Face à l’actuelle tempête politique nationale se déployant sur fond de crise géopolitique mondiale (menaces de « conflit global de haute intensité » suscité par l’hégémonisme euro-atlantique de l’Ukraine à la Péninsule coréenne en passant par l’Indopacifique et le Proche-Orient), nombreux sont les responsables politiques qui perdent la tête, oublient leurs fondamentaux de toujours, refusent d’embrasser l’ensemble de la problématique politique objective et prennent des positions outrées qu’ils ne seront pas longs à regretter demain… du moins s’ils sont capables de bonne foi !
Faut-il ainsi faire absolument barrage au RN et l’empêcher d’avoir une majorité absolue au Parlement? La réponse est oui sans contredit, et pour plusieurs raisons dont certaines sautent aux yeux et dont d’autres ne sont pas moins lourdes à plus long terme.
D’abord, ce parti à l’apparence désormais plus lisse et « dédiabolisée » serait à coup sûr, s’il accédait à Matignon, un formidable accélérateur de la fascisation et de la xénophobie d’État. Il n’est que de voir combien les groupes fascistes, racistes, factieux et violents de toute obédience se lâchent impudemment, en attendant de passer aux actes, depuis que la perspective d’un gouvernement Bardella-Ciotti existe concrètement. La fascisation, qui n’a fait que croître et enlaidir depuis, au minimum, Sarkozy et son État policier, Valls et son interdiction musclée de manifs interconfédérales syndicales, Castaner et sa pratique de l’éborgnage en série des Gilets jaunes, Darmanin et son empilement de lois liberticides et anti-immigrés, Dupont-Moretti et sa circulaire scélérate permettant d’arrêter des syndicalistes à 6 h du matin, le tout sur fond de criminalisation du communisme historique à l’initiative du Parlement européen toutes tendances confondues (hormis LFI, reconnaissons-le), ne pourrait que subir une accélération majeure si Bardella arrivait aux commandes, parachevant la banalisation de la xénophobie, de l’anticommunisme d’État, de l’impunité policière et de la répression syndicale dans une UE de plus en plus radicalisée à droite.
Sur le plan social, les mesurettes prévues par le RN pour hameçonner l’électorat populaire fondraient comme menue monnaie au soleil de l’inflation si ce parti, analogue hexagonal des néo-mussoliniens de Giorgia Meloni, parvenait au pouvoir. En effet, tout le monde voit que celle-ci, à peine parvenue à la présidence du Conseil italien, s’est alignée sur la totalité des exigences antisociales, financières, budgétaires, diplomatiques et militaires de l’UE-OTAN. Énorme est donc la naïveté des travailleurs qui votent pour ce parti fondé par et pour une dynastie de millionnaires et qui s’est récemment signalé par son total à-plat-ventrisme devant les Assises du MEDEF.
En outre, le RN cohabitant avec Macron à la tête de l’exécutif…
a) aurait vite fait, malgré ses discours préélectoraux, de céder sur toute la ligne aux exigences de l’UE-OTAN en matière de guerre avec la Russie comme l’a fait Meloni, et
b) ce duopole réactionnaire au sommet aboutirait à faire trompeusement de Macron un grand « fédérateur des antifascistes » (!!!), achevant ainsi d’assécher le mouvement ouvrier. A l’inverse, Bardella appellerait à la démission de Macron en dévoyant le mécontentement populaire contre ce dernier et en excitant tous les fascistes du pays, y compris peut-être certains de ceux qui y sont institutionnellement armés.
Enfin, last bust not least, ce serait une honte pour la France, patrie de la Révolution française et de la Commune, mais aussi un nouveau très gros coup dur symbolique pour le mouvement révolutionnaire mondial qui, après avoir vu flancher la Russie, patrie de Lénine et de Stalingrad passée à la contre-révolution la plus sauvage sous Eltsine, verrait la patrie de Robespierre, de Jaurès et de Croizat, basculer du côté de la réaction raciste !
