En juillet 2018, le PRCF publiait sur son site Initiative communiste un article sur l’adoption d’un amendement proposé par les députés de la « République » en « Marche »[i]. Un an plus tard, l’euro-décomposition de la République une et indivisible, héritage de la Révolution de 1793, s’est accélérée : création de la collectivité « européenne » d’Alsace (CEA), faisant la fierté d’Olivier Becht, député UDI et Indépendants du Haut-Rhin passé du Parti « socialiste » à la droite libérale[ii], et européiste passionné – partisan entre autres du Traité établissant une Constitution pour l’Europe (TECE) en 2005 –, qui déclarait récemment dans Le Monde : « Certains auraient souhaité, moi le premier, que ce soit clairement une collectivité à statut particulier. Certains affirment qu’il s’agit d’un département. La réalité est que, juridiquement, il est probable que ce ne sera ni complètement l’un ni complètement l’autre. Nous faisons donc ici de l’innovation politique, pour l’Alsace et pour nous, Alsaciens. Il n’y a pas lieu de bouder notre plaisir. » ; auto-proclamation de la Moselle comme un euro-département, afin de profiter pleinement de la destruction programmée de la République une et indivisible[iii], et ce le 9 mai, c’est-à-dire le jour de la « Fête de l’Europe » et de la « commémoration » du projet Schuman à l’origine de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA).
Aussi lira-t-on avec attention cette fine et intéressante analyse proposée par Benjamin Morel, maître de conférences en Droit public à l’Université Paris II Panthéon-Assas, docteur en Science politique de l’École Normale Supérieure Paris-Saclay. Et de constater plus que jamais que, comme le montre l’article des Echos sur la Moselle, « pacte girondin » et « saut fédéral européen » sont totalement complémentaires dans l’objectif recherché, à savoir la liquidation pure et simple de la République jacobine une et indivisible, de l’égalité territoriale concrétisée par la création des départements français en 1790, de l’ensemble des services publics et, d’une manière plus générale, de l’héritage révolutionnaire de 1789-1793.
Plus que jamais, face au retour à la
monarchie d’Ancien Régime[iv]
et la reconstitution des baronnies féodales, et pour sauver la République une
et indivisible, héritée de la Révolution jacobine, mais aussi laïque,
démocratique, sociale et universaliste, pas de compromis ni de concession avec
LREM et encore moins avec la mortifère UE : FREXIT PROGRESSISTE, ET VITE !
[i] Voir le lien suivant : https://www.initiative-communiste.fr/articles/prcf/macron-la-republique-en-miette-par-fadi-kassem/?utm_source=Sociallymap&utm_medium=Sociallymap&utm_campaign=Sociallymap
[ii] Consulter sa fiche Wikipédia au lien suivant : https://fr.wikipedia.org/wiki/Olivier_Becht
[iii] Voir le lien suivant : https://www.lesechos.fr/pme-regions/grand-est/la-moselle-se-proclame-eurodepartement-1025917
[iv] Pour rappel, voir le lien suivant : https://www.initiative-communiste.fr/articles/prcf/1789-1989-2019-pour-sauver-la-revolution-combattons-la-reaction/
Le droit à la différenciation, les dangers d’une révision constitutionnelle
Par Benjamin Morel, maître de conférence en Droit public à l’Université Paris II Panthéon-Assas, docteur en Science politique de l’École Normale Supérieure Paris-Saclay.
Fondation Res Publica 16.7.2019
Loin des grands débats sur le
nombre de parlementaires ou la proportionnelle, la différenciation territoriale
semble un sujet technique de la révision institutionnelle. Elle intéresse peu
les médias et mobilise peu les politiques. Pourtant, si l’on prend la peine de
se pencher sur le contenu de ce que propose le gouvernement, on ne peut que
saisir l’ampleur de la révolution. Dans la France de la différenciation,
l’égalité de chacun devant la loi ne sera plus acquise, puisque la loi
sera susceptible d’être modulée à la frontière de chaque commune. Dans la France
de la différenciation, l’idée d’un territoire organisé en niveaux de
collectivités identifiables aura vécu. Chaque collectivité disposera de
compétences et d’appellations propres. Ainsi passera-t-on de la collectivité
européenne d’Alsace à l’eurodépartement de Moselle. La faible cohérence
juridique maintenue du cadre départemental ou régional ne permettra guère
d’effacer la réalité d’une singularité érigée en règle.
En cela le droit à la différenciation n’a rien de girondin. Aucun Girondin n’a
interrogé l’unité de la loi ou le cadre départemental. En cela, le droit à la
différenciation n’a rien de républicain. Ce qu’il remet en cause a représenté
la colonne vertébrale de la République depuis 1792 et apparaît, en fait, comme
un retour à l’organisation administrative d’Ancien Régime. C’est-à-dire : un
territoire découpé selon une multiplicité de statuts répondant aux
revendications locales et une loi à géométrie variable.
Ce papier vise à comprendre les
enjeux du droit à la différenciation et de montrer les risques qu’il fait
encourir. Une fois posé le cadre juridique, les enjeux du droit à la
différenciation ne sont pas que du domaine des principes. S’il foule aux pieds
l’ADN de la République, il représente aussi un poison lent pour la
décentralisation, l’unité de la République et l’égalité territoriale.
Un cadre normatif source
d’insécurité juridique
Revenons rapidement sur ce qu’est le droit à la différenciation qui regroupe en
fait plusieurs choix politiques [1].
Le premier est à cadre constitutionnel constant. Il vise à encourager
la mutation de l’organisation des collectivités territoriales à travers leurs
fusions et en permettant le transfert de certaines compétences de l’État ou
d’une autre collectivité. C’est notamment ce qui a donné lieu à la création
d’une collectivité européenne d’Alsace ou à la signature, en février dernier,
par Édouard Philippe, d’un pacte breton.
Le cadre constitutionnel actuel a déjà permis d’aller très loin en rendant
possible un statut propre à la Corse dès 1991. Le Conseil constitutionnel
reconnaît ainsi que « le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le
législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il
déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et
l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct
avec l’objet de la loi qui l’établit » [2]. Dès lors, une différenciation
des compétences entre collectivités est possible si elle respecte le principe
d’égalité, répond à une différence de situation et est motivée par l’intérêt
général. Par ailleurs, la loi elle-même peut permettre de prendre en compte des
différences objectives comme en témoignent la loi littorale [3] ou la loi
montagne [4].
