Début janvier, les militants syndicaux et antifascistes découvraient avec stupeur, consternation et colère une fiche de formation éditée par la confédération CGT pour soi-disant combattre l’extrême droite, mais qui, en pratiquant la calomnie et des amalgames honteux à l’encontre de l’historienne Annie Lacroix Riz, divisait et désarmait le front antifasciste. Immédiatement, le PRCF via son journal initiative communiste alertait largement (https://www.initiative-communiste.fr/articles/luttes/pour-la-correction-de-la-fiche-17-qui-salie-la-cgt-et-arme-les-fascistes-et-confusionnistes-en-sen-prenant-a-lhistorienne-annie-lacroix-riz/). De toutes parts, les protestations de personnalités du monde syndical, de syndicats remontaient à la tête de la CGT. Philippe Martinez, le secrétaire confédéral, était obligé de retirer cette fiche infâme, salissant la CGT. Piteusement, le SNESUP et la FSU, syndicat dont Annie Lacroix Riz est une militante depuis plus de 50 ans, se taisaient.
Annie Lacroix-Riz, historienne spécialiste de l’entre deux guerre, est une historienne très fine connaisseuse de la CGT et de l’histoire du mouvement syndical, sujets sur lesquels elle a beaucoup publié. Elle a contribué de manière très importante à la défense de la première confédération syndicale de France, à l’opposé de ceux qui s’en sont pris, par d’ignobles méthodes, à une historienne dont le seul tort est d’être communiste et en désaccord avec leur conception réformiste et euro-constructive du syndicalisme. Elle revient dans une analyse détaillée, avec recul, sur ce que cette affaire révèle de la situation du mouvement syndical.
Fiche annulée et fiches validées
J’ai dans la « Réponse à une attaque inqualifiable de la direction de la CGT, Annie Lacroix-Riz », adressée à ma liste de diffusion le 10 janvier 2019 et ci-jointe, dit ce que je pensais de la fiche anonyme CGT 17 de « formation » des cadres syndicaux contre « l’extrême droite ».
Je note naturellement avec grande satisfaction 1° que Philippe Martinez a, par téléphone dès le 11 janvier au soir, répondu à la lettre que je lui avais adressée au matin du même jour, pris l’engagement d’annuler dès le lundi 14 la fiche CGT n° 17 de « formation » contre « l’extrême droite » du 9 janvier, envoyée à toutes les organisations de la CGT; et 2° que, comme promis, cette annulation a été signifiée, le 14 janvier, aux mêmes organisations. Je remercie chaleureusement les très nombreux cégétistes qui (comme d’autres amis) m’ont apporté leur soutien et ont signifié énergiquement à leurs organisations, que, après l’abandon confédéral des gilets jaunes au marigot d’« extrême droite », l’insulte contre une historienne de la CGT qui ne lui avait jamais fait défaut (voir par exemple https://www.change.org/p/france-intellectuels-refusons-la-haine-de-classe-anti-cgt-attis%C3%A9e-par-les-m%C3%A9dias-dominants) faisait déborder le vase.
La « note 17 » a été automatiquement et pleinement adoptée, sans opposition, par les syndicats regroupés dans VISA (Vigilance et Initiatives Syndicales Antifascistes – 80/82 rue de Montreuil – 75011 PARIS), « association intersyndicale composée d’une cinquantaine de structures syndicales : la FSU et plusieurs de ses syndicats, l’Union Syndicale Solidaires et plusieurs de ses syndicats, des fédérations et des syndicats de la CGT, de la CFDT, de la CNT, de l’UNEF et le syndicat de la Magistrature. » Et dans des conditions qui posent un problème d’autant plus grave que le rédacteur des fiches de ce groupement (qui inclut ma propre Fédération et donc, à ma connaissance, mon propre syndicat, le Snesup) pratique couramment l’amalgame que j’ai relevé dans la fiche n° 17.
