pas ménagé leurs efforts pour restructurer, licencier, se débarrasser de ce qu’ils considèrent économiquement et socialement comme obsolètes. Pourtant, dans le même temps et comme on le sait, les résultats de la bourse se sont envolés, les riches sont devenus plus riches, la pauvreté est devenue, un phénomène de masse, la misère s’est aggravée sous tous ses aspects.
2- Les “porteurs de serviettes.
Face à cette situation indécente et révoltante, les dirigeants des organisations syndicales, à quelques exceptions près, ont balbutié des constats éplorés, répondus par leur présence empressée aux convocations qu’on leur adressait, susurré des commentaires, et même parfois des critiques, mais de riposte, d’actions coordonnées et convergentes : “Nada” !
Dorénavant, les mêmes ont adopté pour eux-mêmes le télétravail comme méthode de fonctionnement, conclu dans ce sens des accords avec leurs équipes de permanents et se sont adaptés à cette manière de prétendre rester en contact avec leurs bases. Ceci a permis à la bureaucratie qui n’avait pas besoin de ça, de faire un saut qualitatif imprévu, en même temps qu’elle a encouragé l’institutionnalisation et la professionnalisation de la vie syndicale. Le nombre « de porteurs de serviette », comme les appelait Benoit Frachon s’est multiplié. Comme on peut s’en douter, cette évolution a dans de nombreux cas rompu des liens déjà fortement distendus et contribué à un nouvel affaiblissement non seulement de la crédibilité du syndicalisme, mais de son influence et de sa force organisée. Ainsi l’abstention dans les élections professionnelles fait des ravages.
Paradoxalement, dans le même temps et en dépit du Covid 19, pour lequel les travailleurs et les peuples payent un prix élevé, le développement dans les entreprises des luttes sociales, politiques et des résistances populaires en France, en Europe comme à l’échelle mondiale a constitué un des traits les plus significatifs de cette période pourtant faite de contraintes sans précédents. Mais les directions confédérales ont le plus souvent observé de loin ces phénomènes et sont revenues à la rédaction de leurs notes de service qui ont connu une expansion vertigineuse. Dans ces conditions, le grand écart et le risque de déchirure musculaire entre base et sommet a pris tout son sens. On l’a vérifié, à travers une participation jamais vue aux élections nationales de TPE (très petites entreprises) qui comptent presque 5 millions de salariés avec un taux de : 5,44 %.!!!! On s’en est à peine étonné ! Sans rire, le secrétaire général de la CGT s’est même félicité des progrès de son organisation avec 26,31 % des suffrages exprimés. Malgré l’aspect « ubuesque » de la situation, la vie a continué, sans que cela alerte les dirigeants des confédérations.
3- Un avant et un après Gardanne.
Il était donc dans l’ordre des choses que le processus de maturation des consciences arrivant à son terme, il produise une réaction. Ce fut Gardanne ! Il est vrai qu’il faut savoir donner du temps au temps et comme le dit le proverbe chinois : « Le tigre a aussi besoin de sommeil ».
Donc, nous pourrions dire qu’avec cette rencontre des secteurs de lutte de la CGT, nous sommes entrés dans une nouvelle étape, qui peut-être sera celle d’un rendez-vous avec l’histoire du mouvement syndical de lutte de classes de notre pays. Rien n’est jamais acquis par avance, rien n’est définitif, mais il est toujours important de mesurer et d’apprécier ce qui constitue un saut en avant. Dans ce cas, autant quantitatif que qualitatif. Il y aura probablement un avant et un après Gardanne et donc des développements et des opportunités. Inattendus et imprévisibles sans doute, mais dont il faudra tenir compte, non pour les subir, mais pour savoir s’en saisir et avancer.
Par conséquent, cette situation inédite interpelle toutes les organisations et militants de la CGT quant au rôle qui doit être le leur. Dans ce contexte ils ont des responsabilités à assumer. Doivent-ils choisir de collaborer au nom d’une forme d’union sacrée ? Se résigner en attendant que ça aille mieux ou se dépasser ? Doivent-il faire le choix du conservatisme, du conformisme, de l’attentisme, de l’illusion et se fondre dans ce qui est au fond un projet syndical d’association capital/travail ou contribuer au combat émancipateur qui doit demeurer celui du monde du travail ? De ces réponses dépendent pour une part le devenir de la CGT elle-même et au-delà, la pertinence du syndicalisme dans notre pays comme ailleurs.
