Alors que la crise sociale fait rage et que les mobilisations des travailleurs se multiplient, et alors que les débats préparatoires au congrès de la CGT débutent, les syndicalistes de classe du FSC prennent la parole pour établir un bilan, proposer des solutions et des moyens de mettre les travailleurs à l’offensive et en position de gagner. Initiative Communiste se devait de relayer cet important texte.
CGT le débat sur le bilan, les orientations et la stratégie de l’organisation est devenu incontournable !
Tribune des syndicalistes du Front Syndical de Classe –
Nous sommes dans une situation nationale et mondiale qui constitue un tournant d’ampleur historique où les choix effectués par les États, les peuples, les organisations vont peser pour les décennies qui viennent.
Naturel donc que bouillonnent les idées, les projets et que s’affrontent par conséquent ET le diagnostic, l’appréciation sur les causes de la situation ET les solutions.
Tout le monde est confronté à cela, y compris le mouvement syndical et la CGT en particulier.
Le présent document s’inspire de travaux du FSC depuis des années mais s’appuie également sur l’expérience militante, les contributions qui ne datent pas d’aujourd’hui de militants connus et les récentes expressions sur le terrain syndical, du collectif Monatte, de Laurent Brun, de la fédération des cheminots , d’Emmanuel LÉPINE de la chimie , du collectif Unité CGT …
NOTRE DIAGNOSTIC :
Le système capitaliste est plus que jamais en crise structurelle, incapable de faire face aux besoins des peuples et aux défis qu’il a lui-même créés.
Une crise profonde qui ne date pas de la pandémie actuelle, mais que cette dernière aggrave, révélant notamment l’incapacité de ce système à répondre aux besoins sanitaires des populations, à les protéger.
Tandis que les peuples et les pays qui se sont engagés dans d’autres voies et/ou ont une histoire de confrontation avec les ingérences, blocus, guerres larvées de l’Occident impérialiste, font preuve d’une beaucoup plus grande aptitude à assurer cette fonction de protection (Cuba, Chine, Russie, Vietnam).
Mise à l’écart des médecins généralistes dans le traitement des malades de la covid 19 dans nombre de pays occidentaux.
Véritable torpillage par les États-Unis, l’Union Européenne et les multinationales de la pharmacie de toute possibilité de faire prévaloir un traitement et le vaccin comme bien commun de l’humanité.
Faisant à l’inverse s’imposer la concurrence et les brevets.
Tout cela illustre parfaitement cette incapacité à faire face à la pandémie, liée en profondeur à la prépondérance dans l’économie du profit capitaliste.
Pas de coexistence possible entre l’intérêt général, la propriété lucrative des moyens de production et le profit privé qui en résulte.
Pas d’accord possible entre les intérêts populaires et ceux de l’oligarchie.
Pas de communauté d’intérêts dans l’entreprise sous régime capitaliste et gestion managériale déshumanisante par les nombres !
Cette conscience d’intérêts contradictoires et antagonistes se fraie un chemin de manières différentes et selon des degrés divers de conscience.
Internationalement, en mettant de fait en cause la prétention du » modèle » occidental à l’universalité, à une » destinée manifeste » de domination, révélant l’usage du thème des « droits de l’homme » comme un instrument d’ingérence aux finalités d’assujettissement et d’exploitation des peuples, avec la complicité de leurs propres dirigeants compradores, à défaut par leur élimination physique.
Configuration qui ne manque pas d’attiser l’inquiétude, la hargne et l’agressivité du bloc occidental et de ses « chiens de garde « comme l’illustre chaque jour la presse-système des pays impérialistes aux mains des propriétaires des grands moyens de production.
LEUR » SOLUTION «
Confronté à cette situation, comme le souligne le collectif Monatte, pour le capital il s’agit, en fait, de réorganiser, réaménager, recomposer la société pour l’adapter à ses besoins : après la Poste, France Télécom/Orange, les perceptions, la justice, la recherche, c’est au tour de la SNCF, d’EDF, de la RATP, d’Aéroports de Paris, d’Air France, de l’Éducation nationale et de l’hôpital public d’être ciblés dans le cadre de nouveaux projets d’éclatements et de privatisation prônés sans honte, au nom du libre marché et de la libre concurrence par l’Union européenne.
