Georges Gastaud, secrétaire national du PRCF, a accepté de répondre aux questions de la rédaction d’Initiative Communiste.
IC – Comment analyser la démission des ministres MODEM ?
Georges Gastaud – Dans un texte récent, nous avions souligné que Macron avait reçu la mission historique de liquider l’Etat-nation français de manière à rendre irréversible la casse des derniers acquis de 36 et de 45. Or, pour détruire à la fois les acquis sociaux et ce qui subsiste de la souveraineté nationale française, Macron n’a pas le choix. Il doit se poser en homme fort, durcir le caractère policier de l’Etat, poser au « chef de guerre » à l’étranger, contrôler comme jamais les médias, en un mot, étaler ce qu’il appelle sa « totale détermination ».
Cela suppose aussi de « faire le ménage » d’emblée dans le gouvernement et de contrôler étroitement les groupes parlementaires, le but étant de tremper l’union sacrée bourgeoise, qui va des LR (qui voterons comme un seul homme la future loi Travail) à la majorité des députés PS en passant par LREM (faut-il lire ce sigle « Le Roi Emmanuel Macron » ?), et faire face aux deux ennemis principaux de ce régime macro-réactionnaire sous sa façade moderniste : le mouvement ouvrier de classe et les vrais républicains attachés à la souveraineté nationale. Si ces deux forces faisaient un jour jonction en combattant ensemble, non seulement Macron-MEDEF, mais l’UE du grand capital et l’OTAN des guerres yanquis, le pouvoir serait balayé et les affrontements de classes dans le pays seraient tels que la question du socialisme, aujourd’hui presque forclose, ressurgirait au cœur de la problématique politique. A l’inverse, s’il parvient à défaire la France, à tous les sens du mot « défaire », industrie, institutions territoriales, langue, modèle social, services publics, protection sociale, culture politique… – Macron aura rendu à l’oligarchie capitaliste mondiale un service aussi grand que celui que lui ont déjà rendu Bush et Gorbatchev en liquidant l’URSS, ou Merkel et Hollande en écrabouillant la Grèce, patrie d’origine de la citoyenneté. Quand on voit les choses à l’échelle de l’histoire, quand on saisit le rôle qu’ont tour à tour joué dans le devenir humain, la Révolution athénienne contre l’esclavage pour dettes (déjà !), la Révolution française jacobine, la Révolution prolétarienne de 17 – et la Révolution cubaine, dans le collimateur de Trump – on comprend que la défense progressiste de la France ne porte pas qu’un intérêt patriotique : si elle est posée sur de bonnes bases internationalistes, anticoloniales et anti-impérialistes, le succès de cette défense se muant en contre-attaque pour le Frexit progressiste, intéresse tous les progressistes de la planète.
En résumé, Macron sait que sa feuille de route – mettre fin à l’existence historique du peuple qui accoucha de l’idée même de souveraineté populaire – l’oblige à passer par une porte étroite au pas de charge. Pour y parvenir sans allumer une situation révolutionnaire, il faut avant tout que la classe dominante fasse bloc derrière le chef. Le bonapartisme n’est donc pas une option pour Macron, c’est sa voie obligée. C’est pourquoi se débarrasser de ministres compromis dans des « affaires », est une nécessité politique pour le nouveau pouvoir, même si les super-opportunistes du MODEM, ces porte-flingue de l’euro-fédéralisme débridé, pourront revenir très vite au gouvernement sitôt que Macron estimera qu’il a gagné la « mère de toutes les batailles » : l’adoption des ordonnances condamnant le code du travail.
IC- Quel bilan dresses-tu des élections ? Quelles perspectives pour le mouvement ouvrier et les communistes ?
Georges Gastaud – Le mauvais côté des choses est trop évident pour qu’on s’y arrête longuement, et d’ailleurs, le rôle des « matérialistes pratiques » que sont les communistes aux dires de Marx n’est pas de se lamenter sur ce qui leur échappe mais d’agir sur ce qui est à portée de l’intervention militante. Certes il eût mieux valu, qu’avant le 1er tour de la présidentielle, tous les vrais communistes aient compris qu’il fallait tout faire pour, tout à la fois – et c’est ce qu’a fait le PRCF – apporter à Mélenchon un soutien critique mais dynamique, et aussi développer une campagne communiste indépendante du PCF-PGE pour le Frexit progressiste et les nationalisations démocratiques dans la perspective du socialisme : la vie a montré que le PRCF a vu juste quand il a considéré le vote JLM comme la seule arme disponible au temps T pour préserver l’espace progressiste et peu s’en est fallu que JLM n’accède au second tour, ce qui bien évidemment, eût placé le mouvement populaire à l’offensive. Certes, il eût mieux valu aussi – et le PRCF est publiquement intervenu sur cette idée – que le PCF et la FI s’entendent sur un accord national aux législatives en renonçant à la fois au flirt indécent – côté PCF – avec le PS, et aux tentations hégémoniques et néo-mitterrandiennes (du côté de certains dirigeants FI). Les choses sont ce qu’elles sont et les 7 millions de voix obtenues par Mélenchon vont peser dans les luttes, d’autant que c’est la signification que JLM leur a données au soir du 18 juin, pour peu que les communistes, les « insoumis », les syndicalistes de classe, s’unissent dans la résistance sociale sans la couper de sa dimension anti-UE.
