A l’occasion de la sortie de son livre « Les docks assassinés, l’affaire Jules Durand », www.initiative-communiste.fr s’est entretenu avec son auteur Roger Martin. IC a posé plusieurs question autour de la répression de classe qui frappe le mouvement syndical actuellement.
1) Il est de bon ton dans les milieux médiatiques autorisés – ceux des éditorialistes et des chaines de télévisions du système – de raconter un effacement de la lutte des classes, la décrivant comme dépassée alors que la modernité serait dans le « dialogue social ». Une rhétorique reprise jusque dans une partie des états-majors syndicaux. Est-elle encore vraiment d’actualité, cette lutte de classes ?
Roger Durand :
Comment la lutte des classes pourrait ne plus être d’actualité? Sa disparition supposerait l’établissement d’une société où les classes auraient été abolies. On en est loin! Et, il est bon de rappeler qu’avant d’avoir été théorisée et décrite par les marxistes, la lutte de classes existait, tout simplement. La révolte de Spartacus et de milliers d’esclaves en est une manifestation au même titre que l’écrasement dans un bain de sang de la Commune de Paris ou celui du mouvement des mineurs de cuivre dans le Montana sous les balles des Pinkertons. D’ailleurs, loin des arguties des journaux économiques français, de la plupart de nos grands patrons, le cynisme brutal d’un Warren Buffet, 1ère fortune des États-Unis, devrait mettre la puce à l’oreille aux naïfs: « La lutte de classes existe, évidemment, et c’est ma classe, celle des riches, qui la mène. Et nous sommes en train de la gagner… » Quant au « dialogue social », c’est avant tout un leurre. L’expression fait partie d’une chaîne de mots et expressions imposés, sournoisement d’abord, puis clairement tels que « plan social » , « partenaires sociaux » ou « libéralisme », qui ont remplacé « licenciements », « syndicats et patrons », « capitalisme ». D’ailleurs, dès que le Medef et ses représentants au pouvoir utilisent le mot « social », on devrait se tenir sur ses gardes!
Initiative Communiste : Avec les luttes de ce printemps 2016 pour le retrait de la loi travail, la répression s’abat sur les militants syndicaux, en particulier ceux de la CGT. On parle désormais de plus de 1000 procès politiques, de centaines de militants condamnés à de la prison. Pourtant l’information reste très partielle, la CGT elle même n’ayant publié aucun chiffre à notre connaissance : La violence de la répression n’est pas une nouveauté, ton livre est là pour en témoigner, mais est-elle une nouveauté sur la période récente, sur ces dernières décennies ?
Au mois de juin, le PRCF a été à l’initiative d’un appel d’intellectuels intitulé « Je suis CGT » contre la répression de classe frappant la CGT. Cet appel a rencontré un écho international et malgré la censure, a recueilli plus de 5000 signatures à ce jour. Qu’est-ce qui est, selon toi, dans le viseur de cette vague de répression ?