Tandis que restructurations et concentrations industrielles repartent de plus belle !
Et prenant prétexte de la dette, à laquelle chaque jour ils essaient de soumettre un peu plus les peuples, notamment dans l’Union Européenne, de la numérisation de la société, des contraintes liées à la lutte contre le réchauffement climatique et le respect de l’environnement ils se préparent déjà à aggraver la paupérisation, la précarisation des travailleurs et du peuple, de poursuivre les contre-réformes (santé, hôpital, Éducation, indemnisation du chômage, retraites…).
Au plan international l’inquiétude du bloc atlantiste et de ses vassaux quant à la pérennité de sa suprématie impérialiste grandit.
Se traduisant par de graves dangers de guerre et de chaos (comme cela s’est passé et se passe en Libye, en Syrie, en Irak, au Yémen …) et légitimant par conséquent le développement de la lutte pour la PAIX et pour le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et à construire leur avenir sans ingérences extérieures, dans le respect des conventions internationales.
LE MOUVEMENT SYNDICAL ET LA CGT SONT-ILS PRÊTS À FAIRE FACE À CES DÉFIS ?
Dans l’état actuel des choses, pour nous comme pour beaucoup d’autres, la réponse est hélas clairement NON !
Certes le climat psychologique, l’effet de sidération résultant de la pandémie, de sa durée, pèsent sur les esprits. Mais les obstacles à une mobilisation d’ampleur, « le confinement des consciences et des luttes » viennent de loin.
Depuis plus de 30 ans les directions confédérales successives sont installées dans un déni, celui de la mutation réformiste et du tournant euro-compatible de la CGT effectué durant les années 1990 et de ses effets délétères sur les conditions d’emploi, de travail et de vie de nos concitoyens.
En rupture avec les principes de classe qui guidaient la CGT, notamment depuis la Libération, ces directions confédérales successives ont imposé :
- le prétendu « syndicalisme rassemblé » privilégiant l’alliance avec la CFDT,
- le soi-disant « dialogue social » financé par le patronat,
- l’adhésion à la Confédération européenne des Syndicats (CES),
- l’institutionnalisation,
- l’apolitisme,
- le refus du » Tous ensemble en même temps » et du blocage des profits… un certain secrétaire général se laissant même aller à défendre une bien trompeuse « communauté d’intérêts” dans l’entreprise…
Il en est résulté des reculs sociaux graves, des défaites malgré de nombreux combats toujours plus défensifs, une bureaucratisation, un affaiblissement et une perte de crédibilité des organisations syndicales …
Nous en sommes toujours là en dépit du dévouement et de la combativité de nombreux militants et de maintes bases syndicales!
L’INVENTAIRE, LE BILAN, LA CRITIQUE DES ORIENTATIONS PRISES DANS CES ANNÉES 90 ET LA DÉTERMINATION D’UNE AUTRE ORIENTATION STRATÉGIQUE SONT DONC DEVENUS INCONTOURNABLES !
Incontournables pour enfin redresser la situation et repartir à l’offensive!
Qu’est-ce qui est donc critiquable et dont il faut se dégager résolument ?
Le syndicalisme rassemblé
Dans les faits il a privilégié l’alliance avec la jaune CFDT au détriment des contenus revendicatifs, de l’organisation de l’action. Alliance de sommet sur des objectifs corsetés par l’acceptation du cadre de domination des capitalistes.
Médiatisé et promu notamment par la Confédération Européenne des Syndicats, cadre considéré comme indépassable et dont il conviendrait seulement d’en limiter les » abus« .
Le dialogue social et les compromis négociés
C’est un instrument patronal (le patron du MEDEF tente d’ailleurs de relancer la chose en ce moment même, chose largement financée du côté patronal) dont la finalité est de bloquer les luttes et qui vise à l’institutionnalisation et à la bureaucratisation des organisations.
Comme le dit de manière claire Stéphane Sirot » La République a toujours voulu faire des syndicats la béquille de l’État« .
Se dégager de ce carcan, là réside la véritable indépendance syndicale!
Priorité absolue au travail en bas auprès des salariés dans les entreprises, les bureaux, les labos, les hôpitaux, les écoles, les universités … pour déterminer les objectifs de lutte et les moyens d’action … dans l’unité avec tous ceux qui partagent ces objectifs et ces moyens!