En outre et surtout, il faut prendre en compte le BOYCOTT de fait des législatives par deux ouvriers au moins sur trois, sans parler des scores de l’abstention chez les jeunes et les employés. Bien entendu, il eût mieux valu qu’au second tour, un maximum d’électeurs se fût mobilisé pour « rougir » les travées de cette Assemblée orange, voire jaunâtre, mais dans une conjoncture donnée où on ne lui laissait bien souvent le choix qu’entre le FN et plusieurs forces néo-maastrichtiennes de casse (LREM, PS, LR…), le monde du travail a somme toute fait preuve d’intelligence politique en DELEGITIMANT le scrutin (une majorité écrasante d’électeurs populaires, a signifié son mépris à la future Chambre de « start-upers », de carriéristes et de DRH prétentieux). Macron et ses godillots parlementaires ne représentent en réalité qu’un électeur sur six, et encore, bien souvent, par défaut plus que par adhésion. Tous les sondages montrent que Macron n’a pas de majorité dans le pays pour briser le Code du travail, dénationaliser l’école publique (« autonomie locale » des établissements scolaires), soumettre la force de frappe française à Berlin (la prétendue « défense européenne »), faire de nouveaux pas vers l’Etat fédéral européen (« gouvernement de la zone euro ») dont les Français ont rejeté le principe en mai 2005. Et le fait que les « ordonnances » de casse vont certainement être soutenues par 90% des députés, y compris par des LR et des PS, est une arme à double tranchant pour Macron tant le côté à la fois bourgeois et pré-totalitaire du pouvoir risque d’être flagrant. Surtout si les Français se souviennent du principe que Robespierre avait fait inscrire dans la première Constitution de la République française, dite Constitution de l’An I : « quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple et pour toute portion du peuple le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs ».
Marx disait d’ailleurs que « la France est le pays classique des luttes de classes poussées jusqu’au bout ». Jusqu’au bonapartisme, avec en plus, une dimension antinationale marquée puisque Macron est l’homme de la vassalisation accrue à l’OTAN, à l’UE, à Berlin, au tout-anglais patronal, à la résurgence du TAFTA, etc. Mais aussi, en sens inverse, jusqu’au combat populaire de travailleurs voyant de plus en plus clair dans ce théâtre d’ombres que devient la « démocratie » bourgeoise mâtinée d’allégeance maastrichtienne et de quinquennat ultra-présidentialiste. Il serait étonnant que le peuple de France, qui en a vu d’autres dans l’histoire et qui a toujours réagi très fort, fût-ce tardivement, aux tentatives de le destituer, ne refît pas irruption tôt ou tard sur la scène historique : il n’a pas le choix, car ce qu’on lui promet, c’est l’éclatement territorial (la Corse servant de ban d’essai de l’euro-régionalisation finale des territoires), les régressions sociales sans fin, le remplacement progressif du produire en France et des services publics par une économie parasitaire ultra-financiarisée, maladivement médiatisée et hyper-« touristiquée », dont MAcron est la « brillante » personnification.
Ajoutons que c’est une bonne nouvelle que de voir le FN en situation délicate à l’issue des élections. Chacun a vu que ce parti est en réalité CONTRE le Frexit, fût-il de droite, car en tant que parti bourgeois, le FN ne peut pas briser les chaînes de l’UE que la bourgeoisie hexagonale a forgées pour enchaîner le prolétariat de France. Partant de là, chacun a vu que la Le Pen n’avait rien d’autre dans son sac que l’agressivité gratuite et la xénophobie à front de buffle. Bien sûr il est attristant de voir tant d’ouvriers du Nord voter FN, moins par adhésion à un parti fascisant que par dégoût profond à l’égard de l’euro-« gauche » et d’un PCF incapable de s’affranchir de l’UE et du PS. Bien sûr, personne ne doit banaliser ce parti ANTI-national qu’est le FN (car le racisme déshonore mondialement la France), mais l’immense majorité des travailleurs a compris désormas qu’on ne ferait pas reculer le FN en votant pour des candidats LR, REM ou PS qui fascisent l’Etat en réprimant les militants CGT. La vraie riposte au FN, c’est le Frexit progressiste, la sortie de l’UE par la porte à gauche, pour nationaliser le CAC-40, démocratiser la vie publique, coopérer avec tous les continents, impulser l’Europe des luttes, défendre la paix, sauver l’environnement des prédations du tout-profit et rouvrir la voie du socialisme à notre pays. Bref, rappelons crûment à ceux qui amalgament malhonnêtement l’indépendantisme progressiste à l’euro-nationalisme de l’ultra-droite que, dans les conditions de notre pays, le Frexit sera progressiste ou ne sera pas !