Le second implique de modifier le cadre constitutionnel et devrait faire
l’objet d’une révision du texte fondamental. Cette dernière vise principalement
à faire sauter les garde-fous posés par la jurisprudence en matière d’égalité
et de caractérisation d’un intérêt général.
La réforme devrait compléter ainsi le second alinéa de l’article 72 : «
Dans les conditions prévues par la loi organique et sauf lorsque sont en cause
les conditions essentielles d’exercice d’une liberté publique ou d’un droit
constitutionnellement garanti, la loi peut prévoir que certaines collectivités
territoriales exercent des compétences, en nombre limité, dont ne disposent pas
l’ensemble des collectivités de la même catégorie. ». Pour l’heure, la
jurisprudence du Conseil constitutionnel implique qu’une telle différence de
traitement soit motivée par l’intérêt général [5]. En ne reprenant pas cette
nécessité dans la nouvelle formulation de l’article, « le projet de loi
conduira le Conseil constitutionnel à assouplir son contrôle sur le fondement
du principe d’égalité, de sorte qu’il soit plus facile au législateur » [6] de
s’en écarter. Une telle rédaction permet dès lors qu’une différence de
compétence ne soit plus strictement motivée par un intérêt général. Nous
verrons qu’ainsi elle ouvre la porte à toutes les revendications. La notion de
« nombre limité » est par ailleurs très floue. Le contraire de limité étant
illimité, il n’y a pas vraiment de borne évidente qui s’impose à
l’interprétation d’une telle disposition. Devant de tels risques, les rapports
parlementaires préalables considèrent qu’« il appartiendra au législateur et au
pouvoir réglementaire de veiller à ce que les différenciations de compétences
ne répondent pas seulement à des accords locaux, mais poursuivent a minima
un but d’intérêt général précisément identifié » [7]. Cela ne représente pas,
pour le moins, une garantie convaincante, d’autant que la formulation «
conditions essentielles d’exercice d’une liberté publique » prête également à
interprétation. Elle l’implique en effet pas une égalité stricte en matière de
liberté comme le montre la jurisprudence concernant les outre-mers [8].
Le projet de loi constitutionnel remplace ensuite le quatrième alinéa de
l’article 72 de la Constitution par la disposition suivante : « Dans les
conditions prévues par la loi organique, et sauf lorsque sont en cause les
conditions essentielles d’exercice d’une liberté publique ou d’un droit
constitutionnellement garanti, les collectivités territoriales ou leurs
groupements peuvent, lorsque, selon le cas, la loi ou le règlement l’a prévu,
déroger, pour un objet limité, aux dispositions législatives ou réglementaires
qui régissent l’exercice de leurs compétences, éventuellement après une
expérimentation autorisée dans les mêmes conditions. » C’est là une atteinte à
l’unité de la loi et à l’égalité des citoyens devant cette dernière qui est
évidente. Elle a déjà été introduite dans la révision de 2003 pour les
collectivités d’outre-mer. Toutefois, les concernant, elle est justifiée par
l’existence de situations particulières. C’est là un renversement du principe
d’échelle de différenciation, implicitement introduit entre les articles 72, 73
et 74 de la Constitution. Là encore, les effets pratiques d’une telle
disposition sont importants. Remplaçant le droit à l’expérimentation introduit
par la réforme de 2003, il peut être fait un parallèle avec la jurisprudence du
Conseil sur ce dernier [9]. Celle-ci révèle une marge de manœuvre relative à la
dérogation au principe d’égalité devant la loi et au domaine de la loi. La garantie
proposée en matière de droit et liberté reste par ailleurs sujette à caution.
La notion de « conditions essentielles de l’exercice d’une liberté publique ou
d’un droit constitutionnellement garanti » n’a pas vraiment fait l’objet d’une
précision par le Conseil constitutionnel. Il n’est toutefois qu’à voir les
marges de manœuvre existant en matière de police administrative pour concevoir
la portée toute relative de l’expression. L’insécurité juridique en la matière
risque d’être importante tant pour les collectivités que pour les administrés.
Si seules les « conditions essentielles » doivent être maintenues, cela veut
dire que la liberté du citoyen peut se voir réduite. Si le cadre est flou, cela
implique que le nombre de recours pour excès de pouvoir devrait faire le
malheur des collectivités et le bonheur des avocats. L’insécurité juridique,
pour les communes notamment, introduite par le droit à la différenciation est
immense.
Le tombeau de la démocratie locale
La différenciation rend illisibles pour l’électeur les enjeux des élections
locales. Aussi, elle favorise l’abstention et le désengagement. C’est là un
danger pointé tant par le Conseil d’État [10] que par la Mission « flash » sur
l’expérimentation et la différenciation territoriale [11]. Le juge
administratif note ainsi qu’à la complexité dans l’organisation des compétences
des collectivités territoriales « s’ajouterait celle tenant à l’existence de
compétences différenciées entre collectivités relevant d’une même catégorie ».
L’idée même de responsabilité démocratique implique que l’électeur discerne les
compétences de l’autorité publique et puisse apprécier son bilan. La
décentralisation a, jusqu’à présent, échoué à établir cette distinction claire
qui permettrait d’identifier à un échelon un groupe de politiques publiques.
Pire, les dernières réformes, notamment les lois NOTRe et MAPTAM, ont amplifié
ce phénomène en encourageant la différenciation des compétences. Ce système de
différenciation a également été accru par la possibilité pour les métropoles
d’exercer des compétences de l’État ou par la possibilité pour les régions
d’exercer certaines compétences des départements. À l’échelon communal
aujourd’hui, ce qui relève de la collectivité ou l’EPCI ne dépend plus
seulement du type de ce dernier (communauté de communes, d’agglomération,
métropoles…). Il existe également des compétences optionnelles dont un certain
nombre, au choix, doivent être transférés par la commune à l’EPCI. Ainsi, dans
une communauté d’agglomération l’article L. 5216-5 du CGCT impose aux communes
de confier à l’EPCI trois des sept compétences suivantes : voirie et parcs de
stationnement d’intérêt communautaire ; eau ; assainissement ; environnement ;
action sociale, équipements culturels et sportifs d’intérêt communautaire ;
maisons de service public.
Autrement dit, un électeur de bonne foi qui vote lors des élections municipales
et qui a à se plaindre de l’entretien de la voirie doit comprendre :
– Qu’il existe plusieurs types d’EPCI, dont une partie seulement à la compétence
d’entretien de la voirie.
– Dans quel type d’EPCI lui-même vit.
– S’il vit dans une communauté d’agglomération, si la voirie fait partie des
trois compétences transférées parmi les sept au choix.
