Un pays dans lequel des patrons pourrait se payer une inspectrice du travail chargée de faire appliquer la loi pour l’empécher de faire son travail avec la complicité de l’administration et le soutien des juges pourrait il être qualifié de démocratique ? où s’agirait il d’une république bananière ? Comment qualifier une justice où un procureur se permettrait de qualifier les inspecteurs du travail de « porteurs de pancartes » ? une justice de classe ?
poser la question c’est y répondre ! et percevoir qu’un tel système, totalitaire, est bel et bien ce que l’on appelle une dictature de la classe capitaliste tenant dans ses mains les ficelles économiques, judiciaires et administratives, ne laissant à l’immense majorité – la classe des travailleurs – que le droit de trimer toujours plus et plus pour gagner toujours moins et moins.
On objectera que face à un tel système, la majorité, les travailleurs qui sont le nombre n’ont qu’à s’organiser pour le renverser et construire un système démocratique, juste, social où se seront eux qui décideront…
Pour le reste, et en pratique, à Annecy, comme le résume très bien l’article suivant de Luc Peillon pour Libération, c’est bel et bien en France qu’une inspectrice du travail peut se voir trainer en justice pour avoir dénoncer les agissements des patrons de Téfal et sa direction.
Suite à l’audience du 16 octobre dernier, où plusieurs centaine de personnes se sont rassemblées à Annecy à l’appel des syndicats pour soutenir l’inspectrice du travail et le salarié attaqués, le tribunal a mis en délibéré son jugement.
Le 16 octobre 2015 à Annecy : un procès politique de l’inspection du travail et des syndicats
A l’appel des organisations syndicales du ministère du travail CGT, SUD, CNT, SNU et FO et des organisations syndicales interprofessionnelles CGT, CNT, FO, FSU et Solidaires, avec le soutien de l’Observatoire de la répression et de la discrimination syndicale, du SAF et du SM, plus de 800 personnes sont venues soutenir l’inspectrice du travail, Laura Pfeiffer et le salarié licencié lanceur d’alerte, attaqués par l’entreprise TEFAL pour avoir dévoilé des documents internes prouvant le comportement délictuel de cette entreprise à l’égard de l’Inspection du travail et du Code du travail.
Cette mobilisation, rassemblant agents de contrôle de l’inspection du travail, salariés du privé (dont ceux de Tefal) et syndicats de salariés, a été exemplaire.
Ce fut un procès clairement politique contre l’inspection du travail et les syndicats, pendant lequel le trio « avocat de TEFAL-Procureur-juge » ont montré un visage de classe au service du patronat en attaquant les prérogatives de l’inspection et le rôle des syndicats dans la défense des agents.
Pendant plus d’une heure trente l’inspectrice a été malmenée par la troïka pro-patronale du tribunal. Elle a été attaquée sur sa personnalité pour tenter de l’affaiblir. La juge a été particulièrement odieuse en minimisant les infractions de l’entreprise et les attaques dont Laura Pfeiffer a pu faire l’objet dans le cadre de ses fonctions de contrôle ou en raillant ses arrêts maladie. Le Procureur s’est pour sa part scandalisé que l’on puisse prétendre que le rôle de l’inspection du travail est de « protéger les plus faibles », comme le rappelait un inspecteur du travail appelé à témoigner à la barre. Il a de nouveau dérapé en qualifiant à plusieurs reprises les agents de l’inspection du travail de « porteurs de pancartes », remettant encore une fois en cause leur droit de se syndiquer.
Maître Henri Leclerc, avocat de Laura Pfeiffer, a attaqué dans sa plaidoirie ’impartialité du Procureur, insistant sur la place des syndicats dans notre société (défense des intérêts moraux de la profession, fonction sociale) et sur l’utilité sociale des salariés lanceurs d’alerte, estimant que la violation du secret professionnel n’existe pas dans ce cas précis.
Le Procureur a finalement demandé une amende symbolique avec sursis pour le salarié lanceur d’alerte et 5000 euros d’amendes contre Laura Pfeiffer qui risque une inscription au casier judiciaire, ce qui équivaut à une interdiction d’exercer. Le délibéré doit être rendu le 4 décembre
Ce procès s’inscrit dans un contexte où les droits des salariés sont attaqués de toute part, où la criminalisation de l’action syndicale ne connaît plus de limite, trouvant ses plus fidèles partisans au sein du gouvernement. Le dernier épisode en date est le traitement des salariés d’Air France comme des terroristes avec des arrestations à l’aube.
Ce sont bien la résistance et l’action collective qui sont dans le collimateur du gouvernement et du patronat.
La justice de ce pays ne doit plus être aux ordres des puissants, mais au service de la justice sociale et des plus faibles. Nous ne nous tairons pas. Seule la mobilisation collective nous permettra de défendre l’Inspection du travail et les droits des travailleurs à s’organiser et se défendre collectivement !
Paris 21 octobre 2015 – communiqué de Sud
Une inspectrice du travail aux prises avec Tefal
Laura Pfeiffer est poursuivie pour avoir transmis à son syndicat des mails internes du groupe d’électroménager. Ils révélaient des pressions sur son supérieur pour la faire taire. Son procès débute ce vendredi.
