Par Georges Gastaud et Fadi Kassem
Catapulté au zénith des sondages par les médias de l’oligarque Vincent Bolloré (C News, Editis, etc.), discrètement sponsorisé par plusieurs ténors de la haute banque, l’omniprésent Zemmour rivalise déjà avec Marine Le Pen en matière d’intentions de vote présumées : que sera-ce quand il sera officiellement candidat à la présidence de la République ? En scénarisant ce ténébreux personnage sorti du néant, les états-majors de la haute bourgeoisie et leur fidèle créature politique, Emmanuel Macron, comptent sur-verrouiller la présidentielle déjà fortement cadenassée. Leur objectif de classe n’en est que plus transparent : enterrer toute espèce d’alternative populaire, précipiter et parachever en cinq ans l’euro-dissolution de la France (ces « États-Unis d’Europe » pilotés par Berlin et arrimés à Washington qu’adule la fausse gauche atlantiste…) et poursuivre en toute sérénité la préparation du « conflit de haute intensité » (froidement annoncé par le nouveau chef d’état-major des armées françaises aligné sur l’U.E./O.T.A.N) à l’encontre des peuples russe et chinois. Malgré son pathos sur ses « valeurs républicaines », la ploutocratie qui nous dirige semble désormais déterminée, si les rapports de forces socioculturels le lui permettent enfin, si Macron et ses clones LR lui semblent impuissants à mater le mouvement populaire (cf. la crise des Gilets jaunes) et que tel soit le prix à payer pour domestiquer définitivement le peuple français, à franchir un bond qualitatif déshonorant dans la fascisation en marche du pays. Ce qui signifierait que les représentants les plus décomplexés de l’oligarchie, ceux qui ont déjà ouvert à répétition les colonnes de Valeurs actuelles à des généraux factieux rêvant de coup d’État, ceux qui autorisent des manifs policières incendiant l’institution judiciaire à deux pas du Palais-Bourbon, n’excluent pas de déclencher, si les circonstances s’y prêtent – police radicalisée, médias du système et officiers fascisants aidant – une guerre civile ouverte contre le « séparatisme musulman ». Sous ce cri de guerre codé susceptible de fédérer toute la réaction, de l’ultra-réactionnaire Éric Ciotti aux inspirateurs macronistes de la loi Castaner, il s’agirait en réalité d’une offensive frontale contre l’ensemble du mouvement populaire. Pas, seulement contre les quartiers populaires et les travailleurs immigrés, mais aussi contre les Gilets jaunes, les syndicalistes de classe et, bien entendu, l’ensemble des progressistes, militants franchement communistes en tête.
Bien que mené aux cris de « Vive la France! », un tel assaut frontal signifierait aussi la mort déshonorante de notre pays déjà gravement fissuré. Car qui peut douter que le basculement de notre pays, celui de Rabelais et Montaigne, de Descartes et Molière, de Diderot et d’Alembert, de Hugo et Zola, du Front populaire antifasciste et du CNR, dans la xénophobie d’État la plus glaireuse sur fond de marche à l’euro-dislocation, ne mette un point final boueux à notre histoire multiséculaire ? Quel triomphe culturel, au sens gramscien de cet adjectif, pour la réaction mondiale que d’obtenir enfin la peau – pire, le reniement sous emballage tricolore certifié ! – de la nation frondeuse qui ouvrit la route des révolutions bourgeoises démocratiques, qui donna vie au premier parti communiste de l’époque moderne (la Conjuration des Égaux de Babeuf), qui enfanta le premier pouvoir prolétarien de l’histoire (la Commune), après avoir déjà réussi à détruire la Grèce, conceptrice de la démocratie ; sans parler du pays d’Octobre 17 et de Stalingrad sapé par les efforts convergents de la contre-révolution interne et des croisades antisoviétiques à répétition ?
Il est également clair que, dans cette hypothèse, une bonne partie de la fausse gauche bobo, qui passe son temps à pourfendre le communisme, à moquer les cégétistes « ringards », à diaboliser la Russie « postcommuniste » et la Chine populaire, à exalter une « construction » Maastricht honnie par les peuples, serait elle aussi écrasée, le moment venu, par le monstrueux engrenage réactionnaire que la caste dominante s’efforce de lancer en s’imaginant, illusoirement comme toujours, pouvoir contrôler jusqu’au bout la « Bête immonde » enfantée par la crise profonde de la société capitaliste. Avis aux intellectuels suicidaires qui, en pleine fascisation de l’Europe et de la France, n’auront pas trouvé une minute pour condamner la scandaleuse résolution néo-maccarthyste qu’a adoptée le Parlement européen quasi-unanime le 19 septembre 2019 : un texte d’union sacrée anticommuniste, qui a fédéré tous les eurodéputés (hormis les eurodéputés « insoumis ») de Bardella à Glucksmann en passant par Loiseau et Jadot, qui criminalise le communisme historique à l’égal du nazisme et qui assimile sans honte le Troisième Reich génocidaire à son principal vainqueur militaire, l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques.
Avec la candidature extrémiste affichée du néo-pétainiste Éric Zemmour, l’oligarchie capitaliste se donne ainsi les moyens de resserrer encore davantage l’étau dans lequel elle broie le peuple de France en le forçant à « choisir » – lui qui, dans sa masse, n’aspire qu’au rétablissement de la souveraineté nationale et populaire (cf. le « Non » trahi du 29 mai 2005) – entre Macron, le vibrionnant représentant de l’ultra-européisme atlantique, et l’un des pires représentants de la réaction sociale, politique et idéologique : entre les ténébreux Zemmour et/ou Marine Le Pen, et les candidats d’allure plus « lisse », les Barnier, Pécresse, X. Bertrand, c’est à qui, sur injonction de l’UE, promet de repousser le plus loin possible l’âge légal du départ en retraite !