Cette période de mutation fertile en bouleversements a donc des exigences pour chacun, elles ne sauraient être différées ! Cela exige de faire preuve de courage, d’écarter la rhétorique, l’auto satisfaction autant que l’auto flagellation ! Pour se donner les moyens de faire face, il y a urgence à ce que l’on réagisse en décidant collectivement d’un grand débat de fond en forme d’état des lieux et de mise à jour afin de contribuer à un agenda et un programme revendicatif, ainsi qu’à la mise en place d’une direction capable de les mettre en œuvre. Le moment venu, il reviendra à un congrès confédéral de conclure par des décisions.
4- De quel débat a t-on besoin ?
Ce débat, pour être utile et efficace a besoin d’une volonté politique et surtout pas d’atermoiements ou d’hésitations. L’objectif n’est pas de se battre la coulpe à travers une énième séance de psychothérapie, mais de faire preuve de lucidité. Le meilleur moyen pour cela, c’est de faire irriguer la réflexion en sachant tirer les enseignements de ce que sont les succès et les défaites et pour que cela soit utile, il faut analyser, réfléchir tout en impulsant les résistances, les grèves, les manifestations, les occupations en faveur de revendications claires et mobilisatrices. L’un ne peut aller sans l’autre. C’est donc comme toujours aux syndicats d’entreprises qui sont la CGT et à leurs militants de jouer leur rôle. Ceci leur appartient et à nul autre, ils en sont les acteurs et les décideurs. La tache prioritaire est de les en convaincre afin qu’ils se mettent en mouvement et que cette « engagement devienne une force matérielle ». C’est ce qu’ils ont fait et décidé de faire à Gardanne ! Cette démarche, si elle se généralise, peut créer une dynamique en faveur d’une rénovation des orientations, des pratiques comme du fonctionnement de la CGT.
Par conséquent « que les bouches s’ouvrent » et que l’on ne vienne pas dire que nul n’était au courant, n’avait pas les éléments, qu’ils préféraient se taire hypocritement pour ne pas diviser et qu’il était préférable de ne pas briser ce grand silence atterré et honteux. Ou pire encore d’attendre et voir la suite des évènements ! Tout le monde est aujourd’hui au pied du mur, en devoir de décider et de choisir ce qu’il faut pour la CGT. Ce pouvoir appartient à chacun, quelles que soient ses responsabilités, car en dernière analyse chacun compte pour un avec les mêmes droits et les mêmes devoirs, du syndiqué au secrétaire général de la CGT ! Dans ce dernier cas, avec sans doute plus de devoirs que de droits !
Pour avancer dans cette voie et ouvrir des perspectives, il faut prendre toutes les décisions qui s’imposent, et surtout, il faut la transparence à la manière de cette grande assemblée de Gardanne.
En faisant ce choix, d’une assemblée sans contrainte, ni formalisme, et après une riche discussion, cette initiative a donné confiance aux militants parmi les plus combatifs de la CGT, redonné goût à l’échange d’idées et d’expériences, ce qui a contribué par son caractère franc et mobilisateur à battre en brèche le fatalisme et le découragement. Un tel acquis si on l’entretient et si on sait le fait vivre n’est pas négligeable, mais constitue le point de départ d’une nouvelle organisation des méthodes de lutte et de la clarification des objectifs. Il peut permettre d’avoir l’ambition de faire partager dans la CGT l’objectif de la voir retrouver sa force propulsive en renouant avec ses principes de classes, ses règles de vie démocratique, ses valeurs qui ont fait son prestige. Il faut renouer des fils qui se sont défaits pour contribuer à rebâtir son unité et sa cohésion. C’est ainsi qu’on se donnera les moyens de répondre aux aspirations comme aux attentes pressantes d’un grand nombre de travailleurs tout particulièrement dans la jeunesse qui s’était jusque-là souvent sentie isolée et laissée à elle-même alors que les phénomènes de crise et d’absence de perspectives palpables s’accumulaient.
À Gardanne, les militants venant de diverses fédérations et unions locales ou régionales ont décidé collectivement de déterminer par eux-mêmes le contenu et l’ampleur des initiatives futures à prendre pour faire renaître un syndicalisme de lutte et de classe. Leur objectif est celui avant tout d’unir, rassembler, faire converger interprofessionnellement les actions pour qu’en s’articulant entre elles, elles se complètent, s’épaulent et produisent un mouvement d’ensemble pour gagner. Pour y parvenir, ce qui sera décisif, c’est d’impliquer toutes les forces de l’organisation et sans exception. Pas les uns sans les autres, pas les uns contre les autres, mais les uns avec les autres en anticipant, en mutualisant et en coordonnant les moyens humains et matériels à tous les niveaux de l’organisation. En faisant des choix en fonction des priorités, sans attentisme ni mesures dilatoires sans combine ni faveur, sans copinage ni népotisme..