VISA et son « formateur » de la CGT s’inspirent en effet du discours de la Coordination Nationale contre l’Extrême droite ou CONEX (https://www.visa-isa.org/index.php?q=taxonomy/term/156). Cette organisation s’implique depuis 2014, avec l’aval des mêmes syndicats, dans une lutte contre « l’extrême droite » publiquement dirigée, en priorité, contre le Front national et ses diverses antennes, mais aussi contre les « rouges-bruns », mêlant dans le même opprobre les vrais « bruns » et les vrais « rouges ». Lui fournissant l’essentiel de la « formation » idéologique contre « l’extrême droite », l’éditeur Syllepses s’est, depuis 2011 au moins, fait le spécialiste autoproclamé des rouges-bruns. On peut en juger aisément en consultant les liens relatifs à VISA et à CONEX qui, sauf la fiche 17, demeurent valides. Prétendument voués au seul combat contre « l’extrême droite », ils ont un contenu très semblable (mon nom excepté), enfonçant le clou des « rouges bruns ». La production de Syllepses y reste la référence : le fameux lien VISA, vidé, lui aussi de sa fiche 17 (https://www.visa-isa.org/files/2018_ExtremeDroite_N17_Fiche_SR.pdf « page non trouvée »), affichait encore sa publicité d’un ouvrage Syllepses sur les Mairies brunes.
L’activité du tandem VISA-CONEX semble fort irrégulière, alternant depuis 2014 les temps forts et la léthargie. Au mouvement des gilets jaunes, significatif d’un très profond mécontentement social et politique, on pouvait escompter le soutien de principe, certes pas de la CFDT, mais de la CGT (voire de Solidaires). A été surtout retenu de ce soulèvement populaire, sans exemple jusqu’ici, le caractère d’un repoussoir largement inspiré par « l’extrême droite ». En témoigne le lien, toujours valide, émis un mois et un jour après le lancement du mouvement, le 18 décembre 2018, https://www.visa-isa.org/content/dossier-visa-n-5-ces-gilets-bruns-qui-polluent-les-gilets-jaunes: malgré quelques brèves allusions caressantes au « mouvement » exprimant le « ras-le-bol des classes populaires », ce texte retient presque exclusivement l’attirance des GJ pour « l’extrême droite. Je prie mes lecteurs de lire avec attention les liens de VISA-CONEX. Le dernier lien cité contient, pour l’essentiel, une mise en garde contre les périls du soutien aux GJ, décidément par trop « bruns ». Il reste très proche des assauts de la fiche 17, qui se partageait entre la dénonciation de la « main russe » ‑‑ « RT (Russia Today), qui a reçu en juin 2018 un avertissement du CSA pour “manquement à l’honnêteté et à la rigueur des points de vue” et Sputnik » ‑‑ et celle des GJ.
Quand la défense des syndiqués « rouges » n’est plus « à l’ordre du jour » du Snesup-FSU
Comme le confirment mes échanges des 24 et 25 janvier 2019 avec la CGT, l’anonyme fiche 17 a été annulée sans que soit communiquée la moindre explication sur les conditions de sa publication initiale. Aucun syndicaliste ne sait donc pourquoi une fiche de « formation » des cadres de la CGT et de tout le « syndicalisme rassemblé » qui ne s’est pas illustré ces temps-ci par les appels à rejoindre les luttes sociales, considère le CSA comme le nec plus ultra de l’objectivité de l’information; ni pourquoi ses sources se limitent aux organes de presse suivants : Le Figaro, Le Monde, L’Express, Mediapart (qui se réclame de la « gauche » mais se montre, en politique extérieure, aussi entiché de l’impérialisme américain que ses deux viviers initiaux de journalistes, Le Monde-Télérama et Libération, et, comme du temps des Soviets, aussi déchaîné qu’eux contre « la Russie »), France Culture. Finalement, quand on abandonne les grands auteurs, dont Marx, Lénine, Frachon, etc., on tombe directement dans le brouet de la grande presse « des monopoles », comme on disait autrefois. J’insiste à cet égard sur la nécessaire lecture des liens validés.