Dans ces conditions, la question est d’abord de saisir la signification de classe profonde de la pré-candidature Zemmour. Il faut comprendre les racines sociopolitiques de cette crépusculaire conjoncture politique qui permet à un semeur de guerre de religions et de « choc des civilisations » prêt à nous renvoyer en deçà de l’Édit de Nantes, à un aventurier médiatique plusieurs fois condamné pour incitation à la haine raciale, à un personnage sorti du néant dont le parachutage réussi dans la précampagne présidentielle fait injure à notre héritage universaliste, de postuler à la direction générale des affaires de la bourgeoisie française. La question est aussi de savoir s’il ne s’agit là que d’une bulle spéculative médiatique, comme essaie encore de s’en persuader Le Pen. À noter qu’entre elle et Zemmour, il n’y a qu’une différence tactique puisqu’elle propose déjà à son rival d’extrême droite, s’il s’efface devant elle, de devenir son premier ministre dans l’hypothèse où elle accèderait à l’Élysée. La question est enfin de savoir comment s’y prendre pour briser la spirale réactionnaire venue de loin qui aspire la France dans le double trou noir intriqué de l’euro-dislocation et d’une fascisation néo-versaillaise et néo-vichyste que les théoriciens en chambre d’une certaine « gauche radicale » continueront encore longtemps de dénier quand ils auront tout loisir d’en débattre dans un cul de basse fosse partagé avec les vrais antifascistes qui les y auraient précédés…
I – DE LA SIGNIFICATION DE CLASSE PROFONDE DE LA CANDIDATURE ZEMMOUR
Provisoirement occulté par la pandémie et par la manière machiavélienne dont Macron l’a exploitée pour opposer à coups de « passe sanitaire » les partisans et les adversaires de tel ou tel vaccin, s’affirme un processus sociopolitique de fond que méconnaissent pour l’essentiel les « politistes » bourgeois hypnotisés par les querelles électorales : depuis longtemps venue à maturité en France, la crise politique, institutionnelle et sociale est devenue explosive et les oligarques politiquement actifs le savent autant que nous. Suivies par une part croissante des couches moyennes en voie de précarisation, voire de prolétarisation massive, les classes populaires surexploitées ou reléguées se détachent du dispositif institutionnel bloqué de la Vème « République » (abstention majoritaire, voire « grève du vote » ultra-majoritaire des catégories populaires). Notamment, on voit les travailleurs, en particulier la classe ouvrière (ouvriers et employé(e)s), rejeter la « construction » européenne (80% des ouvriers ont dit Non à l’euro-constitution en 2005). Les têtes pensantes du capital, qui ont tremblé au début du mouvement des Gilets jaunes, pressentent aussi qu’une jonction dans la rue et la grève des syndicalistes de classe, des « gilets jaunes » et des militants politiques de la République souveraine et sociale, produirait certainement dans notre pays, et peut-être très au-delà de l’Hexagone, une onde de choc aux effets imprévisibles pour la domination capitaliste. Les intellectuels organiques de la grande bourgeoisie – les Attali et autre Alain Minc, ou avant eux le défunt Jacques Marseille, prédicateur d’une « salutaire » nouvelle guerre civile française –, qui relisent tous fébrilement Marx, Lénine et Gramsci, savent parfaitement que « lorsque ceux d’en haut ne peuvent plus gouverner comme avant tandis que ceux d’en bas ne veulent plus être gouvernés comme avant, alors s’ouvre une période de révolutions » (Lénine). Et c’est cela que signifie, en profondeur, historiquement et politiquement, la séquence frondeuse qui a marqué notre pays depuis le Traité de Maastricht (1992), adopté de justesse (51% des voix) et rapidement suivi par les grandes grèves de décembre 1995, le Non à la constitution européenne (mai 2005), l’abstention de masse (y compris désormais aux municipales, et peut-être même à la prochaine présidentielle ?), le soulèvement réprimé dans le sang des Gilets jaunes, sans oublier l’émergence plus récente d’une contestation de classe rouge à l’intérieur de la CGT (notamment l’adhésion d’un nombre croissant de structures syndicales rompant avec la C.E.S. pro-Maastricht et ralliant la Fédération Syndicale Mondiale « rouge »).