Après les Assises de Martigues d’octobre 2020, la réunion de Gardanne a donc valeur d’exemple. Elle permet d’élargir le cercle faire en sorte qu’il se renforce et s’inscrit dans une continuité endurante. Elle met en évidence le besoin permanent et de faire la clarté sur les conceptions dans et hors le mouvement syndical, donc dans et hors la CGT. Car tout est lié ! Or, il existe, c’est bien normal une diversité de convictions d’objectifs, des approches différentes, des stratégies qui peuvent même sembler opposées. Les taire serait irresponsable, tout au contraire il faut les assumer pour mieux se déterminer et prendre les décisions. Trop de sujets restent en attente ou enfouis dans les tiroirs ou les placards. Clarifier et décider sont donc essentiels pour avancer.
5- Qu’en est-il ?
*Pour certains syndicalistes dans les rangs de la CGT, la crise capitaliste demeure une formule incantatoire. En fait, on en reste à l’analyse des conséquences et au fond à la recherche d’un aménagement, pour un capitalisme à visage humain alors même que les sociétés sont de plus en plus conscientes que ce système est devenu irréformable tant à l’échelle mondiale qu’à l’échelle locale et qu’il ne fonctionne pas , sauf bien sûr pour l’oligarchie. La réponse des confédérations en France dans l’Union européenne au sein de la CES, est fondée sur l’accompagnement social, le dialogue, le partenariat qui seraient finalement les seules alternatives possibles. On connaît le bilan, cela s’est traduit ces 25 dernières années par une régression sans précédent qui a pris au final la forme d’un recul de civilisation. Cela a été le cas, partout où les États ont renoncé à s’appuyer sur leur peuple et à mener des politiques économiques et sociales actives et créatives. Dans ce contexte de panne des dynamiques sociales, le Covid n’a été qu’un prétexte pour accélérer des politiques et des stratégies prévues d’avance par les partisans du libéralisme et de la polarisation sociale et qui ont bien évidemment conduit à un véritable désastre social et démocratique pour les masses. Cette politique va se poursuivre et s’aggraver ! L’adversaire de classe n’a pas l’intention de relâcher la pression. Il doit retarder la perspective d’un crash financier que de nombreux experts annoncent et la poursuite du délitement de l’Union européenne. Pour le Capital et s’il le faut, il faudra avancer à marche forcée !
Si l’on voulait persévérer dans cette politique d’accompagnement d’un système devenu stérile et contre-productif comme le préconisent certaines confédérations syndicales, cela entraînerait inévitablement un effacement quasi définitif de leur fonction au sens revendicatif et contestataire. D’ailleurs, le mépris dont Macron fait preuve à l’égard des corps intermédiaires est une illustration. La situation est identique à de rares exceptions dans la plupart des autres pays européens englués dans des mécanismes de stérilisation de la vie sociale prévus à cet effet. Ce qui tend à démontrer que la pauvreté, tant en influence qu’en force organisée, du syndicalisme français ne peut être l’unique et seule explication à ce processus de déliquescence voulu par les élites possédantes.
