Collectif National pour un Front Syndical de Classe
mis en place par les initiateurs CGT et FSU de la « lettre ouverte aux Etats-majors syndicaux »
(http://tous-ensemble.dyndns.org)
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Par Jean Lévy, retraité CGT, ancien délégué Syndical National CGT au Crédit du Nord, ancien membre du Bureau de la FD des Employés
Si la direction de la CGT, Bernard Thibault en tête, a cru bon de « mettre au clair », en direction de ses organisations, les objectifs de la Confédération, c’est que nombre de syndicats et de militants mettent en cause sa stratégie, mise en pratique depuis le début de l’année.
« Si l’on a organisé cette réunion, pour bien vérifier entre nous qu’en terme de stratégie, de lisibilité de la démarche de la CGT, il n’y avait pas de problèmes majeurs.
Et d’ajouter :
« La réunion fait apparaître un large accord sur l’analyse de la situation et sur la manière dont la CGT doit affronter la période à venir ».
Large accord ? C’est reconnaître qu’il n’y a pas unanimité.
L’argumentation avancée reflète donc un caractère défensif, tout en affectant de tenir compte de l’état d’esprit de ceux qui contestent la pratique de « journées » d’action, espacées de temps morts, jugés démobilisateurs. C’est ainsi, qu’abandonnant le prétexte, mis en avant par Maryse Dumas, de « nombreux week-end allongés » au mois de mai pour neutraliser ce mois au point de vue revendicatif, Bernard Thibault déclare :
« Il y a enfin les suites du 1er Mai sur le plan national. La question a déjà été abordée dans l’intersyndicale et nous avons fait la suggestion que d’ores et déjà, on réfléchisse à un horizon mi-mai. Il n’a pas été possible, pour l’instant, de se mettre d’accord au niveau de l’intersyndicale. Je dis « pour l’instant » parce que si nous parvenons, par notre travail CGT, à faire monter en puissance une multiplication des initiatives, des mobilisations diversifiées, des formes d’actions originales, que nous occupons le terrain revendicatif sous de multiples formes, que nous montrons que nous ne « lâchons pas le morceau » sur le terrain revendicatif pendant tout le mois d’avril, avec un travail d’élargissement et d’intensification, nous gardons à l’esprit la possibilité de rediscuter avec les autres de l’horizon de mi-mai. »
Mais cette concession verbale ne fait pas dévier d’un pouce la volonté confédérale de s’en tenir, coûte que coûte, à l’unité « au sommet », jugée essentielle :
« Ces rendez-vous nationaux, interprofessionnels, unitaires depuis le début ont créé une dynamique. Ils continuent à générer une ambiance, à donner confiance mais cela ne peut pas être vécu comme un substitut au travail revendicatif adapté à chaque entreprise et au plan professionnel. (…) La CGT va s’exprimer sur la manière dont elle se situe par rapport aux décisions d’action des mois d’avril et mai. Il est évident que dans cette expression, nous ne prendrons pas le risque de donner un prétexte à ce que la CGT apparaisse comme cherchant à se distinguer de ce qu’a décidé l’intersyndicale (…) Je pense que nous sommes tous lucides là-dessus, nous n’avons absolument rien à gagner à chercher à nous distinguer si cela devait être perçu par les salariés eux-mêmes comme une attitude de division à l’égard d’un mouvement qui donne confiance et qui recueille l’adhésion d’une grande partie de la population ».
Bernard Thibault ajoute, répondant certainement à l’évocation de mouvements tels ceux de 1936 ou de 1968 :
« Il est normal que nous réfléchissions collectivement à la conduite d’un mouvement qui n’a pas de précédent. Il faut donc accepter cette idée que sa conduite est à définir au fur et à mesure. Il n’y a pas de référence à aller chercher dans telle ou telle période. »
Le secrétaire général de la CGT aborde ensuite la situation actuelle :
« Les choses bougent sur quelques lignes importantes de la bataille idéologique : finalité de l’entreprise, finalité de l’économie, place des salariés, rentabilité financière, stocks-options
Cela se traduit par des prises de position de la part des salariés, mais aussi de responsables, que l’on n’aurait jamais entendues en d’autres périodes (…) il y a un effet particulier de ce qui se passe en France au plan international, certes sur le terrain syndical, mais avec une résonance politique évidente.
Les lignes sont donc bien en train de bouger. Sarkozy lundi matin a dû refaire une réunion avec les responsables syndicaux. Et il n’est pas étonnant qu’il éprouve le besoin d’accélérer le rythme des rencontres avec les responsables syndicaux dans cette période. »
Illustrer le « changement » par la multiplication des entrevues initiées par Sarkozy semble une illusion, qui serait comique, en d’autres circonstances, alors que Bernard Thibault attire l’attention des militants:
« notamment au niveau des fédérations, sur l’attitude de l’Elysée qui consiste à prendre un dossier de temps en temps, un conflit ça et là et à organiser des contacts directs avec les responsables syndicaux des entreprises à l’Elysée.
Soyons attentifs à des opérations d’instrumentalisation, car ce n’est rien d’autre ».
Est-ce une autocritique de la propre attitude du secrétaire général de la CGT, quand il se rend chez Sarkozy, au soir du premier jour de la grève des cheminots, en novembre 2007 ?
Enfin, Bernard Thibault pose la vraie question :
« Vers qui sont dirigés les mobilisations ? »
Il répond :
«Il est incontestable que les mobilisations avaient parmi les points forts une critique, et pour cause, de la politique économique et sociale mise en œuvre par Sarkozy (…) L’attente d’une réponse politique globale par en haut ne permet pas de porter les contenus revendicatifs que nous avons besoin de porter à tous les niveaux. »
Autrement dit : il ne faut pas engager une bataille global contre le pouvoir, car « les mobilisations rassemblent au-delà des clivages politiques.»
