Jeudi 30 septembre, notre camarade Aymeric Monville était invité de RT international pour commenter la mise en place de la commission desdites « fake news » par Emmanuel Macron.
Russia Today –Le président Macron a mis en place une commission chargée de lutter contre les théories du complot qui, selon lui, sont un « poison » menaçant la société française. Pensez-vous que les autorités doivent contrôler les médias ?
Aymeric Monville – Il est évident que, compte tenu des moyens actuels de diffusion de l’information, une propagande monolithique, telle que la France l’a pratiquée pendant les guerres mondiales ou pendant les guerres coloniales, n’est plus possible. Les autorités françaises doivent donc trouver d’autres moyens, notamment pour soutenir la prochaine campagne présidentielle. Ici, l’astuce, dans ce cas, c’est que l’Etat se réclame des Lumières, prétend agir avec cette commission au nom de la rationalité, dire la rationalité. En France, cela n’a pas vraiment été tenté ; on appelle cela le despotisme éclairé, comme on l’a vu dans la Prusse de Frédéric II ou dans la Russie de Catherine II, qui ont attiré des penseurs comme Voltaire ou Diderot. Mais en France, ce n’est pas crédible. Le peuple français est de nature trop rebelle et sarcastique pour accepter l’idée même d’une sorte de « ministère de la vérité », pour reprendre un célèbre roman.
Russia Today – L‘idée de créer une commission spéciale ne risque-t-elle pas de limiter la liberté d’expression, d’opprimer les opinions qui ne sont pas en accord avec le gouvernement ?
Aymeric Monville – Non, cette commission est une excellente nouvelle car elle est surtout ridicule. La presse commence déjà à parler des contradictions de ses membres, des « fake news » qu’ils ont eux-mêmes diffusées. Un médecin membre de cette commission a même été rappelé à l’ordre par l’Ordre des médecins pour avoir diffusé de fausses nouvelles. Vous avez dans cette commission le fondateur d’un site, Conspiracy Watch, qui pense qu’on peut lutter contre toutes les théories du complot sans faire de distinction, c’est-à-dire qu’il met dans le même sac des gens pour qui la terre est plate et d’autres qui remettent simplement en cause de manière critique les informations qu’ils reçoivent. C’est du fanatisme pur et simple. En revanche, je suis beaucoup plus inquiet par les rapports de nature militaire, comme le récent rapport de l’Institut français de recherche stratégique de l’Ecole militaire (IRSEM), qui fonctionne sur un critère qui n’est pas « complot ou pas complot » mais « Chine ou pas Chine » ou « Russie ou pas Russie ». Par exemple, je suis en quelque sorte accusé dans ce même rapport d’être un mauvais Français parce que j’ai rencontré l’ambassadeur de Chine à l’occasion de la publication d’un livre sur la Chine qui insistait sur le fait que la Chine n’a qu’une seule base militaire à l’étranger et qu’elle est encerclée militairement, ce qui n’est évidemment pas une bonne chose pour la stabilité du monde. En fait, dans mon modeste travail d’édition, je devrais me comporter comme si nous étions en guerre contre la Chine. Et ce rapport est écrit, entre autres, par un monsieur qui a travaillé jusqu’en 2019 à l’OTAN. Oui, je suis bien plus inquiet de ce dossier militaire avec l’aide d’une puissance étrangère, en l’occurrence les États-Unis, sur le simple critère de partager ou non les opitions pro-atlantiques du président, que de cette commission grotesque.
Russia Today – Selon les autorités françaises, l’objectif de cette commission est de produire un rapport sur des sujets tels que la manière dont les annonceurs exploitent les fake news et comment empêcher les puissances étrangères de diffuser des théories du complot. Comment résoudre le problème des fake news ?
Aymeric Monville – Le problème de la vérité et de l’erreur ne peut être résolu que par un débat contradictoire. Par exemple, en tant qu’éditeur de plus de 200 titres écrits en grande partie par des universitaires, je devrais être capable de débattre de ces sujets sur les médias français, mais l’on ne m’invite jamais. Il y aurait tant de choses à contredire, à rectifier dans ce que dit notre gouvernement. Par exemple, le ministre de l’Education Blanquer a affirmé que les Russes étaient responsables d’une énorme panne du système informatique de l’éducation nationale. Comme si les Russes voulaient à tout prix empêcher nos enfants d’aller à l’école. C’est une théorie du complot, délirante et criminogène, porteuse de haine et de guerre, mais, à ma connaissance, cette ‘théorie’ n’a jamais été dénoncée comme telle par nos spécialistes et prétendus experts qui composeront cette commission.
Russia Today – Nous sommes tous des humains avec des pensées et des idées différentes… et elles ne sont pas forcément correctes. Chacun a-t-il le droit de montrer son point de vue ?
Aymeric Monville – Nous sommes tous d’accord pour dire que le débat démocratique doit s’appuyer sur une information de qualité. Mais, même si l’information est donnée, il y a toujours ce qui relève de l’opinion. Pour prendre un exemple simple, je peux vous dire avec un thermomètre combien de degrés il fait dans une pièce. Après cela, c’est à vous de décider s’il est temps d’augmenter le chauffage ou d’ouvrir la fenêtre. Nous ne pouvons pas tout réduire aux experts, même s’ils sont de bonne foi. Surtout dans des sociétés très divisées socialement où les groupes sociaux n’ont simplement pas les mêmes intérêts.