Cette fiche annulée par la CGT, puis retirée du site de VISA, n’a posé aucun problème à ma Fédération, la FSU, ni à mon syndicat, le Snesup. Des camarades de ce dernier, outrés qu’une telle attaque ait pu être agréée, via VISA, concernant une syndiquée qui ne s’était jamais signalée par son goût pour « l’extrême droite », ont alerté sa Commission administrative nationale du Snesup, après le 14 janvier. Le 17 janvier, ladite CAN a voté par 20 voix contre 7 et 4 abstentions (bravo pour les courageux abstentionnistes sur pareil terrain!), contre la seule proposition, non pas du soutien de l’incriminée du 9 janvier, mais d’une « discussion » sur le sujet. Une telle « discussion » n’était ni souhaitable ni possible, ont argué les « majoritaires » de mon syndicat, parce que « la question n’était pas à l’ordre du jour ». Qu’est-ce qui l’était? La défense des revendications ou « le syndicat de la feuille de paie et du carreau cassé » ‑‑ qu’a vantés Philippe Martinez le 4 janvier pour Le Figaro contre la tendance présumée « parfois trop idéologique » de la CGT qui expliquerait la récente régression de la Confédération au second rang derrière la CFDT (http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2019/01/04/97001-20190104FILWWW00190-martinez-la-cgt-est-parfois-trop-ideologique.php )? Pas du tout. Au Snesup comme à la FSU, ces « chétives [questions de] marchandises » (j’aime beaucoup Robespierre bien qu’il les ait sous-estimées parfois) n’est plus du tout de mise. Elle est même, il faut l’admettre, purement et simplement abandonnée de fait depuis quelques décennies, et ce, alors que les salaires des enseignants français comptent parmi les plus bas de l’OCDE http://www.cafepedagogique.net/LEXPRESSO/Pages/2018/09/11092018Article636722606654036136.aspx .
Pas de lutte pour les revendications, pas « à l’ordre du jour », et même pas non plus le minimum de défense des syndicalistes pour (grotesque) délit d’opinion imputé à une fidèle syndiquée par un rédacteur anonyme. Et même pas parce que ladite est « rouge brune » ou « d’extrême droite », en fait seulement parce qu’elle est « rouge » : ceux qui ont tout abdiqué usent volontiers de l’accusation suprême de « stalinienne », désormais aussi grave que celle de nazie, ont besoin de masquer leur anticommunisme élémentaire derrière ce pur cache-sexe. Les sociaux-démocrates anticommunistes sont devenus depuis quelques décennies majoritaires dans mon syndicat (rejoignant désormais la majorité de ma Fédération, qui n’a plus rien à envier à Unité, Indépendance et Démocratie). En 2005, ils ont fortement traîné les pieds pour me défendre contre les organisations « ukrainiennes » d’extrême droite cléricale (pré-Maïdan) qui voulaient me faire exclure de l’université en m’accusant de « négationnisme » parce que je ne sacrifiais pas, archives diplomatiques à l’appui, à la thèse de « la famine génocidaire stalinienne en Ukraine » (http://www.historiographie.info/ukr33maj2008.pdf ). Mais, des camarades de longue date combatifs auxquels on ne racontait pas n’importe quoi, tel Claude Lécaille, décédé en début d’année, qui appréciait les militants conservant « la tête droite », ont mis le haut-là et ont dissuadé le président de mon université de frapper comme il le souhaitait manifestement. Vous pensez, au 21e siècle, une historienne marxiste et communiste professeur des universités, quel manque de modernisme! Décidément, à défaut de Jupiter, l’anticommunisme aveugle et rend fou (« Quos vult perdere Juppiter dementat », Virgile, L’Énéide, XII : « Jupiter rend fous ceux qu’il veut perdre »). Mon propre syndicat et ma propre fédération, par pur anticommunisme, décident que l’insulte anonyme contre une syndiquée ayant dépassé les cinquante ans de cotisation, sans interruption (1e adhésion au SNES en 1967, à l’entrée à l’ENS) ne mérite pas même une mention, vu « l’ordre du jour ». Le paiement de ma cotisation syndicale ayant cette année quelque retard (ça arrive…), j’avoue que son renouvellement pour l’année en cours ne sera dû (jusqu’à quand?) qu’au respect du principe qu’un salarié a pour devoir d’adhérer à un syndicat de défense de ses intérêts. Défense de ses intérêts, vraiment?