En résumé, il faut tout faire, d’ici le second tour, pour faire baisser le nombre de voix lepénistes en milieu populaire et militer activement, comme y a appelé le PRCF malgré le mépris qu’il a enduré depuis des années de la part des États-majors de ces partis, pour l’élection d’un maximum de députés LFI et PCF. Sans pour autant, faut-il le dire, valider le programme gravement carent de ces deux partis en matière de résistance à l’OTAN, à l’UE et au grand patronat capitaliste.
Pour autant, faut-il, perdre tout bon sens et oublier tout à coup que la Macronie a méthodiquement préparé, par sa politique antiouvrière et anti-services publics, par son aliénation méthodique de la souveraineté de la France à Bruxelles et à Washington, par sa promotion du globish aux dépens de la langue française, par sa politique de guerre à outrance en Ukraine, par sa banalisation du RN érigé en seule alternance, par sa criminalisation des sans-papiers, de LFI et des syndicalistes de classe (y compris l’inculpation de membres du bureau national de la CGT), par ses odieuses « lois immigration » et autres lois liberticides ? Faut-il par ex., comme certains qui ont semble-t-il résilié toute forme de « lignes rouges », y compris contre la fascisation et sous couvert de la combattre, appeler à voter Darmanin dans le Nord de la France – et pourquoi pas, pendant qu’ils y sont, Élisabeth Borne, la destructrice des retraites, la femme des 12 recours au 49/3 pour briser le mouvement populaire ?
Faut-il aussi passer par profits et pertes le fait qu’avant Macron, Hollande et Valls ont démoli le Code du travail et que ce même Hollande a cyniquement expliqué, au mépris du droit international et de la parole donnée par la France ? Qu’avec sa camarade Angela Merkel, il avait délibérément trompé la Russie et que les accords de Minsk, solennellement parrainés par Berlin et Paris et qui prévoyaient l’autonomie du Donbass dans le cadre de l’Ukraine, n’étaient qu’un rideau de fumée destiné à permettre au régime pronazi de Kiev de préparer sa guerre à outrance contre la Russie – au risque que cette indigne supercherie diplomatique débouche sur une guerre mondiale entre puissances nucléaires pouvant mettre fin à l’existence de notre pays ? Un tel comportement paniquard n’est pas sans rappeler celui des dirigeants suicidaires de la social-démocratie allemande qui appelèrent à voter pour le maréchal Hindenburg, figure de la droite dure, pour éviter l’élection de Hitler. Or c’est… Hindenburg, ce fier « barrage au nazisme », qui, une fois élu, a appelé Hitler à la chancellerie !
Faut-il enfin s’aveugler au point d’ignorer que, soi-disant pour éviter un gouvernement Bardella, Macron songe à « couper l’omelette parlementaire aux deux bouts » après le second tour en excluant le RN sur sa droite tout en criminalisant sur sa gauche les députés LFI ? Déjà en effet, certaines composantes du Nouveau « front populaire » comme Marine Tondelier (les Verts), Glucksmann (Place Publique/PS) ou Jospin sont prêts à faciliter cette manœuvre macroniste qui n’aurait d’autre but que de poursuivre, avec le renfort d’une partie de la gauche institutionnelle, la politique de casse qui a conduit le RN à faire un carton dans les couches populaires. En réalité, cette politique, inévitablement ressentie comme de la magouille par le peuple, paverait la route à l’élection triomphale de Marine le Pen à la prochaine présidentielle, voire à un soulèvement anticipé, non pas du peuple de gauche mais de l’extrême droite, dans une telle hypothèse, pour renverser Macron (souvenons-nous que déjà il y a eu des bruits de botte dans certains secteurs très droitiers de la haute fonction militaire) ?