Les principaux augures bourgeois comprennent aussi que la pandémie n’a fait qu’ajourner, voire à certains égards, qu’elle a sans doute précipité la « grande explication » qui vient entre les deux France : la France, ou plutôt l’anti-France « d’en haut », qui gravite autour des monopoleurs du CAC-40, des expatriés fiscaux et de l’économie parasitaire destructrice de l’emploi productif et centrée sur la « comm », la « pub » et la finance ; et la France « d’en bas », que compose le bloc potentiel formé par la classe travailleuse et les couches moyennes non monopolistes : cadres salariés, petits entrepreneurs indépendants de la ville et du monde rural, auto-entrepreneurs oscillant entre le salariat et le petit patronat, etc. Les consultants politiques du grand capital et autres « conseillers du Prince » le savent : la partie la plus terrible du plan d’ajustement structurel destiné à aligner la République française moribonde (cet État impérialiste, mais qui n’en est pas moins marqué par les luttes populaires et par l’impact historique de l’ancien PCF, et que la bourgeoisie désigne par l’expression méprisante « exception française ») sur les normes régressives de l’Empire euro-atlantique émergent centré sur Berlin et supervisé par Washington, n’est pas derrière nous, mais devant nous. Il s’agit de l’arasement final des retraites par répartition et de la Sécu (fondées en 1946 par Croizat sur des bases de principe… communistes), des statuts publics institués par Maurice Thorez (ministre d’État de 1945 à 1947), des conventions collectives nationales, de ce qui reste du Code du travail, des services publics à la française, de l’Éducation nationale, du CNRS, de l’Université à la française et du secteur industriel public ou semi-public (EDF, SNCF, Renault, etc.), sans oublier le déclassement massif du prolétariat en col bleu et en blouse blanche, voire d’une bonne partie du nouveau prolétariat intellectuel, profs précaires, voire statutaires en tête. À quoi s’ajoute, plus structurellement encore dans la mesure où il y va de ce que Gramsci appelait l' »hégémonie culturelle », le basculement de notre pays au tout-anglais managérial (avec d’énormes effets déstabilisants prévisibles sur le monde du travail et la jeunesse populaire), la substitution d’euro-Länder – dites « Grandes Régions » – à la « République une et indivisible » héritée d’une tradition centraliste très antérieure au jacobinisme. Tout cela sous l’épée de Damoclès des énormes chocs systémiques aggravants (économiques, environnementaux, voire mondialement guerriers) que comportera forcément, une fois la fragile « reprise » post-épidémique passée (si du moins l’épidémie s’estompe malgré sa chaotique gestion capitaliste mondiale), la crise systémique du capitalisme mondialisé, financiarisé et dérégulé. Une crise pire encore, étant donné la sénescence historique du système et la masse énorme du capital spéculatif disponible, que celles de 2008.
Enfin, les idéologues du capital constatent, non sans amertume, que l’euphorique période qui a suivi la contre-révolution en RDA et en URSS (1989-1991), ce moment de « divine surprise » qui a catalysé la re-mondialisation de l’exploitation capitaliste et la consolidation de l’UE maastrichtienne élargie à l’Est, est terminée : impossible désormais de croire aux vaticinations anticommunistes bouffonnes sur la « fin de l’histoire », la « mort du communisme » et la « mondialisation heureuse » (A. Minc). D’autant plus qu’en Russie, le Parti communiste (PCFR) est redevenu la principale alternative à Poutine, que la masse des Russes sondés regrette ouvertement l’URSS, que – quoi que l’on pense du « socialisme de marché » chinois – le récent centenaire du PCC et le discours fortement gauchi de Xi Jinping ont remis le marxisme au centre de l’attention de milliards de téléspectateurs. En Inde, les deux partis communistes ont récemment dirigé des grèves mobilisant des centaines millions de personnes contre le fascisant Modi, tandis qu’en Amérique latine, la gauche, un moment ébranlée par les assauts furieux de Trump, repart à l’offensive (Pérou), et que Cuba et d’autres pays de l’ALBA ont répliqué à la réaction interne et résisté au siège affameur non déclaré conduit par les États-Unis. Aux États-Unis mêmes, la stabilité politique est ébranlée comme l’ont montré la transition chaotique entre Trump et Biden et comme l’atteste plus encore le fait que le mouvement gréviste de la classe ouvrière états-unienne renaît* ; de plus, des millions de jeunes Américains s’intéressent désormais, fût-ce sous une forme quelque peu « décaféinée », à ce que Bernie Sanders ose appeler le « socialisme ». Bref, il se peut fort que, pour le capitalisme mondialisé (que son phagocytage du camp socialiste ne pouvait longtemps sauver de ses contradictions), le temps de rendre des comptes soit revenu malgré l’apparence de force du système et du superprédateur états-unien. Surtout si parviennent à émerger à temps de nouvelles avant-gardes communistes organisées – c’est-à-dire des partis communistes de combat – faisant le lien entre ce mode de production de plus en plus irresponsable et proprement exterministe, et la casse environnementale géante de la planète.
Tout cela vaut au carré pour l’actuel État français, cet « homme malade » de la « construction » euro-atlantique : cet État bourgeois clairement décadent subit en effet échec sur échec sur le terrain international. Il se voit peu à peu expulsé de son ex-pré-carré africain que l’armée française ne parvient plus à ‘tenir’. Ladite armée et sa Marine sont désormais « marquées à la culotte » sur terre et sur mer par la Turquie d’Erdogan, via ses croiseurs et ses djihadistes subventionnés. En Australie, comme l’a montré le torpillage de la vente des sous-marins français négociée par Le Drian, Macron vient d’être humilié par l’alliance secrète formée par le trio félon Washington-Londres-Canberra : ce cartel anglo-saxon totalement entend bien diriger sans partage la confrontation armée avec la Chine déjà engagée dans l’Indo-Pacifique, et dans cette triste affaire, Paris s’est sèchement vu signifier qu’il n’aurait d’autre statut que celui d’un lointain valet d’armes de l’US Marine. Et en privant au plus tôt l’impérialisme maritime français (désormais dépourvu d’une solide base « nationale » arrière par le délitement maastrichtien de l’Hexagone) de ses ultimes bases territoriales ultramarines, qu’elles soient indo-pacifiques ou caribéennes.
Dans ces conditions, l’intelligentsia oligarchique, qui connaît ses classiques et les nôtres, ne peut manquer de penser à la forte remarque formulée par Marx dans son étude classique du bonapartisme : « la France est le pays classique des luttes de classes menées jusqu’à leur terme« . Le pays notamment des révolutions plébéiennes, voire prolétariennes radicales, comme celle que menèrent ensemble les Sans Culotte et les Jacobins en l’An II, ou comme la révolution de 1848 ou la Commune de Paris ; mais le pays aussi, hélas, si les privilégiés supérieurement organisés prennent le dessus, de la répression impitoyable s’abattant sur les classes populaires. Quitte, pour les classes dominantes à se subordonner à des puissances étrangères comme sut le faire, sans parler de Pétain se soumettant à Hitler, le chef versaillais Adolphe Thiers, pour saigner à blanc le prolétariat parisien avec l’appui du Chancelier prussien Bismarck.