L’Humanité de ce jour (lundi 7 novembre) consacre une page entière à un nouveau cas de répression syndicale. Le procureur de la République du tribunal correctionnel de Paris réclame 1 an de prison avec sursis et 4000 euros d’amende contre Philippe Christmann, responsable de la fédération CGT de la construction accusé de « dégradations en réunion ». Quelques jets de peinture à l’eau et de confettis. Un cas qui vient s’ajouter à des dizaines d’autres, dont les plus connus ont été les Goodyear et les Air France. Sur tout le territoire de la France – n’oublions pas les DOM-TOM – se multiplient les plaintes et les poursuites et des réquisitoires souvent implacables. La CGT est la cible prioritaire mais dans le harcèlement engagé contre les postiers il est fréquent que des syndicalistes de SUD subissent le même genre d’attaques. Il s’agit là à mon sens d’une stratégie en tenailles. Malgré la crise qu’elle a traversée, malgré l’affaire Le Paon, dont je pense qu’elle visait à faire exploser la centrale syndicale où sont concentrés le plus de militants révolutionnaires, malgré un contexte où tout est fait par le pouvoir et le Medef pour favoriser des syndicats de compromissions, la CGT ne s’est pas effondrée. Il s’agit alors d’utiliser une double stratégie: aider la CFDT à remporter les élections professionnelles dans les Très Petites Entreprises (4,5 millions de personnes concernées, dont la moitié de moins de trente ans) puis dans tous les secteurs afin de pouvoir négocier en se débarrassant de la CGT, de Sud, et parfois de FO et, parallèlement, inspirer un climat de peur. Si descendre dans la rue, surtout dans un contexte où la parole d’un policier ou d’un CRS aura valeur de vérité révélée, manifester, occuper une entreprise que ses patrons veulent délocaliser, soutenir un délégué licencié, peut vous valoir de la prison et une amende, ridicule pour les revenus d’un grand patron, mais énorme pour un travailleur, comment croire que tout cela peut ne pas avoir de conséquence, surtout chez des jeunes précaires que leurs familles poussent à ne pas risquer de perdre un emploi, fût-il le plus mal payé? La répression n’est pas une nouveauté – je me rappelle toujours comment, après la superbe manifestation des sidérurgistes en 1993 à Paris, plusieurs de mes camarades de Longwy se retrouvèrent en prison – mais l’époque où nous pouvions envahir la première agence de travail temporaire à Longwy et littéralement la fermer sans que les poursuites n’aboutissent, ou lorsque le tribunal de Briey relaxait cinq sidérurgistes sous les applaudissements de 7000 travailleurs, n’est plus. Ce qui est clair, c’est que le grand patronat entend liquider toute vraie résistance. Le Code du travail à la Hollande et Laurent Berger ne leur suffit pas. Il leur faut aller beaucoup plus loin. Comme on n’est plus en 1910, ni dans la Turquie d’Erdogan, on ne montera pas une machination qui permette de faire condamner à mort un syndicaliste, comme ce fut le cas pour Jules Durand, secrétaire du syndicat des charbonniers du Havre, mais on entend toujours jouer sur la peur! Et, sans mettre en doute la réalité de la crise du monde agricole – dans laquelle la FNSEA porte une lourde responsabilité – force est de constater que mieux vaut dévaster un palais de justice neuf en causant des millions d’euros de dégâts que déchirer une chemise ou jeter un peu de peinture rouge!
4) Face à cette menace les syndicats de luttes (CGT, SUD…) n’ont ils pas un rôle plus grand à jouer ?
Naturellement, comme beaucoup, je signe des appels, des pétitions et je continuerai à le faire. Mais, même si je souhaite que la réponse des syndicats de luttes, comme la CGT et Sud, et aussi, souvent, la FSU, soit toujours plus forte, plus à la hauteur d’une situation gravissime, j‘essaie de garder une certaine retenue. Il m’est parfois douloureux de voir mettre en cause des directions qui ne feraient pas assez, qui n’iraient pas assez loin. Certes, pareilles remontrances, je les entends dans des manifestations dans la bouche de camarades qui sont de tous les combats, mais plus encore, autour de moi, de révolutionnaires d’Internet qui compensent leur absence sur le terrain par une frénésie écrite qui finit par m’exaspérer. C’est un problème de fond. Au-delà d’une question de ligne syndicale ou politique, nous sommes en face d’une machine idéologique qui semble tenir tous les rouages de la machine à décerveler. Toutes les télés, la plupart des sites internet, les journaux, y compris et surtout les « gratuits ». Je n’ai pas de solution de rechange toute faite mais je crois qu’avoir raison n’est rien si nos explications ne peuvent être entendues au-delà de nos cercles de convaincus. C’est une question cruciale qui concerne tous ceux qui continuent à lutter, comme vous dans votre organisation, comme beaucoup d’autres ailleurs, comme mes camarades du PCF dans notre section Oswald Calvetti.