En outre, si l’on s’en tient à l’essentiel, qui est l’intérêt de la République et de la classe ouvrière, que serait la politique d’un tel « gouvernement de coalition » prétendument anti-RN ? Certes, quoi qu’en disent les commentateurs politiques plus aveugles les uns que les autres, son programme commun réactionnaire est par avance tracé si bien que s’il était mis en place il faudrait aussitôt se préparer à le combattre de gauche, lui, Macron, le RN et leurs parrains du MEDEF, de l’UE et de l’OTAN :
- – sur le plan géopolitique, un gouvernement Glucksmann / Bayrou / Tondelier / Faure aurait pour principal ciment la guerre à outrance contre la Russie à l’appel des jusqu’au-boutistes qui abondent à la direction des Verts et du PS (Jospin est même ressorti de sa naphtaline pour désigner la Russie comme « notre ennemie » !), sans considération aucune du fait que cette attitude euro- et atlantico-alignée conduirait à une conflagration mondiale pouvant aboutir à l’extinction de l’humanité et, plus vite encore, à celle de la population française ! Doit-on oublier ce danger majeur en appelant implicitement, en votant Hollande, Borne ou Darmanin, à adouber de francs énergumènes fanatiquement russophobes et anticommunistes comme Glucksmann, sans même avoir pris soin, comme l’a fait le PRCF, d’adjurer les militants de base LFI et PCF, d’imposer un tournant pacifique et anti-impérialiste à leur parti respectif, de ne pas abandonner aux démagogues du RN l’argument fallacieux de la paix ? Paix sur laquelle ils s’assiéraient une fois qu’ils siègeraient à Matignon, car ils ne voudront pas une seconde inquiéter leurs superviseurs de la Grande Europe blanche et atlantique !
- – sur le plan européen, ce gouvernement de coalition accélèrerait – et ce n’est pas un détail ! – le « saut fédéral européen », c’est-à-dire la substitution rapide de l’État européen intégré à l’ex-République française souveraine. Une manière radicale pour la grande bourgeoisie de régler à jamais la « question française » en plaçant notre pays récalcitrant (souvenons-nous des Gilets jaunes ou du Non français à la « constitution européenne » en 2005) sous tutelle euro-germano-américaine définitive. Ce qui permettrait au grand capital français traditionnellement traître à son pays de recourir à la Sainte-Alliance des bourgeoisies européennes, gendarmerie et armée européennes en tête, pour écraser le peuple français s’il ose se soulever contre le plan d’austérité drastique que fomente contre lui la Troïka (cf. ci-dessous) ;
- – sur le plan socioéconomique, le programme commun de cette « coalition » antipopulaire, comme du reste celui d’un gouvernement euro-bardellien, est par avance trouvé : c’est celui de la Troïka, exactement comme le programme réel du « radical de gauche » Tsipras en Grèce fut, au final, celui que lui dictèrent le FMI, l’UE et la BCE ! Redisons en effet que la France est actuellement placée par Bruxelles en « redressement pour déficit excessif », c’est-à-dire que, sitôt l’élection terminée, les experts du FMI, de la BCE et de la Commission européenne vont débarquer à Paris et dans tous les ministères pour pointer les énormes coupes budgétaires à opérer au détriment de la protection sociale, des salaires des fonctionnaires, des indemnités chômage, des retraites, des services publics, du logement social, etc. Et cela, ni Bardella, ni Glucksmann, ni Macron, ni Faure, ni Tondelier – ni hélas la « gauche de la gauche », y compris les Besancenot, Poutou et Cie, ne pourront rien y faire tant qu’ils refuseront le Frexit progressiste, la sortie par la porte de gauche de l’euro, de l’UE, le surarmement exigé par l’OTAN et, bien entendu, d’un système capitaliste en voie de putréfaction générale.