Soyons clairs, et sans mépris pour les électeurs, un tel degré de technicité
n’est déjà pas évident pour les élus locaux. Il ne l’est pas non plus pour les
étudiants en droit public qui craignent le droit des collectivités au regard de
son extrême complexité. Pour un électeur qui n’a pas eu la bonne idée de
passer, récemment, un master 2 de droit des collectivités territoriales, voter
aux élections municipales en pleine conscience des enjeux est presque
impossible.
Le droit à la différenciation vient ajouter à la complexité. Il n’est, en ça,
pas tant une rupture que la continuité de ce qui fait aujourd’hui l’échec de la
décentralisation. Avec lui, le cadre encore à peu près clair des niveaux de
collectivités devient illisible. S’il est possible de dire que la Région
s’occupe du développement économique et le département de l’action sociale, que
dire de la collectivité européenne d’Alsace ? Au vu de ses compétences en
matière de tourisme ou de collaboration transfrontalière, n’est-elle pas
également chargée du développement économique ? Comme elle ne s’appelle plus
département, en est-elle encore un ? Pour le Conseil d’État, c’est le cas [12].
Pour le législateur, cela l’est moins comme en témoigne l’intervention de
Philippe Bas devant le Sénat [13]. Pour l’électeur, avouons cette fois que
l’ensemble est d’une grande ambiguïté. Comment apprécier le bilan et comprendre
la mission d’une telle collectivité par rapport aux autres, par rapport à
l’État ?
Le droit à la différenciation est donc la marque d’une décentralisation
construite par les élus et pour les élus… ou plutôt par et pour les
associations d’élus. On est loin de la lisibilité nécessaire pour permettre à
l’électeur d’exercer un vrai contrôle et réaliser un choix conscient. La
différenciation n’est que le dernier acte d’une pathologie qui a peu à peu
éloigné les citoyens de la vie locale alors que la décentralisation devait
signer leur engagement dans cette dernière.
Les conséquences en sont triples.
D’abord, le principal risque est celui de l’apathie électorale. Celle-ci se
vérifie au regard d’un taux de participation décroissant aux élections locales.
Plus les collectivités se sont vues dotées de compétences, moins les électeurs
se sont mobilisés pour les scrutins territoriaux. Le paradoxe n’en est un que
si l’on oublie que chaque nouvel acte de décentralisation a rendu cette
dernière plus illisible. Ainsi peut-on expliquer que, alors qu’ils ont vu leur
pouvoir croître, le taux d’abstention lors des élections renouvelant les
conseils régionaux est passé de 25,2 % en 1986 à 50,09 % en 2015. Devant des
enjeux peu clairs et un bilan impossible à vraiment apprécier, les électeurs
n’ont que peu d’allant à se déplacer. Encore le font-ils dans le cadre de
campagnes nationales qui permettent au moins de mettre en lumière quelques
enjeux du scrutin. Avec le droit à la différenciation, la trop grande variété
des situations locales, d’une commune à l’autre, conduira à priver la campagne
nationale elle-même de ce sens. Pour ce qui est des campagnes locales, on sait
qu’elles ne touchent qu’une infime minorité de l’électorat le plus politisé.
Ensuite, la campagne nationale n’en sera pas pour autant oubliée. Les élections
locales ont une répercussion nationale en ce qu’elles permettent de sanctionner
ou de soutenir un gouvernement. En rendant plus illisibles les enjeux locaux,
la différenciation devrait encore accroître ce phénomène. L’électeur sera
perdant, lui qui ira voter à une élection sur un sujet qui y est étranger. La
décentralisation en sera la victime, dont l’essence démocratique sera oubliée
ou réduite à un tour de chauffe avant les présidentielles.
Enfin, l’illisibilité démocratique conduit généralement au triomphe des
régionalistes comme le note bien Lori Thorlakson [14]. Si les électeurs
régionalistes se déplacent, ce n’est pas pour apprécier la façon dont la
collectivité exerce ses compétences. Il s’agit pour eux d’amener à la tête de
cette dernière une majorité censée défendre son identité et la conduire à
l’autonomie ou à l’indépendance. Ces électeurs-là se rendent à l’isoloir aux
élections locales, car pour eux l’enjeu est fort. Or dans une élection à forte
abstention, leurs voix sont précieuses. Cela se traduit par une
surreprésentation des mouvements régionalistes et une transformation des
discours et programmes des autres partis pour capter ce vote. Par ailleurs, la
ligne régionaliste, simplificatrice des enjeux de l’élection est bien plus
audible pour les électeurs. Elle est donc mise à profit afin de mobiliser sur
un sujet clair et palpable. Il est plus facile d’attirer l’électeur en lui parlant
de la culture bretonne millénaire que du bilan régional relatif au
développement des ports maritimes et des aérodromes… In fine, le malaise
démocratique local, accentué par la différenciation, conduit à une fuite en
avant régionaliste débouchant sur une liquidation de l’unité de la République.
La liquidation de l’unité républicaine
Il est assez intéressant de noter que le droit à la différenciation a,
jusqu’à présent, surtout permis de faire droit à des revendications
régionalistes. Il a par ailleurs été vendu ainsi par Emmanuel Macron dans ses
discours en Bretagne [15] ou en Corse [16]. Dans son rapport relatif à la
collectivité européenne d’Alsace, le préfet Marx ne motive pas tant sa création
par des considérations d’intérêt général, ou même local, que par « un désir
d’Alsace » [17]. De son côté, Édouard Philippe voit dans le « pacte breton »
une avancée décentralisatrice « dont les plus avisés spécialistes nous disent
qu’elle est totalement inédite depuis Philippe Le Bel » [18]. On peut
s’interroger sur la solidité des spécialistes que le Premier ministre a
consultés. Ils ont oublié de lui signaler que, au temps de Philippe le Bel, la
Bretagne jouissait d’une indépendance de fait et que les parlements régionaux
existaient sous l’Ancien Régime. Par ailleurs, la guerre civile incessante qui
marquait la féodalité avant Saint-Louis, dans la France dont hérite Philippe le
Bel, n’est pas tout à fait à prendre en exemple.
La différenciation conduit à la
montée du régionalisme d’abord en ce qu’elle accrédite l’idée d’une
exceptionnalité de la communauté régionale ainsi différenciée. C’est notamment
ce que révèlent les recherches de Michael Keating [19] ou Frans Schrijver [20].
