À propos d’une analyse de M. JÉRÔME SAINTE-MARIE sur l’évolution possible de la France Insoumise.
Ou l’on montre que si un peu d’indépendantisme français éloigne du progressisme et de l’anticapitalisme, – et réciproquement ! –, beaucoup d’indépendantisme en rapproche…
par Georges Gastaud, auteur de « Patriotisme et internationalisme » et du « Nouveau défi léniniste ».
Cet éminent politiste a souvent fait preuve d’une grande finesse ces dernières années et il importe donc que les militants communistes et progressistes méditent ses analyses à partir de leurs propres finalités. J. Sainte-Marie pointe ici les contradictions, dynamisantes ou… dynamitantes, selon la manière dont elles seront traitées par leurs dirigeants, de la France insoumise.
Dans une interview qu’il a accordée à l’hebdo Politis le 29 novembre dernier, le politologue explique pourquoi « la FI ne pourra pas faire l’économie du débat interne » (cliquez pour lire sur le site de Politis).
UNE CONTRADICTION DE CLASSE DANS LA FRANCE INSOUMISE ?
On peut noter que JLM est en effet tiraillé, en fonction de la nature socialement composite de son mouvement, mais aussi du choix initial qui a été fait du « mouvementisme » par les insoumis, entre deux courants :
- un courant mondialiste et d’apparence gauchisante, qui refuse toute mise en cause radicale de l’Europe, toute défense claire de la nation, et qui flirte avec le communautarisme, ce substitut au combat de classe et à la résistance patriotique à l’UE.
- un courant plus « jacobin », plus proche de ce que fut le PCF patriote ET internationaliste (donc ni nationaliste ni euro-mondialiste) incarné jadis par Jacques Duclos ou, d’une manière bien moins cohérente, par G. Marchais (qui courtisa l’eurocommunisme et finit par rallier l’introuvable « réorientation progressiste de l’Europe » sous l’influence de Wurtz, Herzog et Consorts). Un courant plus proche en réalité des couches populaires, et notamment, des ouvriers et des employés qui veulent « produire en France », qui aspirent à des renationalisations, à une planification des choix stratégiques, sans craindre – pour les segments les plus conséquents de cette mouvance prolétarienne – à une rupture avec l’UE pour peu qu’une gauche patriotique et populaire (comme dit le PC portugais) lui démontre que c’est possible et salutaire.
ABANDONNER « LA GAUCHE » ET « LES COMMUNISTES » POUR UN FRONT PATRIOTIQUE ?
J. Sainte-Marie a-t-il alors raison de conseiller à mi-voix à Mélenchon de se détacher des « communistes » et de la petite gauche, de durcir le propos sur l’immigration, de viser un rassemblement patriotique plutôt qu’une resucée de l’union des gauches, et dans ce but, de trancher les questions à vif (en clarifiant notamment son discours sur l’euro et l’UE), ce qui suppose évidemment d’adopter des procédures décisionnaires claires ? Oui et non. Cela dépend de la manière dont on comprend les mots « gauche », « communistes », unité des patriotes, etc. Bien entendu, si le but était de conseiller à Mélenchon de stigmatiser les immigrés, fussent-ils récents, de courtiser les nationalistes de droite dure type Dupont-Aignan, de s’abandonner à l’anticommunisme ostentatoire (ce qu’à son honneur, JLM a refusé de faire face à Léa Salamé et à Florence Debray quand il a pris le parti de Cuba et du Venezuela contre l’Oncle Sam), ce serait un fort mauvais conseil : car la force de JLM fut, en 2012 (et depuis il a reculé sur ce point, hélas), d’unir l’anticapitalisme et le patriotisme, le drapeau rouge au tricolore, l’Internationale à la Marseillaise, l’esprit républicain laïque à l’antifascisme : une dialectique qui fut longtemps le point fort du PCF depuis le discours historique de Duclos au meeting de lancement du Front populaire le 14 juillet 1935. Mais nous doutons fort que M. Sainte-Marie, qui est issu d’une lignée de FTPF, veuille vraiment aller dans ce sens. Remarquons seulement que le « communisme » d’un Pierre Laurent est aussi « communiste » que le PS est socialiste (au sens jaurésien du mot) ou que Wauquiez est gaulliste. Prenons garde au dévoiement des étiquettes dans le cadre de la novlangue actuelle et de la contrefaçon générale qui marque le paysage politique français.
NI FRONT DES SOUVERAINISTES NI UNION DES EURO-GAUCHES, LA FRANCHE INSOUMISSION PASSE PAR UN FRONT ANTIFASCISTE, PATRIOTIQUE, POPULAIRE ET ECOLOGISTE (FrAPPE !).