Il n’y a donc pas lieu de se lamenter. Communistes qui en avez assez de dirigeants nationaux dénués de toute flamme révolutionnaire, syndicalistes de lutte qui savez que les « négos » actuelles sur les « ordonnances » sont des rideaux de fumée, patriotes véritables qui préférez la France à l’oligarchie, antifascistes authentiques qui saisissez que la fascisation « orange » de LREM et la fascisation PSEUDO-tricolore du FN mènent toutes deux à la dictature ouverte du grand capital, il y a devant nous – malgré la censure médiatique et la répression politico-judiciaire – un large boulevard politique, culturel et social. A condition de s’unir et d’agir clairement contre les OGM² (les Ordonnances Gattaz-Macron-Merkel) et de comprendre qu’il n’y aura de France Franchement Insoumise (FFI) à l’UE/OTAN du capital qu’à la condition que monte dans les luttes, dans l’esprit de l’Appel du 14 juillet 2017 qui sortira bientôt, l’exigence nette et carrée du Frexit antifasciste, patriotique, progressiste, pacifique et écologique (FRAPPPE en acronyme).
IC – Alors que le PCF s’apprête à couper avec ses dernières références communistes, comment accélérer le processus de la renaissance communiste ?
Georges Gastaud – Nous ne sommes pas de ceux qui s’autoproclament « parti communiste » en faisant une croix sur les communistes encore membres du PCF. Pas davantage de ceux qui, à l’inverse, s’enferment ad vitam aeternam dans un tête-à-tête perdu d’avance avec la direction socialo-complaisante du PCF (comme l’a montré P. Laurent durant toute la campagne avec l’absurde pression pour que JLM se désiste pour Hamon). Notre proposition est claire : agissons ensemble à la porte des entreprises INDEPENDAMMENT DE LA DIRECTION NATIONALE du PCF-PGE, portons ensemble devant la classe ouvrière un programme de Frexit progressiste, de nationalisations et de visée révolutionnaire. L’action soudera les communistes « de l’extérieur » aux communistes « de l’intérieur » du PCF, elle les soudera à la classe dont la « mutation » social-européiste du PCF nous a éloignés au risque de gonfler les voiles du FN : la classe ouvrière. Ensemble aux usines pour les « quatre sorties », de l’euro, de l’UE, de l’OTAN et du capitalisme !
Pour notre part, nous insistons pour qu’on en finisse avec l’énorme faute stratégique et symbolique qui consiste, dans une partie de la mouvance « marxiste » influencée par le trotskisme et l’ « eurocommunisme », à snober le patriotisme populaire, le « produire en France », la défense du français face au tout-anglais galopant. Il est suicidaire de continuer à bouder la grande politique de Front populaire, antifasciste ET PATRIOTIQUE que portèrent naguère Thorez, Duclos et Frachon en mariant la Marseillaise à l’Internationale, le drapeau tricolore au drapeau rouge orné des outils ouvrier et paysan. Alors que la grande bourgeoisie hexagonale – on ne peut même plus dire « française » tant elle méprise son peuple ! – détruit la nation pour mondialiser ses profits (et participer sous drapeau atlantique à la curée néocoloniale de l’Est et du Sud !), c’est à la classe ouvrière de « devenir la nation » comme le prescrivait déjà le Manifeste du Parti communiste. Quelle force cela donnerait à nos luttes si, méthodiquement, nous démontrions que l’on ne peut pas plus défendre l’intérêt national en attaquant les droits ouvriers que l’on ne peut défendre ces derniers sans mettre la classe travailleuse à la tête de toutes les luttes pour l’indépendance nationale !