Telle serait alors la fonction de classe, tout à la fois liberticide, antisociale et antinationale, malgré le revêtement tricolore de ce broyeur historique, de la fascisation en marche ; car elle ne se substitue nullement à l’euro-dislocation de la France, qu’elle soit incarnée par Macron, par Valérie Pécresse, la promotrice acharnée du tout-anglais en Île-de-France, par le très fade sarkozyste Xavier Bertrand ou par l’eurocrate retraité Michel Barnier, le « gaulliste » favori de Bruxelles. Ladite fascisation a pour mission de classe de « couvrir » idéologiquement l’euro-délitement programmé de la France, et au besoin, de le garantir militairement par l’usage décontracté de la violence de classe : la chose a déjà commencé avec la nomination par Macron du très brutal préfet Lallement à Paris. De même que, symétriquement, la construction euro-atlantique et ses flanc-garde social-maastrichtiens (la cohorte des pleureuses de l' »Europe sociale ») ou libéral-européistes n’offrent aucune alternative progressiste à la fascisation ; au contraire, ils lui fournissent, à coups de directives européennes dictatoriales, arrogantes et destructrices, l’intarissable carburant antisocial et liberticide de la fascisation.
Bien entendu, nous n’en sommes pas (encore ?) au « moment fasciste » proprement dit : nous ne parlons pour l’heure que de fascisation, ce processus de dégénérescence autoritaire encore immanent à la démocratie bourgeoise. L’heure n’est pas (encore) au fascisme conçu stricto sensu, ce brutal saut qualitatif hors de la démocratie bourgeoise dont rêvent déjà à voix haute certains gradés de l’armée et de la police cajolés par Valeurs actuelles et par M. Castaner. Pour autant, les objections pédantesques qui nous sont parfois faites pour nier la fascisation ont tôt fait de voler en éclats si l’on analyse les choses, non pas à partir de savantissimes définitions abstraites, mais, comme il se doit pour des marxistes, dans leur mouvement et à partir des antagonismes de classes. Sans être encore le fascisme, comme l’avait démontré Dimitrov dans le magistral rapport qu’il prononça en 1935 devant l’Internationale communiste, la fascisation interne de la démocratie bourgeoise porte en germes (« en puissance » eût dit Aristote) ce dont le fascisme proprement dit, cette « dictature terroriste des éléments les plus réactionnaires du grand capital », est l’aboutissement sanglant et le « passage à l’acte » dans des conditions de radicalisation des antagonismes et d’usure politique intense d’une république bourgeoise discréditée. Pas encore fascistes, les moments politique Zemmour ou Le Pen, sans parler des « hommes forts » et autres « femmes puissantes » que secrète en permanence le Parti Maastrichtien Unique ? Mais qui prendrait le risque fatal de nier que ces personnages sans limites morales claires, ne demandent qu’à devenir ou mieux, qu’à se révéler fascistes (y compris à leurs propres yeux !) tels ces insoupçonnables démocrates-chrétiens chiliens qui soutinrent le putsch de Pinochet par haine de l’Unité populaire, si la lutte des classes se durcit et que le moment vient pour la réaction, non plus seulement d’éborgner quelques Gilets jaunes, mais d’occuper militairement les quartiers populaires en révolte, de tirer sur des grévistes « rouges » bloquant une raffinerie ou sur des Gilets jaunes arpentant les Champs-Élysées ?
Pour sortir de la scolastique politologique et pseudo-historienne, cessons de nous demander si Zemmour, l’admirateur patenté de Vichy, coche toutes les cases de la définition académique que les doctes ont extraite, sans en comprendre l’essence de classe, de leur analyse purement idéologique du fascisme italien ou du nazisme teutonique (comme si les formes, mais non l’essence, du fascisme et de la fascisation variaient moins dans l’espace-temps que ne varient les formes de bonapartisme, de révolution, de contre-révolution !). Demandons-nous plutôt ce qui se passerait concrètement si Zemmour ou tel autre de ses rivaux ou rivales de l’ultra-droite s’installait à l’Élysée, commençait à appliquer son programme socialement et « ethniquement » provocateur et qu’il se retrouvât alors très vite, comme il pourra même « y aider » quelque peu pour prouver sa poigne à la bourgeoisie, face à une rébellion populaire ne serait-ce que partielle, du monde du travail, de la jeunesse estudiantine ou des quartiers ghettoïsés ? Qui pense sérieusement qu’alors, cet individu ou ses pareils, qui cachent de moins en moins leur indifférence teintée d’hostilité envers la République, rentrerait alors dans sa niche idéologique comme le ferait un gentil démocrate bourgeois à l’ancienne… alors que toute la réaction, médias oligarchiques en tête, se mettrait sur le champ à hurler à la mort, comme le firent invariablement dans notre histoire les grands bourgeois apeurés à chaque confrontation de classe tant soit peu large avec le mouvement ouvrier ? Pour qui en douterait, il suffit de consulter les Unes anti-rouges fanatisées du Point au court du mouvement de 2016 contre la loi El Khomri : ce n’était qu’un cri de haine lancinant contre la CGT comparée à… Daech!
Bref, toute prise en compte concrète des conditions concrètes de l’affrontement de classes à venir ridiculise d’avance les « raisons », pétries de sophistique, d’académisme ou de veulerie, qui conduisirent en 1976 la direction eurocommuniste avant la lettre du PCF, hélas suivie docilement par la masse des adhérents, à rayer de ses statuts le concept marxiste-léniniste stratégique de dictature du prolétariat**** sous prétexte, principalement, que, « à notre époque », le passage par la violence de classe était pour l’essentiel sorti de l’agenda historique…
II – BULLE MÉDIATIQUE OU LAME DE FOND RÉACTIONNAIRE ?