Tant de hargne ou tant d’hypocrisie pour couvrir l’adhésion à la politique gouvernementale et l’espoir de suivre la FSU quand elle aura enfin le droit sinon l’obligation de n’avoir plus de syndiqués du tout grâce à son ticket d’entrée la CES et ses financements « européens », parce que c’est de cela qu’il s’agit, tout bêtement…
Une annulation qui laisse en suspens bien des questions
Les conditions d’annulation de la fiche 17 restent entières à cette date. Philippe Martinez, le 11 janvier, m’a écrit que, quels que soient nos « points de désaccords sur certains sujets d’actualité », il avait « toujours été favorable à la confrontation d’idées et au débat ». Il m’a annoncé que la fiche CGT 17, qui était « annulée et non “utilisable” en l’état [,…] sera[it] retravaillée de façon sérieuse et objective. »
Je m’interroge sur les chances de correctif de ce document, plus de deux semaines après son envoi officiel. Le texte était en effet fondé à la fois sur l’attaque de fait contre un mouvement social et sur d’incroyables amalgames entre vrais et faux fascistes.
Car la fiche annulée, ni « sérieuse [ni] objective », est parfaitement conforme à la littérature CGT-VISA-CONEX, entièrement validée de 2014 à cette date, et aux pratiques d’exclusion que j’ai décrites dans le texte du 10 janvier 2019. Sa « philosophie » correspond à celle qui a récemment abouti, dans le cadre de manifestations, à faire chasser des cortèges comme « fascistes » par le service d’ordre de la CGT des militants partisans de la sortie de l’Union européenne sur une base résolument de gauche. La demande de « Frexit », qu’a clairement abandonnée le front national, désormais clairement rallié à l’Euro, est imputée par la fiche n° 5 (https://www.visa-isa.org/content/dossier-visa-n-5-ces-gilets-bruns-qui-polluent-les-gilets-jaunes) aux seuls « gilets bruns ». Je ne suis pas moi-même « d’extrême droite » mais m’oppose pourtant vigoureusement à la tutelle exercée sur la France par l’Union européenne, pour des raisons scientifiques et politiques exposées dans mon ouvrage Aux origines du carcan européen, 1900-1960. La France sous influence allemande et américaine, Paris, Delga-Le temps des cerises, réédition augmentée, 2016.
Le formateur Pascal Debay ou le retour à l’ère Jouhaux
La fiche 17, anonyme, semble avoir été rédigée par un responsable unique de la « formation » des cadres, si l’on se fie aux autres fiches, validées depuis 2014. Plusieurs des fédérations et camarades de la CGT qui m’ont alertée à partir du 9 janvier ont reçu l’information que cette littérature serait l’œuvre d’un seul et même auteur. Il s’agirait de Pascal Debay, souvent honoré, y compris en 2018, par L’Humanité mais aussi adoré de la grande presse aux mains du capital financier (je ne sache pas que Libération, Les Inrocks, etc., appartiennent à des coopératives ouvrières). Les liens abondent sur cet important responsable, « membre de la commission exécutive confédérale de la CGT en charge des questions salariales et secrétaire général de l’union départementale CGT en Meurthe et Moselle » en 2012 (https://www.dailymotion.com/video/xpqi3d et http://www.economiematin.fr/auteur-183-Pascal-Debay), chargé en outre, depuis 2013, de la « lutte contre l’extrême droite ». Il s’est attiré depuis lors des articles fort élogieux de Libération, journal de M. Drahi et Bruno Ledoux (https://www.liberation.fr/politiques/2017/04/19/contre-le-fn-des-cours-de-la-cgt-pour-savoir-riposter-a-la-pause-cafe_1563877) et des Inrocks, propriété de Mathieu Pigasse, par ailleurs copropriétaire du Monde (https://www.lesinrocks.com/2017/09/18/actualite/francois-ruffin-si-lon-veut-faire-reculer-lextreme-droite-il-faut-donner-du-boulot-aux-gens-11986666/). On aura noté ci-dessus que Pascal Debay, si c’est lui, se réfère plus volontiers aux organes de la grande presse qu’aux auteurs marxistes qui constituaient jusqu’à l’arrivée de Bernard Thibault à la tête de la CGT le fondement idéologique du Centre de formation Benoit Frachon, dit « école de Courcelle ».
