Alors que, sans susciter de réaction de la direction de la CGT, la FSU s’immisce dans la préparation du congrès prochain de la CGT en soutenant la candidature euro-réformiste de Marie Buisson, la « dauphine » pré-désignée de P. Martinez, on pardonnera à I.C. de relayer le texte qu’a récemment publié Jean-Pierre Page, ancien secrétaire national de la CGT, sur Le Grand Soir.
https://www.legrandsoir.info/de-quelle-cgt-avons-nous-besoin.html
Du 27 au 31 mars 2023 se tiendra à Clermont-Ferrand le 53e Congrès de la CGT. Il se déroulera au coeur d’un mouvement inédit d’insubordination populaire, de protestation sociale et de contestation politique qui se nourrissent l’un et l’autre. Justice sociale et démocratie sont deux exigences majeures qui se sont cristallisées à travers le rejet de la réforme des retraites qu’avec cynisme l’oligarchie cherche à imposer par une répression violente et aveugle.
“La bourgeoisie travaillant pour elle seule, exploitant pour elle seule, il lui est nécessaire de faire croire qu’elle travaille, qu’elle exploite, qu’elle massacre pour le bien final de l’humanité. Elle doit faire croire qu’elle est juste. Et elle même doit le croire. Paul Nizan (Les Chiens de garde)
L’Histoire n’est jamais écrite par avance
Depuis plus de deux mois, les travailleurs ont décidé de relever ce défi ! L’indignation générale qu’à entraîner la décision du gouvernement de renoncer au vote de la loi et de recourir à un coup de force a provoqué une indignation générale et une colère légitime que beaucoup de jeunes ont exprimé à travers un engagement combatif. Il est clair qu’il y a dorénavant un avant et un après 49-3. Contrairement à ce que Macron cherche à croire et à faire croire contre toutes évidences, le dossier des retraites n’est pas réglé. La rue est dorénavant face au pouvoir. L’histoire n’est jamais écrite par avance. Macron doit l’apprendre à ses dépens. C’est le temps de la revanche.
Pour gagner, il faut que la CGT contribue à consolider et élargir le rapport des forces en cours, en sachant utiliser ses forces au mieux par une stratégie portée par toute l’organisation. Elle doit militer pour redonner du sens à sa relation au monde travail, tel qu’il est et non comme on l’imagine. La lutte doit s’envisager sur la durée. Elle doit se poursuivre de manière offensive et rien ne saurait justifier d’en rabattre sur la détermination. Il n’est donc pas d’autres choix possibles que résister par la généralisation de la grève, par le blocage c’est à dire la mise à l’arrêt de l’économie, par l’articulation de l’action entre tous les salariés qu’ils soient des secteurs publics et privés, et en contribuant à une plus grande implication de toutes les organisations de la CGT aux côtés des retraités, des jeunes, des chômeurs, des précaires dont un grand nombre sont déjà mobilisés mais dont il faut renforcer l’implication dans l’action. C’est ce qui sera décisif ! Par conséquent le 53e congrès doit mettre en débat « la grève générale » et sa reconduction, non pas la grève presse bouton, mais celle qui se construit par la ténacité et la détermination. On peut d’autant mieux le faire qu’on ne part pas de rien !
Face à cette situation et avec son arrogance habituelle, Macron est ailleurs, il insulte les Français et persiste dans une obstination qui ne voit pas en quoi il a un problème. Pour lui l’affaire des retraites est entendue et il faut passer à autre chose. Comme à son habitude, il donne des leçons au monde entier. De l’avis général et de nombreux observateurs internationaux sa perte de sens des réalités est typique d’un trait de caractère que les cliniciens appellent le syndrome d’hubris. Á sa botte et dans un parfait mimétisme, son gouvernement s’entête de manière caricaturale. Bertoldt Brecht disait “ Puisque le peuple vote contre le gouvernement, il faut dissoudre le peuple ” Cela s’applique parfaitement à la situation française.
Il est intolérable que le monde du travail soit méprisé, humilié à ce point. La morgue, le mensonge et l’arrogance du pouvoir appelle une riposte. Nombreux sont ceux qui disent que cela devra se payer tôt ou tard. Pour l’heure, il y a urgence, il faut se donner les moyens concrets de se faire respecter en organisant la lutte partout et sous toutes les formes possibles. Il n’y a pas de petits combats. Dans ces conditions, le 53e congrès de la CGT est une opportunité. Il doit être l’expression concrète de cette volonté et contribuer par des décisions à cette riposte en grand. C’est là, sa priorité !