La différenciation renforce le sentiment d’une identité insoluble dans l’unité
nationale, dont la reconnaissance passe par l’attribution de compétences
spécifiques. Il est absurde de lier identité régionale et compétences. Ce n’est pas parce qu’une collectivité à une identité
plus ancrée qu’elle est plus à même d’exercer des compétences en matière de
police routière ou de gestion de l’eau. Mais en obtenant des compétences dont
ne disposent pas les autres, elle introduit l’idée d’une autonomie plus grande
justifiée par cette identité. Ainsi note-t-on une corrélation directe entre le
niveau de compétence des collectivités et le sentiment régionaliste [21].
L’identité est un outil permettant de revendiquer des compétences, les
compétences permettent d’attester la reconnaissance d’une identité. Cela
conduit des auteurs comme Keating à renoncer à différencier un régionalisme
motivé par des intérêts locaux et un nationalisme identitaire local [22]. Dans
la mesure où la différenciation amène chaque collectivité à acquérir, selon
l’identité qu’elle pense incarner, des compétences en négociation avec l’État,
le phénomène ne peut être qu’accentué. Déjà, Frans Schrijver [23], montre que
le statut de 1991 en Corse a mené à une exacerbation du régionalisme. Quelques
années plus tard, en 1999, 70,8 % des habitants se disent attachés à la région,
seulement 40,1 % à la France. Le même phénomène est encore plus marquant dans
les nations concernées par la devolution en Grande-Bretagne ou les
communautés autonomes en Espagne.
Les ressorts de ce phénomène sont divers et sont assez bien connus par la littérature
scientifique.
D’abord, la différenciation conduit à reconnaître une légitimité aux
revendications des partis régionalistes [24], ce qui modifie profondément le
système partisan. Ces derniers sont dès lors les vainqueurs d’un combat dont
ils peuvent se vanter d’être les précurseurs et dépositaires. Ainsi, l’accès au
pouvoir du Scottish national Party a été facilité par la devolution,
comme celle des nationalistes corses par la création de la collectivité unique.
Si le combat a débouché, c’est qu’il était juste. Si le combat est juste, alors
c’est que ces formations ont eu raison de le mener contre le reste des partis
politiques. Un tel constat stimule le vote de leurs partisans et amène des
électeurs de ces anciennes formations à les soutenir [25]. Face à cette montée
en puissance des groupes régionalistes, les partis classiques réagissent en
exacerbant eux-mêmes le discours et en entrant dans une surenchère identitaire
[26]. Emmanuele Massetti et Arian Schakel [27] analysent assez bien le débouché
d’un tel phénomène. Les formations régionalistes peuvent l’emporter totalement
et se diversifient en se substituant aux partis nationaux. C’est notamment ce
qui s’est passé en Catalogne ou l’ECR a fini par remplacer le PSOE à gauche et Junts
per Catalunya, le Parti populaire, à droite. Le seul parti national
résistant, Ciudadanos, se caractérise justement par son opposition à la
rhétorique régionaliste. Quand les partis nationaux parviennent à se maintenir,
ce n’est qu’au prix d’une exacerbation par le personnel politique local du
discours régionaliste. C’est notamment le cas dans le cadre de scrutins que le
flou électoral engendré par la différenciation a rendus imperméables à tout
autre enjeu. Quoi qu’il en soit, la surenchère conduit à l’impasse [28]. L’autonomie
croissante obtenue par la région amène les régionalistes modérés à se voir
marginalisés par les séparatistes ; les premiers ayant obtenu gain de cause ne
peuvent se prévaloir que d’un programme gestionnaire. De même, le personnel
politique traditionnel doit, soit rompre avec les formations nationales qui ne
peuvent s’accommoder du séparatisme, soit accepter de perdre leur course de
vitesse contre les régionalistes.
Par ailleurs, la différenciation a aussi pour résultat de créer un effet de
mimétisme entre régions bien étudié par la science politique [29]. Si
l’identité est liée à la compétence, alors disposer de moins de compétences
qu’une autre collectivité implique de considérer son identité comme moins
respectée. Or si une collectivité dispose des mêmes compétences qu’un grand
nombre d’autres, son exceptionnalité n’est plus si singulière. Autrement dit, à
la surenchère au sein du personnel politique s’ajoute une surenchère entre
collectivités. En quelques mois et avant même l’adoption de la révision
constitutionnelle, le phénomène a déjà commencé. Ainsi, dans un article publié
dans le point le 4 mai, Gilles Siméoni annonce clairement que le droit à la
différenciation rapproche le cas corse d’un cas de droit commun. Aussi, il faut
reconnaître la singularité de la Corse en lui accordant un statut plus
particulier, excédant de beaucoup ce droit à présent accessible à toutes les
collectivités. Au Sénat, la collectivité européenne d’Alsace a été combattue
par le Sénateur mosellan François Grosdidier, au nom d’une non-exceptionnalité
de l’Alsace par rapport à la Moselle. Finalement, pour marquer cette
non-infériorité de l’identité mosellane, le département de Moselle a annoncé
jeudi 2 mai son intention de devenir un « eurodépartement ».
Le droit à la différenciation s’inscrit ainsi dans une évolution de la question
régionale en Europe. Menée 20 ans après les autres pays du continent, elle a
rendu la Belgique et l’Espagne ingouvernables, la Grande-Bretagne en menace
d’éclatement et a conduit au triomphe des populistes en Italie… On peut
raisonnablement s’interroger sur la naïveté gouvernementale en la matière. Elle
semble avoir trois fondements :
D’abord, une vision scientifique surannée qui a eu son heure de gloire dans les
1980 et 1990 et qui marque la distance des élites françaises avec l’évolution
de la littérature internationale. La théorie dominante dans le monde politique
était alors celle de l’accomodation [30]. Face aux régionalistes, il
fallait accorder plus de compétences aux territoires où s’exprimait cette
tentation afin de décrocher la branche modérée des radicaux. Contentés, les
premiers gouverneraient en bonne intelligence avec l’État central, quand les
seconds seraient relégués à la marginalité. Cette théorie est aujourd’hui
battue en brèche et s’est vu subsister celle de l’empowerment. Elle
témoigne qu’il existe un lien attesté entre décentralisation et vote
régionaliste [31]. L’État entre dans un processus incrémental de dévolution de
compétences à des entités infra-étatiques [32] qui mène à une plus grande
autonomie. Pour légitimer cette dernière, les régions développent un logiciel
identitaire de plus en plus agressif visant en priorité la politique éducative
[33]. Ce discours est diffusé à grande échelle et légitimé par un sceau institutionnel
[34]. Dawn Bracanti montre ainsi que l’existence d’institutions locales
représentatives stimule le vote pour les formations régionalistes [35].
