Dans cette conférence, Stéphane SIROT décrit l’institutionnalisation comme un processus utilisé par les classes dominantes avec l’objectif principal de domestiquer la classe ouvrière et le mouvement syndical.
Très tôt, dès la fin du 19ème siècle !
Et où en est-on aujourd’hui ?
Une réflexion éclairée par l’histoire pour agir et décider maintenant !
source : http://www.frontsyndical-classe.org/-1
Une conférence de Stéphane Sirot à l’Université populaire de Toulouse
Stéphane Sirot est historien, spécialiste de l’histoire des grèves et du syndicalisme. Il enseigne l’histoire politique et sociale du XXe siècle à l’Université de Cergy-Pontoise et l’histoire des relations sociales à l’Institut d’administration des entreprises de l’Université de Nantes. Il a donné une conférence sur institutionnalisation du syndicalisme à l’Université populaire de Toulouse.
Conférence sonore consultable à l’adresse :
http://syndicollectif.fr/une-conference-de-stephane-sirot-a-luniversite-populaire-de-toulouse/
Définition, de quoi parle-t-on ?
Premier aspect pour un sociologue : il existe des structures sociales qui sont pérennes, s’inscrivent dans la durée.
De facto les syndicats sont des institutions.
L’autre aspect : l’institution est un instrument de régulation : rôle attribué dans un champ par l’ordre dominant.
Abord à présent de l’institutionnalisation comme processus : reconnaissance du fait syndical par le droit avec 2 grands objectifs : l’intégration des syndicats à leur environnement, leur affiliation à l’ordre dominant (objectif prioritaire) et le second : participation des syndicats à l’organisation et aux besoins de normalisation de la société.
Processus piloté par le droit.
La macro-institutionnalisation ou institutionnalisation par le haut (ex. négociations nationales inter-professionnelles) ; elle existe dès la fin du 19e.
Plus récemment, une micro-institutionnalisation à l’échelle de l’entreprise pour l’essentiel, surtout depuis 1980.
Loi de 1884 : les 2 attitudes
Loi de décembre 1968 reconnaissance section syndicale dans l’entreprise.
Les lois Auroux de 1982 ont plombé le syndicalisme, bien accueillies au départ (obligation de négocier dans les entreprises destinées à orienter les organisations vers des formes de régulation plus pacifiées);
Les 5 objectifs de l’ordre dominant :
- transformer les rapports de force en rapports de droit
- l’assignation à résidence professionnelle des organisations syndicales et donc leur exclusion de l’entre-soi du champ politique : il s’agit de circonscrire l’action syndicale à ce qu’on pourrait appeler la spécialisation travail = autonomisation de la sphère travail (les parlementaires des années 1880 discutent de la manière de séparer le champ syndical du champ politique)
- faire des syndicats ce que Pierre Rosanvallon « des relais et des béquilles de la généralité, cette généralité étant le champ politique = syndicats apparentés à des structures d’accompagnement, de cogestion du système en place en vue d’une auto-régulation partenariale des rapports sociaux.
On retrouve ces objectifs avec la loi LARCHER.
On l’association des syndicats aux décisions recherchées par l’ordre dominant.
Illustration : le père de Giscard dans les années 50 « la manière la plus efficace c’est de faire comprendre et accepter par les organisations ouvrières la nécessité de cette politique … car il n’y aura pas de meilleur relais au sein du monde ouvrier pour faire accepter la douleur des décisions qu’on voudrait voir prises »
- dernier objectif: affiliation des contre-pouvoirs aux institutions
l’ordre des institutions est d’une extrême fragilité : il repose avant tout sur des représentation symboliques ; il leur faut le renfort des structures destinées à l’encadrement de la société = mise en place de dispositifs d’amarrage des corps intermédiaires au système en place pour lui assurer sa survie.
C’est pour tout cela qu’à la fin du 19e siècle les républicains légalisent le fait syndical.
Pour sa propre survie la République a besoin de cela (pas encore tout à fait stabilisée).