Challenges s’était illustré, en octobre 2007 pour avoir publié la déclaration tonitruante contre le CNR de Denis Kessler, vice-président du MEDEF, partisan d’un radical programme de « réforme ». Malheureusement, la page concernée de l’hebdomadaire a disparu (https://www.challenges.fr/opinions/1191448800.CHAP1020712/adieu_1945_raccrochons_notre_pays_au_monde_.html) mais on trouve aisément autre trace de cette déclaration de guerre ‑‑ liquider « tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception [,…] défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance », etc. En 2008, l’hebdomadaire célébra avec ravissement le nouveau cours de la formation cégétiste à « école de Courcelle » https://www.challenges.fr/magazine/la-cgt-eleve-ses-cadres-a-la-campagne_344215. L’Express (une des sources de la fiche 17) se réjouit en 2009 qu’« on [n]’abreuve plus de pavés marxistes » le futur cadre de la CGT (https://www.lexpress.fr/actualite/politique/quand-la-cgt-mene-sa-vie-de-chateau_778889.html). Et je présume que la liste des joyeux est plus longue encore. La presse bourgeoise, si elle est une singulière inspiratrice de la Confédération qui a naguère inscrit dans ses statuts la lutte pour l’abolition du salariat, c’est-à-dire du capitalisme, constitue en revanche un excellent baromètre sur l’évolution « satisfaisante » du syndicalisme français désormais débarrassé des « pavés marxistes »,
J’ignore si Pascal Debay est bien le pape de la formation des cadres de la CGT sur « l’extrême droite » version grande presse, mais ce cadre confédéral, que doit connaître Philippe Martinez, m’a été par plusieurs interlocuteurs convergents présenté comme un droitier sans complexes, adepte inconditionnel de l’Union européenne et de la Confédération européenne des syndicats. La formation dispensée est parfaitement cohérente avec les orientations générales officialisées depuis le secrétariat général de Bernard Thibault, désormais administrateur du Bureau international du Travail. Ce poste suppose soutien formel par l’État français, cet « État libéral » à peine égratigné par les fiches CGT-VISA. Je rappelle que la pratique en a été inaugurée, au lendemain de la Première Guerre mondiale, par les prébendes accordées à Jouhaux, si précieux gage de l’union sacrée pendant la boucherie impérialiste 1914-1918, et durable garant du calme de la classe ouvrière. Il fut nommé représentant de la France au BIT alors tout juste créé (1919). Jouhaux fut également gratifié, juste après la création par Herriot, chef du parti radical, champion officiel de la « collaboration des classes » (et habitué de la collaboration gouvernementale avec la droite chérie du grand patronat), en 1925, d’un poste au « Conseil national économique », ancêtre du Conseil économique et social reconstitué en 1946 (après sa suppression par Vichy), devenu en 2008, Conseil économique, social et environnemental (CESE). La tradition de la reconnaissance étatique des mérites des syndicalistes compréhensifs a été systématique pour les chefs de la CFTC, maintenue ou transformée en CFDT, de Force ouvrière, de l’UNSA, etc., qu’il s’agisse d’actuels membres de de VISA-CONEX ou non.
Elle est désormais rétablie pour la CGT, dans la droite ligne de l’ère Jouhaux-Belin, puisque, « par décret du 16 février 2017, Thierry Le Paon » a été, deux ans après son départ précipité de la CGT qu’il dirigeait, « nommé délégué interministériel à la langue française pour la cohésion sociale. » (https://fr.wikipedia.org/wiki/Thierry_Lepaon et http://www.politologue.com/videos/video.QUE-SONT-ILS-DEVENUS-THIERRY-LE-PAON-ANCIEN-SECRETAIRE-NATIONAL-DE-LA-CGT.qiBj). Les syndicalistes curieux d’une « formation » syndicale passant par l’histoire vraie de leur syndicat souhaitent évidemment se renseigner sur le leur. Sur les dirigeants d’autrefois de la CGT, si « apaisants » à l’égard de l’État et du patronat, mais si implacables, à l’inverse, contre les « lutteurs », je leur livre quelques éléments bibliographiques.
