Une réflexion du secrétariat national du PRCF – 24 novembre 2022
Massivement, notre peuple voit les revenus du travail (salaires, indemnités chômage, pensions de retraite, aide d’État au logement social, revenu paysan, etc.) s’effondrer sous les coups de la crise systémique du capitalisme. A cette crise, le système répond par l’intensification de l’exploitation et par l’escalade belliciste antirusse et antichinoise. Faute d’indexation des salaires sur les prix et de blocage de ces derniers, l’inflation accélère la précarisation de la jeune génération. De même, la destruction des diplômes nationaux, des conventions collectives et des statuts nationaux orchestrée par Macron au nom de la « construction » européenne, provoque l’appauvrissement massif de la classe ouvrière et des couches moyennes alors que les actionnaires du CAC 40 viennent de s’octroyer une augmentation de 36% de leurs dividendes. Pendant que, par ailleurs, l’UE-OTAN et l’ensemble des gouvernements européens attisent la guerre en Ukraine, préparent la guerre à Taiwan ou en Corée et abondent vertigineusement les budgets de guerre profitables aux seuls marchands de missiles!
Dans une dégringolade terrifiante vers la pauvreté de masse, 1 Français sur 5, dont des millions d’enfants pauvres, ne fait plus qu’un (mauvais) repas par jour ou doit recourir à l’aide alimentaire des mairies et des associations: c’en est au point que le Secours catholique alerte le gouvernement à propos de cette « bombe sociale » qu’aggrave le dépeçage des services publics, hôpital et école publique en tête, sans parler de la délocalisation accélérée de Renault et de « ‘Stellantis ». A cette misère grandissante qui provoque la destruction du pays et le dynamitage des liens sociaux, Macron répond en précipitant l’explosive contre-réforme des retraites commanditée par Bruxelles et qui est propre à fédérer contre elle l’ensemble des forces populaires.
Mais alors que de larges secteurs de la classe travailleuse, emmenés par la classe ouvrière de la chimie, a pris le chemin de la lutte pour les salaires, certains se réclamant de la gauche, voire de l’insoumission (à qui et à quoi?), promeuvent un agenda très inquiétant. Celui de la petite polémique, surfant sur l’entretien des divisions culturelles et sociétales qui différencient villes et campagnes, métropoles et territoires « périphériques ». « Moustache » dérisoirement arborée par F. Roussel pour « alerter sur les cancers masculins » (!!!), croisade indifférenciée contre « la » chasse (sans distinguer entre les chasses aristocratiques et la chasse d’origine ou d’usage paysan), défense électoraliste du barbecue ou diabolisation indiscriminée de son usage, tout cela ne sert, dans les conditions présentes, qu’à faire écran au rassemblement de lutte pour le rétablissement de l’échelle mobile des salaires après leur réalignement, au minimum, sur les pertes subies depuis des décennies d’envol des profits et de recul du revenu salarial. « L’argent pour les salaires, pas pour les guerres, ni pour les actionnaires ! », comme le prône le PRCF depuis des mois, voilà qui parle à tous… sauf au grand capital et aux gouvernements de guerre de l’UE asservie à l’OTAN.
Entendons-nous bien: il n’est pas question ici de dire que ces sujets « sociétaux », qui de la chasse à la randonnée en nature, de la grillade au steak végétarien, en passant par les différentes formes de courses de taureaux, ne mériteraient pas qu’on leur porte intérêt. Tous constituent des éléments matériels et culturels qui maillent en profondeur nos sociétés et qui expriment la diversité d’un pays issu d’une histoire pluriséculaire des campagnes et des villes, des pays de langue d’Oc et de langue d’Oïl, etc. Une diversité intrinsèquement porteuse de contradictions (la cuisine, les modes de vie, les loisirs, les imaginaires sociaux, les accents, etc. ne sont pas les mêmes partout, et ce n’est pas un problème en soi !) et que le rôle historique de la bourgeoisie française, quand elle était encore une classe progressiste, puis de la classe ouvrière, ultime garante de la construction nationale française de nos jours, fut ou reste de mettre en synergie au profit du développement humain. Est-on obligé d’aimer ou de détester la corrida pour revendiquer l’augmentation urgente des salaires ? De militer pour interdire ou pour sanctuariser la corrida pour revendiquer ensemble, et prioritairement, le maintien du produire en France et celui de nos services publics (écoles, hôpitaux, ressources énergétiques, chemins de fer, réseau routier, etc.) liquidés par les directives européennes traduisant les ordres du MEDEF de tout privatiser pour nous priver de tout ? De fracturer la classe des travailleurs, au risque notamment d’exacerber les fractures Nord-Sud, pour trancher de façon binaire ce débat ?