En fait ce syndicalisme de “réformes” de par ses orientations et sa passivité relative admet implicitement l’ordre des choses existant, c’est-à-dire la domination totalitaire des grands groupes multinationaux, comme par exemple ceux des industries d’armements, de la pharmacie ou des GAFA, leurs réseaux, leurs relais financiers, leurs services, leurs filiales et leurs relations consanguines avec les institutions supranationales, les États et les gouvernements à leur service. Le résultat est connu d’avance, sans contestation radicale de leur pouvoir, leur domination se poursuivra en toute impunité et la Commission de Bruxelles, l’Eurogroup, la Banque centrale européenne pourront dormir sur leurs deux oreilles. Pour leur part, ces directions syndicales qui veulent être considérées par leurs interlocuteurs institutionnels comme des partenaires à part entière se sont mises d’accord sur un principe, celui de la décroissance et cela va s’en dire de la sobriété pour les classes populaires. En ce domaine un large consensus les rassemble tous. Si on laissait faire ces orientations cela reviendrait à tirer un trait sur plusieurs secteurs industriels et des centaines de milliers d’emplois et cela aggraverait plus encore la précarité. Mais l’on nous répond qu’ainsi l’Union européenne serait sauvée et deviendrait cet horizon indépassable dont chacun rêve et qu’il faudrait au mieux réformer par étapes avec des mesures prétendument sociales, ou environnementales, sociétales mais surtout toutes conçues pour ne pas toucher au système capitaliste lui-même. Après tout, “Paris vaut bien une messe”. Autant dire qu’il s’agirait pour le syndicalisme d’une capitulation et d’une complicité qui a terme ne pourrait être jugée que sévèrement par les travailleurs eux-mêmes. Une telle situation signifierait au final la fin de toute perspective de progrès social et humain, et le retour aux lois de la jungle du capitalisme primitif, mais désormais protégé par des moyens de surveillance technique “sophistiqués” et donc indéracinables. Est-ce de cela que nous voulons pour nous et nos enfants ?
“Plus jamais ça, préparons le jour d’après” !
C’est pourtant, par exemple ce que préconise cette alliance mouvementiste d’un type nouveau baptisée « Plus jamais ça, préparons le jour d’après ». Elle est soutenue par une constellation d’organisations, d’associations, de « think tanks », d’ONG comme Alternatiba, Amis de la terre, Greenpeace ou Oxfam, et aussi des syndicats comme la CGT ou la FSU. Elles a mis en place une organisation permanente avec des moyens financiers et humains, et préconise une démarche de lobbies sur de nombreux sujets. Elle est en totale contradiction avec les principes fondateurs de la CGT et ses objectifs de construction d’un rapport des forces par des luttes. Elle participe aux réunions politiciennes de la “gauche” en vue des élections présidentielles dans le but d’apporter sa pierre à une candidature commune. Du moins et si l’on veut, on peut le croire ! Que n’a-t-on dit dans le passé et dans ses rangs à propos des relations de la CGT avec la politique, de son indépendance de jugement et d’engagement ?
En fait, ceci n’annonce-t-il pas une nouvelle structuration unificatrice de forces réformistes dans laquelle la CGT se fonderait ? Ou alors un pas vers ce syndicalisme de service sur lequel plusieurs confédérations européennes travaillent depuis longtemps dont en particulier la CFDT, sous l’autorité de la Confédération européenne des syndicats (CES). Cet attelage bizarre, dans lequel la direction de la CGT semble s’être engluée, a été imposé sans le moindre débat dans ses rangs et sans même la consultation de certaines fédérations comme celle de l’énergie ou celle des cheminots. Sans doute, cela n’a-t-il pas été jugé nécessaire puisque cette orientation qui enchante le secrétaire général de la CGT est en conformité avec l’air du temps. Doit-on rappeler ici les principes fondateurs de la Charte d’Amiens et le fait que ce sont les syndicats qui sont maîtres de leurs choix stratégiques
Cette “mouvance” bénéficie d’ailleurs d’une médiatisation qui est tout sauf innocente quand on connaît qui sont les propriétaires des grands médias. Sans doute à cause du soutien explicite au « Green deal européen » du couple Merkel/Macron, ce cheval de Troie de l’intégration européenne auquel les syndicats dont la CGT ont pensé utile d’apporter leur soutien actif. Très solennellement cela s’est fait à travers une déclaration commune des cinq confédérations françaises avec le très réformiste et très eurolâtre DGB d’Allemagne sous le parrainage de la CES et avec la bienveillance du patronat allemand, français et italien. Cet avatar est ainsi devenu le dernier-né du syndicalisme rassemblé, ce concept qui a permis de se rapprocher et de ne plus se différencier de la CFDT ou des conceptions qui dominent le syndicalisme européen.
* Pour d’autres syndicalistes en particulier ceux qui se sont réunis en réunion à Gardanne, il faut au contraire confronter les causes véritables de la crise capitaliste, la logique d’un système qui est le même partout et qui produit les mêmes effets, les mêmes désastres, les mêmes pillages et les mêmes guerres, y compris désormais sur le sol européen. Non sans raisons, les participants de cette assemblée considèrent que le capitalisme conduit l’humanité entière au bord de l’abîme, mais plutôt que de faire le choix d’attendre et voir, se résigner au nom de je ne sais quel fatalisme, ils pensent que cette évolution met en évidence le besoin d’une action convergente, d’une solidarité et aussi d’un internationalisme conséquent plus fort et plus entreprenant.