Il serait certes rassurant de s’imaginer que le phénomène Zemmour ne relève que de la « gonflette » et que la bulle médiatique aura tôt fait de crever dès que l’on entrera dans le « dur » de la campagne. Certes, nul ne sait ce que deviendra cette pré-candidature coup-de-poing quand la droite LR aura enfin choisi son candidat présidentiel en le munissant de l’énorme force de frappe médiatique, territoriale et financière dont dispose les LR, le parti traditionnel de la réaction pseudo-républicaine. Pourtant, croire que le phénomène Zemmour n' »imprimera pas » et ne laissera pas de traces, ce serait faire litière de deux données majeures de la vie politique internationale et française.
À l’échelle du monde euro-atlantique, on voit en effet la vie politique des milieux bourgeois se restructurer largement de part et d’autre d’une ligne de fracture qui, partie comme il se doit des États-Unis d’Amérique, cœur de l’impérialisme mondial, oppose presque partout le camp prétendument « progressiste » (incarné successivement par les présidents « démocrates » Clinton, Obama et Biden) au camp « conservateur » personnifié par Trump (et avant lui par les « républicains » va-t-en-guerre Reagan et Bush). Ces deux « camps » incarnent tous deux des fractions de classe de l’impérialisme et du capital monopoliste, même si le camp ultralibéral et populiste de Trump « mord » surtout sur le petit patronat, sur le monde rural à l’abandon et sur le prolétariat déclassé des métropoles désindustrialisées ; alors que les « démocrates » s’appuient plutôt, y compris en France, sur les cadres salariés et sur les « start-upers » américanisés des grandes villes (la fonction idéologique de cette couche sociale psychanalysée par Clouscard est sans doute plus importante, soit dit en passant, que ne l’est son apport réel au progrès des forces productives utiles à l’homme…). En un sens, on n’est pas très éloigné de l’affrontement qui opposait jadis, dans la République romaine finissante puis dans le régime impérial romain naissant, les optimates (le parti des super-riches de l’époque : la « classe sénatoriale ») aux populares, le parti de Jules César qui, bien que riche aristocrate lui-même, courtisait la plèbe romaine déclassée et désoccupée. Comme on sait, ces deux partis rivaux mais non moins impérialistes et esclavagistes l’un que l’autre, se réconciliaient du reste pour opprimer les « provinces » de l’Empire romain, tenir les femmes en sujétion et exploiter une masse d’esclaves accomplissant gratuitement les travaux les plus durs.
Il existe donc bel et bien une base de masse importante, dans nos pays impérialistes largement désindustrialisés, et peut-être plus encore dans une France où l’arrachage de la grande industrie, la privatisation du secteur public et la relégation de la petite paysannerie ont été systématiques depuis les années Giscard-Mitterrand, de quoi fonder un grand parti populiste de droite, analogue du « parti républicain » américain, haïssant le mouvement ouvrier (c’est-à-dire le moderne parti anti-esclavagiste) et traitant les « musulmans » – les travailleurs musulmans, pas les émirs qatari qui s’offrent de grands clubs « français » de foot ou de basket – comme les boucs émissaires idéaux d’une liquidation de la nation s’opérant sous le paravent… nationaliste. En un mot, distraire les masses avec le fantasme d’un « grand remplacement » de la race blanche de culture catholique par des hordes d’envahisseurs basanés, tandis que s’opèrera en catimini la grande substitution bien réelle du contre-modèle anglo-saxon aux acquis de la Résistance, de l’Empire européen des régions à la nation républicaine démantibulée, et du tout-globish des affairistes à l’ex-langue constitutionnelle d’une République française flanquée aux orties.
Et de ce point de vue, le lancement à grande échelle de la marque Zemmour répond à un vieux projet de la bourgeoisie : en complément du « bloc bourgeois » libéral-européiste et mâtiné de social-libéralisme représenté par Macron (ex-ministre du « socialiste » Hollande), occuper et déminer à la fois l’espace de la contestation populaire et plébéienne en mettant en place l’équivalent hexagonal du Tea Party en dégageant à la fois le RN et la droite classique des LR, depuis longtemps en rupture de gaullisme. En réprimant aussi durement les communistes restés euro-critiques et les cégétistes tentés par un retour au syndicalisme de classe : car sans cette répression, comment « blinder » l’hégémonie réactionnaire bourgeoise sur le futur parti national-populiste ? La mise en place d’un tel parti populiste néo-versaillais, voire néo-vichyste, était déjà le projet hégémonique avoué de Marion Maréchal-Le Pen, laquelle ne cachait pas sa volonté de fédérer toute l’ultra-droite et d’absorber à la fois le FN et les LR dans un grand parti réactionnaire « populaire » ne contestant en rien l’UE, et pas davantage en réalité, ces autres totems capitalistes que sont l’euro, l’Alliance atlantique, la marche au tout-anglais, les euro-privatisations, le démontage total du système social mis en place par les ministres communistes de 1945-47, la démolition de la fonction publique et de l’Éducation nationale détestées. Tant pis et tant mieux si une telle recomposition, dont Zemmour aspire à devenir le fédérateur, oblige à marcher sur les pieds de Marine Le Pen : en effet, le pari électoral du FN en voie de « dédiabolisation » était jusqu’ici, pour capter l’ex-électorat prolétarien, socialiste et communiste du Nord et d’ailleurs, de promettre la retraite à 60 ans, voire certaines nationalisations. Avec Zemmour, plus question pour la grande bourgeoisie de prendre des risques de ce côté, même si Le Pen n’a cessé depuis cinq ans de flouter l’ensemble de ses propositions sociales tout en réaffirmant sa volonté de rester dans l’UE, l’euro et l’espace Schengen. Zemmour n’a pas besoin, lui, de rassurer le bourgeois en lui faisant force clins d’œil : il met directement les pieds dans le plat avec un programme brutalement antisocial (retraite à 64 ans entre autres, pour commencer) qui ne peut qu’enchanter à la fois Jean-Marie Le Pen (qui se définissait comme le « Reagan français ») et la droite dure LR représentée par Ciotti.