Emmanuele Massetti et Arian Schakel, dans une étude par régression statistique
sur 227 partis régionalistes dans 329 régions et 18 pays [36], prouvent que
l’existence d’un gouvernement régional multiplie par trois le nombre des partis
régionalistes. Ceux-ci s’installent durablement dans le paysage en
récompensant, une fois au pouvoir, leur clientèle électorale [37].
La seconde erreur est de penser le régionalisme comme un secours contre le
nationalisme. Or, l’enquête de Frans Schrijver montre qu’au contraire elle le
renforce. Les régions non sécessionnistes trouvent dans le nationalisme une
réponse aux brocards des régionalistes. C’est là l’un des moteurs principaux du
parti Vox en Espagne ou du renforcement du UKIP en Grande-Bretagne.
La troisième erreur tient à l’illusion que, à l’exception de la Corse, la
France ne connaît pas de tentation régionaliste profonde. Or en la matière deux
cents ans de jacobinisme ne nous ont pas tant immunisés que désensibilisés
devant à une crise qui touche la plupart des démocraties voisines. Frans
Schrijver [38], à partir des données de l’Observatoire interrégional du Politique,
montre qu’en Bretagne le taux de ceux se disant plus bretons que français a crû
de 19,2 % en 1989 à 30,7 % en 2000. En Alsace, ce même taux est passé de 17,3 %
en 1985 à 26 % en 2000. Cette évolution est pour beaucoup liée à la production
d’un discours régionaliste par les institutions [39]. La diversité et la
richesse de la culture locale sont masquées par un discours politique militant
qui devient discours officiel. Ainsi en va-t-il de la langue occitane,
construction d’abord militante puis institutionnelle la transformant en arme
politique [40]. De telles politiques peuvent non seulement attiser le
régionalisme, mais même le faire naître à partir d’un néant historique comme ce
fut le cas concernant la Padanie italienne [41]. Le régionalisme est le fruit
bien plus que la source d’une différenciation territoriale qui implique de
légitimer des institutions et une revendication de compétence à l’aide
d’images, de symboles, de mots, de slogans, ou d’une langue [42].
Le triomphe des inégalités territoriales
L’idée selon laquelle la différenciation en permettant d’adapter la norme au
plus près du terrain stimule le tissu économique repose, là encore, sur de
vieilles conceptions. On peut notamment citer le théorème de la
décentralisation [43] ou le néo-régionalisme [44]. Outre que ces idées sont
aujourd’hui fortement contestées, la différenciation représente une rupture
singulière ne pouvant conduire qu’au creusement des inégalités territoriales.
L’envisager comme une réponse à la crise dite « des gilets jaunes » laisse donc
perplexe.
La différenciation porte d’abord en elle-même un risque d’approfondissement des
inégalités territoriales, et ce pour deux raisons.
La première tient à la désunion des collectivités face aux lobbys. Comme le
notent les membres du club Marc Bloch, composé d’universitaires et praticiens
locaux : « Il en irait comme pour les individus face aux grandes entreprises
mondialisées : la loi du plus fort se substituerait à la règle générale. Il
s’agirait alors d’une réaction et non d’une révolution… même pas d’une
évolution » [45]. Dès lors que la norme peut affecter la compétitivité du
territoire, sa modulation peut faire l’objet d’un marchandage, voire d’une
pression. C’est ce que constate de manière assez claire Antonio Casimiro Fereira
à propos des normes relatives au droit du travail au Portugal [46]. Ainsi, la
différenciation pourrait bien marquer le début d’une course au moins-disant
social et environnemental [47].
La seconde a trait aux conditions mêmes de la différenciation des compétences.
Si une collectivité veut exercer une nouvelle compétence, elle doit en avoir
les moyens. On peut toujours penser que l’État transférera également les
crédits, mais, au vu de la pratique récente, c’est là une gageure. Pour une
collectivité, demander une nouvelle compétence, c’est au mieux engendrer une
situation d’incertitude financière. Dès lors, seules les collectivités les plus
riches peuvent prendre ce risque. Or comme le montrent David Robert Agrawal et
Dirk Foremny [48], à partir du cas espagnol, la différenciation entraîne une
inégalité des armes entre collectivités. Certains disposent de leviers pour
attirer les investisseurs que d’autres n’ont pas. Or, comme les collectivités
les plus riches sont les plus susceptibles d’assumer efficacement ces
compétences, elles en tirent avantage aux dépens des territoires les plus
pauvres.
La différenciation représente ensuite un obstacle aux mécanismes correcteurs
des inégalités induites par la décentralisation. L’idée selon laquelle
renforcer l’action des échelons locaux en matière normative permet de stimuler
l’économie est sujette à caution. Certaines études montrent que la
décentralisation peut s’avérer un frein à la croissance [49] et qu’elle produit
des inégalités économiques entre territoires. Les différences entre les régions
en matière de revenus et de structures du marché du travail croissent ainsi
avec le degré de décentralisation [50]. Agnese Sacchi et Simone Salotti
montrent que si elle porte sur l’allocation des dépenses, la décentralisation
conduit à la concentration des revenus [51]. C’est d’abord et avant tout le cas
dans les territoires les plus pauvres [52]. Un récent rapport de l’OCDE
démontre qu’elle accroît particulièrement le gouffre séparant classes moyenne
et populaire [53]. Or la différenciation, loin de corriger ce biais l’aggrave.
D’abord, les études montrent classiquement qu’en cas d’abstention importante,
le personnel politique local tend à favoriser son propre électorat [54]. Il
faut rappeler le principe selon lequel la différenciation brouille les enjeux
des élections et conduit les électeurs à s’abstenir ou voter sur la base de
questions nationales. Il y a alors un risque de concentration des politiques
publiques en faveur de segments électoraux souvent plus aisés et plus engagés
dans la vie politique locale. Pour un personnel politique qui ne peut être jugé
sur son bilan, rendu illisible, mieux vaut s’assurer d’une base électorale
entretenue.