Il n’y a pas de petits combats
Comme souvent, la lutte a des vertus pédagogiques, elle permet de clarifier les choses. Ce qui donne tout son caractère à cette action de masse, rassembleuse et populaire c’est une stratégie fondée sur la capacité d’initiative des syndicats d’entreprise, par le bas, par une flexibilité, une capacité à s’adapter en permanence aux conditions dans lesquelles on se trouve, sans dirigisme, sans instructions et même sans note de service. Mise en œuvre, par cette intelligence collective dont savent faire preuve les travailleurs, elle incite à faire confiance, et encourage la prise de responsabilités en faisant de chacun un acteur conscient, un décideur. Elle permet de rassembler le plus largement et de ne pas s’essouffler. Voici plus de deux mois que le mouvement est engagé et pour les raffineurs de l’industrie pétrolière plus encore. Ils ont été à l’avant garde de ce mouvement et leur exemple a été déterminant. C’est pourquoi dans son déroulement cette action n’est comparable à nul autre.
Les grèves en se coordonnant et s’épaulant les unes aux autres ont ainsi permis de maintenir un haut niveau de mobilisation. Cela est donc possible ! On a renoué avec les grandes manifestations qui ont fait l’histoire du mouvement ouvrier français. Après deux mois de lutte il est remarquable de voir le 23 mars près de 800 000 manifestants à Paris, 280 000 à Marseille, 150 000 à Toulouse, 30 000 à Brest, 80 000 à Nantes, 60 000 à Montpellier, 5 900 à Gap. C’est cette orientation combative et anticipatrice qui s’est révélé payante, et qui s’est articulé avec les mots d’ordre des journées nationales d’actions comme des centaines de manifestations décentralisés décidées par l’intersyndicale. En conjuguant toutes ces formes d’actions, en s’adaptant au niveau de conscience de chacun, en prenant en compte la disponibilité de tous et en étant flexible, l’action a été placé en permanence sous la responsabilité des travailleurs eux mêmes. C’est là l’essentiel.
Cela a permis de faire la jonction avec toute la population singulièrement les jeunes et s’est reflétée dans un large soutien populaire qui ne s’essouffle pas malgré les provocations et les violences délibérées du pouvoir. En avançant ainsi de front on a contribué à mettre fin aux tâtonnements, aux hésitations, à l’immobilisme qu’hier certains justifiaient par « les conditions ne sont pas réunies » ou « on n’est pas près » craignant le plus souvent de prendre les décisions permettant la convergence des luttes entre elles. Cette fois, avoir oser et y croire permet de contribuer à la confiance. « La preuve du pudding c’est qu’on le mange ».
Comme on le voit le haut niveau de la mobilisation, la fermeté, le rejet de la complaisance et des compromis de circonstance a permis de passer aux travaux pratiques en grand format par une démarche revendicative renouvelée et efficace. En finir avec les concessions aux journées d’action saute-mouton, le plus souvent source de découragement a permis la multiplication d’initiatives et favorisé un haut niveau de résistance. Cela a permis que s’exprime une combativité illustrée par une multiplication d’actions d’une grande diversité au premier rang de laquelle on a trouvé les éboueurs, ces héros, les énergéticiens, les raffineurs, les portuaires et dockers, les cheminots, ceux des grandes surfaces de commerce et bien d’autres. C’est la capacité des travailleurs avec leur syndicat CGT à innover dans les formes de lutte décidées démocratiquement, et à n’être prisonnier d’aucun mot d’ordre d’en haut qui a permis d’arriver à cette étape. Ne pas subir mais conduire la lutte des classes jusqu’au bout. Là est devenu l’impératif !
La démonstration est ainsi faite que pour s’engager en masse les travailleurs ont besoin d’un mot d’ordre unificateur comme de la volonté politique de ceux qui ont la responsabilité de conduire et d’organiser l’action. La lutte est toujours révélatrice quant à la qualité de ceux en capacité de mieux incarner les choix des travailleurs eux-mêmes. C’est cette construction d’en bas tout spécialement à travers l’articulation des secteurs professionnels stratégiques et grâce à l’appel décisif de cinq fédérations de la CGT (Chimie, Energie, Cheminots, Verre et céramique, Ports et Docks) qui a permis de donner cet élan à la lutte. Proportionnellement, les petites villes et les banlieues qui s’étaient mobilisés lors du mouvement des gilets jaunes, sont particulièrement actives. Elles ont la particularité de rassembler sur un même lieu ouvrier, paysan, chômeurs, précaires, jeunes et retraités. L’éveil et la participation de cette France-là témoigne à lui seul de la profondeur et de l’enracinement de l’action et donc d’un saut qualitatif. Comment enfin ne pas tenir compte de la formidable solidarité internationale des organisations de la Fédération Syndicale Mondiale (FSM) qui s’exprime par des manifestations et un soutien actif comme en Grèce, en Italie, en Espagne..
