Eugène Pottier, l’auteur du texte de l’Internationale, l’avait écrite sur l’air de la Marseillaise. Traduite ensuite en plusieurs langues, elle a bénéficié d’une musique propre, et et restée l’hymne russe jusque 1944.
Tant que le PCF, ouvrier, révolutionnaire, antifasciste et patriote, unissait La Marseillaise à L’Internationale (ce mariage fut scellé par Jacques Duclos au stade Buffalo, lors du premier meeting du Front populaire, le 14 juillet 1935), tant qu’il unissait le drapeau rouge orné des « outils » au drapeau tricolore de 1789, la classe ouvrière disposait des outils symboliques qui lui permettaient de diriger la lutte de tout le peuple pour l’indépendance nationale, la paix, les libertés et le progrès social dans la perspective du socialisme pour la France. Juste aboutissement du combat de la Résistance antifasciste et patriotique, où « seule, dans sa masse, la classe ouvrière est restée fidèle à la France profanée » (dixit l’écrivain gaulliste François Mauriac), le programme du CNR appelait en 1944 à « mettre le monde du travail au centre de la vie nationale »… Avec toutes les conséquences heureuses que cela impliqua en 45 pour les travailleurs de France, en particulier, par la création de la Sécu, des retraites par répartition, des statuts et des conventions collectives nationales, des nationalisations, du Code du travail, du CEA, etc.
Hélas, depuis que le PCF « mutant » a renié à la fois le marxisme-léninisme, le pays de Stalingrad, le rôle dirigeant de la classe ouvrière dans le combat social, depuis que les Hue, Buffet, Laurent, etc. ont rallié dans leur principe l’euro (une construction monétaire fondée sur la domination du mark, de la Banque de Francfort et des marchés financiers) et la « construction » européenne, un boulevard a été ouvert aux xénophobes du FN. Lesquels dévoient la Marseillaise et le drapeau tricolore dans un sens fascisant pour égarer les secteurs les plus en difficultés de la classe laborieuse et des couches moyennes.
Bien entendu, il ne faut pas tomber dans l’excès inverse, et c’est une faute politique dommageable, y compris sur le plan électoral, que certains meetings de la France insoumise aient été réservés au drapeau tricolore en excluant l’ « Inter » et le drapeau rouge.
Contre les souverainistes de droite et les gauchistes qui, tous deux, et pour des motifs symétriques, opposent ces deux chants révolutionnaires nés en France et tous deux rédigés dans notre langue (par Rouget de l’Isle puis par Eugène Pottier), le mouvement ouvrier doit réapprendre à chanter la Marseillaise ET l’Internationale dans ses manifs, il doit disputer la nation et le « produire en France » au FN qui les dévoie, il doit imposer l’internationalisme VERITABLE face aux fédéralistes européens de Macron et du PS qui ne portent en réalité qu’un mondialisme de la finance. Et pour mener à bien cette réappropriation, le mouvement ouvrier doit se réapproprier l’histoire de France, si mal enseignée désormais par notre Education de moins en moins nationale et de plus en plus anticommuniste et euro-formatée (ça marche ensemble dans notre belle Europe de Maastricht contre-révolutionnaire !).
Alors, rappelons aux jeunes que la Marseillaise fut d’abord un CHANT REVOLUTIONNAIRE, créé à Strasbourg par un Parisien, puis chanté de Marseille à Paris par les Volontaires marseillais montant vers le Front du Nord-est et aussitôt reprise en chœur par les Jacobins parisiens et marseillais prenant ensemble les Tuileries le 10 août 1792 pour destituer le roi et fonder la Première République de notre histoire. Tout jeune communiste se doit à ce sujet d’avoir vu une fois les deux films épiques de Jean Renoir, « La Marseillaise » et « la Vie est à nous » !
Par ex., il faut expliquer que le refrain de la Marseillaise « Qu’un sang impur abreuve nos sillons ! », ne vise nullement le sang des étrangers. Loin d’appeler au racisme et à la xénophobie, comme le croient tant d’ignorants, il s’agit d’une référence ironique au sang impur des ROTURIERS qui vont mourir à Valmy pendant que les nobles au sang « bleu » rejoignent les envahisseurs anglais, autrichiens et prussiens. C’est le peuple des paysans, artisans et compagnons qui, de son sang « impur », va féconder le sol de la patrie devenue sienne par l’abolition des privilèges, des droits féodaux et par la nationalisation des biens de l’Eglise. Preuve supplémentaire, voici ce que dit un couplet qui n’est, bizarrement, pas reproduit ci-dessous :
« Français, en guerriers magnanimes / Portez ou retenez vos coups! / Épargnez ces tristes victimes / À regret s’armant contre nous (bis) / Mais ces despotes sanguinaires / Mais ces complices de Bouillé / Tous ces tigres qui, sans pitié /
Déchirent le sein de leur mère! »
Bref, les Patriotes (mot qui désigne alors le parti révolutionnaire) doivent « épargner » les soldats étrangers (« tristes victimes ») faits prisonniers, car ils s’agit généralement de pauvres gens amenés à combattre la France pour gagner leur pain. A l’inverse, les Soldats de l’An II devront « porter leurs coups » contre le Marquis de Bouillé, qui incarne alors la figure de l’aristocrate passé à l’ennemi, le précurseur en somme des « collabos » de 1940, le « tigre » devenu « parricide » par intérêt de classe. Comment donc des militants progressistes d’aujourd’hui, s’ils sont un tant soit peu conscients de l’histoire de leur peuple, peuvent-ils ignorer que le patriotisme inhérent à La Marseillaise se charge ici d’accents proprement internationalistes ?