En revanche, il est exact que la seule alternative OBJECTIVEMENT POSSIBLE pour qu’émerge ce que le PRCF appelle une France Franchement Insoumise (FFI) à l’UE du capital, du moins si la FI veut éviter de se dévaluer à toute vitesse comme les premiers Tsipras ou Iglesias venus, c’est d’affronter frontalement l’UE, de ne plus en rabattre sur le « plan B » juste réduit au rôle d’arme tactique*, de ne plus avoir peur du mot Frexit, bien entendu de ne pas craindre de dire qu’il faut maîtriser, voire planifier démocratiquement l’économie française (donc, la force de travail qui ne peut dépendre des fluctuations du marché mondial, de la concurrence libre et non faussée entre salariés avec à l’arrière-plan de leur gestion planétaire, les ingérences impérialistes dans les pays du sud !), nationaliser le CAC-40 et les banques. Et pour cela, il faut ce que le PRCF appelle un « Fr.A.P.P.E. », un Front antifasciste, patriotique, populaire et écologiste. Il est donc possible de tendre la main aux patriotes républicains qui veulent sincèrement reconstruire le produire en France, défendre le français méthodiquement évincé au profit du tout-anglais, revenir à une application stricte de la loi laïque de 1905, POURVU bien entendu que lesdits patriotes ne fraient d’aucune façon (contrairement à Dupont-Aignan) avec la xénophobie du FN ou avec le pseudo-laïcisme antimusulman de Valls, Wauquiez et Cie. Cela ne signifierait nullement rompre avec « la gauche », si l’on rapporte ce mot aux combats humanistes passés (Révolution jacobine, lois laïques, lois sociales, dreyfusisme, anticolonialisme, féminisme…) et non pas, évidemment, à cette ANTI-gauche qu’est depuis des décennies la social-eurocratie solférinienne ; pas plus que le PCF de 1943 n’avait trahi le Front populaire en créant le Front national pour l’indépendance et la liberté de la France, en participant centralement au CNR ou en mettant en œuvre en son nom les grandes réformes de 45-47 portées par les ministres communistes d’alors. L’essentiel est d’exclure de ce regroupement, comme ce fut le cas à l’époque, le grand patronat et l’extrême droite raciste. Et dans ce cadre, non seulement les VRAIS communistes sont incontournables, mais leur intervention coordonnée est indispensable pour que la FI soit solidement plantée sur les QUATRE piliers du « FRAPPE », l’antifascisme (qui inclut l’anti-communautarisme, lequel n’est que le symétrique du premier, l’accent devant cependant être porté contre le nationalisme raciste, ce communautarisme du dominant, ainsi que contre la Françafrique néocoloniale), patriotique (à l’encontre du gauchisme « altermondialiste » et « antilibéral » qui vilipende abstraitement le capitalisme mais qui s’accommode de la casse nationale qui est au cœur de la stratégie du MEDEF), progressiste, car le patriotisme tourne vite au nationalisme quand il n’est pas ancré dans les luttes sociales, pacifiques, internationalistes et démocratiques, et bien entendu écologiste, car il est impossible à notre époque de ne pas articuler le produire en France à la transition écologique.
INDEPENDANTISME ET SOCIALISME
En réalité, un tel positionnement n’éloignerait pas une future « FFI » de l’anticapitalisme, bien au contraire. Elle devrait en effet faire face à la fureur de toute l’oligarchie et des milliers de parasites, bobos ou beaux-beaufs, qui tiennent la finance, les médias, la « com », la pub, mais aussi la haute direction des appareils répressifs et idéologiques d’Etat. Et là, comme en Amérique latine, le tribun du peuple devenu consul n’aurait que deux possibilités :
- soit mettre de l’eau, ou plutôt, de l’euro-vitriol dans son vin comme l’a fait Tsipras, bref s’aligner piteusement sur l’Europe allemande après avoir feint de lui « tordre le bras » : en un mot, « mitterrandiser » le mouvement populaire comme le PS avait réussi à le faire en 1981 avec l’aide plus ou moins consentante du PCF dérivant et profondément divisé des Marchais Fiterman, Juquin et Cie.
- soit d’affronter l’UE sans faiblir, désobéir franchement, nationaliser les secteurs stratégiques, en appeler à l’intervention populaire tous azimuts, et pour finir (ou mieux, pour commencer !), sortir de l’UE-euro-OTAN par la voie progressiste ; ce qui ne pourrait que poser la question du « Qui l’emportera ? », telle que se l’est posée Lénine, et avant et après lui tous les révolutionnaires, en 1917 : en un mot la question du pouvoir de classe, la question de la révolution socialiste. A noter que cette sortie par la gauche de l’UE (au rebours du Brexit de droite de Mey et de Farage) aurait forcément à la fois une signification patriotique (= recouvrer l’indépendance française) et internationaliste (= pousser à la contre-offensive tout le mouvement ouvrier européen face aux directives de Bruxelles).