Cependant, pour aller au-delà du descriptif des rapports de forces électoraux immédiats, encore faut-il comprendre la manière dont, depuis le milieu des années 1970, le spectre politique français s’est décalé de proche en proche du rouge au bleu marine, et maintenant carrément au brun, non pas initialement sous les coups de boutoir de l’extrême droite (toute l’extrême droite, sortie discréditée de la Seconde Guerre mondiale, ne dépassait pas alors 1% de l’électorat !), mais, trois fois hélas, du fait des manipulations sordides de Mitterrand et des capitulations successives des dirigeants révisionnistes du PCF. En effet, ces derniers se sont alors délestés, sous l’effet des campagnes antisoviétiques et à l’occasion d’une triste suite de congrès liquidateurs (pardon, « novateurs »…) de leurs références fondatrices à la dictature du prolétariat, au marxisme-léninisme, à l’internationalisme prolétarien, à la classe ouvrière, au centralisme démocratique, au socialisme et à la socialisation des moyens de production eux-mêmes. Durant cette longue période de suicide politique à petit feu, le PCF a participé par deux fois, de 81 à 84 (gouvernement Mauroy) puis de 97 à 2002 (« gauche plurielle » dominée par Jospin), à des gouvernements sociaux-démocrates de marche à l’Europe supranationale, de guerre impérialiste (notamment contre la Yougoslavie), de privatisation générale du secteur public, de mise en place du « franc fort » et de l’euro, en un mot, de démoralisation et de désorganisation générale du mouvement ouvrier. Il est facile de comprendre que cette décommunisation assumée du PCF, qui est allé jusqu’à soutenir d’enthousiasme de 86 à 91 l’énorme supercherie thermidorienne et liquidatrice du gorbatchévisme, n’a pu que faciliter la manœuvre classique de la social-démocratie : à la faveur d’une union de la gauche dominée par le PS, Mitterrand a réussi à capter sans contrepartie l’électorat communiste pour le mettre peu à peu à la remorque du virage européiste, atlantiste, ultra-européiste et entrepreneurial du PS, le « florentin » Mitterrand ne se faisant pas faute d’appuyer en sous-main le lancement médiatique du FN pour diviser la droite tout en occupant l’espace populaire déserté et en offrant au « peuple de gauche » un substitut au combat anticapitaliste déserté v par la social-démocratie.
Miraculeusement délestée du PCF léniniste en France et de l’URSS à l’extérieur, la social-démocratie a alors pu, comme elle le faisait tranquillement à l’époque de la SFIO et de la « Troisième force », se recentrer, se social-libéraliser et privatiser à tour de bras l’économie : ce qui fut fait sous Jospin avec la complicité de Gayssot, ministre des Transports, de Buffet, ministre du Tour de France, et de Michelle Demessine, secrétaire d’État au Tourisme (on n’achète pas le PCF « rénové » pour grand-chose) qui avait alors pour chef de cabinet… Fabien Roussel. Mais quand les « socialistes » encensent le MEDEF, comme ce fut le cas de Delors à Manuel Valls, comment la droite classique, « gaulliste » ou « libérale », ne dériverait-elle pas à son tour vers l’extrême droite, celle-ci jouant alors le rôle du point de fuite perspectif général de ce brunissant tableau ? Et si la clé de la droitisation galopante de l’éventail politique français ne se trouvait pas tant à l’extrême droite raciste, qui est plutôt le nauséeux réceptacle de toutes les dérives, qu’à gauche et qu’à l’extrême gauche du spectre ? Plus précisément, dans les dérives eurocommunistes (de plus en plus d’euro, de moins en moins de communisme !) qui transformèrent le grand PCF marxiste, ouvrier et patriote de Duclos et d’Ambroise Croizat, en l’actuel PCF-PGE démarxisé et subventionné par l’UE via la Gauche Européenne ? Et plus encore bien entendu, dans ce PS hypocritement « anticapitaliste » mais réellement antisoviétique et ultra-atlantiste qui tourna ouvertement le dos, dès 83 (tournant de la rigueur, en réalité, de la marche à l’euro sous la conduite de l’eurocrate Delors) aux bribes « sociales » d’un programme commun de la gauche qu’il n’avait appliquées, très partiellement et provisoirement, que pour siphonner l’électorat communiste ?
Bien entendu, il faudrait aussi, à l’origine du décalage vers le brun/bleu-marine du spectre politique français, ne jamais perdre de vue aussi l’énorme campagne anticommuniste mondiale qui fut menée dans tout le monde occidental après la victoire historique du peuple vietnamien, ainsi que le dépeçage en règle des bases industrielles, donc ouvrières, françaises entrepris dans la hâte, en coopération avec l’impérialisme allemand, par les Giscard et autres Mitterrand (textile, mines, sidérurgie, automobile, télématique, etc.) à l’encontre de ce prolétariat français historiquement rouge qui avait entrepris en mai-juin 68 la plus grande grève de masse de l’histoire européenne.
