Ce 30 décembre c’est le 25e jour d’un vaste mouvement de grève qui s’est développé dans toute la France : un mouvement social qui mobilise tous ensemble des travailleurs du privé et du public, syndicalistes et gilets jaunes depuis trois semaines dans de nombreuses manifestations, piquets de grève.
Plus de 1 millions d’euros de dons pour soutenir les grévistes
Un mouvement très majoritaire qui bénéficie d’un large soutien de l’opinion publique. Un soutien qui prend bien des formes concrètes et notamment celle de caisses de grève. Renouant avec la tradition de solidarité de la classe des travailleurs avec ceux qui sont à l’avant garde du combat pour les droits de tous les travailleurs (lire ci dessous l’histoire du mouvement de solidarité avec la grande grève des mineurs en 1963).
La CGT a ouvert une caisse de grève : https://www.cgt.fr/actualites/france/retraite/mobilisation-solidarite/caisse-de-solidarite-envers-les-grevistes
Ce n’est pas la seule, plus d’une centaine de caisse de grève syndicale ont été ouvertes : le pot commun ouvert à l’occasion de la mobilisation contre la loi travail a immédiatement repris du service, en dépassant en quelques jour 1 300 000 € de dons : près de 15 000 personnes y ont contribué. La caisse de grève de Solidaires-RATP a recueillie 35 000 euros et celles de Sud-Rail 67 000 euros.
Le soutien financier aux grévistes est indispensable
Pour la première fois depuis 1995, une victoire devient possible du fait de la détermination de nombreux secteurs de travailleurs, à savoir les cheminots et autres agents de la RATP et de la SNCF, les travailleurs de la chimie et des ports, les électriciens, les enseignants, les hospitaliers, les avocats, les pompiers, les artistes, les travailleurs du bois et de l’énergie, les milieux pénitentiaires, etc., pour empêcher l’adoption de la contre-réforme réactionnaire des retraites. Oui la victoire est possible avec le tous ensemble qui s’est levé, à condition que les secteurs les plus mobilisés et ayant le plus d’impact sur le blocage du profit puissent continuer à tenir ce haut niveau de mobilisation. Oui tous ces travailleurs en grève doivent pouvoir compter sur le soutien financier.
Les communistes avec le PRCF contribuent aussi à organiser la solidarité financière : n’hésitez pas à vous rapprocher des militants du PRCF de votre département.
La mairie d’Ivry donne 2000 euros à une caisse de grève, en soutien au mouvement social débuté le 5 décembre
Mairie d’Ivry-sur-Seine et caisse de grève [Communiqué du PRCF 94, 29/12/2019]
La mairie d’Ivry-sur-Seine (94) a décidé, sur proposition du conseil municipal le 19 décembre, d’apporter une aide de 2000 euros à une caisse de grève en soutien aux courageux travailleurs en lutte -SNCF, RATP, énergie, éducation, commerces et d’autres- depuis le 5 décembre. Félicitons, car une fois n’est pas coutumes, l’élue d’opposition « socialiste » qui a su proposer cette contribution à l’effort de grève !
Les militants franchement communistes du Val-de-Marne ne peuvent que se réjouir de cette courageuse décision de la mairie d’Ivry, a majorité communiste et faisant partie de l’ancienne ceinture rouge. Elle intervient à un moment où le gouvernement ne sait plus quoi inventer pour discréditer les grévistes, face à une opinion publique majoritairement favorable au mouvement social. Cette aide peut certes paraître minime, elle est une aubaine pour desserrer l’étau dans lequel le peuple français est pris par Macron et sa réforme des retraites.
Nous regrettons toutefois l’absence de critique de l’Union européenne de la mairie communiste et du PCF en général. En effet, cette organisation supranationale, déjà à l’origine de la funeste réforme du rail en 2018, est pleinement solidaire de la réforme des retraites de Macron. Elle l’encourage même depuis longtemps ! Pourtant, comme c’est caractéristique à chaque fois que son rôle est évident, la direction eurocentrée du PCF-PGE ignore sciemment l’origine de la contre-réforme.