Mise en place des dispositifs en vue de ces objectifs :
- légalisation/autorisation
- admission syndicat comme porte-parole d’un collectif pour favoriser processus de négociations à la place de rapports de force (lois sur les conventions collectives)
- mise en place régulation pacifiée via représentation plus solide au sein des entreprises (1917 dans usines de guerre, 1936, 1968 avec reconnaissance section syndicale dans l’entreprise)
- dispositif permettant présence représentants syndicaux dans structures d’état : dès fin 19e siècle en 1890-1891 MILLERAND et mise en place du Conseil Supérieur du Travail.
EN 1925 le Conseil Économique et Social émane d’une initiative de Léon JOUHAUX = dispositifs de mise en connivence.
Colégislation orientée par l’État avec discours sur l’autonomie des partenaires sociaux. Le dialogue social vise à faire participer les syndicats aux décisions douloureuses, pas aux décisions stratégiques.
Exemple: les licenciements cogérés.
L’institutionnalisation a de puissants effets sur le syndicalisme lui-même :
- dépolitisation des organisations = prise de distance vis-à-vis des systèmes de pensée utopique et d’alternatives à imaginer et penser la vie en société
Les dirigeants de la CGT d’avant 14 perçoivent cet écueil : syndicalisme révolutionnaire, GRIFFUELHES, POUGET, PATOUX pour les électriciens écrivent un livre sur une Révolution fiction : on le fait parce que si on ne le fait pas il est sûr que l’on va être absorbé par les logiques qui sont celles de l’adversaire.
POUGET dans l’ouvrage en 1908, « La CGT », explique cela: « le rapport entre l’utopie et le rapport de force constitue une manière d’échapper au seul aménagement apaisé du quotidien dans un cadre défini par les frontières de l’existant, qui si d’autres horizons n’apparaissaient pas, constituerait une adaptation du syndicalisme au milieu capitaliste, voie vers laquelle les pouvoirs publics voudraient voir s’aiguiller les organisations corporatives».
- péril d’obéissance alors que le syndicalisme se construit comme instrument de transgression de la loi. Comme syndicat on est en train de forger une contre-société.
- Affiliation du syndicalisme aux institutions (de l’État, des entreprises)
Albert DETRAZ en 1963 de la CFDT, dans un colloque, met en garde contre installation dans les institutions: développement syndicalisme d’expertise et production d’une forme de distanciation par rapport aux salariés.
- mise en exil progressif de la pratique gréviste : apprentissage manifeste aujourd’hui (déclaration d’Edmond Maire, CFDT).
- déplacement des logiques de légitimation du syndicalisme : légitimation dans les profondeurs du mouvement social contre l’acte électoral (loi de 2008: mise en place avec l’intervention active de B. THIBAULT) : AVANT la loi de 2008, le critère de représentativité c’était leur capacité à mobiliser, à faire adhérer.
Au bout de 10 ans, très clairement, la légitimité, la survie, est indexée sur les résultats électoraux aux élections professionnelles accompagnées donc d’une déconstruction du syndicalisme français construit sur le mandatement impératif, le refus de la démocratie libérale sans recherche d’un adoubement institutionnel délégataire = syndicats machines à assurer des élections.
- dévitalisation des appareils syndicaux alors même qu’ils n’ont jamais été aussi pléthoriques. Le processus d’institutionnalisation participe de la fabrique d’une espèce d’oligarchie syndicale voire parfois d’ailleurs d’une présidentialisation de la fonction de secrétaire général de confédération qui sont des processus étroitement imbriqués à l’institutionnalisation.
- Parallèlement gonflement des appareils au niveau des fédérations et des confédérations.
Quelques chiffres :
Entre la fin des années 60 et la fin 2000, le nombre de personnes œuvrant au siège des confédérations aurait grosso modo quintuplé à la CGT et multiplié par 6 à la CFDT alors même que le nombre d’adhérents a lui fortement décru.
Au sein de la CFDT, le noyau central réunit quelques 3000 permanents qui se répartissent entre les sièges parisien, de la confédération, les fédérations, les UR et les UD …
Autre exemple entre 1965 et 1985, le nombre de secrétaires confédéraux de la CGT est passé de 14 + 33 collaborateurs à 18 entourés de 145 collaborateurs.