L’ordre du jour macroniste
C’est pourquoi, il est important de prendre la juste mesure de cette nouvelle étape, elle est sans précédent et n’a rien à voir avec un coup de tonnerre dans un ciel serein. Pour l’heure l’oligarchie macroniste est déterminée à avancer dans son programme de régression sociale, elle veut museler tous les salariés sans aucune exception, au besoin par la violence. Elle considère de manière totalement irresponsable que la page du dossier des retraites est tournée. Suivant sa feuille de route réactionnaire, le pouvoir veut s’attaquer au peuple tout entier et n’a nullement l’intention de s’en tenir uniquement à la seule liquidation de notre système de retraites par répartition. Il veut bouleverser le code du travail, imposer une loi afin de transformer le marché du travail, débattre du partage de la valeur, des reconversions, marginaliser les plus démunis, s’en prendre à l’immigration, supprimer et conditionner les aides sociales, poursuivre la surexploitation des travailleurs en dégradant plus encore les conditions de travail, l’hygiène et la sécurité, en mettant en cause les 35 heures, en précarisant sans limites, en adaptant le système d’emplois des seniors, en remettant en cause le droit de grève et de manifester, en généralisant le système illégal des réquisitions !
Emmanuel Macron veut dicter de manière autoritaire de nouvelles règles qui seront des devoirs sans aucun droit et il veut les imposer à tous. Son choix de société c’est de passer d’une société de pauvres sans emplois à une société de pauvres avec emplois. C’est donc bien de guerre de classes dont il s’agit. Macron entend la mener quel qu’en soit le prix. Il veut le faire aussi à cause de sa soumission aux intérêts impérialistes d’outre atlantique auxquels il demeure un vassal. A travers son engagement militaire et financier dans la guerre contre la Russie et les préparatifs de confrontation avec la Chine, il veut soutenir le secteur militaro industriel tout comme cela se fait aux EU. Il entend poursuivre ses cadeaux aux entreprises, permettre les dégrèvements d’impôts, soutenir les centaines de milliards d’évasion fiscale qui plombent le déficit public qui lui atteint des sommets tout comme l’inflation et permettre la hausse obscène des dividendes des actionnaires à travers les entreprises du CAC40. Macron défend les intérêts de sa classe avec cynisme et brutalité.
Macron est bien un bourgeois au sens ou l’entendait Paul Nizan dans
Les Chiens de garde : « Le bourgeois est un homme solitaire. Son univers est un monde abstrait de machineries, de rapports économiques, juridiques et moraux. Il n’a pas de contact avec les objets réels : pas de relations directes avec les hommes. Sa propriété est abstraite. Il est loin des événements. Il est dans son bureau, dans sa chambre, avec la petite troupe des objets de sa consommation : sa femme, son lit, sa table, ses papiers, ses livres. »
Une caste aux abois
La caste au pouvoir veut appliquer son programme de régression sociale en urgence et Macron a donné des instructions dans ce sens. Pour son bien, le peuple doit payer la facture ! C’est ce qu’il vient de confirmer dans son intervention du 22 mars où il a justifié la méthode de son gouvernement c’est à dire le mensonge et la justification du passage en force par le viol du Parlement et l’usage de l’article 49-3, jusqu’à nier les propositions qui pourtant lui avaient été faites par les syndicats. Cet archaïsme qui figure dans une constitution qui elle même bafoue la démocratie. En fait, sa fébrilité est révélatrice d’un système aux abois. C’est pourquoi, il n’a pas l’intention d’en rester là ! La répression, la violence et les provocations qu’il suscite et décide vont se renforcer plus encore illustrant le totalitarisme de tout un système fondé sur l’arbitraire.
Par lui le mouvement populaire est assimilé à des « factieux » de sinistre mémoire : rappelons nous les généraux félons de l’OAS aux temps de la guerre d’Algérie. En fait, le pouvoir cherche à impressionner, à faire peur, c’est une vieille méthode souvent illusoire, surtout quand la colère et l’exaspération sont à leur comble. Pour la seule journée du 22 mars, 457 arrestations ont eu lieu, des centaines de manifestants ont été blessés dont certains gravement, des inculpations et des mises en examens de militants de la CGT se sont par ailleurs multipliées en même temps que les agressions physiques contre des piquets de grève ou les manifestations de jeunes lycéens. Devant la violence aveugle des brigades d’intervention motorisées, on a vu des forces de la gendarmerie
s’interposer.