Ensuite, la surenchère régionaliste déjà étudiée n’est bien entendu pas
étrangère au creusement des inégalités territoriales. Le sentiment régionaliste
trouve des fondements et des motivations dans la redistribution des richesses
comme le montrent les exemples de l’Espagne [55] ou de l’Italie [56]. Le cas
italien est particulièrement probant. Depuis la régionalisation fiscale en
2008, le PIB de la riche Lombardie est passé de 346 millions à 366 millions
d’euros en 2016, le chômage de 4 à 6 %. En Calabre en revanche le PIB est tombé
de 33, 816 à 33, 054 millions d’euros quand le chômage est monté de 12 % à 21,5
%. Sur la même période en comparaison, en Corse, région périphérique soutenue
par l’État central, le PIB a augmenté de 7, 441 à 9, 097 millions d’euros et le
taux de chômage est resté stable. Encore la régionalisation fiscale
s’était-elle accompagnée en Italie d’un fonds de péréquation, dont l’efficacité
est restée, c’est vrai, relative. Toutefois, à la suite de plusieurs
référendums et à la demande des gouvernements locaux, l’Italie s’apprête à
inaugurer un « régionalisme différencié » en Vénétie, Lombardie et
Émilie-Romagne. Ce dernier a notamment pour objet de rompre un peu plus la
solidarité financière avec le Mezzogiorno. Le gouverneur de Vénétie a
ainsi fait campagne sur le maintien de 90 % des impôts prélevés sur le territoire
régional. À la suite de l’accession par l’État central à ces revendications,
c’est maintenant la Ligurie, le Piémont, la Toscane, l’Ombrie et les Marches
qui revendiquent en la matière plus d’autonomie et moins de solidarité.
Le droit à la différenciation n’est pas une mesure technique dont l’analyse ne
devrait intéresser que les juristes spécialistes du droit des collectivités ou,
au mieux, la presse spécialisée. Si la réforme constitutionnelle est adoptée,
elle représentera probablement la plus grande rupture historique portée par ce
gouvernement. Cette rupture sera d’autant plus nette que les exemples étrangers
montrent que la solidification des positions locales et la montée du
régionalisme introduisent un effet cliquet. Nous ne reviendrons pas en arrière
sur le droit à la différenciation, en tout cas pas tout de suite, et pas sans
chamboulement total de nos institutions. Bombe à fragmentation au cœur même du
texte constitutionnel, ses effets risquent de n’être regrettés et analysés que
lorsque les dégâts produits seront devenus irréparables. Son adoption porte en
elle l’effet contraire de celui revendiqué par ses promoteurs. Elle n’apportera
pas le dynamisme politique local, mais l’obscurité et la confusion. Elle ne
conduira pas à plus d’égalité territoriale, mais à une décentralisation au
profit des lobbys et des territoires les plus riches. Elle ne permettra pas
l’apaisement des conflits identitaires locaux, mais leur exacerbation.
Basé sur de vieilles idées surannées qui ont échoué partout ailleurs, le droit
à la différenciation est une erreur que la France peut s’éviter. Encore faut-il
ouvrir le débat.
—–
[1] Voir les rapports de la délégation aux collectivités de l’Assemblée
nationale : Jean-René CAZENEUVE et Arnaud VIALA, Mission « flash » sur
l’expérimentation et la différenciation territoriale, rapport n° 912 fait
au nom de la délégation aux collectivités de l’Assemblée nationale, 2018 ;
Jean-René CAZENEUVE et Arnaud VIALA, en conclusion des travaux du groupe de
travail sur les possibilités ouvertes par l’inscription dans la constitution
d’un droit à la différenciation, rapport n° 1687 fait au nom de la
délégation aux collectivités de l’Assemblée nationale, 2019.
[2] Décision n° 91-291 DC du 6 mai 1991, publié au Journal officiel du
11 mai 1991, page 6236.
[3] Loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 relative à l’aménagement, la protection et la
mise en valeur du littoral.
[4] Loi n° 85-30 du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection
de la montagne, largement remaniée par la loi n° 2016-1888 du 28 décembre 2016
de modernisation, de développement et de protection des territoires de
montagne.
[5] Décision n° 2010-618 DC du 9 décembre 2010 ; décision n° 2013-687 DC du 23
janvier 2014.
[6] Richard FERRAND, Marc FESNEAU, Yaël BRAUN-PIVET, Rapport sur le projet
de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable
et efficace, rapport n° 1137 fait au nom de la commission des lois, p. 208.
[7] Jean-René CAZENEUVE et Arnaud VIALA, en conclusion des travaux du groupe
de travail sur les possibilités ouvertes par l’inscription dans la constitution
d’un droit à la différenciation, rapport n° 1687 fait au nom de la
délégation aux collectivités de l’Assemblée nationale, 2019, p.39.
[8] Décision n° 96-373 DC du 9 avril 1996 ; Décision n° 2001-446 DC du 27 juin
2001.
[9] Décision 2003-478 DC du 30 juillet 2003.
[10] CONSEIL D’ÉTAT, avis sur la différenciation des compétences des
collectivités territoriales relevant d’une même catégorie et des règles relatives
à l’exercice des compétences, n° 393651, 7 décembre 2017.
[11] Jean-René CAZENEUVE et Arnaud VIALA, Mission « flash » sur
l’expérimentation et la différenciation territoriale, rapport n° 912 fait
au nom de la délégation aux collectivités de l’Assemblée nationale, 2018.
[12] CONSEIL D’ÉTAT, 28 février 2019, avis sur un projet de loi relatif aux
compétences de la collectivité européenne d’Alsace.
[13] « La commission des lois s’est prononcée, de la manière rappelée par notre
excellente rapporteur, Mme Agnès Canayer, qui, pour autant, n’a pas voulu
attacher à cette question de la dénomination des conséquences que celle-ci n’a
pas. En effet, quelle que soit la dénomination que vous retiendrez par votre
vote, mes chers collègues, vous ne changerez pas la chose. Et quelle est cette
chose ? C’est une collectivité déjà hybride. C’est un peu comme la recette du
pâté aux alouettes : il faut, pour faire un pâté aux alouettes, un cheval et
une alouette. (Sourires.) Nous avons là un département, qui n’est pas simplement
un département : c’est un département plus quelque chose. Si l’on s’intéresse
uniquement à ce quelque chose, on en fait déjà une collectivité à statut
particulier, mais, en l’écrivant dans la loi, on irait trop loin, car la
dénomination ne correspondrait plus à la chose. La chose, c’est un département
créé par décret. Celui-ci n’a nul besoin d’une loi pour voir le jour. Et si le
Gouvernement a estimé qu’il fallait une loi, c’est que, en réalité, nous sommes
en train de créer un peu plus qu’un département. Nous-mêmes, en commission des
lois, nous avons considéré que la partie “alouette”, c’est-à-dire la partie
“collectivité à compétences particulières” de ce département, était
insuffisante. C’est pour cette raison que nous avons voulu ajouter une deuxième,
puis une troisième, puis une quatrième alouette, pour faire bon poids. C’est
ainsi que, au-delà des compétences que le Gouvernement avait prévues, notamment
en matière routière ou transfrontalière, nous avons ajouté la promotion de
l’attractivité, qui était une compétence jusque-là réservée à la région, nous
avons ajouté la qualité de chef de file en matière de bilinguisme, et nous nous
apprêtons à ajouter la coordination de la politique touristique,
l’expérimentation des aides aux entreprises par délégation de la région, des
pouvoirs de police en matière de routes — puisque l’on transfère à cette
collectivité des autoroutes, ce qui n’a jamais été fait pour aucune autre
collectivité départementale. Nous proposons également la création d’un conseil
de développement, ainsi que la possibilité de créer dans ce département
particulier une télévision locale, pour défendre la langue alsacienne. Je
comprends que dans la perspective ouverte par le Gouvernement, qui a désiré
faire plus qu’un département, le Sénat s’apprête à faire beaucoup plus qu’un
département, sans pour autant créer une collectivité à statut particulier. Eh
bien, mes chers collègues, vous connaissez la position de la commission, mais,
en votre âme et conscience, vous allez pouvoir maintenant dire si vous
souhaitez que l’on s’en tienne à la dénomination “département”, ou si, tenant
compte de toutes ces avancées, vous préférez aller plus loin. Peut-être
choisirez-vous alors de reprendre la dénomination qu’ont retenue tant les
conseils départementaux d’Alsace que la région Alsace, ainsi d’ailleurs que le
Gouvernement. Cela, c’est votre appréciation. Je le rappelle encore une fois,
la position de la commission était différente. », Compte rendu intégral des
débats du Sénat, le 2 avril 2019.