Ils trouveront information précise dans les travaux que j’ai cités dans ma « Réponse » du 10 janvier 2019, p. 2-4, ainsi que dans « Léon Blum haïssait-il la finance? 1936 et avant » (http://www.historiographie.info/documents/partie1finance.pdfhttp://www.historiographie.info/documents/partie2finance.pdf). Ils liront aussi avec profit, si je puis dire, Bernard Georges et Denise Tintant, Léon Jouhaux : Cinquante ans de syndicalisme, t. I, Des origines à 1921, Paris, Presses universitaires de France, 1962, Georges, Tintant et Marie-Anne Renauld, t. II, Léon Jouhaux dans le mouvement syndical français [1921-1954], Paris, PUF, 1979 d’orientation résolument réformiste, mais reposant sur une information (imprimée) honnête. On peut y ajouter l’ouvrage d’Élyane Bressol, Michel Dreyfus, Joël Hedde et Michel Pigenet, dir., La CGT dans les années 1950, Presses universitaires de Rennes, 2005, très significatif des changements d’orientation, à l’ère Thibault, des intellectuels proches de la CGT, éventuellement membres ou dirigeants de son institut d’histoire sociale – un des instruments de la « formation » historique de ses cadres et militants. Il a été publié en 2005, soit cinq ans après l’adhésion de la CGT (2000) à la Confédération européenne des syndicats fondée en 1973 (voir, ne serait-ce que pour les dates, la fiche Wikipédia sur la CES https://fr.wikipedia.org/wiki/Conf%C3%A9d%C3%A9ration_europ%C3%A9enne_des_syndicats), aussi complaisante que celle me concernant est féroce,. Cette adhésion avait été considérée, Marc Piolot, me l’avait annoncé, en 1997, et Louis Viannet (http://www.leparisien.fr/economie/deces-de-louis-viannet-ex-secretaire-general-de-la-cgt-22-10-2017-7348056.php, me l’a confirmé à plusieurs reprises, comme la mission essentielle de la « mutation » de la CGT.
Confédération européenne des syndicats et « formation » syndicale
Des fiches de formation à l’association CGT-université de Paris-Dauphine
Dix-neuf ans après cette adhésion, aucun syndicaliste ‑‑ même adepte de la thèse de l’excellente « union européenne » d’origine qui aurait été gâtée par une méchante « dérive » mais qui redeviendra idyllique quand on aura par miracle « changé l’Europe » ‑‑ n’est en mesure, et pour cause, de démontrer l’effet positif de cette intégration sur les salaires et les conditions de vie des salariés français (et « européens »). Leur dégradation est désormais reconnue quasi unanimement. Un de ses autres effets dramatiques est directement mesurable : la Confédération a banni, depuis près de vingt ans, l’héritage de son histoire « unitaire ». Elle a pratiquement exclu l’histoire de la CGT-CGTU, sur laquelle se penchait naguère son Institut d’histoire sociale, de sa « formation » des cadres (IHS dont j’ai évoqué dans ma « réponse » du 10 janvier 2019, les conditions de ma propre éviction, discrète mais définitive) : Michel Pigenet, professeur émérite d’histoire sociale contemporaine à l’université Paris 1, avait constaté cet effacement de l’histoire avec un visible regret en 2002 (https://books.openedition.org/pup/5915). Personnalité majeure de l’institut d’histoire sociale de la CGT, membre de son conseil d’administration et « modérateur [de son] Conseil scientifique » (http://www.ihs.cgt.fr/spip.php?rubrique1), il en a désormais pris son parti avec philosophie.
Fin novembre 2018 a été conclu le sidérant « partenariat entre la CGT et Paris-Dauphine : la création, dans cette université, un des innombrables fiefs de la formation et de l’idéologie patronales (et en aucun cas « indépendantes », comme il est prétendu), d’« un diplôme à la clé pour les cégétistes ». Le jury et les « équipes pédagogiques » en seront composés à 50% de DRH de grands groupes ‑‑ autrement dit les pairs de Mme Pénicaud, « directrice des ressources humaines chez Danone de 2012 à 2014 », (https://www.20minutes.fr/politique/2110731-20170728-chez-danone-muriel-penicaud-gagne-474-millions-euros-trois-ans) ‑‑ et à 50% de militants adeptes du « dialogue social ». Je remercie les cégétistes qui m’ont informée de cet événement.