Cela dit, le peuple lui-même, et tout particulièrement la classe travailleuse actuelle dans sa diversité, n’ont guère le loisir, eux, de dériver vers la sanctification du Saint Patronat, de l’irréprochable Police et des « Racines chrétiennes de la France » au rythme endiablé qui caractérise son Établissement politico-électoral. Quelles que soient les acrobaties idéologico-« culturelles », c’est le peuple travailleur qui trime dur, à l’usine, dans les champs, dans les chantiers, dans les plateformes logistiques, dans les bureaux, à l’hôpital, dans l’école publique en crise, avec toute la journée des « managers » sur le dos (les salariés français sont les plus productifs d’Europe !) et des salaires à peine suffisants pour recommencer le lendemain. C’est le peuple travailleur qui part de plus en plus tard à la retraite avec des pensions de plus en plus miteuses. Lui encore qui dégringole de l’emploi stable, celui qui permet de fonder une famille et de vivre une vie pas trop malheureuse, vers l’emploi précaire, le logement hors de prix, les périphéries inhumaines dénuées d’espace vert et de services publics, l’hôpital public explosant à la première épidémie venue, ou vers le chômage massif vite synonyme de Restos du cœur (de moins en moins subventionnés), la variante coluchienne de la soupe populaire. Alors, même si certaines fractions du peuple – désormais privé d’avant-garde politique et de confédérations syndicales euro-affranchies par les dérives parallèles des hauts appareils PCF et CGT – se laissent happer par la démagogie haineuse des Ciotti, Wauquiez, Sarkozy et autres Zemmour et Le Pen, même si certaines de ses fractions, notamment dans la jeunesse gavée de globish, se rêvent en citoyens nord-américains bas de gamme, le peuple travailleur ne s’est pas envolé. Dès que l’occasion se présente, ouvriers en tête, il vote massivement « Non » à la constitution européenne, boycotte majoritairement les scrutins pipés, dé-légitimant ainsi le dispositif pipé de la bourgeoisie. Il occupe aussi les ronds-points, revêtu du gilet jaune, fait échec au Contrat nouvelle embauche en bloquant les lycées. C’est lui dont les fractions « rouges » les plus avancées se retrouvent aux avant-postes malgré les gazages et les nassages policiers de Valls, Cazeneuve ou Castaner, dans les manifs combatives pour la défense des retraites. Mieux encore : malgré le battage anticommuniste et antisoviétique permanent des médias et les cours d’histoire très orientés de l’ « école républicaine », malgré la censure rigoureuse dont le PRCF et d’autres sont l’objet, malgré la contrefaçon édulcorée et culpabilisée que la direction du PCF présente comme le communisme « modernisé », des jeunes de plus en plus nombreux et dynamiques rejoignent les militants franchement communistes en vérifiant la juste remarque de Marcel Paul, pupille de la Nation, ouvrier communiste et déporté-résistant héroïque, qui fonda Électricité de France en 1946 au retour des camps de la mort : « il existe en France un noyau révolutionnaire indestructible ». Et c’est d’autant plus important que, à l’échelle internationale comme nous l’avons vu, le PC russe est devenu la principale alternative à Poutine, qu’en Chine, le magistère de Xi Jinping marque un net infléchissement vers la gauche, qu’en Inde, les communistes viennent de diriger la grève la plus importante de l’histoire humaine, que Cuba n’a pas plié devant le siège en règle dont Trump l’a accablée et qu’au Chili, c’est le PCC qui dirige la contestation populaire de la Constitution héritée de Pinochet.
Bref, nous ne revivons pas encore peut-être le temps des révolutions ; mais nous vivons déjà celle du malaise dans la contre-révolution et de la renaissance communiste redevenant possible en France et à l’échelle mondiale.
III – FACE À LA SPIRALE RÉACTIONNAIRE, PROPOSER LE FREXIT PROGRESSISTE ORIENTÉ VERS LA RÉVOLUTION SOCIALISTE
Au fond, la dérive ultra-réactionnaire dont Zemmour et Le Pen sont l’écume grondante, tire l’essentiel de sa force d’une réalité plus profonde et moins immédiatement visible : celle des trahisons au long cours dont le faux communisme, la fausse gauche et le faux républicanisme ont fait montre durant des décennies. Non seulement en détruisant les digues idéologiques, politiques et organisationnelles susceptibles de stopper les lames de fond contre-révolutionnaires, anticommunistes, antijacobines, qui déferlaient sur la France, l’Europe et le monde ; mais en fardant de rose la contre-révolution mondiale travestie en « bouleversements démocratiques à l’Est », l’annexion grossière de la RDA rebaptisée « réunification de l’Allemagne », la construction d’un Empire européen non moins réactionnaire que la Sainte-Alliance de Metternich en marche en « Europe sociale, démocratique, pacifique et écologique ». On n’avancera pas d’un pas tant qu’on ne dénoncera pas de front ces énormes mensonges qui ont déboussolé les peuples en leur faisant prendre la réaction pour le progrès, la dictature bourgeoise pour la démocratie, les ingérences impérialistes pour des « aides » humanitaires consenties aux peuples opprimés. D’où la nécessité d’une contre-offensive idéologique permanente sur tous les terrains, politique, syndical, mais aussi philosophique, économique et historique, voire linguistique.