Macron veut imposer ses règles et soustraire notre système de retraites par répartition du contrôle social de ceux qui sont les seuls producteurs de richesse. Faut-il rappeler que la Sécurité sociale n’appartient pas à l’état mais à ses cotisants et au tout premier rang les travailleurs eux-mêmes, qu’elle est l’œuvre majeur du Conseil National de la Résistance et du ministre communiste Ambroise Croizat aux lendemains de la seconde guerre mondiale.
C’est pourquoi il est remarquable dans une telle période d’affrontement social que le patronat et l’Union Européenne sont soigneusement tenus à l’écart des commentaires comme des débats médiatiques, alors que cette réforme a depuis longtemps obtenu leur feu vert comme le soutien sans partage du MEDEF et de la Commission de Bruxelles qui revendiquent eux aussi cette réforme. Ce qui est sans doute plus remarquable encore est également le silence des confédérations syndicales à ce sujet, comme si la lutte se réduisait à un affrontement avec le seul gouvernement. Il est vrai que la Confédération Syndicale Européenne (CES) présidée par Laurent Berger de la CFDT ne trouve rien à redire, sans doute est-elle encore aux prises avec l’affaire de corruption de son ancien secrétaire général contraint à la démission de son poste de secrétaire général de la Confédération Syndicale Internationale (CSI).
Macron fait le choix du chaos, celui du « ça passe ou ça casse » et son obsession réactionnaire tourne à l’acharnement. Il faut réduire de toutes les manières possibles les dépenses publiques en s’en prenant au travail, à la santé, l’éducation, la culture. A ses yeux le système de retraite à la française est donc un obstacle majeur. Il faut le normaliser et mettre un terme a ce qui fait son exceptionnalité dans ses princes. Une étude de l’Union Européenne a elle -même montré que l’indice de pauvreté chez les retraités en France était deux fois inférieur à celui de la moyenne européenne ou des Etats-Unis.
Blackrock et les vrais donneurs d’ordre
En finir avec le système de retraite par répartition n’est donc pas nouveau. Macron tout comme ces prédécesseurs ont mission de le démanteler, afin de soumettre le peuple et les travailleurs à la pression sans limites du patronat, des riches. Toute cela se fait comme sous Vichy à travers une politique d’abandon national et de soumission qui brade la souveraineté. Dans ce but, le choix partisan est de se soumettre à ce qu’exige les donneurs d’ordre : les institutions bruxelloises, la Banque Centrale Européenne, la finance internationale, y compris le FMI toutes au service des banques menacées d’un nouveau crash, des transnationales comme le gestionnaire d’actifs étasunien Blackrock.
Blackrock c’est la cheville ouvrière et l’âme de ce complot contre le peuple. L’ensemble des actifs gérés par ce groupe équivaut à deux fois 1/2 le PIB de la France soit 7000 milliards de dollars. Blackrock a publié en juin 2019, un plaidoyer qui appelle très clairement le gouvernement français à développer le « troisième pilier » des régimes de retraites : la capitalisation, c’est à dire confier à des sociétés financières privées la gestion d’une partie de « l’assurance-retraite ». Ce document s’appelle « La loi pacte : le bon plan retraite ». La loi pacte est soutenue par Bruno Lemaire et a été approuvée par le gouvernement. A l’échelle européenne « le groupe des 30 »un think-tank néo libéral dont Blackrock est partie prenante a ainsi préconisé d’allonger l’âge de la retraite, d’augmenter l’épargne privée et de réduire les taux de remplacement du revenu par les retraites ( la proportion du salaire qui sera ensuite versé en pension). On est donc fixé !
Tout le problème pour Macron est qu’il doit faire face à un mouvement sans précédent, une rébellion sociale et démocratique qui s’inscrit parmi les grands affrontements de classe que la France a connu en 1936, en 1968, en 1995, en 2016 avec le CPE et en 2019 avec les gilets jaunes. L’heure n’est donc pas à l’apaisement. Aussi, on ne saurait s’en tenir a la seule contestation des 64 ans pour un départ à la retraite quant il faut maintenir les principes sur lesquels est fondé notre système et pour imposer 60 ans et 37 années ½ de cotisations pour une retraite pleine et entière prenant en compte les 10 meilleurs années et avec les moyens pour vivre dignement. En d’autres termes il ne faut rien céder sur les salaires et le pouvoir d’achat des actifs comme des retraités.
