Anna PERSICHINI – Cgt IBM Nice – Front Syndical de Classe
En cette rentrée d’automne qui n’a mollement démarré, s’agissant des confédérations syndicales, que le 5 octobre dernier, les revendications urgentes s’accumulent sans que les états-majors confédéraux ne prennent ni la mesure de l’exaspération populaire, ni les dispositions indispensables en termes de calendrier d’action pour construire le « tous ensemble en même temps ».
Il est aussi angoissant de constater, alors que le budget militaire des pays de l’UE et de l’OTAN explose, que les grands appareils syndicaux ne font rien pour dénoncer vigoureusement la marche à la guerre mondiale antirusse et antichinoise sous la bannière de Biden et de l’Alliance atlantique. Il est pourtant évident que l’austérité n’est pas sans rapport avec les sommes folles gaspillées dans un surarmement : car soit celui-ci ne sera pas utilisé et il finira à la ferraille (non sans avoir engraissé les marchands de missiles) ; soit il sera utilisé et cela signera la fin de la France et de l’humanité. Est-ce que cette question ne doit pas préoccuper les syndicats?
Spectacle électoral ou irruption populaire?
Par ailleurs, tout est fait dans les médias, monopolisés par l’Etat-Macron et par les chaînes d’extrême droite comme BFM ou C-News, mais aussi sur les réseaux sociaux non moins encadrés par le capital et ses gourous, pour mettre en scène la fausse alternative qui se dessine entre Macron et ses concurrents de droite (Bertrand, Philippe, Barnier) ou d’extrême droite (Le Pen, Zemmour). Quant aux candidats les plus visibles se réclamant de la « gauche », ils esquivent la question centrale : celle de la rupture franche de la France avec la funeste construction euro-atlantique qui orchestre depuis quarante ans la destruction de nos industries, le dépeçage du secteur public (EDF, SNCF, Poste, Télécom, GDF, ONF, etc.), la trituration néolibérale de l’hôpital public, de la Sécu, des retraites, des indemnités chômage et de l’Education nationale. Or, qu’importe les promesses de raser gratis demain si par ailleurs on ne reconquiert pas cette souveraineté nationale sans laquelle nul président « de gauche » ne pourra mener demain la moindre politique sociale sans subir le sort qu’a subi la Grèce de Tsipras. Tant il est vrai que, comme le disait Jean Jaurès, martyr de l’internationalisme et de l’anti-impérialisme, « l’indépendance nationale et l’émancipation sociale sont inséparables »!
Refuser les manoeuvres de division
Rien n’est fait non plus à l’échelle confédérale et inter-confédérale pour lier les luttes contre la politique sanitaire du pouvoir (qui cherche grossièrement à diviser les travailleurs en vaccinés et non vaccinés) à l’ensemble des autres luttes, ni pour proposer une vraie politique de liberté et d’égalité. Elle consisterait à la fois à lever le passe sanitaire et à ouvrir la vaccination à l’ensemble des vaccins disponibles – pas seulement à ceux qu’a sélectionnés l’UE en excluant les produits russe, chinois, cubain et… nantais, sans oublier la pharmacologie de certains médicaments. Ainsi, un maximum de Français pourrait s’il le souhaite, sans contrainte ni discrimination politiquement et socialement désastreuses, accéder à son choix, et retrouver ses camarades au coude à coude dans la lutte contre l’exploitation capitaliste.
Casse des acquis, casse du pays !
Dans ces conditions, quitte à nous répéter (puisque les états-majors sont décidés à ne pas entendre, il faut bien s’adresser aux syndicalistes de terrain !), la question reste celle de construire le « tous ensemble en même temps » à partir de chaque lutte. Pouvoir d’achat populaire en chute libre, écrasement de fait des bas et moyens salaires, des pensions et des minima sociaux, nouvelles surenchères réactionnaires sur l’âge de la retraite (65 ans pour les macronistes, 67 pour Edouard Philippe : « 67 ans en moyenne dans l’UE » avaient prescrit les accords scélérats de Barcelone signés en 2002 par Chirac et Jospin, des ministres « communistes* » et « écolos** » siégeant alors, en toute sérénité, au gouvernement de la France !), explosion du nombre de personnes recourant aux associations de solidarité, privatisation en cours du rail, fin de l’Education NATIONALE (bac européen, fin du bac national anonyme donnant droit à l’inscription en fac, dépérissement des statuts, embauche directe des personnels par les directeurs/managers : cf. les annonces de Macron à Marseille…), fin de délocalisation/dégraissage de Renault et PSA, montée vertigineuse des dividendes durant la crise sanitaire, c’est bien à la mise à mort de ce qui reste du « produire en France » et de l’ensemble des acquis de 1968, 1945, 1936, voire 1910 (Code du travail) et 1906 (interdiction du travail du dimanche…) et à l’écartèlement final du pays que nous assistons. Et cela nourrit le sentiment diffus que « la France se délite » comme le pensent 74 % des Français sondés. Or, cela ne peut que faire le jeu de l’extrême droite euro-compatible (ni Le Pen ni Zemmour ne souhaitent sortir de l’euro, de l’UE et de l’espace Schengen, et encore moins du capitalisme !), mais aussi des euro-séparatismes régionalistes et réactionnaires qui sévissent désormais en Corse, en Bretagne, en Alsace et ailleurs: tous ces gens rêvant de dialoguer directement avec Bruxelles (non pas en langues régionales mais en globish !) en contournant les statuts nationaux, les conventions collectives, le Code national du travail et tous les règlements nationaux qui gênent le capital aux entournures.