Poser la question, c’est y répondre. En comprenant qu’il faut, avec la dialectique indispensable pour transformer la contradiction en moteur de progrès, commencer par respecter les éléments de la culture populaire qui sont importants pour tant de nos concitoyens, pour tout à la fois réunir notre classe et lui permettre de réfléchir souverainement et par elle-même à l’évolution, voire le cas échéant, à l’extinction résultant du changement des mœurs et du libre débat démocratique, des traditions dont l’exercice participe aussi au bonheur de chacun. Qu’il est nécessaire qu’aucun de nos travailleurs des campagnes ou des villes ne se voit précipiter dans le déclassement par l’effondrement du revenu de son travail, par le mépris de ses qualifications dans la précarisation de son statut, par son écartement de la société par le chômage, par la substitution galopante du tout-anglais des affairistes à la langue commune de la nation (qui ne contrevient nullement dans son principe à la transmission des langues régionales dans un cadre laïco-républicain) pour qu’il puisse intégrer la réflexion collective interrogeant l’évolution de l’exercice de certaines traditions, symbolique de l’identité du producteur, choquante pour celui qui en est éloigné.
Prenons l’exemple de la corrida, tradition symptomatique d’un certain rapport du paysan-éleveur à la puissance de ses animaux. Dans un monde agricole où le capital agro-industriel exploite jusqu’à l’épuisement les paysans-éleveurs, comment ne pas pas voir que, indépendamment du débat éthique sur la mise en spectacle de la souffrance animale (celle du taureau, celle du cheval, sans oublier les humains qui meurent dans l’arène), nos sociétés d’origine paysanne ne sauraient se voir édicter brutalement, depuis la capitale, voire depuis Bruxelles, l’interdiction de leurs traditions tauromachiques, pas plus que le travailleur picard ne supporterait de voir Toulouse ou Brest lui interdire la chasse aux canards ou que nos compatriotes juifs ou musulmans ne supporteraient de se voir soudain interdits de consommation kascher ou hallal en vertu d’un édit vécu, à tort ou à raison, comme une étouffante obligation d’uniformité. Surtout, comment ne pas voir que dans les conditions actuelles de crispation du débat, une telle prohibition édictée depuis Paris, ne peut que provoquer la révolte d’une partie des couches populaires du Midi, qu’exaspérer la vieille division entre le Nord et le Sud du pays, tout cela au seul bénéfice des dirigeants euro-régionalistes de l' »Occitanie ». Du reste, Carole Delga ne cache pas sa volonté d’un « big bang » girondin détruisant l’unité territoriale du pays et profitant aux féodalités locales. Il serait finalement manichéen et autodestructif pour des travailleurs des villes, à supposer qu’ils aient oublié que derrière chaque urbain « métropolitain » se cache un descendant d’immigré rural, de vilipender leurs concitoyens ruraux, méridionaux ou « provinciaux » comme des réactionnaires, des barbares et des passéistes.
Relevons enfin le paradoxe qui fait qu’un député insoumis peu responsable décide, pour « faire le buzz », de cristalliser le débat sur le sort annuel de mille taureaux de combat alors que, par volonté de rentabiliser ignoblement le travail ouvrier et les abattoirs, des millions de bovins sont saignés vivants chaque année sans même avoir été préalablement étourdis ! Belle manière d’opposer entre eux les citoyens à propos du rituel tauromachique tout en ménageant la barbarie exterministe du grand capital se faisant la main, pour commencer, sur les animaux !