Notre système de protection sociale dans ses principes n’est pas une survivance du passé qu’il faudrait liquider ou réformer comme le proposent le pouvoir et même certains syndicats, il est une avancée sociale moderne qu’il faut défendre pour l’immédiat et l’avenir. Dans un sens il préfigure une société d’émancipation fondée sur la justice sociale et la solidarité. Par conséquent ce combat ne saurait se mener dos au mur, c’est de passer à l’offensive dont il s’agit, il n’est pas d’autres choix possibles.
C’est pourquoi, les délégués du 53e congres de la CGT vont faire le choix de mettre sans exception toutes les forces de la CGT dans la bataille. Voyons bien que cela exige de rompre avec des pratiques anciennes et les ambitions de circonstance comme avec un conformisme à l’origine de bien des déboires et des défaites. Ce bond qualitatif est possible, il est indispensable pour que la CGT joue pleinement son rôle dans cette lutte dont on dit qu’elle est la mère des batailles et pour que la Confédération Générale du Travail retrouve une crédibilité entamée par trop d’années d’impuissance.
La question syndicale nouveau sujet d’intérêt
Dans ce contexte, il n’est pas innocent de voir la question syndicale faire l’objet de nombreux commentaires et pas seulement à cause du souverain mépris qu’affiche Macron à l’égard des syndicats, ce qui n’est pas une chose nouvelle mais correspond à son style monarchique de conduite des affaires de l’état. Ce qui est assez inattendu c’est que les médias et les politiciens cherchent depuis plusieurs semaines à présenter les Confédérations syndicales à travers une image lisse d’organisations convenables et responsables qui ont été trop négligés par le pouvoir. Pour parfaire le tout, on s’est employé à les fondre dans une intersyndicale sans odeur et sans saveur, aux différences apaisées. On soutient même qu’elles seraient marquées par une lune de miel entre Laurent Berger et Philippe Martinez, ce qui n’est franchement pas une découverte quand l’on connaît la proximité de leurs positions sur bien des sujets, en particulier sur l’Europe. Cette présentation soft tranche avec les discours hard qui alertent quotidiennement et à toute heure sur la tendance à la radicalisation des actions, aux manifestations sauvages, à la violence et même à l’apocalypse quand la grève s’étend à d’autres secteurs, quand elle prend la forme de barrages routiers, d’amoncellement de poubelles en feu, d’actions « Robin des Bois » qui impose la sobriété énergétique pour quelques députés et sénateurs, ou quand les travailleurs de Fos résistent physiquement et courageusement à la brutalité des forces de l’ordre.
La sollicitude des médias pour la CGT
C’est dans ce climat que les médias et politiciens de tous bords ont fait le choix de prendre parti sur l’enjeu revêtu par le prochain congrès de la CGT. Ils font preuve d’une sollicitude inattendue. Selon leurs nombreux commentaires, celui-ci se réduirait à l’élection d’un nouveau secrétaire général. On fait donc grand cas de certaines candidates comme celle de Marie Buisson soutenue par Philippe Martinez ou Céline Verzeletti qui ne s’est pas déclarée. Pour les médias, leur choix s’est porté sur Marie Buisson à l’égard de laquelle ils font preuve de complaisance, de sollicitude en multipliant les interviews, les reportages valorisants, l’ombre de Philippe Martinez dans les manifestations. Tout cela n’est pas innocent et vise à faire pression sur les délégués au congrès en leur présentant l’élection du secrétaire général de la CGT comme une affaire entendue et réglée d’avance. Toute la direction de la CGT laisse faire y compris la participation permanente de Marie Buisson aux réunions du bureau confédéral dont elle n’est pas membre en contradiction avec les statuts de la CGT.
Mais certains jugent tout cela insuffisant. Ainsi on a vu le journal Les Echos multiplier les articles favorables à Marie Buisson à partir de confidences communiquées par le secrétariat de Philippe Martinez afin de mieux orchestrer la communication sur les projets du secrétaire général de la CGT en faveur de son remplacement. Cette manière de faire qui est inacceptable a suscité beaucoup de réactions dans la CGT et parmi les militants qui ont le sentiment d’être mis devant le fait accompli. Tout cela est ignoré avec condescendance !