Côté souverainisme de droite, c’est la même perte de repères que dans certains secteurs de la gauche anciennement anticapitaliste et anti-impérialiste. Voilà que de vieux routiers de la défense républicaine de la patrie perdent eux aussi la tête et nous expliquent que, aux États-Unis, Trump serait meilleur que Biden pour défendre la paix – alors qu’il pousse à la guerre contre la Chine populaire, la République populaire démocratique de Corée ou les régimes anti-impérialistes d’Amérique latine -, ou que, en France, Bardella est une sorte de moindre mal face à Macron. Cela au risque de banaliser ce parti déshonorant pour notre pays ! Suffit-il donc au RN de chanter la Marseillaise à s’en faire péter la glotte pour que des patriotes républicains sincères oublient que Le Pen a totalement rallié l’UE, l’euro et l’OTAN, qu’il s’est aligné sur le gouvernement massacreur de Netanyahou, qu’il n’a jamais défendu la langue française contre le tout-anglais, et que, de manière générale, il s’inscrit totalement dans les politiques du MEDEF dont le manifeste « Besoin d’aire » exprimait déjà en 2012 sa détermination à « dépasser » l’État-nation (comme dit par ailleurs Marine Tondelier…) et, ainsi, à mettre en place les États-Unis capitalistes d’Europe s’inscrivant dans l’Union transatlantique pilotée par Wall Street ? Joli patriotisme en effet qui s’arrêtera net devant les profits capitalistes et les dividendes mondialisés du CAC 40 !
En résumé, que faut-il faire au second tour?
Bien évidemment, il faut résolument voter pour les candidats LFI et PCF au second tour, qu’ils soient confrontés à un macroniste ou à un LR.
On peut concevoir aussi, même si cela n’a rien d’enthousiasmant au regard des positions euro-atlantistes de ces partis, que l’on puisse voter au cas par cas pour des candidats verts et socialistes, du moins s’ils excluent totalement de participer à un gouvernement d’union avec la droite et les macronistes. Il semble cependant contre-productif pour un mouvement franchement communiste d’appeler toute honte bue à voter pour Hollande ou de pratiquer l’omerta d’entre-deux-tours sur le dangereux Glucksmann, ce fauteur de guerre mondiale que doit combattre ici et maintenant, tout digne descendant de Jaurès.
Pourquoi serions-nous par ailleurs encore plus macronistes que Macron en appelant indécemment à voter pour Borne, Darmanin ou Attal, et alors que Macron, Darmanin, Philippe et Cie, bien moins « bons enfants » que certains « marxistes » déboussolés, ne cessent de dire qu’ils ne voteront pas pour LFI, qu’ils trieront dès le 8 juillet entre les forces de gauche et que leur « gouvernement de coalition » à venir sera clairement un gouvernement de marche à la guerre, de casse sociale géante, d’asservissement à l’UE et de criminalisation de la gauche de la gauche ?
Plus globalement, on ne se trompera donc pas si :
a) on milite d’arrache-pied d’ici dimanche en milieu populaire pour faire baisser le score du RN.
b) on accélère la reconstruction de l’avant-garde communiste en cessant de « palabrer » sur l’inactualité de la « forme-parti » du communisme.
c) Il faut aussi accélérer sans complexe la reconstruction d’un syndicalisme de classe dégagé de la tutelle de la CES et de la CFDT, la mise en place d’une Alternative rouge et tricolore alliant le patriotisme populaire à l’internationalisme prolétarien, la construction en France et ailleurs d’un large front mondial pour la paix.
Là est en effet la voie, non pas du ralliement piteux et de moins en moins critique à chaque élection bourgeoise, du mouvement populaire, des syndicalistes et des communistes à telle ou telle fraction petite-bourgeoise usant de chantage, mais de l‘autonomie du peuple travailleur, de la reconstruction, en France et dans le monde, de l’avant-garde communiste détruite par le révisionnisme et sans laquelle l’avenir de notre peuple serait voué au malheur et au déshonneur.
*auteur du Nouveau défi léniniste, Delga 2017 et de Mondialisation capitaliste et projet communiste, Delga 2022