Par Georges Gastaud, auteur du « Nouveau défi léniniste » (Delga). Voir aussi l’article de G. Gastaud dans « Gilets jaunes, jacquerie ou révolution » (Temps des cerises, 2019).
C’est d’abord bien sûr pour sauver nos retraites solidaires construites en 1945 par le ministre communiste Ambroise Croizat qu’il faut construire, soutenir et… gagner le rude affrontement de classes qui s’annonce pour décembre 2019. Ce bras de fer social promet d’opposer le mouvement populaire, classiquement conduit par les travailleurs du rail, au bloc oligarchique personnifié par Macron, inspiré par le MEDEF et arrimé à l’UE. Et pour gagner ce combat vital pour notre peuple, il faut être prêts, malgré l’acharnement redoublé de l’UE à criminaliser le communisme (voire à diaboliser la figure du Che !), à bloquer tous ensemble en même temps le profit capitaliste en marchant hasta la victoria siempre,n’en déplaise à l’endormeur en chef Laurent Berger et à ceux des dirigeants syndicaux qui n’ont cure de diviser leur classe dans le vain espoir de grappiller quelques miettes empoisonnées pour leur seule corporation. D’autant plus que si nous, travailleurs et véritables progressistes, gagnions enfin la bataille des retraites, l’infernale mécanique policière et euro-thatchérienne du macronisme se romprait : nous pourrions alors contre-attaquer sur l’ensemble des régressions (code du travail, statuts, privatisations, délocalisations, casse du lycée, de l’indemnisation du chômage, des APL, de l’hôpital public…) que prescrivent les autorités bruxelloises et la République de Berlin érigée sur les décombres du premier socialisme allemand et européen.
Mais l’émergence d’un fort mouvement social porte aussi un immense enjeu politique et sociétal. En effet, deux études aux conclusions apparemment opposées, celle du fin politiste Jérôme Fourquet décrivant L’Archipel français (c’est-à-dire l’extrême fragmentation du peuple français « éparpillé façon puzzle » par l’individualisme, par les communautarismes divers et par l’américanisation galopante des mœurs), mais aussi celle du non moins subtil Jérôme Sainte-Marie qui met à nu le « bloc contre bloc » qui se dessine en France : d’un côté, le « bloc élitaire » personnifié par Macron, et dont les vrais inspirateurs sont le MEDEF et l’UE, et de l’autre, le bloc « populaire » que cherche à diriger le « Rassemblement national » qui « cartonne » dans certains milieux populaires et se pose en seule « alternative » pour 2022. Ces deux analyses ne s’excluent pas autant qu’on pourrait le croire puisqu’elles pointes l’une et l’autre la consolidation dans notre pays d’un énorme blocage sociopolitique : celui qui peut mener à l’euro-dissolution multi-culturaliste de la France et/ou à une guerre civile larvée ou ouverte entre le bloc oligarchique personnifié par Macron et le bloc populaire piloté par les Le Pen, à défaut de disposer d’une véritable boussole progressiste. Car c’est bien la casse néolibérale méthodique des activités productives et des services publics – à quoi nous ajouterons celle de la langue française sacrifiée au « tout-globish » – qui, du même mouvement, érode le patriotisme républicain des citoyens et sape la conscience de classe des travailleurs en favorisant leurs succédanés défoulatoires : l’individualisme effréné et pseudo-ludique très fort dans la jeunesse, ou le duopole délétère que forment ensemble et concurrement l’euro-macronisme antisocial et « dé-national » et les diverses variantes du lepénisme plus antisyndical, anticommuniste… et euro-compatible que jamais. En réalité, la xénophobie de la nébuleuse lepéniste n’est que l’ombre portée de l’auto-phobie nationale du bloc macroniste ; lequel, éperdu d’admiration pour le « modèle » anglo-saxon, ne parle plus qu’en termes méprisants de ce vieux pays « moisi » de Sans Culottes attardés, de Communards incurables et de Gilets jaunes « haineux ». C’est au contraire en partant des luttes, dont le terreau principal se situe dans les entreprises privées et dans les services publics en voie de privatisation/libéralisation, qu’une alternative authentiquement populaire associant le drapeau rouge internationaliste des travailleurs au drapeau tricolore de la nation indépendante pourra fédérer, contre le bloc oligarchique (flanqué de ses satellites juppéistes, euro-écologistes et sociaux-libéraux), les « périphéries » en gilet jaune et les banlieues en insurrection larvée. Lesquelles, faute d’une telle perspective « rouge et tricolore », ne pourront que s’opposer et donner dans toutes les diversions du pouvoir.
C’est à cette fin que les militants franchement communistes, antifascistes et anti-Maastricht du PRCF s’adressent aux communistes qui rejettent le mythe social-maastrichtien de l’« Europe sociale », aux syndicalistes de lutte capables de rompre avec l’euro-béatitude de la Confédération européenne des syndicats, aux patriotes qui refusent à la fois le lepénisme et à la dissolution euro-atlantique de la nation : il faut qu’émerge à temps une véritable alternative antifasciste, patriotique, populaire et écologiste à l’anti-alternative mortelle que constitue le duopole Macron/Le Pen. Ces rivaux-complices forment en réalité les deux mâchoires d’une même tenaille qui broie le peuple français, tout comme à l’échelle européenne, les euro-mondialistes Macron et Merkel s’associent aux pseudo-patriotes Salvini, Le Pen, Kaczynski, etc., pour verrouiller la « construction » euro-atlantique sur fond d’anticommunisme fascisant. De même, à l’échelle « transatlantique », la confrontation entre le néo-protectionniste fascisant D. Trump et le « démocrate » libre-échangiste débridé J. Biden vise à étouffer les alternatives émergentes s’inspirant de l’ALBA qui, s’opposant à la fois à l’impérialisme, au fascisme et au néolibéralisme, tente de reconstituer les souverainetés nationales, de nouer de véritables coopérations internationales et de rouvrir concrètement l’aspiration inextinguible des masses au socialisme.
En 1944, le programme du CNR Les jours heureux voulait, dans la foulée de Stalingrad et de la défaite nazie, « mettre le monde du travail au centre de la vie nationale » en fédérant le combat pour le progrès social, l’antifascisme et la lutte pour la souveraineté nationale. Face à un capitalisme de plus en plus prédateur, belliciste et éco-destructif, il faut que, dans les formes d’aujourd’hui, le « monde du travail » s’unisse pour prendre la tête du combat patriotique et foncièrement anticapitaliste pour l’indépendance de la France. A notre époque, cela signifie militer pour le Frexit progressiste ; et, plus que jamais, reconstruire un parti communiste combatif sans lequel la classe laborieuse ne pourra pas reconstituer à temps sa force d’hégémonie culturelle, d’impulsion historique et de centralité sociopolitique.