Par contre, pour Olivier Mateu, le combatif et populaire secrétaire général de la CGT des Bouches du Rhône, il en va autrement. Sa candidature respectueuse des statuts de la CGT est soutenue par l’Union départementale CGT des Bouches-du-Rhône et a reçu les encouragements et les soutiens d’importantes fédérations, Unions départementales, Unions locales et syndicats d’entreprises. Sa liberté de parole, son implication dans la conduite de la grève et sa présence active sur le terrain correspond sur le fond comme sur la forme à bien des attentes des travailleurs et de militants de la CGT. Ils retrouvent la CGT qu’ils attendaient. Pour les médias il est donc révélateur et significatif qu’il faut mettre un terme à cette réalité indiscutable. Il est ainsi devenu unilatéralement classé parmi les « durs de la CGT ». De manière caricaturale, on met en cause son ouvriérisme, sa radicalité, on fait de lui un « stalinien » qui refuse de « choisir entre Poutine et Zelinski » ou encore un « rouge vif » tout en faisant en sorte d’ignorer délibérément ses positions réelles illustrées pourtant par son entretien avec la sociologue Monique Pinçon-Charlot.
Une chose est certaine des réponses que les délégués du 53e congrès feront à ces campagnes médiatiques dépendra pour une part essentielle l’avenir de la CGT dans sa conception, son type d’organisation, les principes qui détermineront ses orientations et par conséquent le type de syndicalisme CGT.
Le choix entre deux orientations
En fait, deux orientations distinctes sont présentées, il faudra donc choisir l’une ou l’autre étant entendue qu’il ne saurait y avoir une 3e voie en forme de révolution de palais malgré tout préconisée par certaines fédérations quand il s’agit en fait de révolutionner les orientations stratégiques de la CGT. Il s’agit de prendre des décisions qui tiennent compte de l’aiguisement sans précédent de la contradiction fondamentale entre le capital et le travail .
Qu’elles sont ces approches radicalement différentes ? Elles portent sur les objectifs revendicatifs, les priorités, la stratégie des luttes, la relation à l’Europe ou au monde donc à la guerre et à la paix, l’unité syndicale, la conception militante ou professionnelle de l’organisation ou le contenu du choix de société pour lequel agir. Autant de sujets déterminants dont il faut débattre On ne saurait donc réduire ce 53e Congrès au seul choix d’un futur secrétaire général quand c’est d’orientation dont il s’agit.
C’est pourquoi, il est indispensable et légitime de commencer par mettre tout à plat, faire un bilan avec courage et lucidité, un état des lieux véritable et non de circonstances. Il ne s’agit pas de s’accabler mais de contribuer à tirer les conséquences d’une longue période et dont il faut tirer les leçons. Les délégués auront au fond à débattre d’orientations dont dépendent des candidatures différentes pour la future direction de la CGT !
*L’une se propose de poursuivre dans la voie de l’adaptation de la CGT à un syndicalisme institutionnalisé euro-compatible et qui pense résoudre sa crise en se recomposant dans une dérive sociétale. Cette orientation fait le choix de la poursuite et de l’accélération d’une mutation dont la stratégie est de se fondre dans un cadre organisé associant ONG et syndicats. Voyons bien que cela se ferait au détriment du syndicat d’entreprise en lui substituant des structures hors l’entreprise et aurait pour conséquence de renoncer à un combat de classe plus exigeant, conduirait à brader l’indépendance de la CGT, en la faisant renoncer à des positions de principe, à la faire dépendre d’alliances de circonstance ou d’objectifs dans l’air du temps. Sans que cela soit un jugement de valeur, qu’y-a-t-il de commun entre Greenpeace et la CGT ? C’est pourtant le choix de Marie Buisson et dans une autre mesure de Céline Verzeletti qui si elle ne s’est toujours pas déclarée a approuvé comme membre de la direction confédérale dans l’implication de la CGT au sein de l’attelage « plus jamais ça » c’est à dire au fond la proposition de Philippe Martinez sans jamais réellement exprimé d’avis contraire au sein de la CGT.
Poursuivre dans cette voie aboutirait à soumettre la CGT à l’ordre du jour du capital comme celui des institutions européennes comme cela a été illustré par la déclaration intersyndicale dont la CGT et sans discussions avec le patronat en faveur d’une « alliance économique pour une Europe verte ». Cela serait persévérer dans une impasse conséquence de la mutation stratégique engagée après le 45e congrès (1995) entraînant la dépolitisation de la CGT et son affiliation à la CES et la CSI.
Les délégués auront aussi à se prononcer sur les orientations hasardeuses du groupe « plus jamais ça » tout comme sur la perspective d’“ Etats généraux du syndicalisme de transformation sociale ”, qui est une proposition soutenue par les responsables de la FSU. De manière sans précédent, ces derniers ont d’ailleurs annoncé leur soutien au document d’orientation du congrès de la CGT en prenant ouvertement parti pour la candidature de Marie Buisson.