Du local au global !
Ainsi, pour eux, le néolibéralisme fait tout pour accélérer la dérèglementation et l’instrumentalisation des États, alors qu’il faudrait agir pour règlementer, pour planifier et renforcer les moyens du service public. C’est le cas dans le domaine de la santé comme en d’autres. En fait, le néolibéralisme est la seule et unique forme de capitalisme praticable aujourd’hui du fait de sa logique propre, il ne saurait pas y en avoir un autre, acceptable ou tolérable ou avec lequel on pourrait passer des compromis. Car le système dominant est arrivé au point où il n’y a plus “de grain à moudre” comme pouvait le prétendre autrefois André Bergeron dirigeant de Force Ouvrière. C’est pourtant et précisément à ce moment-là que certains dirigeants de la CGT soutiennent qu’il faudrait emprunter ce chemin ! Alors qu’on voit apparaître des critiques fondamentales du capitalisme jusqu’au sein des syndicats connus pour leur acceptation des logiques dominantes.
Par conséquent du local au global, ce qui est à construire ne peut se faire que par les luttes dont le contenu concret doit porter la nécessité d’un système social, économique et politique en rupture véritable. Il n’est pas sans signification que la rencontre de Gardanne se soit tenue aux côtés des travailleurs en lutte de la Centrale thermique de Provence, la plus grande du monde au « charbon propre » qui est en grève avec occupation depuis plus de deux ans. Cette lutte contre la fermeture entend défendre le potentiel énergétique de la France, c’est-à-dire un objectif synonyme d’intérêt national, d’innovation et de souveraineté d’autant, plus légitime au moment où le Capital entend faire régresser la consommation populaire. Le gouvernement quant à lui entend d’autant plus réduire les capacités énergétiques de la France qu’il bénéficie du « feu vert » des partisans de la décroissance comme ceux déjà cité de « Plus jamais ça ». Il ne saurait y avoir de politique industrielle, et de vie tout simplement dans les villes et les régions sans un grand service public de l’énergie sous le contrôle et la maîtrise des travailleurs et du peuple. La journée d’action nationale du 22 juin doit contribuer et permettre de faire échec au gouvernement et à son plan “Hercule” de démantèlement des activités énergétiques nationales décidées par Bruxelles. Cette journée de grèves et de manifestations contribuera ainsi à faire grandir l’idée de convergence interprofessionnelle.
Parlons du socialisme.
L’exemple qui précède, souligne un besoin de cohérence dans le contenu des objectifs et leur relation avec les principes fondateurs de la CGT. Car comment par exemple parler de politique industrielle indépendante sans la socialisation des moyens de production et d’échange et sans confier le pouvoir de décision aux producteurs, de l’entreprise jusqu’au niveau de l’État ? Ceci ne peut être possible que par le socialisme et il faut le dire de manière claire et en parler. Comme l’a montré la crise sanitaire, rien ne peut s’accomplir de durable et d’utile sans l’intervention directe des travailleurs dans leur diversité. Il en va de l’énergie, de la santé, de l’éducation comme de tout autre sujet. La période que nous vivons a d’ailleurs mis en évidence les résultats de pays pour qui leurs moyens doivent être mis prioritairement au service du peuple. C’est ce qui a permis à la Chine, le Vietnam, Cuba, le Venezuela de surmonter de manière exemplaire les conséquences tragiques de l’épidémie de Covid19.
Voilà pourquoi tout ce qui précède est inséparable des moyens dont le peuple doit se doter pour se réapproprier la politique. Pas l’un sans l’autre syndicalisme et politique marchant d’un même pas indissociable ! C’est ce qu’ont exprimé collectivement les participants de la rencontre de Gardanne. Cette volonté de leur part est suffisamment forte et claire pour la souligner comme une exigence à tout projet anticapitaliste et anti-impérialiste.
Ces débats, du fait de la crise ont pris un caractère décisif, car au fond cela détermine la nature et le contenu de l’engagement qui doit être celui des différentes structures de la CGT. La place qu’on accorde à celles-ci est devenue un sujet qui touche aux choix, au rôle et à la conception que l’on a de l’organisation et de l’engagement de ces militants, notamment les plus actifs, particulièrement ceux forts d’une expérience dans le combat de classe.
6- La singularité de la CGT, obstacle à la recomposition.