Sur un plan plus immédiat et plus concret, quel est le principal « ventre mou » du camp progressiste face à l’offensive ultraréactionnaire dont Zemmour/Le Pen sont aujourd’hui le nom ? C’est le fait que, parmi la totalité des candidats présidentiels présentés par des forces politiques de premier plan, PAS UN SEUL ne se revendique du Frexit progressiste. Ceux qui se réclament du Frexit tout court, comme François Asselineau, célèbrent sans réserve le Brexit de droite, en compagnie de Dupont-Aignan (qui ne veut pas du Frexit !), de Philippot (et, si elle avait répondu à l’invitation lancée par l’UPR, de Marine Le Pen ?) conduit par le très réactionnaire Boris Johnson. Quant aux autres partis, soit ils idolâtrent la « construction » européenne qui est leur seule colonne vertébrale politique (tous les présidentiables LR, Macron, mais aussi Zemmour et Le Pen jurent au public bourgeois qu’ils ne veulent pas sortir du carcan européen !), soit ils vendent à la criée, avec de moins en moins de succès, le mensonge de la « réorientation progressiste de l’euro et de la construction européenne »; comme si notre peuple et sa classe ouvrière n’avaient pas compris depuis longtemps que :
a) ces propos relèvent du boniment pur et simple,
b) la « construction » européenne a été conçue de A à Z pour que se déploie la très totalitaire « économie de marché ouverte sur le monde où la concurrence est libre et non faussée » (donc, pour forclore toute politique de renationalisation et de reconstruction industrielle française, et a fortiori, de marche au socialisme en France ou de restauration du socialisme à l’Est) ;
c) que toute modification « progressiste » des traités ne serait possible, dans le cadre de l’UE, que par l’accord unanime de vingt-sept États, tous plus néolibéraux (RFA notamment, mais aussi Europe du Nord) ou plus fascisants (Pologne, Hongrie, pays baltes…) les uns que les autres. Bref, ce slogan euro-réformiste n’est rien d’autre que du VENT que seuls des militants aveuglés par un esprit de parti mal placé qui est aux antipodes du léninisme, peuvent encore prendre pour argent comptant.
Quant à Mélenchon, ne voulant pas affronter son aile européiste (notamment l’eurodéputée Manon Aubry ou Clémentine Autain) et tout affairé à rassembler « la gauche » au premier tour (en 2017, il visait plus large : « le peuple souverain »), il fait silence sur l’UE, y compris sur l’éventualité d’un « plan B », qu’il portait encore en 2017 (« l’UE, on la change ou on la quitte ! », phrase absente pour le moment de sa campagne euro-compatible).
Reste Montebourg qui propose un référendum de souveraineté s’il est élu (réaffirmation du primat des lois françaises sur les directives européennes). Mais comme il jure par ailleurs qu’il ne veut pas sortir de l’euro et de l’UE, encore moins de l’OTAN et du capitalisme, il y a tout à parier que son futur supposé bras de fer avec Bruxelles-Berlin n’irait pas plus loin que celui du Grec Tsipras lorsqu’il dut céder face à la « Troïka » : quand on n’est pas prêt à claquer la porte et qu’on est un contre 26, dont la toute-puissante Allemagne, et derrière elle, les États-Unis et l’OTAN, on finit toujours la queue basse en facilitant le retour de la pire réaction, comme c’est aujourd’hui le cas à Athènes.
Dans ces conditions, il n’y a, ne serait-ce que par élimination, pas d' »alternative à l’alternative » que propose le PRCF. Celle d’un patient travail de reconstruction d’un véritable parti communiste de combat, d’un grand syndicalisme de classe et de masse, de la mise en place d’un large front de résistance anti-fascisation, anti-guerre, anti-UE, pour la démocratisation du pays, pour la sortie par la gauche de l’UE, pour la nationalisation démocratique des secteurs-clés de l’économie, pour la planification écologique et la réindustrialisation du pays sur la base d’un grand secteur public : en un mot, pour le Frexit progressiste, antifasciste et internationaliste sous la conduite du monde du travail ; tout cela sans crainte, ni d’affronter le grand capital, ni de remettre en perspective l’objectif du socialisme pour la France. Car ni les partis bourgeois, qui pactisent tous à des degrés divers avec la ligne de fascisation ou d’euro-dislocation du pays, ni les partis petit-bourgeois, soi-disant « communistes », « écologistes » ou « socialistes », qui pactisent tous avec la « construction » européenne sous couvert d’un « internationalisme » limité à l’UE (Lénine eût parlé à leur sujet de « social-supranationalisme »!), ne sont capables de mener cette lutte, non seulement jusqu’à la défaite complète des éléments de fascisation, Zemmour, Le Pen et Cie, mais jusqu’à la reconstruction complète de la souveraineté française, jusqu’à la mise en place d’une nouvelle constitution franchement démocratique et populaire, jusqu’à la socialisation des grands moyens de production et d’échange. Et cela, sans hésiter à construire des coopérations gagnant-gagnant avec tous les pays de tous les continents qui comprendront qu’à notre époque, les Empires ne mènent qu’à la mort, et l’heure d’œuvrer ensemble à la transition environnementale et au salut de l’humanité est venue. Ce qui ne passe pas par l’arasement des nations (sauf quelques dominantes qui privatisent pour elles seules le patriotisme ?), mais par une co-planification dont le projet forme le cœur du communisme de nouvelle génération qui, tôt ou tard, inspirera de nouveau les luttes.
CONCLUSION
C’est dans cet esprit que nous militons pour une Alternative rouge et tricolore conjuguant l’indépendantisme français, l’égalité en droits de toutes les nations et la solidarité de tous les peuples œuvrant pour la paix et la vie. Il s’agit, en un mot, de décliner la devise républicaine « liberté, égalité, fraternité ou la mort » à l’échelle de l’humanité. Contre l’euro-dislocation, contre son complément obligé, la fascisation, et en remettant au centre de la vie nationale et internationale le monde du travail : tel était déjà l’axe principal du programme du CNR intitulé Les Jours heureux.