Mon expérience personnelle de la complète mise au placard ou à l’écart de mon milieu universitaire pour pensée déviante me donne la conviction absolue que ce 50-50, qui entraîne automatiquement majorité pour les DRH (il suffit d’un cadre CGT pour la réaliser), donnera aux payeurs étatiques, mandataires de donneurs d’ordres patronaux, l’hégémonie de la « formation » suprême des cadres de la CGT. Ceux-ci seront par ailleurs tous choisis parmi les adeptes du « dialogue social », selon des critères définis depuis une quinzaine d’années au moins dans le cadre plaisant et raffiné de « École de Courcelles de la CGT ». Philippe Martinez est en fermement convaincu lui-même, qui déclare, l’air mi-gêné, mi-amusé, qu’il se félicite du renforcement du « lien entre les universitaires, le monde du travail, et les syndicalistes », mais qu’il « ne souhait[e] pas ce soient les employeurs qui jugent nos mandats et notre activité syndicale. » (voir absolument https://www.cgt.fr/documents/un-partenariat-entre-la-cgt-et-paris-dauphine-un-diplome-la-cle-pour-les-cegetistes). Mais si, précisément, c’est ce qui va immanquablement se produire, et notre camarade secrétaire général le sait.
Confédération européenne des syndicats contre Fédération syndicale mondiale : l’apport de l’histoire scientifique à la « formation » syndicale
Je conclurai par un retour à l’impérieuse formation historique des syndiqués, dont je suis, syndiqués dont l’expérience et la capacité de combat ont été historiquement liés au syndicalisme de classe de la CGT et à ses succès. La Confédération a désormais clairement opté pour une orientation identique à celle du « syndicalisme rassemblé » (et « européen »), CFDT en tête, officiellement inédite pour la CGT. Elle renoue ainsi avec les orientations de la CGT Jouhaux-Belin de l’entre-deux-guerres, celle du choix du « tapis vert » même ou surtout quand il n’y a rien à négocier, pas de « grain à moudre », comme disait André Bergeron, secrétaire général de Force ouvrière, ancien intime, depuis la fin de 1945, du « syndicaliste » américain Irving Brown et un des principaux héros français de l’ouvrage britannique dont je parle plus loin (voir son index). Tous les syndicalistes antifascistes, les vrais, seront mieux informés des enjeux actuels en se rappelant leur histoire véridique.
La Confédération européenne des syndicats est l’héritier direct des efforts du syndicalisme américain de connivence qui s’est forgé, avec une incroyable brutalité et à coups de millions de dollars, un syndicalisme européen « à la botte », malgré d’inévitables conflits. On connaît les détails de l’affaire depuis plusieurs décennies, pour ses premières années, mais pas en France. D’une part, la publication française y a été placée au fond du trou éditorial et médiatique : en témoigne l’écho de mes travaux, déjà cités, et de ceux de Tania Régin, « Force Ouvrière à la lumière des archives américaines », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, n° 87, 2002, p. 103-118, et sa thèse, sous la direction de Serge Wolikow, « Les relations intersyndicales françaises à la lumière des engagements internationaux, 1948-1978 », soutenue en 2003 à l’université de Dijon, http://www.theses.fr/2003DIJOL018. Illustrant le sort dramatique de l’historiographie qui traite de questions taboues, cette chercheuse a abandonné l’histoire. L’évolution de la CGT au 21e siècle, Institut d’histoire sociale inclus, a rendu à cette date l’enterrement définitif. D’autre part, les travaux anglophones, extrêmement nombreux et décisifs, sont inconnus parce que jamais traduits.
L’ouvrage d’Anthony Carew, American Labour’s Cold War Abroad, Athabasca University Press, 2018, non traduit à ce jour, porte sur les rapports entre le syndicalisme « européen » (occidental et oriental) et la CISL, issue de l’association organique AFL-CIO-Département d’État-CIA (ou les prédécesseurs de la centrale d’espionnage, dont l’Office of Strategic Services) de 1945 à 1970. L’auteur adopte certes un biais très « occidental » ‑‑ un peu hypocrite, ou prudent, comme l’impitoyable Frances Saunders, l’était sur les liens syndicalisme « libre »-CIA dans The cultural Cold War : the CIA and the world of art and letters, New York, The New Press, 1999 (traduction française Qui mène la danse, la Guerre froide culturelle, Denoël, 2004, épuisée et négociable à prix d’or, on espère une réédition prochaine). Il fait l’impasse sur le rôle du patronat américain, des États et des patronats européens, qui pèsent lourd dans la balance mais conservent jalousement leurs archives si compromettantes. Il évoque à peine le poids considérable, dans l’Europe unie, du syndicalisme allemand rebâti en 1945 par les Américains avec les éléments les plus compromis ou les plus inactifs des années hitlériennes 1933-1945. Mais il ne laisse aucun doute sur la « servitude » tarifée du syndicalisme dit « libre », dans la période directement préparatoire au lancement de la Confédération européenne des syndicats. Usant volontiers du terme, comme s’il était scientifique, de syndicalisme « libre », Carew établit stricto sensu le montant en dollars de chaque scission syndicale ou de chaque exclusion de communistes des syndicats occidentaux depuis 1947 (France, Italie, Allemagne, Finlande, Pays-Bas, etc.). Il établit formellement que les syndicalistes « européens » n’ont abandonné la FSM que contre grasse rétribution. Et ce, sur une base archivistique originale strictement incontestable: correspondance Irving Brown-Jay Lovestone, en particulier, et sources CIA.