C’est un procès qui, dans le climat social actuel, ne devrait pas manquer de remettre un peu d’huile sur le feu. Ce vendredi doit comparaître, devant le tribunal correctionnel d’Annecy, une jeune inspectrice du travail, Laura Pfeiffer, pour «recel» et «violation du secret professionnel». Elle risque jusqu’à cinq ans de prison et 375 000 euros d’amende. Son tort : avoir communiqué à son syndicat des mails de la société Tefal la mettant en cause. Et faisant état, de la part de la direction de l’entreprise d’électroménager, de pressions sur son supérieur hiérarchique pour la faire muter.
Le salarié de l’entreprise à l’origine de la fuite des mails a, lui, été licencié pour faute lourde et sera aussi jugé, ce vendredi, pour «interception de documents confidentiels». Remontés à bloc par cette affaire, la quasi-totalité des syndicats de l’inspection du travail appellent à un rassemblement devant le tribunal. Ils attendent plusieurs centaines de personnes. Le mouvement des intermittents et précaires, solidaire, sera de la partie.
L’histoire, dévoilée à l’époque par l’Humanité, débute en janvier 2013. Sollicitée par des syndicats de l’usine Tefal basée à Rumilly, près d’Annecy (Haute-Savoie), l’inspectrice du travail Laura Pfeiffer remet en cause l’accord 35 heures signé une dizaine d’années plus tôt. Et réclame sa renégociation. Risque financier pour l’entreprise : la transformation d’heures «normales» déjà travaillées en heures supplémentaires. «Un accord tout à fait légal», se défend de son côté l’entreprise, qui va alors se lancer dans une campagne contre la jeune fonctionnaire.
Reproche. Le 19 avril, elle est ainsi convoquée par son supérieur hiérarchique, Philippe Dumont, directeur départemental du travail, qui lui reproche de «mettre le feu dans cette grosse entreprise» qui, avec 1 800 salariés, est l’un des plus gros employeurs de la région. «Il me demande de revoir ma position sur l’accord RTT [de Tefal], en m’indiquant que si je continue de la sorte, je vais perdre toute légitimité et toute crédibilité», explique-t-elle dans une plainte adressée au Conseil national de l’inspection du travail (Cnit). «Une menace», demande-elle ? «Une mise en garde», lui aurait répondu Dumont. Fragilisée par l’affaire, Laura Pfeiffer sera ensuite arrêtée plusieurs mois pour maladie.
Mi-octobre, la jeune inspectrice reçoit alors un mail anonyme surprenant : «Je suis en possession de documents hyper confidentiels prouvant que vous avez été victime de pressions, je sais que le groupe SEB [qui détient Tefal, ndlr] et la société Tefal ont exercé, via des personnes du Medef, une pression sur votre responsable, M. Dumont, afin qu’il vous fasse taire.» Ces échanges de mails internes – auxquels Libération a eu accès – sont effectivement édifiants. Et notamment ce courriel, daté du 28 mars – soit quelques semaines avant la convocation de Laura Pfeiffer par son supérieur -, dans lequel Aurélie Rougeron, l’une des cadres du service des ressources humaines, écrit au DRH de la boîte : «Dan, j’ai échangé avec P. Paillard [responsable juridique de l’UIMM de l’Ain, le patronat de la métallurgie, ndlr] au sujet de l’inspectrice. Il me dit que le [directeur départemental du travail] a le pouvoir de la changer de section administrative pour que Tefal ne soit plus dans son périmètre. Intéressant, non ?»
Savon. Réponse, trois quarts d’heure plus tard, du DRH : «Merci de nous prendre RDV avec Dumont dès mon retour. Je pense que nous devrons voir le préfet.» Le 4 avril, la direction de Tefal prend même rendez-vous pour le lendemain avec «Carole Gonzalez, des renseignements généraux», à propos du «comportement de l’inspectrice». Puis, le 18 avril, avec le directeur départemental du travail, Philippe Dumont, soit la veille du passage de savon de celui-ci à sa subordonnée.
Autant de manœuvres que l’entreprise nie aujourd’hui en bloc, estimant, dans un communiqué du 23 septembre, qu’«elle n’a jamais entravé à l’exercice de l’inspectrice du travail ni mis en œuvre quelque action qui aurait pu lui porter préjudice».
Au-delà de ces fortes pressions exercées par l’entreprise sur l’administration du travail, l’affaire révèle également des relations plus qu’ambiguës entre Dumont et la direction de Tefal. Selon une information révélée par Libération, le DRH de Tefal envoie, le 6 juin 2013, un mail au directeur du travail : «Je vous confirme, suite à votre sollicitation, que nous prenons en stage, à compter du 24 juin, la personne que vous nous avez recommandée.» Et Dumont de répondre : «Permettez-moi de vous remercier […] pour l’effort fait pour le jeune Morgan G., que vous avez tiré d’une bien délicate situation qui, sinon, aurait été préjudiciable pour son cursus.» Le jeune ? Un étudiant en dernière année d’école d’ingénieurs à Paris, et dont la nature du lien avec Dumont devrait être révélée au cours de l’audience.
Muté. Demi-aveu de la part de la direction du travail : Dumont sera muté, en décembre 2014, à l’école de formation de l’inspection du travail, deux mois après l’article de Libération. Mais sans soutenir pour autant Laura Pfeiffer.
Les syndicats dénoncent même une justice à deux vitesses. Alors que la plainte de Tefal donne lieu au procès de ce vendredi, celle de Laura Pfeiffer contre Tefal pour «obstacle aux fonctions d’inspecteurs du travail» végète encore au SRPJ (Service de recherche de la police judiciaire) de Chambéry. Même sort pour la plainte de Laura Pfeiffer contre Dumont pour harcèlement, qui, elle non plus, n’a toujours pas abouti.