Roger Martin présente « Les docks assassinés » sur RTL. (Enregistrement de l’émission)
Mardi 25 octobre, notre camarade ROGER MARTIN présentait son dernier livre « Les docks assassinés » sur RTL dans l’HEURE DU CRIME de JACQUES PRADEL sur RTL. Vous pouvez écouter ou télécharger cette émission en cliquetant sur le lien suivant: Roger Martin présente Les docks assassinés).
Attention : Ne vous laissez pas arrêter par la pub d’une minute et demie avant l’émission !
1910, JULES DURAND CONDAMNÉ à MORT 2016, LA CGT CRIMINALISÉE
Le syndicat général des ouvriers dockers du port du Havre (CGT), l’Institut d’Histoire Sociale de la CGT de Seine Maritime et les Éditions de L’Atelier viennent de publier un roman graphique intitulé
LES DOCKS ASSASSINÉS (L’AFFAIRE JULES DURAND) qui retrace la terrifiante machination qui permit à la Compagnie générale transatlantique et à la plupart des négociants-importateurs du port de casser la grève des ouvriers charbonniers en faisant inculper le secrétaire de leur syndicat, Jules Durand, le secrétaire-adjoint et le trésorier de « complicité morale d’assassinat ».
Une inculpation qui débouchera sur un procès inique devant la cour d’assise de Rouen et la condamnation à mort de Jules Durand.
Une infamie qui suscitera une réponse enflammée de la CGT, un mouvement de solidarité national puis international, l’entrée dans l’arène de Jean Jaurès et de L’Humanité, de la Ligue des droits de l’homme et de parlementaires indignés par le coup monté et, y compris, d’un commissaire de police foncièrement honnête.C’est cette affaire, qu’on peut considérer comme la première tentative à grande échelle de criminalisation de la CGT, que Roger Martin, écrivain engagé dans le combat politique et social, et le dessinateur Mako ont entrepris de raconter dans un respect total de la vérité des faits.
Un travail qui non seulement rend hommage à une victime de la répression patronale cautionnée par la justice de l’époque, mais souligne comment, à 116 ans de distance, les mêmes revendications suscitent les mêmes provocations !
Le combat de Jules Durand et de ses camarades reste un exemple. Comme celui des Conti, des Goodyear ou des Air France aujourd’hui. Tous sont la preuve évidente que seules la lutte sociale et la solidarité peuvent imposer la justice.
Mardi 25 octobre 2016, pendant près d’une heure, de 14h à 15h, Roger Martin, invité sur RTL de l’émission de Jacques Pradel, L’Heure du crime, consacrée ce jour à L’Affaire Durand, a pu retracer les étapes de cette machination patronale et l’ignominie d’un procès truqué, évoquant même en début d’émission, une « première criminalisation de la CGT » !
L’émission peut être écoutée en podcast sur le site de RTL. Outre son intérêt « criminel », elle a permis à Roger Martin d’évoquer la situation des charbonniers sur les quais du Havre, le travail inhumain, les conditions de travail abominables, l’intransigeance patronale, les manœuvres de la Compagnie Générale Maritime pour tuer une grève légitime avec le soutien des autorités et du pouvoir.
Dans le combat engagé aujourd’hui contre un grand patronat qui ne recule devant aucune mesure rétrograde et un gouvernement aux ordres du Medef, rien n’est à négliger et le livre fait partie des outils de la réflexion, de la connaissance et de la lutte.
Nous vous recommandons non seulement d’acquérir Les Docks Assassinés, ce livre dont l’engagement financier du syndicat des dockers du Havre et de l’Institut d’Histoire Sociale de Seine Maritime a permis la réalisation, mais de le faire connaître, comme nous vous recommandons d’écouter l’émission consacrée à l’Affaire Durand, d’en envoyer le lien tout autour de vous, par courriel, Facebook et tout autre moyen.
N’hésitez pas non plus à organiser des présentations-débats en contactant les auteurs.Les Docks assassinés. L’affaire Jules Durand est un roman noir historique et graphique publié par les éditions de l’Atelier (176 pages – 16 euros)