Il faudrait faire la même analyse à propos de la fraternité d’armes entre le Drapeau rouge et le drapeau tricolore. Comme on sait, le drapeau tricolore, qui prit d’abord la forme de la cocarde tricolore, résulta de l’irruption du peuple parisien (dont le blason était rouge et bleu foncé) sur la scène historique. Les deux couleurs de Lutèce, parlant au nom de la nation tout entière, encadrèrent alors – sans le faire disparaître, notons-le au passage – le blanc traditionnel du pouvoir royal qui faisait figure jusqu’alors de drapeau français. En septembre 1792, quand l’aile bourgeoise la plus droitière de l’Assemblée nationale adopta la loi Le Chapelier (interdiction de la grève et des coalitions, c’est-à-dire des syndicats ouvriers), le marquis de La Fayette fit hisser le drapeau rouge de la loi martiale qui signifiait : « ordre de dispersion immédiate sous peine de mort » ! C’est l’ « étendard sanglant de la tyrannie » dont parle la Marseillaise. Mais l’histoire des peuples n’ayant cure des pédants, un ouvrier parisien alla décrocher de son mat le drapeau rouge et quelqu’un écrivit sur celui-ci : « loi martiale du peuple souverain » (ce qui signifie presque : « dictature du prolétariat » dans les conditions d’alors, où la classe ouvrière moderne, résultat de la révolution industrielle, n’en était qu’à ses balbutiements). Le drapeau rouge, devenu frère en Révolution du drapeau tricolore, devint alors, par un saisissant détournement symbolique, le drapeau du peuple ouvrier. Le drapeau tricolore ayant été sali par la suite par la Monarchie de Juillet puis par l’Empire, il s’opposa quelque temps au drapeau rouge (lequel faillit bien devenir le drapeau national français en 1848…), mais même sous la Commune, dont le drapeau rouge était l’emblème, celui-ci a toujours été « cravaté de tricolore ».
Bien entendu, le tricolore fut de nouveau gravement pollué et détourné de sa signification révolutionnaire, comme la Marseillaise, par les horreurs du colonialisme et par les partisans de la guerre impérialiste de 1914. Mais d’une part, le drapeau rouge n’a pas été indemne lui-même du détournement proprement insensé que lui fit subir le nazisme (dont le drapeau était rouge frappé de la croix gammée), cette double usurpation de la nation allemande et du socialisme prolétarien (la NSDAP se disait « parti ouvrier national-socialiste d’Allemagne ») et à juste raison, les prolétaires n’en ont pas pour autant renié LEUR drapeau de classe, pas plus que les communistes italiens n’ont jamais renié leur chant de lutte, « Bandiera rossa », sous prétexte que les fascistes l’avaient un temps défiguré en chantant « Camisa negra » au refrain. Et surtout, comme il a été dit plus haut, le drapeau tricolore et le drapeau rouge furent réconciliés dans les combats antifascistes, à la fois patriotiques et internationalistes, du Front populaire, de la Résistance et de la Libération ; et c’est en quelque sorte le « Chant des partisans », puis l’admirable « Ma France » de Jean Ferrat qui uniront en un seul chant l’esprit patriotique de la La Marseillaise et le sublime élan universaliste de l’Internationale « finissant la Marseillaise / Pour toute l’humanité », comme le dit Louis Aragon dans son ode à « Celui qui chantait dans les supplices ».
Alors que ce soir même, 13 mai 2005, la « France » chantera à nouveau misérablement en anglais à l’Eurovision, réapproprions-nous notre chant national, qui fut le chant de toutes les Révolutions, y compris la Révolution d’Octobre, de notre drapeau dont les couleurs ont inspiré Marti et le drapeau cubain. Car ce n’est pas rien pour un peuple que d’avoir pour hymne national un chant insurrectionnel qui clame « Aux armes citoyens ! » et qui appelle au nom de la Liberté à briser les chaînes de l’esclavage… alors que d’autres pays doivent encore se contenter (provisoirement !) de chanter : « Dieu sauve la reine », « Dieu bénisse l’Amérique » ou « l’Allemagne au-dessus de tout »…
Georges Gastaud, fils de Résistant, auteur de Patriotisme et internationalisme. Qui remercie de leur relecture Léon Landini, ancien officier des FTP-MOI, Pierre Pranchère, ancien maquisard de Corrèze et Jean-Pierre Hemmen, fils de Fusillé de la Résistance et arrière petit-fils d’un responsable de la Commune de Paris.
Georges Gastaud, philosophe est notamment l’auteur de
- Lettre ouverte aux bons français qui assassinent la France – 2005 – Le Temps des Cerises
- Mondialisation capitaliste et projet communiste – 1997 – Le Temps des Cerises
- Patriotisme et internationalisme éléments de réflexion marxiste sur la question nationale – 2010 – édition CISC
- Marxisme et Universalisme, Classes, Nations, Humanité – 2015 – Editions Delga
- Lumières communes – traité de philosophie laïque à la lumière du matérialisme dialectique – 2016 – Edition Delga
Internationale chantée sur l’air de la Marseillaise
La Marseillaise des travailleurs – Hymne révolutionnaire russe
La Marseillaise par les choeurs de l’armée rouge