Sans doute, après les incroyables tergiversations du PCF lors des présidentielles, les militants situés à la gauche de ce parti vont-ils, comme c’est la tradition, exiger un « congrès extraordinaire ». Pierre Laurent en a déjà dessiné les orientations en multipliant les appels du pied aux survivants du PS et en proposant à ses militants de débattre… de l’abandon du nom même du parti. « Le commun » remplacera-t-il bientôt le mot « communiste » ? Cette habileté malhonnête permettrait à cet adjectif de survivre quelque temps, histoire de rassurer les militants et de leur ménager un « sas » symbolique, avant abandon définitif de l’adjectif lui-même (comme la direction du PCF l’a fait pour abandonner par petits bouts la dictature du prolétariat – en 1976 -, le marxisme-léninisme et l’internationalisme prolétarien (79), le centralisme démocratique, la référence au socialisme, au marxisme et à la classe ouvrière (1994 : déjà 23 ans !) et cela suffira-t-il encore à tromper certains camarades qui continuent de regarder la place du Colonel Fabien comme si elle abritait encore Pierre Sémard ou Ambroise Croizat ? L’avenir dira si cet ultime reniement passera comme les précédents au nom d’un « esprit de parti » dévoyé. Unitaire pour deux, le PRCF a toujours aidé les communistes du PCF à pousser leurs offensives internes, dès lors qu’ils le demandaient, même si nous ne leur avons jamais caché que pour nous la mutation-dénaturation du PCF est achevée et que l’appellation PCF relève depuis longtemps, hélas, de la contrefaçon. Mais la question est aujourd’hui dans le camp de ces camarades, communistes quoique membres du PGE et de sa filiale hexagonale. Alors que la France est promise au démontage politique final, que la fascisation galope, que le mouvement ouvrier souffre d’un immense déficit en parti d’avant-garde, que la recomposition politique bat son plein, il faut bien plus qu’avant se préoccuper des rythmes de la reconstruction politique. Que vous servirait-il, chers camarades, d’avoir « redressé » le PCF « du dedans »… dans dix ans si, entretemps, ce parti s’est encore vidé de milliers d’adhérents et de centaines de milliers d’électeurs, si la France de 2022 n’est plus qu’une province segmentée en régions de l’Empire européen, si la dernière usine et le dernier service public issu de 45 ont fermé entretemps, si Macron parvient à lancer en grand son projet d’ubérisation générale qui vise à faire de notre jeunesse une plèbe socialement écrasée ? Il faut à notre pays un parti communiste de combat, et le plus tôt sera le mieux, nous le sentons tous.
En conséquence, les batailles internes, même celles qui se mèneront peut-être encore une fois dans le cadre du PCF-PGE, devraient se mener dans cet esprit d’échéances urgentes, et non dans l’esprit attentiste : « un congrès de plus, après, on verra, « quand on sera au village, on verra les maisons ». J’ai presque envie, pour provoquer le débat, de dire « le PCF mutant et en voie de dé-communisation officielle, on le change ou on en sort ! ». Le PRCF tend la main à tous ceux qui veulent préparer avec nous, sous des formes nouvelles sans doute, mais avec un contenu franchement communiste non négociable, l’équivalent moderne d’un nouveau Congrès de Tours regroupant les communistes du dedans et du dehors et les séparant ENSEMBLE des euro-réformistes incurables de la direction actuelle : car telle fut l’essence salutaire du Congrès fondateur de 1920.
C’est pourquoi nous travaillons à un dynamique centenaire de la Révolution d’Octobre 17. A l’encontre de ceux, pas seulement au PCF hélas, qui mettent à mi-voix en cause la « matrice léniniste » du PCF, dont le Congrès de Tours (son acte fondateur fut l’adhésion à l’Internationale communiste), nous démontrons que ce n’est pas l’excès de léninisme, mais son abandon ou sa déformation qui ont désarmé les communistes en provoquant d’immenses défaites. A moins de n’avoir rien compris à ce que fut la suicidaire « mutation », dont l’essence fut l’anti-léninisme, un PC de combat est et restera un parti marxiste-léniniste, un parti ancré dans la classe ouvrière et travailleuse, un parti démocratique et discipliné où les décisions prises majoritairement sont tenues par tous, un parti contrôlant strictement ses dirigeants et ses élus (à l’encontre du « mouvementisme », où la base colle les affiches pendant qu’un petit noyau décide), un parti associant identité communiste et larges fronts populaires, un parti agissant pour le pouvoir des travailleurs, le socialisme et le communisme. Un tel parti est vital pour que la classe ouvrière redevienne le sujet politique central en France, pour qu’elle ne soit pas sans cesse mise à la remorque des grands, des moyens et des petits bourgeois, pour qu’elle donne le cap du Frexit progressiste afin de transformer la défensive perdante en contre-offensive gagnante.
Dans cet esprit le PRCF appelle à un meeting le 4 novembre à Paris sur le thème : pour un parti communiste de combat en France, SE défendre AVEC la Révolution d’Octobre.