Il est évident que la singularité de la CGT demeure caractérisée par un potentiel militant actif, une somme de dévouement altruiste qu’il faut valoriser. Sa conception de l’organisation, la décentralisation et l’articulation de ses structures à son origine comme à la base de son unité demeure la source de son efficacité comme le confirme toute son histoire.
Ceci constitue aux yeux de certains une sorte d’exceptionnalité proche de l’anomalie voire de la bizarrerie si on la compare au fonctionnement de la plupart des confédérations européennes. Comme on peut le constater, leur conception verticale et peu démocratique privilégie le professionnel au-dessus de toute autre chose, mais paralyse l’action et conduit le syndicalisme dans une impasse. L’exemple allemand, britannique ou scandinave en est l’illustration parfaite, puisque ce sont dans ces pays qu’ont été poussés à leur extrême les grands reculs sociaux (thatchérisme, accords de Hartz, saccage du code du travail suédois, etc.), la France n’ayant jusqu’à présent fait que suivre ces processus réactionnaires, justement à cause des effets persistant de notre tradition syndicale portée en particulier par la CGT. Quant à ceux qui s’y sont convertis, leur situation n’est guère plus enviable.
Pourtant, ce sujet est devenu un enjeu au point que l’on aimerait voir dans la France d’en haut et à Bruxelles la CGT rompre avec son passé et avec ce qu’on présente comme son conservatisme structurel et chronique, héritage d’une époque censée être révolue. On aimerait dans ces sphères la voir évoluer vers des conceptions pleinement euros compatibles, ce qui faciliterait une recomposition du paysage syndical français. Il faudrait dit-on regrouper, soustraire, adapter et faire le choix d’une verticalité permettant de revenir à ce corporatisme des origines du syndicalisme, propre à la négociation, à ce syndicalisme de propositions de collaboration et surtout de responsabilité. Certains dirigeants de la CGT se sont essayés à cette “modernisation” proche d’un modèle calqué sur celui de la CFDT, ils en rêvaient, mais en vain. Aller dans cette voie comme certains continuent encore à le suggérer serait en fait renoncer définitivement à faire vivre en France un syndicalisme de classe, cela serait mettre une croix sur une histoire et un patrimoine. La CGT est-elle prête pour cela ?
Pourquoi des structures de proximité ?
Tout au contraire, ce qu’il nous faut, pour les travailleurs et notre peuple, c’est donner aux structures syndicales de proximité toute leur place stratégique dans la construction du processus revendicatif autant que dans la rénovation de l’outil syndical. C’est le cas particulièrement des Unions locales (UL) de syndicats qui occupent une place originale et décisive dans la construction du combat interprofessionnel. Leur donner les moyens matériels, financiers et humains est donc indispensable à l’accomplissement de cette mission. C’est là, faire un choix politique au-dessus de tout autre chose et c’est une priorité. Pour être utile et efficace, cette approche doit être prise en charge à tous les niveaux de l’organisation en rompant avec les pratiques de sommet qui encouragent la tendance au repli sur soi et qui éloigne de l’entreprise et donc des travailleurs.
Si ces dernières années où le style de travail de la CES a déteint sur le fonctionnement de la CGT, la direction confédérale par contre a vu ses effectifs permanents sensiblement augmenter y compris en recourant à des collaborateurs sans expérience professionnelle et syndicale concrète et parfois même non syndiqués(!) dans le même temps, les unions locales ont vu leur nombre fondre comme neige au soleil et parfois avec eux l’union locale elle-même. Ce sont pourtant sur les UL que reposait et repose encore la mise en œuvre des orientations de la CGT, l’organisation des luttes, les liens avec les bases syndicales, parfois les syndiqués isolés sur les sites ou les zones industrielles ainsi que l’articulation avec les structures aussi déterminantes que sont les Unions départementales (UD).