Enfin, en refusant de rompre avec les pratiques anciennes, en privilégiant une activité syndicale professionnalisée et institutionnalisée comment va-t-on remédier au recul depuis de nombreuses années de la capacité des militants à mener la bataille des idées sur le contenu.
Aucune des deux candidates déclarée ou présumée ne s’est exprimée à ce sujet. Ne va-t-on pas sacrifier la forme au fond ? Or, on s’est accommodé d’un recul du contenu des formations syndicales, la recherche a été abandonnée, la presse de la CGT a poursuivit son affaiblissement chronique à l’unisson d’une crise du syndicalisme dont celle de la CGT qui elle se poursuit sans que cela semble provoquer de réactions salutaires de ces deux impétrantes.
*L’autre représente une alternative à 25 années de défaites sociales, et de recul de l’influence de la CGT parmi les travailleurs. Elle a pour objectif principal une vision qui encourage à ce que les syndiqués et les militants se réapproprient l’action et le rôle de la CGT à tous les niveaux, depuis leur lieu de travail, car c’est là que tout est décisif et ce jusqu’à la Confédération. C’est là le moyen de redonner du sens à la confédéralisation par l’articulation entre le professionnel et l’interprofessionnel notamment en revalorisant le rôle des Unions Locales
C’est ce moyen qui peut permettre de contribuer à fédérer ce qui est complémentaire et à faire converger pour la lutte toutes les structures de la CGT par le débat, la fraternité, la solidarité. Cela nécessite de mettre un terme aux cloisons étanches qui se sont dressées entre la confédération et toutes ses organisations. Revendiquer des principes de classe c’est aussi les appliquer à des principes d’organisation, c’est donc tourner les moyens humains et matériels vers l’entreprise. A quoi servirait-il de parler de lutte de classes en fonctionnant selon les règles qui sont celles du syndicalisme réformiste ? L’utilité, l’efficacité et la modernité du syndicalisme de lutte de classes résident dans une autre qualité de rapport avec les travailleurs. Cette démarche mise en œuvre avec succès dans l’UD CGT des Bouches-du-Rhône a contribué à renforcer la cohésion et l’unité de l’organisation, permis d’engranger d’importants résultats revendicatifs comme à la Centrale de Gardanne, améliorer sensiblement l’influence et la force organisée de la CGT. Cette orientation soutenue par Olivier Mateu est mise en valeur dans la brochure « De quelle CGT avons-nous besoin ? ». Cette approche prend en compte par ailleurs le besoin d’un renouveau du sein du syndicalisme international, tout en clarifiant les impasses qui sont celles défendues par le syndicalisme défendue par la CES et la CSI qui ont déteint sur la CGT. Enfin comme le déclare Olivier Mateu « la double besogne doit retrouver son ambition première, à savoir l’émancipation de tous et de toutes ». L’alternative est donc là, elle peut permettre d’ouvrir un débouché.
On ne part pas de rien, dorénavant on existe !
Cette démarche ne part pas de rien, elle s’est construite depuis des années à partir de la volonté de plusieurs organisations représentatives de la CGT qui ont fait le choix à travers des propositions, et des actions concrètes d’un changement d’orientation indépendamment de la démarche qu’inspire la direction de la CGT. Cela est d’autant plus représentatif et indiscutable qu’il s’agit d’organisations parmi les plus combatives de la CGT. Cela s’est concrétisé à travers un « Appel à l’unité d’action des travailleurs et du peuple pour de nouvelles conquêtes et changer la société » et par la suite par d’importantes assemblées nationales interprofessionnelles de militants comme celle de Gardanne en mai 2021 et par des décisions d’actions, comme les marches pour l’emploi de 2020 ou encore à travers des rencontres internationales sur différents thèmes comme celui de la paix, ou du codéveloppement du bassin méditerranéen, de solidarité avec la Palestine, en relations souvent avec les initiatives de la FSM, ce qui a conduit certaines organisations à s’y affilier. Une manière de faire vivre la décision des délégués du 52e congrès de voir la CGT entretenir des relations sans exclusive avec l’ensemble du mouvement syndical mondial. Décision que la direction de la CGT s’est refusée d’appliquer.
La CGT au pied du mur devra choisir !