Les militants du PRCF dans le 94 souhaitent leurs meilleurs vœux aux travailleurs du publics et du privé en pleine lutte, ainsi qu’à tous ceux en situation de précarité donnant au moins aux caisses de grèves par solidarité. Que la fin de l’année et celle qui arrive nous apportent la victoire !
Le Bureau du PRCF 94.
Cinquante-six ans avant la cagnotte pour les grévistes de la SNCF, retour sur l’incroyable élan de solidarité pour les mineurs de 1963
« Cette grève, on ne l’a pas gagnée tous seuls, les mineurs. Sans tous les gens qui nous ont aidés, jamais on aurait tenu 34 jours, jamais on aurait fait plier De Gaulle. » L’homme qui parle, c’est Martial Ansart, ancien mineur de fond à Hersin-Coupigny (Pas-de-Calais). Il a 17 ans le 1er mars 1963, premier jour d’un des conflits sociaux les plus importants du XXe siècle en France et objet de l’élan de générosité le plus spectaculaire jamais constaté dans le pays. De quoi vous faire regarder d’une autre façon les cagnottes ouvertes en 2019 pour soutenir les grévistes opposés à la réforme des retraites.
L’adage syndical dit qu’il faut savoir terminer une grève. Faire preuve de ruse pour bien la commencer, c’est bien aussi. Louis Bembenek, 24 ans en 1963, et mineur à la fosse Delloye de Lewarde (Nord) raconte : « L’hiver 1962-63 avait été terrible. La CFTC voulait lancer un mouvement de grève dès début janvier, mais on [la CGT, majoritaire chez les mineurs] a dit non. Tout simplement parce que ça allait pénaliser les gens. Tout le monde se chauffait au charbon à l’époque. Pour ne pas braquer d’entrée l’opinion publique, on a débuté le mouvement en mars. » Principale revendication des gueules noires : une augmentation des salaires alors que l’inflation s’envole et que les autres professions obtiennent des rallonges.
Quand De Gaulle dégaine « la bombe atomique »
Le contexte leur est favorable, souligne l’historien Stéphane Sirot, spécialiste de l’histoire des mineurs : « En 1963, l’après-guerre n’est pas si loin, et chacun a en mémoire la ‘bataille du charbon’ [en 1945, quand les mineurs ont mis les bouchées doubles pour aider à redresser le pays]. La puissance du Parti communiste français (PCF), qui a construit son image adossée à celle du mineur, est au plus haut, et numériquement, avec 200 000 mineurs, c’est une des professions les plus importantes de France. » Sans compter que le pouvoir, pas encore habitué à mettre les mains dans le cambouis social après la longue séquence algérienne, commet une bourde majeure dès le début du conflit.
Dès le 2 mars, de Gaulle signe un ordre de réquisition des mineurs depuis sa maison de Colombey-les-Deux-Eglises (Haute-Marne), un samedi soir. « Rien moins que la bombe atomique en matière de relations sociales », commente Stéphane Sirot. La Lorraine puis le Nord-Pas-de Calais refusent l’oukaze du général. Lundi 4 mars, le « Grand Charles » se retrouve avec 200 000 grévistes résolus en face de lui.