Ajoutons que la référence à l’ « antispécisme » du député anti-corrida concerné mérite d’être interrogée. Effacer la différence éthique et anthropologique entre l’animal et l’humain ne mène pas seulement, au positif, à revaloriser l’animal et à combattre louablement la souffrance que lui infligent les hommes, elle revient aussi objectivement, l’égalité étant par définition commutative, à dévaluer l’humain jusqu’au niveau animal, ce qui n’est pas innocent dans une société qui ne tend que trop, derrière son baratin pseudo-humaniste, à bestialiser et à chosifier l’humain traité comme une chair à profits, voire comme une chair à canon. Prendre parti contre la souffrance animale, ce n’est pas seulement montrer notre solidarité avec tout ce qui est capable, sinon de parler et d’user de concepts, du moins de sentir et de ressentir. Mais, surtout dans les conditions d’une société capitaliste de plus en plus barbare derrière sa façade de « modernité », n’affaiblissons pas à notre insu l’impératif moral catégorique exprimé par Kant : « agis toujours de telle manière que tu traites l’humanité, en toi et dans les autres, comme une fin, jamais seulement comme un moyen ».
Bien sûr, nul ne peut minimiser la lutte contre la souffrance animale, qui plus est exploitée désormais non plus seulement à l’occasion de rassemblements collectifs tissant le lien social, mais aussi parfois au profit de la société du spectacle capitaliste (environ 200 corridas et 1000 taureaux tués ainsi chaque année en France méridionale), laquelle sait d’ailleurs de plus en plus substituer l’homme à l’animal dans les nouveaux Jeux du cirque de la télé-réalité. Il demeure que ce qui fait société en ce qu’il fait identité pour la classe des travailleurs, ne peut évoluer que par et pour les travailleurs à l’issue d’un débat démocratique et philosophique libre et apaisé et non pas tranché, comme disait Marx, « par décret du mufti » imposé d’en haut.
Mesurons au passage le paradoxe d’une société capitaliste qui, du même mouvement, détruit l’idéal jacobin d’une République sociale, indivisible, démocratique, pacifique et souveraine en segmentant au maximum l’Hexagone (« pacte girondin », « zones franches », « droit constitutionnel à l’expérimentation territoriale », création de méga-Régions à l’allemande concurrentes entre elles et héritant de pouvoirs régaliens, destruction du bac national au profit du contrôle continu local, abandon de tout aménagement national du territoire, délaissement du « produire en France » entièrement abandonné au marché, etc.) et, là où l’on en a le moins besoin, dans le domaine de l’évolution des mœurs, des traditions locales, de la cuisine, promeut le retour en force d’un bonapartisme « sociétal » hyper-centralisateur qui, loin d’unifier le pays, et moins encore, la classe des travailleurs, ne peut qu’aggraver toutes les fractures entre le Nord et l’ « Ovalie », entre les métropolitains et les « périphériques », entre les « urbains » et les ruraux, entre les jeunes et les anciens, etc. Tout cela dans le but évident d’entraver le « tous ensemble » des travailleurs pour le progrès social, la paix et les libertés..
C’est pourquoi il faut poser le cadre indispensable à l’ouverture de débats sereins, nécessaire à la compréhension des modes de vies de nos villes et nos campagnes, à leur organisation et à leur évolution respectueuse des vies et des manières dont chacun conçoit son devenir dans le cadre de ce « bonheur commun » qui est l’objet d’une vraie République.
Et cela impose, contre les diviseurs et les irresponsables, que chacun travaille à la compréhension et au respect mutuel des travailleurs de tout le pays.. Que le débat sociétal se poursuive, mais surtout regroupons-nous autour du drapeau rouge de la lutte sans foncer dans tous les leurres, fussent-ils rouges, que l’ennemi de classe destructeur de la République nous tend sans cesse pour mieux nous fracturer.
Il n’est nul besoin de foncer sur les chiffons rouges au risque de subir l’estocade mettant à genou le peuple, l’enjeu et la responsabilité de la classe des travailleurs c’est de s’unir et de relever le drapeau rouge, celui de la lutte pour faire gagner la classe des travailleurs.