Sur ces deux différentes options il faut bien admettre que Philippe Martinez ne contribue pas à la sérénité des discussions. Comme il l’a fait remarquer dans une interview au journal Le Monde il n’y aurait qu’une seule manière de voir les chose, la sienne. Ou l’on est avec lui, ou l’on est contre lui. Ainsi critiquer sa position sur l’alliance « plus jamais ça » comme l’a fait le Comité Confédéral National de la CGT est assimilé à se déclarer « climato sceptique ». Proposer d’autres candidats que celle qu’il propose pour diriger la CGT c’est vouloir faire « retourner la CGT en arrière » et « se positionner en fonction d’allégeances politique ». A ce sujet, on serait tenté de lui demander de dire les choses clairement ?
Par ailleurs, il n’est pas sans signification qu’à la veille du 53e Congrès Laurent Berger fasse la proposition d’une pause ! Que faut-il répondre au moment où il faut donner un élan supplémentaire à l’action ? S’agit là d’en rabattre puisqu’il propose de remettre tout a plat et de se donner six mois de discussions. Sur quoi et pourquoi ? Que faut-il en penser au moment où Macron se propose de passer outre la réforme des retraites pour discuter de tout autre chose à partir de la même méthode que pour les retraites. Je décide vous approuvez, « circulez, y’a rien rien à voir ». En faveur de quoi sa porte serait ouverte à l’intersyndicale. Que doit dire la CGT, quand cela montre les limites de l’intersyndicale. Comment parler de pause et même de référendum, ou encore tout conditionner à la décision du Conseil Constitutionnel quand l’objectif soutenu par des millions de travailleurs c’est d’en finir radicalement et maintenant avec cette réforme inhumaine et brutale ? Faut-il discutailler sur les points et les virgules quand c’est la logique même de cette réforme qu’il faut mettre en cause. Ne retrouve t’on pas là la CFDT et l’impuissance du syndicalisme rassemblé qui semble obliger la direction de la CGT a resté silencieuse ?
« Celui qui n’a pas d’objectifs ne saurait les atteindre ! ».
Le 53e Congrès doit débattre et décider de ce qui sera orientation de la CGT pour les années qui viennent, mais aussi de quelle CGT dans sa finalité.
Son orientation générale suppose de mettre la barre au plus haut niveau de l’exigence sociale et politique afin de se donner les moyens militants et matériels permettant de « mener les luttes de classes jusqu’au bout ». Cela exige que la CGT assume totalement ce qu’elle est, c’est à dire son identité, sa liberté de parole, ses responsabilités d’orientation, son indépendance de décisions qui sont les conditions permettant la cohésion et son unité.
C’est dire combien les décisions de ce congrès sont importantes car elles touchent à ce qui fait la singularité du syndicalisme CGT à sa relation au riche patrimoine des valeurs du mouvement ouvrier français et international. C’est sans doute aussi pourquoi dans sa singularité elle demeure comme une sorte d’anomalie aux yeux d’institutions, de gouvernements de syndicalistes comme de politiciens, fidèle à l’histoire et à l’image de ce peuple rebelle qui le demeure. « La France n’est-elle pas le pays ou les luttes de classes se mènent jusqu’au bout ? »
Il y a donc besoin de conjuguer cette formidable mobilisation sociale d’aujourd’hui avec les débats du 53e Congrès. D’autant que beaucoup de travailleurs, de jeunes, veulent comprendre, savoir, débattre, se prendre en charge afin de mieux assumer leurs responsabilités dans la lutte. Il faut dans ce cadre encourager le renforcement de la CGT et de toute cette génération de jeunes militants et dirigeants de la CGT dont la combativité et la clairvoyance sont impressionnantes. Il y a des attentes, des disponibilités, il faut y répondre afin de mieux éclairer les objectifs d’une lutte qui a tout à voir dans sa radicalité avec ce que doit être la stratégie indépendante d’une organisation syndicale de lutte de classes comme doit le demeurer la CGT.
C’est dire l’ampleur de la tache que vont devoir assumer les délégués du 53e Congrès de la CGT. Si il existe des risques et des obstacles il y a aussi les opportunités, de surcroit dans un monde qui change vite ! L’alternative existe ! Il doit y avoir aussi une ambition pour un syndicat comme la CGT qui doit préserver ses règles de vie fraternelles dont il faut être fier. La période présente est une formidable leçon de choses, elle démontre que rien ne peut se faire sans les travailleurs dans leur vie professionnelle parce qu’ils ont les seuls producteurs de richesses, comme dans leurs luttes car ils sont les seuls en dernière analyse capables d’orienter le combat en fonction des intérêts du plus grand nombre, les seuls capables aussi d’ouvrir une alternative en faveur de l’émancipation du peuple tout entier. C’est bien pour toutes ces raisons qu’ils ont besoin d’une CGT fidèle aux principes de classes qui sont les siens.
Jean-Pierre PAGE