Débattre des structures syndicales touche donc au fond à la conception que l’on a du rôle et de l’action, de l’organisation, de la vie démocratique de celle-ci, de l’indépendance syndicale autant que de l’utilité et de l’efficacité du syndicalisme lui-même. Bien sûr, tout dépend de l’objectif recherché ! Si dans la conception réformiste, on fait le choix des consignes qui descendent du haut vers la base dans la vision qui est celle du syndicalisme de classe, on fait le choix au contraire de prioriser l’activité de terrain à partir du syndicat d’entreprise comme lieu de decision, d’élaboration, d’orientation et de conrétisation. Il en est ainsi par ce que le lieu de travail où qu’il se trouve, qu’il soit public ou privé demeure fondamentalement l’endroit où se noue la contradiction capital/travail et parce que là et mieux que nulle part ailleurs la démocratie ouvrière et syndicale peut et doit s’exprimer librement. Dire cela n’est pas négliger le rôle et l’action des Fédérations, mais, ne faut-il pas rappeler que dans la CGT, le fédéralisme, ce ne sont pas les fédérations, mais le libre choix pour toutes les structures, mais toujours depuis le syndicat d’entreprise qui lui demeure déterminant. Le Congrès confédéral de la CGT est le congrès de tous les syndicats d’entreprise qui la composent. Par conséquent il ne saurait y avoir de compétition ni de concurrence entre les structures syndicales qui composent la CGT mais une juste articulation solidaire entre elles. C’est d’ailleurs ce qui explique les grands succès historiques de la CGT et la place qu’elle avait conquis depuis sa création dans le paysage syndical français et aussi international. De cela nous étions à juste titre fiers.
Si l’objectif recherché est la lutte de classes alors c’est à partir de l’entreprise que doit s’opérer l’étroite coopération entre les structures verticales que sont les fédérations et les structures horizontales qui sont celles des Unions départementales et des Unions locales. C’est ce maillage qui permet de contribuer à la solidarité interprofessionnelle et de ce fait à la construction du rapport des forces.
D’ailleurs, il en va de même des Unions régionales de syndicats(UR) dont le rôle est important pour contribuer aux luttes et à leur coordination autant qu’à l’élaboration de réponses aux politiques voulues par la Commission de Bruxelles et le gouvernement. C’est ce qu’a montré efficacement la région Centre Val de Loire sur le plan régional santé quand son action et ses revendications ont permis de faire pièce aux objectifs du gouvernement, du patronat et de ses alliés politiciens de droite comme de gauche !
Malgré cela, certains dirigeants de la CGT s’interrogent, ils imaginent, ils font des hypothèses sur le besoin pour les uns de faire disparaître les régions pour d’autres de les regrouper avec les Unions départementales et les Unions locales. Certains vont plus loin encore en s’inspirant directement de l’intégration européenne, en suggérant par exemple la mise en place de grandes régions syndicales intégrées à travers la CES sur le modèle des “Länders” allemands, contribuant ainsi à la mise en place de structures supranationales calquées sur une Europe à deux vitesses comme le veut la Commission de Bruxelles. Pour les besoins de cette mauvaise cause, on va jusqu’à défendre l’idée que les régions n’auraient aucune légitimité statutaires, que leur activité serait avant tout institutionnelle, qu’elles devraient s’adapter ou disparaître.
D’ailleurs, le patronat pousse depuis quelques années, en parfait accord avec les directives européennes, à transférer les discussions sociales au niveau régional en supplantant le dialogue social à la négociation collective.
Cette logique est inscrite dans ses projets de faire disparaître les conventions collectives et statuts pour tirer vers le bas l’ensemble des garanties collectives en imposant une baisse généralisée des salaires et cotisations sociales et une précarisation généralisée de la vie pour les actifs comme les retraités.
Continuer à concentrer les moyens autour de structures professionnelles au champ et souvent à l’intervention restreinte et à une Confédération vivant en circuit fermé, dans sa propre bulle, renoncer aux structures de proximité et à leurs moyens, c’est finalement faire le choix d’un fonctionnement coupé des réalités et des besoins concrets des syndicats d’entreprise et donc des travailleurs ! À ce stade et plutôt que d’engager ce débat jusqu’à son terme, la vérité exige de constater que la direction actuelle de la CGT préfère l’attentisme par peur du vide, peur d’ébranler son édifice à Montreuil, peur de bousculer les mauvaises habitudes, peur de bouleverser des situations acquises.
7- Une rénovation nécessaire de la CGT.
Le mode de vie syndical que l’on doit viser reste celui qui repose sur l’indépendance, le libre choix de chaque structure, et une pratique commune et partagé du vivre-ensemble sur un pied d’égalité avec de même droits et de même devoir. Pas plus de droits pour les uns et moins pour les autres. L’actuelle manière de faire aujourd’hui donne le sentiment de conduire à une impasse parce qu’elle prive l’organisation des militants, des cadres et des moyens matériels dont elle a besoin. Elle perpétue des disparités indéfendables dans un syndicat de classe comme la CGT dont la valeur forte est la solidarité. Ne faut-il pas inverser la démarche actuelle en transférant les dirigeants dont on a besoin là où l’on en a besoin ? En rompant avec cette conception ascensionnaire dans l’exercice des responsabilités, et en décentralisant cette pratique pour y intéresser le plus grand nombre de syndicats, de syndiqués et de travailleurs en leur donnant leur mot à dire..