Les objectifs de la CGT sont plus modestes :
« Etre contre la politique de Sarkozy c’est une chose, autre chose est de chercher à améliorer la situation faite aux salariés telle qu’elle est. Les attentes peuvent de ce point de vue être différentes, que l’on soit dans une entreprise menacée, qui a disparu ou dans un secteur moins touché par la crise ».
Et d’ajouter :
« Sans exonérer bien sûr la politique économique et sociale de Sarkozy, le patronat ne peut pas être exempt d’obligations et de négociations, que ce soit sur les salaires, l’emploi. C’est aussi le moment de revenir sur certaines questions comme l’organisation du travail, l’intensification du travail ou la précarité dans les entreprises. »
Donc, il n’est pas question, pour la CGT, de globaliser l’action, étant donné que :
« Tout le monde n’est pas confronté à la même situation dans ce contexte. Tout le monde ne vit pas la situation de la même manière, qu’il s’agisse des salariés, des syndiqués, des syndicats, des fédérations professionnelles. Il y a des enjeux spécifiques suivant que les salariés sont dans une entreprise qui ferme – et la liste s’allonge – ou dans une entreprise qui a déjà fermé
Tout le monde ne vit pas non plus les choses avec la même intensité. Entre une entreprise susceptible de fermer et l’attente d’une revalorisation des salaires par exemple dans la fonction publique, revendication aussi légitime, les préoccupations diffèrent. Il en est de même de la conduite ou de la répétition des rendez-vous revendicatifs. Là aussi le profil des entreprises, le statut des salariés, et le degré de mobilisation jouent un rôle déterminant. »
Quelle forme d’action doit-on donc envisager ?
« Si on pense ça et là dans nos rangs que le seul moyen pour augmenter le nombre de ceux qui participent aux mouvements dans leur entreprise c’est de multiplier les rendez-vous nationaux comme une réponse destinée à combler un déficit de mobilisation dans certaines entreprises, il faut qu’on se dise clairement que cela ne peut pas marcher ».
Quant aux autres formes de lutte, celles qu’on nomme « dures », Thibault met en garde :
« S’agissant des formes d’action les plus médiatisées comme celle des camarades de Caterpillar, il faut que nous soyons tranquilles sur le rôle des médias et jouer la transparence avec les salariés en lutte. Il revient en permanence aux responsables syndicaux de dire vis-à-vis des salariés qui sont exaspérés mais qui sont aussi déterminés : « si vous décidez telle ou telle forme d’action, il faut que vous sachiez quels sont les possibilités ou les risques inhérents aux formes d’actions arrêtées ». Il faut surtout alerter sur tout ce qui pourrait être contre productif par rapport aux revendications défendues.
Bernard Thibault insiste :
« Nous ne prendrons pas le risque de donner un prétexte à ce que la CGT apparaisse comme cherchant à se distinguer de ce qu’a décidé l’intersyndicale. Nous n’avons absolument rien à gagner à chercher à nous distinguer (…) Il n’y a pas un syndicat aujourd’hui qui va prendre le risque de sortir du cadre unitaire ou d’une initiative unitaire ».
De même, le secrétaire général de la CGT refuse de prendre l’exemple guadeloupéen en modèle à suivre :
«Quelques mots sur la remarque qui a été faite en référence à la mobilisation en Guadeloupe et à la coalition du LKP qui regroupe 48 organisations. Si cette référence consiste à laisser entendre qu’il faudrait nous aussi réfléchir à une configuration du même type pour la conduite du mouvement, une forme de coalition regroupant les syndicats, les associations et les partis politiques, naturellement ce serait une autre stratégie et je vous le dis, ce serait une erreur stratégique considérable :
Premier effet, dans l’hypothèse ou une telle coalition serait envisagée en métropole, cela ferait voler en éclats l’intersyndicale. Je dirais même que dès lors que la CGT laisserait entendre qu’elle voudrait réfléchir à une telle hypothèse, c’en serait fini de l’intersyndicale(…)Le jour où il n’y aurait plus l’unité syndicale ou plus la caractéristique syndicale, nous serions dans une configuration totalement différente. »
Par ce biais, Bernard Thibault rejoint le côté « politique » de l’affaire :
« Les manifestations et les grèves ont bénéficié du soutien de 72 ou 73 % de compréhension, voire de soutien de la population et ce au-delà des clivages politiques. Ce n’est pas une question « pro » ou « anti »Sarkozy. »
Et de dénoncer :
« Ceux, parmi les partis de gauche, qui ont la prétention de donner des leçons aux responsables syndicaux, voire même qui auraient la prétention de se substituer aux syndicats dans la responsabilité d’assurer la défense des intérêts des salariés et la conduite des mobilisations sociales (…) La CGT continuera si c’est nécessaire à dire publiquement que c’est pour elle totalement inacceptable et qu’à pousser les feux sur ce type de débat là, on faciliterait un éclatement du rapport de force actuel. »
Ainsi, pour Thibault, les choses sont claires : pas question d’agir en dehors du cadre unitaire des confédérations, pas question de globaliser le mécontentement populaire et de s’opposer frontalement au pouvoir. Il faut poursuivre la stratégie mise en œuvre par la CGT depuis des mois. Mais, pourquoi ne pas soumettre celle-ci au jugement des syndiqués, et plus largement, des salariés ? Le questionnement des militants sur l’orientation confédérale nécessiterait un tel débat dans les entreprises et les localités.
C’est aux travailleurs et à leurs organisations syndicales de base qu’il appartient de conclure.