[14] Lori THORLAKSON, « Patterns of Party Integration, Influence and
Autonomy in Seven Federations », Party
Politics, n°15, vol.2, 2009, pp.157–177.
[15] Emmanuel MACRON, Discours prononcé à Quimper le 21 juin 2018.
[16] Emmanuel MACRON, Discours prononcé à Bastia le 7 février 2018.
[17] Voir sur cette question le rapport remis au Premier ministre Jean-Luc
MARX, Mission Alsace Grand-Est, Rapport au Premier ministre, Strasbourg 15 juin
2018, p.39.
[18] Édouard PHILIPPE, Discours prononcé à Rennes, le 8 février 2019.
[19] Voir sur cette question : Michael KEATING, « What’s Wrong with
Asymmetrical Government ? » dans H.
ELCOCKK et M. KEATING (dir.) Remaking the Union: Devolution and British
Politics in the 1990s, London: Cass, 1998, pp. 195-218.
[20] Frans SCHRIJVER, Regionalism after regionalisation : Spain, France and
the United Kingdom, Amsterdam : Amsterdam University Press , 2006, pp.
185-187. Voir aussi Yves MÉNY, « The Political Dynamics of Regionalism:
Italy, France, Spain », dans R. MORGAN (dir.) Regionalism in European
Politics, Londres: Policy Studies Institute, 1986, p.10.
[21] Rune Dahl FITJAR, The Rise of Regionalism, London: Routledge, 2010.
[22] Keating, M. (1988) State and Regional Nationalism: Territorial politics
and the European.
[23] Frans SCHRIJVER, Regionalism after regionalisation : Spain, France and
the United Kingdom, Amsterdam : Amsterdam University Press , 2006, pp.
185-187. Voir aussi Yves MÉNY, « The Political Dynamics of Regionalism:
Italy, France, Spain », dans R. MORGAN (dir.) Regionalism in European
Politics, Londres: Policy Studies Institute, 1986, p.10.
[24] André LECOURS, « Ethnonationalism in the West: A Theoretical
Exploration », Nationalism & Ethnic Politics, vol. 6, n ° 1,
2000, pp. 103–124; André LECOURS, « Political Institutions, Elites, and
Territorial identity Formation in Belgium », National identities,
vol. 3, no.1, 2001, pp. 51–68.
[25] Bonnie MEGUID, « Bringing Government Back to the People? The Impact of
Political Decentralization on Voter Engagement in Western Europe ». Papier
présenté à l’association des études européennes à Montréal, mai 2007.
[26] Eve HEPBURN et Klaus DETTERBECK, « Federalism, regionalism and the
dynamics of party politics » dans Routledge Handbook of Regionalism and
Federalism, Londres: Routledge, 2013, p. 83.
[27] Emanuele MASSETTI et Arjan H SCHAKEL, « Decentralisation Reforms and
Regionalist Parties’ Strength: Accommodation, Empowerment or Both? », Political
Studies, 2017, n ° 65, vol.2, pp.432–451.
[28] Stein ROKKAN, et Derek W. URWIN. Economy, Territory, Identity. Politics
of West European Peripheries. London: Sage, 1983.
[29] Arendt LIJPHART, « Political Theories and the Explanation of Ethnic
Conflict in the Western World: Falsified Predictions and Plausible Postdicdons
». dans J.M. ESMAN (dir.), Ethnic Conflict in the Western World, Ithaca
: Cornell University Press,1979, pp. 53-54 ; Frans SCHRIJVER, Regionalism
after regionalisation : Spain, France and the United Kingdom, Amsterdam :
Amsterdam University Press , 2006, p.64 ; Luis Moreno, The federalization of
Spain, London: Frank Cass, 2001.
[30] Lieven DE WINTER « In Memoriam the Volksunie 1954–2001: Death by
Overdose of Success? » dans L. DE WINTER, M. GOMEZ-REINO et P. LYNCH (dir.)
Autonomist Parties in Europe: Identity Politics and the Revival of the
Territorial Cleavage. Vol. II, Barcelone: ICPS, 2006, pp.11–46. ; Margaret
LEVI et Michael HECHTER, « A Rational Choice Approach to the Rise and
Decline of Ethnoregional Political Parties » dans : A. TIRYAKIAN et R.
ROGOWSKI (dir.) New Nationalism of the Developed West. Boston, MA: Allen
& Unwin, 1985, pp.128–146; Joseph, Jr., RUDOLPH et Robert THOMPSON, « Ethnoterritorial
Movements and the Policy Process: Accommodating Nationalist Demands in the
Developed World », Comparative Politics, n ° 15, 1985, pp.291–311.
[31] Dahl FITJAR, The Rise of Regionalism, London: Routledge, 2010,
p.44.
[32] Liesbet HOOGHE, Gary MARKS, Arjan H. SCHAKEL, The Rise of Regional
Authority: A Comparative Study of 42 Democracies. Londres : Routledge,
2010.
[33] L’acquisition par la collectivité européenne d’Alsace de compétences en
matière d’enseignement des dialectes alsaciens et de la langue allemande entre
bien dans cette logique.