Et l’histoire, l’expérience ont tranché depuis longtemps :
SEULES les luttes de masse ont permis des avancées et ont imposé les CONQUIS sociaux en 36 comme en 45, comme en 68 …
L’appartenance à la Confédération Européenne des Syndicats (CES).
La CGT a adhéré à la CES dans une période de désarroi idéologique et en acceptant les conditions imposées de cet appendice de l’Union européenne, à l’époque sous le contrôle de Nicole Notat. Leurs objectifs étant de « normaliser » la CGT selon leurs critères, c’est-à-dire en exigeant dans les faits son renoncement aux principes de la lutte des classes, de la socialisation des moyens de production,.
Autrement dit, renoncement de la mise à bas de la propriété lucrative des moyens de production qui structure les rapports sociaux d’exploitation de domination.
Pour s’en tenir à des faits récents, observons :
que c’est Laurent Berger, si prompt à s’en prendre à toute lutte qui déplaît à la classe dominante (cf. son attitude à l’égard des Gilets jaunes, du combat contre les retraites ou encore de celui des cheminots) qui en est devenu le président.
Et le décalage qui existe entre l’avis très critique porté par la CGT sur le plan de relance alors que côté CES c’est une approbation et un soutien sans nuances.
La Confédération européenne des syndicats salue l’adoption par le Conseil du plan de relance européen de 750 milliards d’euros et du cadre financier pluriannuel 2021-2027 de 1 074 milliards d’euros. C’est une bonne nouvelle pour les 60 millions de travailleurs de l’UE …
déclaration de la CES de septembre 2020
Cette appartenance revient à une intégration de fait des syndicats dans l’Union européenne qui est une construction politique de type oligarchique destinée à faire prévaloir les intérêts de ladite oligarchie et à liquider les peuples comme entités politiques, à détruire les souverainetés nationales et populaires.
De ce point de vue, appartenance à la CES ET soumission aux institutions européennes du grand capital vont de paire.
Et là aussi, pour retrouver son indépendance et sa liberté d’action, la CGT devra se retirer des griffes des structures supranationales, et combattre l’UE du capital CAR l « Europe sociale » est un leurre corseté par les traités ultra-libéraux qui structurent toute l’activité et la production de ses institutions !
Apolitisme et indépendance syndicale
Le souci d’indépendance (voire de méfiance) par rapports aux partis politiques remonte à loin.
Dès 1906, dans une conjoncture particulière (rapport à la SFIO) la Charte d’Amiens établit cette exigence.
Et dans le contexte actuel de luttes des places et de visée du vizir à la place du vizir on peut comprendre la méfiance, le rejet du politique et des partis comme l’abstention populaire massive aux élections.
Mais c’est Laurent Brun qui souligne le fait que face à la domination depuis longtemps des luttes défensives ( y compris 1995 ) :
» pour arriver à une lutte offensive, il faut avoir pour perspective de reprendre le stylo qui écrit la loi et donc de forcément reprendre le pouvoir. »
Laurent Brun secrétaire général de la CGT Cheminots
Et » il faut qu’on arrive à retrouver une ré-articulation efficace entre la construction du rapport de force dans l’entreprise et la perspective politique de prise du pouvoir ».
Et remarquons qu’un autre aspect de la Charte d’Amiens souvent ignoré fait lui allusion à la « double besogne » du syndicalisme:
« Dans l’œuvre revendicatrice quotidienne, le syndicalisme poursuit la coordination des efforts ouvriers, l’accroissement du mieux-être des travailleurs par la réalisation d’améliorations immédiates, telles que la diminution des heures de travail, l’augmentation des salaires, etc. Mais cette besogne n’est qu’un côté de l’œuvre du syndicalisme ; il prépare l’émancipation intégrale, qui ne peut se réaliser que par l’expropriation capitaliste ; il préconise comme moyen d’action la grève générale et il considère que le syndicat, aujourd’hui groupement de résistance, sera, dans l’avenir, le groupe de production et de répartition, base de réorganisation sociale… »
Charte d’Amiens
Tandis que l’évocation de l’indépendance syndicale a historiquement servi de couverture à la collaboration de classes et aux mauvais coups contre les travailleurs et les organisations combatives.