Perdre séparément ou gagner ensemble !
Dès lors, il ne s’agit nullement de renoncer aux luttes corporatives (à distinguer des luttes « corporatistes ») car nous, syndicalistes, savons bien qu’il faut toujours partir du terrain. Mais toute la question est de savoir comment les mener pour que prenne corps le « tous ensemble en même temps » sans lequel chacun s’enfermant dans sa boîte, sa branche, sa région, voire sa « communauté » ou son « genre », ne peut être qu’une proie facile pour le grand capital qui, lui, s’unit à l’échelle européenne et « transatlantique » pour briser tous les acquis, les libertés, l’environnement et les souverainetés populaires. Inlassablement il faut expliquer, non seulement contre les dirigeants jaunes de la CFDT et de la CES (ce sont les mêmes !), mais contre les syndicalistes à courte vue qui « ne font pas de politique » et qui enferment chacun dans sa lutte sectorielle, qu’il n’y a pas d’autre choix à terme que de perdre séparément ou que de gagner ensemble comme en 1936, 1945 ou 1968. Inlassablement, il faut mettre en débat l’UE, rappeler, non seulement contre les états-majors syndicaux euro-apprivoisés mais contre une certaine extrême gauche pseudo-internationaliste qui elle aussi protège la Supranationale européenne, que depuis 2011, l’UE a, à 63 reprises, sommé la France de réduire ses dépenses de santé au risque de détruite l’hôpital public et les remboursements maladie. Et surtout, il ne suffit plus de gémir contre les « journées saute-moutons » destinées à épuiser la combativité et à alimenter le « dialogue social » bidon : il faut discuter en bas, dans les boites, dans les manifs, bientôt peut-être aussi sur les ronds-points, de l’idée d’une grande manifestation nationale unitaire de combat mêlant à la fois syndicalistes de classe, gilets jaunes, militants progressistes, de manière à faire en sorte que les forces les plus avancées du mouvement social en appellent à l’ensemble du monde du travail sur le thème : « ils cassent nos acquis et notre pays, bloquons leurs profits ».
Ne soyons pas les enfants sages de la campagne présidentielle ! Pas d’attentisme!
Certes, nous sommes en pleine campagne électorale et beaucoup de gens à gauche – et plus encore, à droite et à l’extrême droite – vont crier: « ce n’est pas le moment, attendez un peu! ». Mais pendant que « ce n’est pas le moment pour eux » (ce n’est d’ailleurs JAMAIS le moment !), les prix s’envolent (gaz, électricité, essence, alimentation…), les emplois et les savoir-faire partent définitivement du pays, le résultat de 250 ans de luttes populaires est liquidé, des millions de gens, salariés pauvres, précaires, vieux travailleurs dotés de pensions de misère, mal logés, travailleurs moyens écrasés de boulot par le « nouveau management » et les suppressions de postes, ne peuvent plus espérer une vie digne. Quant au pays, pendant que les belles dames et beaux messieurs médiatiques d’une certaine gauche bobo promettent l’Europe sociale pour demain (comme l’Arlésienne dont on parle toujours et qu’on ne voit jamais), pendant qu’ils traitent notre peuple comme un âne courant derrière une carotte (celle de l' »euro au service des peuples », du « SMIC européen » et autres niaiserie), la « France des travailleurs » que chantait Jean Ferrat part en boulette ! Il ne s’agit pas ici de dire « élections piège à cons », car il revient à chacun d’être juge sur ces questions-là et de faire lui-même son choix. Il s’agit seulement de ne pas se laisser amuser pendant six mois en restant l’arme au pied : nous, travailleurs, n’avons pas à « sanctuariser » ces élections présidentielles largement verrouillées par les partis maastrichtiens de toutes farines et encore moins par leurs concurrents fachos. Nous n’avons pas à attendre bien sagement, bercés par la CFDT, par l’UNSA et par la CES, que le piège se referme en mai prochain avec un président ou une présidente plus pro-MEDEF, antisocial, liberticide et pro-Maastricht que jamais si nous ne venons pas percuter les dispositifs médiatiques bien huilés du verrouillage institutionnel. Déjà, de nombreux syndicats du pays ont tourné le dos à la CES jaune et se sont à nouveau tournés vers la Fédération Syndicale Mondiale ROUGE. De moins en moins, les endormeurs euro-formatés sont écoutés par « ceux d’en bas » qui vivent les problèmes au quotidien et par les syndicalistes de terrain qui mesurent l’exaspération. De toutes manières, la situation est telle que « la grande explication » viendra entre ceux d’en haut et ceux d’en bas. Faisons en sorte qu’elle parte sur des bases victorieuses et progressistes, des bases antifascistes, antiracistes, fédératrices de classe et de masse comme celles qui firent hier le succès de notre grande CGT !
Voilà ce que, ancienne syndicaliste de la métallurgie aujourd’hui retraitée mais pas pas en retrait des luttes, je propose de discuter franchement dans les AG, les manifs, voire, plus simplement, « à la machine à café » et lors des pauses pendant qu’elles existent encore. En un mot, ne comptons sur aucun « sauveur suprême », et comme dit l’Internationale, « producteurs sauvons-nous nous-mêmes, décrétons le salut commun »!