[34] Ce renforcement local donne également une visibilité nationale et représente
un moyen d’action dans le champ politique central. Ainsi, les partis
régionalistes se renforcent en élargissant leur public. L’accès aux grands
médias nationaux garantit notamment à leurs idées une plus large publicité que
la presse locale.
[35] Dawn BRANCATI, « The Origins and Strengths of Regional Parties », British
Journal of Political Science n ° 38, vol.1, 2008, pp. 135–159.
[36] Emanuele MASSETTI et Arjan H SCHAKEL, « Decentralisation Reforms and
Regionalist Parties’ Strength: Accommodation, Empowerment or Both? », Political
Studies, 2017, n ° 65, vol.2, pp.432–451.
[37] Anwen ELIAS et Filippo TRONCONI, « From protest to power: Autonomist
parties in government », Party Politics, n ° 17, vol.4, 2011, pp.
505–524.
[38] Frans SCHRIJVER, Regionalism after regionalisation: Spain, France and
the United Kingdom, Amsterdam: Amsterdam University Press, 2006, pp.
185–187.
[39] André LECOURS, « Ethnonationalism in the West: A Theoretical
Exploration », Nationalism & Ethnic Politics, vol. 6, n ° 1,
2000, pp. 103–124; André LECOURS, « Political Institutions, Elites, and
Territorial identity Formation in Belgium », National identities,
vol. 3, no.1, 2001, pp. 51–68; Anssi PAASI, « The institutionalisation of
regions: a theoretical framework forr understanding the emergence of regions
and the constitution of regional identity », Fennia vol.164 n ° 1,
1986, pp. 105–146; Anssi PAASI, « Deconstructing regions: notes on the
scales of spatial life », Environment and Planning, vol. 23, 1991,
pp.239-256; Anssi PAASI, Territories, Boundaries and Consciousness. The
Changing Geographies of the Finnish, Russian Border, Chichester: John Wiley
& Sons, 1996.
[40] Pierre BOURDIEU, « L’identité et la représentation, éléments pour une
réflexion critique de l’idée de région » Actes de la recherche en sciences
sociales, vol.35, 1980, pp.63-72.
[41] Michael KEATING, The New Regionalism in Western Europe, Cheltenham:
Edward Elgar, 1998, p.87.
[42] Gertjan DIJKINK et Virginie MAMADOUH, « Identity and Legitimacy in the
Amsterdam Region », dans S. MUSTERD et W. SALET, (dir.), Amsterdam Human
Capital, Amsterdam : Amsterdam University Press, 2003, pp.331-358.
[43] Voir notamment Wallace OATES, Fiscal federalism. New York: Harcourt
Brace, 1972.
[44] Pour un résumé de ces doctrines, John AGNEW. “The new regionalism and
the politics of the regional question”, in John LOUGHLIN, John KINCAID et
Wilfried SWENDEN, Routledge Handbook of Regionalism and Federalism
Routledge, London, Taylor and Francis, 2013, p.130-140.
[45] CLUB MARC BLOCH, Citoyen ! Plaidoyer pour une démocratie locale
renouvelée, Paris : L’harmattan, coll. « Logiques Juridiques », 2018, p.63.
[46] António CASIMIRO FERREIRA, La société d’austérité. L’avènement du droit
d’exception, Paris : LGDJ, coll. « Droit et société », 2017, p.41.
[47] Voir sur cette question les débats sur la suppression de l’enquête
publique à propos des autorisations environnementales expérimentées en Bretagne
et Hauts-de-France.
[48] David Robert AGRAWAL, Dirk FOREMNY, « Relocation of the Rich: Migration
in Response to Top Tax Rate Changes From Spanish Reforms », CESifo Working
Paper Series, n°7027, 2018.
[49] Norman GEMMELL, Richard KNELLER, Ismael SANZ, « Fiscal decentralization
and economic growth: Spending versus revenue decentralization », Economic
Inquiry, 51/4, 2013, pp. 1915–1931 Andres RODRIGUEZ-POSE, Roberto EZCURRA, « Is
fiscal decentralization harmful for economic growth? Evidence from the OECD
countries », Journal of Economic Geography, 11/5, pp.619-643; Hamid
DAVOODI and Heng-Fu ZOU, « Fiscal decentralization and economic growth: A
cross-country study »., Journal of Urban Economics, 43, 1998,
pp.244-257 ; Danyang XIE, Heng-Fu ZOU et Hamid DAVOODI, « Fiscal
decentralization and economic growth in the United States », Journal of
Urban Economics, 36, 1999, pp.228-239.
[50] Pablo BERAMENDI, « Political Institutions and Income Inequality : The
Case of Decentralization », Wissenschaftszentrum Berlin für
Sozialforschun, Discussion Paper, 2003.
[51] Agnese SACCHI, Simone SALOTTI, « The effects of fiscal decentralization
on household income inequality: some empirical evidence », Spatial Economic
Analysis, 9/2, 2014, pp.202-222.
[52] Tarkan CAVUSOGLU, Oguzhan DINCER, « Does Decentralization Reduce Income
Inequality ? Only in Rich States », Southern Economic Journal, 82/1,
2015, pp. 285-306 : Le contre-exemple allemand est ainsi à considérer au regard
de trois facteurs : richesse des Lands de l’Ouest ; politique de forte
redistribution vis à vis de l’Est ; délocalisation internes dans le cadre d’un
État où les inégalités régionales issues de la guerre froide conduisent à des
écart originaux importants.
[53] Sibylle STOSSBERGI, David BARTOLINIII, Hansjörg BLÖCHLIGER, « Fiscal
decentralisation and income inequality », OECD Economics Department Working
Papers, 1331, 2016.
[54] Rémy PRUD’HOMME, « The dangers of decentralization », The World
Bank research observer, 10/2, 1995, pp. 201-220.
[55] David Robert AGRAWAL, Dirk FOREMNY, « Relocation of the Rich: Migration
in Response to Top Tax Rate Changes From Spanish Reforms », CESifo
Working Paper Series, n°7027, 2018.
[56] Anna Cento BULL, « The Lega Nord and fiscal federalism: functional or
postfunctional ? », Modern Italy 16/4, 2011, pp. 437-447
Pour aller plus loin, consulter les actes du colloque de la Fondation Res
Publica du 27 février 2018 « Désertification et réanimation des
territoires » ici.
Fondation Res Publica I Mercredi 10 Juillet 2019 I | Lu 647 fois
VOIR AUSSI : institutions, territoires