Cette exigence suppose un effort de formation et d’éducation pour permettre aux militants syndicaux de s’approprier toute une culture syndicale à laquelle trop ont renoncé, le plus souvent par le choix d’une démarche déconnectée de ce qui doit être pourtant les bases nécessaires d’un savoir syndical. Au point qu’on trouve aujourd’hui dans la CGT des programmes de formations syndicales qui sont différents, et même opposés entre eux, déconnectés des nécessités et souvent assumés par des “experts” étrangers aux réalités du mouvement syndical.
Il est inconstatable que les reculs de la conscience de classe qu’il faut bien constater trouve son origine dans la manière dont on a négligé cette culture ouvrière qui encourageait la lecture, l’étude, la recherche, l’écriture, et valorisait le patrimoine du mouvement ouvrier national et international. Cette évolution a entraîné un relâchement négatif et parfois un abandon, des règles, des principes et valeurs pourtant forgés par des décennies de travail militant. Il est courant aujourd’hui d’entretenir le renoncement à l’effort personnel et collectif, en encourageant le recours à l’individualisme, à la facilité, et à renoncer à tout ce qui devrait stimuler la curiosité et l’esprit critique.
Ainsi, dans les discussions collectives, les rapports se réduisent souvent au strict minimum, à des généralités d’autant plus affligeantes qu’on se refuse à prendre le temps d’analyser une lutte, à tirer les enseignements d’une situation dans sa complexité nationale et internationale, à évaluer l’état de l’organisation et les responsabilités qui en découlent. Il en va de même de l’expression syndicale dont trop souvent la forme et le contenu privilégient les formules dans l’air du temps, le “globish” et ses anglicismes, les formules toutes faites, au détriment du sens et du contenu des arguments dans la parole autant que dans l’écrit.
Ainsi, l’entreprise de décervelage médiatique trouve dans ces conditions un terrain d’autant plus fertile que la bataille des idées s’est considérablement aiguisée, mais que dans le même temps la riposte s’est dégradée. La crise qui affecte profondément la presse syndicale, particulièrement celle de la CGT est significative d’un recul sans précédent au point d’envisager la disparition de titres aussi prestigieux que la Vie Ouvrière pourtant inséparable de son histoire.
C’est aussi le cas du domaine de la recherche depuis l’abandon par la direction de la CGT de son Institut ISERES( Institut syndical d’études et de recherches économiques et sociales) dont le travail associant syndicalistes et universitaires y compris dans la sphère internationale permettait à toute l’organisation les mises à jour indispensables sur les stratégies du Capital et celles des forces sociales et politiques en France , en Europe et dans le monde..
Pourtant et comme jamais auparavant, il faut aider à prendre toute la mesure si l’on veut ensuite expliquer et argumenter pour éclairer les consciences ce qu’est la folie destructrice et criminelle du capitalisme, son exploitation forcenée de milliards d’individus, sa rapacité au gain à n’importe quel prix, le pillage des ressources naturelles, comme la destruction de l’environnement auquel ils se livrent, les guerres qu’ils suscitent et sur bien d’autres sujets.
Tout ce travail exige une constante mise à jour, des orientations nouvelles et énergiques, des décisions et leurs applications.Elles doivent être prise en charge par toutes les structures de l’organisation. Il n’est pas d’autres alternatives, car ce sont les militants et les syndiqués, les syndicats qui sont et seront toujours déterminants, ils sont les dépositaires de l’unité et de la cohésion de la CGT.
C’est cette démarche qui doit guider chacun et chacune dans un esprit fraternel. La CGT a un urgent besoin de rénovation. Ce sentiment est largement et majoritairement partagé. Il exprime un attachement et une fidélité à une organisation dont le courage et la lucidité ont joué un rôle décisif dans l’histoire. Il y a urgence à la rassembler et non pas à la diviser. Il faut lui donner les moyens de prendre la parole et de passer à l’offensive. Nul ne saurait échapper à cette exigence. C’est ce à quoi l’assemblée des militants à Gardanne a voulu contribuer.