Collaborateurs qui (c’est la CFDT qui a commencé) qui peuvent être des experts hors syndicalisme (c’est ça aussi l’institutionnalisation).
À la CGT qui a ma préférence, j’en fait partie, ce n’est plus l’époque de Krasucki qui lors d’un congrès à la proposition d’embaucher quelqu’un pour la presse confédérale répond : « Mais NON, toi militant tu vas être journaliste ». C’est ça le syndicalisme !
On fabrique par soi-même ce dont on a besoin !
- Processus qui obère l’autonomie financière
- intégration du vocabulaire dominant
À force d’intégrer les logiques de l’ordre dominant on intègre aussi son vocabulaire, sa manière de s’exprimer, sa manière de penser et à partir des années 80 les termes de dialogue social, partenaires sociaux, concertation qui ne sont pas du vocabulaire syndical MAIS qui le sont devenus !
Pourtant, à certains moments les syndicats ont été en capacité d’instrumentaliser l’institutionnalisation … à des moments où ils étaient portés par des mouvements sociaux d’ampleur : exemple, le Front populaire.
But de l’institutionnalisation : déconstruire la logique de contestation du mouvement social pour la remplacer par une logique d’intégration.
ORDONNANCES 2017:
On y trouve les 2 aspects, poursuite ou arrêt du processus car le champ d’institutionnalisation du syndicalisme se réduit lui aussi avec ces ordonnances en recherchant d’autres interventions pour assurer la défense du monde du travail si on ne peut plus le faire via des structures dont on dénie désormais l’existence comme le CHSCT.
La formation et la carrière des représentants formés par des universités …
Le syndicalisme envisagé comme une carrière professionnelle: bilan de compétence renforcé prévu … formation d’une task force composée de binômes, anciens représentants syndicaux/DRH ou DRS chargés d’aider les entreprises de la branche qui n’en n’ont pas, à négocier.
Les réactions syndicales face à ces ordonnances sont symptomatiques des effets de l’institutionnalisation : d’un côté syndicalisme de lobbying très clairement assumé (CFDT ) qui n’est plus un syndicat ça veut dire des coups de téléphone, aller dans des rencontres bilatérales, utiliser ses réseaux pour essayer de peser sur l’écriture d’un texte SAUF que si satisfaction n’est pas obtenue sur l’essentiel on ne sait plus quoi faire derrière parce qu’on a désappris les pratiques de mobilisation, le lobby étant un instrument d’influence.
Cf l’interview de BERGER qui conduit à un pourrissement de l’institutionnalisation.
Les journées d’action : une ritualisation
De l’autre côté, là où on veut encore mobiliser on est confronté aux pratiques d’institutionnalisation qui sont bien ancrées dans le mouvement ouvrier et que l’on appelle les journées d’action.
Les journées d’action, c’est, de mon point de vue, une espèce de ritualisation de la contestation qui n’existe qu’à partir du milieu des années 30, qui va s’installer fortement après la seconde guerre mondiale à un moment où globalement gouvernement et patronat dans les 30 glorieuses (compromis fordien) jouent leur rôle, c’est-à-dire dans un espace conflictuel des rapports sociaux.
La journée d’action s’inscrivait dans ce cadre.
Mais si l’un des 3 ne joue plus son rôle cela ne fonctionne plus et il faut en tirer les conséquences d’où la nécessité de réfléchir à d’autres modalités de mobilisation sauf à produire des effets proches de ceux qui se limitent au syndicalisme de lobbyiste.
Dans les 2 cas c’est l’échec car le pouvoir n’est plus réceptif, d’où des défaites permanentes depuis 22 ans, depuis 1995.
Même avec des mobilisations pourtant puissantes comme en 2003 avec risques de désyndicalisation (preuve d’inefficacité du syndicalisme).
Risque du délitement des appareils confédéraux chacun jouant sa partition dans son coin : routiers … = affaiblissement de ce que POUGET appelait « le chef d’orchestre confédéral ».
Intérêt de la connaissance de l’histoire et reconsidération d’éléments naturels du pouvoir syndical : principes de politisation, de transgression et de culture de grève.