De l’aide venue du bloc communiste
« Je me souviens des miracles que faisaient les mamans pour remplir les assiettes », raconte Jean-Pierre Hainaut, 11 ans à l’époque et un père mineur à la fosse 21 à Harnes (Pas-de-Calais). Pourtant, ce n’est pas grâce à leurs potagers que les mineurs survivent. A part quelques poireaux et quelques carottes, en mars, ils n’ont pas grand-chose à se mettre sous la dent. Les mécanismes traditionnels de solidarité du bassin minier se mettent en place : les commerçants font crédit, les maires offrent des repas gratuits pour les enfants dans les cantines scolaires…
« Le syndicat des mineurs nous distribuait du lait et des sardines qu’il mettait sur la pierre de notre porte, se souvient Horia, fille de mineur âgée de 12 ans à l’époque. Il fallait surveiller pour ne pas se les faire chiper. Dans le jardin, on avait des bêtes, des moutons, des poules et des lapins. On a fini par y ajouter un chien, car la nuit, on essayait de nous voler. On a finalement trouvé le coupable grâce aux plumes. C’était le voisin. Après une bonne explication façon boxeur, on est finalement devenus les meilleurs amis du monde. »
Mais les choses basculent rapidement dans une autre dimension. Très vite, l’URSS, la Tchécoslovaquie et la Pologne débloquent des fonds. Rien de très surprenant de la part de pays communistes du bloc de l’Est. Mais de l’argent arrive aussi en provenance du Vietnam, du Pérou ou du Chili… « C’était marginal, mais hautement symbolique », souligne Stéphane Sirot. Il n’y a pas que des fonds qui arrivent. « Un midi, on frappe à la porte, raconte Daniel, à l’époque adolescent, qui vit avec ses cinq frères et sœurs et sa mère célibataire dans un logement modeste. On ouvre. Sur le seuil, des gens qui ne parlaient pas très bien français. C’étaient des Hollandais qui nous apportaient du pain. »
Lens, centre du monde
Des camions avec des plaques étrangères, on en a vu un paquet dans le bassin minier en ce printemps. Selon la légende, un camion belge ou polonais rempli jusqu’à la gueule n’arrivait plus à repasser le porche de la maison syndicale de Lens une fois déchargé. C’est à Lens qu’étaient centralisés les vivres, répartis ensuite dans les différentes communes. « Et après, on passait avec un mégaphone dans les rues pour appeler les gens à se rendre place de la mairie avec leur livret de famille », raconte l’ancien mineur Martial Ansart.
Les Français des autres régions ne restent pas les bras croisés. Ils découvrent dans la presse des témoignages effarants, comme celui de ce « vieillard de 40 ans » rencontré par un journaliste de L’Aurore : « Dans ma famille, on était douze à la mine. Onze sont morts avant 50 ans et moi, je suis silicosé à 45%. (…) Même les Allemands, tu m’entends, même les Allemands, sous l’Occupation, ils ne nous ont pas réquisitionnés. » Autre point significatif pour l’opinion : les mineurs organisent des défilés colossaux, mais contrairement à d’habitude, le conflit social ne dégénère pas en conflit tout court. « Lors de la plus grosse manifestation à Lens, on était 80 000, il n’y a pas eu une ampoule de cassée », souligne l’un d’eux. Cela permet à beaucoup de se sentir solidaires. Et nombreux sont ceux qui contribuent avec un petit billet glissé aux quêteurs envoyés par le PCF et la « Cégette » un peu partout en France.