De cet aspect, JLM hésite fortement : d’un côté il promet qu’il s’en tiendra rigoureusement à la légalité, aux élections, il ne joue pas au « marxiste », il rappelle loyalement qu’il est « réformiste » et « keynésien ». D’ailleurs qui ne préfèrerait pas, comme lui, que « ça se passe bien » et que les transformations sociales indispensables ne s’opérassent en toute bénignité ? Sauf qu’en la matière, personne, pas même JLM, ne peut promettre plus que ce qu’il peut payer vu que le sort de la paix sociale, la « voie pacifique au socialisme » comme on le disait naguère, n’a jamais dépendu des seuls progressistes*, qui sont gens de bonne volonté, mais de la REACTION (bien nommée) des couches privilégiées qui, toujours et partout (souvenons-nous de ce qu’a subi Allende, ou de ce qu’endure actuellement le pouvoir bolivarien à Caracas !). Et puisque JLM a le grand mérite de respecter la haute figure de Robespierre, rappelons-lui ce mot de l’Incorruptible : « ceux qui font les révolutions à moitié n’ont fait que se préparer un tombeau »… Ou pire, ce mot d’Oulianov que médite en ce moment la gauche populaire vénézuélienne : « on ne peut avancer d’un pas si l’on craint d’aller au socialisme »…
La question est donc moins, pour nous communistes, de savoir si JLM fera ceci ou cela que de savoir comment nous les communistes, nous les syndicalistes de combat, nous les progressistes 100% euro-critiques, sans nous subordonner à la FI (au risque du reste de ne rien lui apporter d’original) ni, à l’inverse, tonitruer sans fin contre la FI tout en continuant de suivre le PCF-PGE euro- et socialo-complaisant de Laurent, allons intervenir fraternellement, constructivement, populairement, non seulement en direction des militants et électeurs « insoumis » (près de 7 millions, rappelons-le !), mais en direction des syndicats de lutte, des jeunes et des travailleurs en privilégiant l’interpellation à l’entrée des entreprises, des bureaux, des services et des grands magasins.
NE PAS DEDOUANER TROP VITE LES ETATS-MAJORS SYNDICAUX
Il faut aussi poser plus incisivement que ne le fait ici M. Sainte-Marie la question des directions syndicales. Non ce n’est pas la faute de JLM si les dirigeants syndicaux, y compris Martinez (qui a appelé à voter Macron au second tour, rappelons-le, qui ne s’était pas mouillé au 1er tour et qui surtout, veut « coller » à la très modérée et très maastrichtienne Confédération européenne des syndicats !) ont refusé sans débat la combative proposition de Mélenchon : celle d’organiser une grande manifestation contre les ordonnances sur les Champs-Elysées, de narguer et de délégitimer frontalement Macron en assumant le risque d’allumer un mouvement social dur rallié par la jeunesse que Mélenchon a appelé à l’insoumission sociale sans recevoir le moindre écho des états-majors syndicaux et politiques : ceux-ci ont TOUS préféré reprendre la vieille antienne réac opposant le syndicalisme « apolitique » aux partis cantonnés dans les élections… Or, ce n’est pas seulement parce qu’ils avaient perdu en 2016 que les travailleurs se sont moyennement engagés dans les mobilisations. C’est surtout parce que la NON-stratégie syndicale des perpétuelles « journées saute-mouton » sans suite, sans vrai appel à la grève, sans travail à l’inter-pro, sans remise en cause de l’origine européenne des mauvais coups (les lois Travail successives ont été cadrées par Bruxelles et AUCUNE confédération ne l’a dit : OMERTA syndicale sur l’Europe des mauvais coups, consensus syndical sur le MENSONGE de l’ « Europe sociale » !), dissuade les salariés de gaspiller des journées de salaire. Avec pour seul effet réel, depuis la casse des retraites en 2003, de permettre à des permanents confédéraux inamovibles, qui atterrissent généralement, une fois retraités, dans des fauteuils dorés (n’est-ce pas Notat, feu Chérèque père et fils, Thibault, Le Duigou, Le Paon… ?), de se donner bonne conscience pour courir ensuite à Bruxelles bénir un « socle social européen » de carton-pâte.
Au final, la vraie question PRATIQUE qui est posée aux insoumis les plus combatifs, et plus encore aux communistes qui ne veulent ni se soumettre à la FI ni graviter éternellement autour du PC-PGE, c’est celle de l’intervention commune en direction du mouvement populaire sur la base des « quatre sorties », euro, UE, OTAN, capitalisme. Et pour les communistes qui ne veulent pas interpréter les évolutions de la FI mais agir pour une France Indépendante et une République sociale, c’est la reconstruction en France d’un parti communiste totalement affranchi du PS et de l’UE, donc du PC-PGE euro-formaté de Pierre Laurent.
*rappelons que Robespierre fut le premier homme politique français à proposer d’abolir la peine de mort et qu’il s’est passionnément opposé au déclenchement d’une prétendue « guerre révolutionnaire » que prônaient alors les Girondins. Rappelons qu’au printemps 1917, Lénine militait pour une transition pacifique du pouvoir aux Soviets, alors dominés par les menchéviks. Ceux-ci n’en ont pas voulu, préférant continuer la guerre impérialiste. Rappelons aussi qu’en 1954, la réunification du Vietnam devait s’opérer à l’issue d’élections libres sur tout le territoire et ce que sont les colonialistes qui n’en ont pas voulu ; et l’on pourrait donner des centaines d’exemples de ce genre sans hélas trouver beaucoup de contre-exemples, voire PAS UN SEUL.
L’interview de Jérome Sainte Marie par Politis
Interview Politis Jerome siante marie france insoumise 6 déc. 2017