C’est proprement horrifiant, le lecteur ne pouvant entretenir aucune illusion sur la contradiction objective de classe entre les payeurs, représentant le monde « d’en haut » et les bénéficiaires, théoriques défenseurs de la classe ouvrière et des salariés non informés de ces tractations financières. À part Delga, je ne vois aucun éditeur français assez courageux pour publier un brûlot scientifique pareil: 500 pages, dont 150 de notes. C’est d’un effarant « conspirationnisme » et, en sus, absolument dissuasif quant à l’adhésion à la CES, héritière directe de la CISL bâtie à coups de millions de dollars. Tout commentateur de cet ouvrage, académique au possible, encourrait les foudres du Decodex du Monde, de Libération et de Médiapart réunis, sans parler des autres sources alimentant la « formation » du « syndicalisme rassemblé ». Mais, pour la formation des militants syndicaux, la lecture en serait plus utile, du point de vue revendicatif, que celle de la littérature du genre fiche n° 17 ou autres fiches VISA validées, ou des productions qui résulteront du partenariat CGT-Paris-Dauphine…
Il ne fait aucun doute qu’après lecture, les syndicalistes enseignants, actifs ou retraités, soucieux d’« indépendance » de classe du syndicalisme, fuiraient comme la peste la CES solidement installée dans la corruption institutionnelle dévolue à leurs États et patronats respectifs. Ils ne douteront plus de la légitimité syndicale de la FSM livrée à la casse de l’impérialisme dominant. Ils seront éclairés, définitivement, sur l’alliance organique entre les syndiqués de la CES et le camp national ou international opposé à leurs intérêts objectifs.
Pièces jointes
- Fiche CGT n° 17 de « formation » contre « l’extrême droite », 9 janvier, annulée le 14 janvier 2019
Fiche qui figurait intégralement sur la fiche VISA du 9 janvier, via le lien du site Visa, https://www.visa-isa.org/content/campagne-cgt-contre-l-extreme-droite-fiche-n-17-extreme-droite-etm-edias, mais en a été également retirée; l’actuel contenu de ce lien est commenté ci-dessous
- Réponse à une attaque inqualifiable de la direction de la CGT, Annie Lacroix-Riz, 10 janvier 2019
- Lettre d’Annie Lacroix-Riz à Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, 11 janvier 2019, rendue publique ce 27 janvier 2019
- Lettre de Philippe Martinez, à Annie Lacroix-Riz, 14 janvier 2019
- Lettre d’Annie Lacroix-Riz à Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, 24 janvier 2019, rendue publique ce 27 janvier 2019
- Échange électronique cabinet de Philippe Martinez-Annie Lacroix-Riz, 25 janvier 2019, 16h07 et 16h46, rendue public ce 27 janvier 2019 (réponse dudit cabinet à la lettre d’Annie Lacroix-Riz du 24 janvier 2019, et non du 14, comme il est indiqué par erreur dans le message électronique du cabinet CGT de 16h07)
- Joint au message electronique du cabinet de la CGT , 25 janvier 2019, 16h07 : L’activité confédérale du Jour, n°9, 14 janvier 2019,comportant annulation de la fiche 17
cette ignoble fiche 17 a été réalisée à l insu du plein gré de MARTINEZ , la preuve : suite aux nombreuses réactions de la base , il’est contraint de présenter des excuses mais il ne fait rien pour écarter le coupable qui va pouvoir continuer de répandre sa propagande pro CES et UE et continuer à calomnier les militants qui defendent une autre ligne
richard PALAO
membre de la CE de l’ul CGT ORLEANS