Quand il bat le pavé en banlieue parisienne,le mineur cégétiste de Lewarde Louis Bembenek tient dans sa main droite un panier, dans l’autre sa fiche de paye. « Mon épouse avait un oncle, huissier au Sénat, qui refusait de croire qu’on gagnait si peu que ça. Alors je montrais mon salaire à qui voulait voir ! » Quelques kilomètres plus loin, Martial Ansart se retrouve sur le marché de Nanterre (Hauts-de-Seine), épicentre de ce qu’on appelait alors la « ceinture rouge » de Paris. « D’un seul coup, une vieille dame, originaire d’Hersin, qui devait me connaître de vue, se plante devant moi et me tend une tarte à la crème. ‘Tiens min tchiot, t’as faim’ [« tiens mon garçon, tu as faim », en patois ch’ti]. Un gars de la Seita m’a aussi donné une cartouche de cigarettes, j’ai aussi récolté beaucoup d’argent… J’ai tout partagé, bien sûr, sauf la tarte. »
Johnny offre le cachet d’un concert
Dans la famille Ansart,le père, bouffeur de curé convaincu, se voit assigner le point stratégique… de la sortie de la messe. Le premier à se précipiter pour lui tendre quelques billets, c’est l’homme en soutane en personne. « Ce qu’il a pu se faire chambrer après ça ! » sourit le fiston. Par la voix des archevêques de Cambrai et d’Arras, l’Eglise catholique prend publiquement position en faveur des mineurs : « Cette grève nous concerne tous. Nous devons nous sentir solidaires de toutes les souffrances. » Louis Bembenek, à la CGT, se retrouve lors d’une quête à Cambrai invité dans les locaux de l’archevêché. « C’est vrai qu’une telle rencontre peut surprendre… J’ai encore la photo ! » sourit-il. Au total, les sommes récoltées dépassent les 2 millions d’euros au cours actuel. Le plus gros donateur est peut-être un certain Johnny Hallyday, qui offre le cachet de son concert (estimé à 7 500 euros) à Decazeville, dans l’Aveyron, aux grévistes. « Cette somme constitue un record, à ma connaissance, assure l’historien Stéphane Sirot. Mais rapportez-la au nombre de grévistes : à peine 10 euros par tête. »
Au début de la quatrième semaine de grève, pour soulager les familles, le Parti communiste lance un appel pour accueillir les enfants du bassin minier dans des familles d’accueil pendant les vacances de Pâques. Ce ne sont pas moins de 23 000 enfants qui s’extraient de l’angoisse de l’assiette vide pendant deux semaines. Pour Daniel Doutrelon, 14 ans, direction le « 10-12 rue Epoigny à Fontenay-sous-Bois, téléphone Tremblay 13-27. Je m’en rappellerai toute ma vie. » Il tombe chez un négociant en matériaux de construction marié à une secrétaire. Leur fils unique a quitté le nid et laisse à l’enfant de la fosse 9 « une chambre immense, une salle de bains et même un transistor ! » Le couple du Val-de-Marne voulait bien accueillir un enfant du bassin minier, mais plutôt âgé. « Et pour cause, raconte Daniel. Ils m’ont prêté un vélo, me donnaient de l’argent le matin, et me disaient ‘Va donc jouer au bowling’ ou ‘Va visiter le Sacré-Cœur !' »
C’est parti pour quinze jours de liberté, gravés dans sa mémoire. « Comme mes frères et sœurs plus jeunes avaient été placés à Vincennes, pendant ce temps-là, ma mère était soulagée. » Cette colonie de vacances aussi massive qu’improvisée donnera lieu à un très beau documentaire, Grève des mineurs de 1963, merci Papa ! Les Bernard, Daniel les a revus, une fois. « Ils étaient montés jusqu’à Lens en juillet pour me proposer une place dans leur entreprise familiale. » Sa maman a dit non. Sur le coup, le fils n’a pas moufté. Aujourd’hui, il en conçoit une pointe de regret. Surtout que la prochaine rencontre n’aura jamais lieu. « C’était en 1974 ou en 1975, j’étais dans le secteur, je suis retourné les voir. C’était un samedi. J’arrive, les volets sont fermés. Je demande à un voisin. ‘Monsieur Bernard ? On l’enterre aujourd’hui’, m’a-t-il répondu. »
Quand les enfants reviennent au bercail, les mineurs ont gagné sur toute la ligne : +10 % de salaire, une semaine annuelle de congés payés supplémentaire… Quelques mois plus tard, l’heure est aux remerciements. C’est à l’avant d’un camion rempli de charbon que Martial Ansart reprend la route de Nanterre. Accroché en haut du prise-brise, un calicot sur lequel est écrit ‘Les mineurs remercient’. « On avait choisi le jour du banquet des aînés. On arrive dans une grande salle, sur un tapis rouge. En face de nous, une grande table en U. Et d’un seul coup, tous les anciens se sont levés et ont entonné à pleins poumons L’Internationale. Quelle communion ! Je n’ai jamais vécu ça de nouveau. Jamais. »