Le syndicalisme révolutionnaire a ses lettres de noblesse.
Il est clairement ancré dans un syndicalisme de classe et de lutte résolue.
Mais l’action syndicale ne saurait suffire à elle seule pour faire triompher DURABLEMENT les intérêts des salariés et du peuple.
L’action syndicale ne peut que déboucher sur la question du pouvoir et de sa prise par le peuple travailleur, car seule la détention du pouvoir d’État comme en attestent toutes les révolutions est à même d’assurer cette pérennité.
À condition de surcroît d’exercer une contrainte sans faiblesse sur les classes dirigeantes lesquelles, dès lors qu’elles sont frappées dans leurs intérêts s’acharnent à retrouver leurs privilèges.
ET MAINTENANT
Depuis plus de 30 ans au nom de la modernité on nous prône de différents côtés la nécessité de s’adapter pour sortir de la crise du syndicalisme.
Le plus souvent cela signifiant l’adaptation aux besoins du capital et le renoncement à une transformation radicale de la société avec à la clé la longue liste des répressions sociales que le peuple travailleur ne cesse plus de subir, en s’épuisant dans des luttes catégorielles sans fin.
ALORS, à revers, ne convient-il pas de remettre à l’horizon de nos objectifs d’action, LA PROPRIÉTÉ COLLECTIVE DES GRANDS MOYENS DE PRODUCTION ET DES BIENS COMMUNS ?
- pour une politique de santé digne de ce nom
- pour une véritable réindustrialisation
- pour l’emploi
- pour les salaires
- pour la diminution du temps de travail
- pour une véritable restauration des services publics saccagés depuis longtemps, de l’hôpital, de l’école, de l’université, des institutions de l’énergie, de l’environnement, de la culture, du monde agricole …
Pour retrouver collectivement du contrôle sur nos vies, dans et hors des activités de production….
Le capitalisme nous tue ; le capitaliste a besoin des travailleurs pour faire profit, le travailleur n’a pas besoin du capitaliste pour travailler et produire ce dont il a besoin. Nous pouvons nous passer d’eux !
Contrôle sans lequel l’intérêt général ne prévaudra JAMAIS!
Cet objectif d’appropriation collective figurait d’ailleurs dans les statuts de la CGT et ce n’est qu’au 45e congrès en décembre 95, sous la houlette de Lydia Brovelli, qu’est supprimée la formule faisant référence à la » socialisation des moyens de production et d’échange« .
Suppression indicatrice justement d’un abandon par le syndicat de l’objectif de transformation sociale .
L’heure est à nouveau à la définition d’objectifs de conquêtes ambitieux seuls à même de remobiliser les travailleurs en surmontant les divisions qui minent la société, en désignant les causes profondes de la crise, ses instigateurs, ses bénéficiaires et en pointant les moyens d’en sortir !
Il nous faut donc conjuguer les luttes pour les revendications et les objectifs immédiats avec les luttes pour les nationalisations et contre la casse des services publics encore debout : médicament et santé (Sanofi), banques, compagnies d’assurances, énergie, transport dont le rail…
PLUS QUE JAMAIS donc, il y a urgence à sortir du marais dans lequel les forces syndicales nationales sont engluées. De nombreux structures et militants travaillent pour le syndicalisme de classe et de masse mais les divisions continuent de retarder la nécessaire réaction dont nous avons besoin.
Sans attendre, il en va de la responsabilité de tout délégué syndical, de tout syndiqué, à quelque niveau que ce soit des organisations, que d’ouvrir en grand le débat et de procéder à la redéfinition d’une stratégie, des buts et des moyens de la mettre en œuvre, ouvrant enfin des perspectives globales de bouleversement du rapport de force entre le travail et le capital !
Note sur le rôle de l’Union Européenne
« La fédération [européenne] devra posséder le pouvoir négatif d’empêcher les États individuels d’interférer avec l’activité économique […] Une fédération signifie qu’aucun des deux niveaux de gouvernement [fédéral et national] ne pourra disposer des moyens d’une planification socialiste de la vie économique ».
Friedrich von Hayek, 1939, économiste libéral, fondateur de la Société du Mont-Pélerin.
Hayek, F., « The Economic Conditions of Interstate Federalism » (1939), in Individualism and Economic Order, University of Chicago Press, Chicago, 1948