J’aimerais ajouter quelques mots à l’hommage que j’ai rendu à ma tante Hermine dite Mimi Pulvermacher lors de ses funérailles le 9 décembre 2024. La cérémonie fut simple, émouvante et je n’ai pas pu dire tout ce que j’avais sur le cœur ce jour-là. Mais la lecture d’un article du journal Le Monde m’incite à rétablir certaines vérités.
Mimi Pulvermacher n’a jamais confondu ses amitiés personnelles avec des gens de droite comme Anne Braun ou Patrick Ollier et la compromission politique – à ne pas confondre avec un compromis -, tout l’inverse de la direction de l’actuel Parti communiste. Les idéaux de la Révolution française, de la Commune, de la Révolution russe étaient restés les siens jusqu’à son dernier jour. Elle n’est jamais allée s’acoquiner avec les membres du pouvoir pour une place dorée, sous prétexte de « responsabilité » et de « stabilité gouvernementale ». Elle n’a jamais assisté aux journées d’été du Medef. Et elle a toujours levé le poing bien haut en chantant l’Internationale. Et cette fille d’immigrée italiens a toujours eu France au cœur, cette France qui avait sauvé ses parents du fascisme en 1922, cette France qui leur avait permis à elle et à son époux de faire des études dans cette langue si riche et fleurie qu’est la langue française : qui peut en dire autant aujourd’hui ? Macron avec son « Choose France »? Roussel avec son « PCF is back »? Tatie Mimi est restée à l’Assemblée nationale bien au-delà de l’âge de la retraite, non pas pour paraître ou parader mais par militantisme : toute sa carrière elle avait versé une grosse partie de son salaire au Parti, comme d’ailleurs le faisaient à l’époque tous les députés communistes : en font-ils encore autant aujourd’hui ?
Ma grand-mère disait toujours que « les socialistes sont comme les radis : rouges dehors, blancs dedans » et l’Histoire l’a prouvé plus d’une fois. On peut le dire maintenant de ceux qui trahissent éhontément les idéaux du grand Parti communiste qui fut celui de ma tante Mimi et pour lesquels son père et ses frères ont failli laisser leur vie. Ils rêvaient d’un monde meilleur, un monde de paix et de justice et ils étaient prêts au sacrifice suprême pour que d’autres puissent connaître grâce à leurs combats des « jours heureux », ce programme du Conseil national de la Résistance écrit avec leur sang ! Ce programme qui prévoyait des services publics pour que tous puissent vivre convenablement, des retraites pour « en finir avec la souffrance, l’indignité et l’exclusion, […pour mettre…] l’homme à l’abri du besoin, […pour faire…] de la retraite non plus une antichambre de la mort mais une nouvelle étape de la vie », comme le disait Ambroise Croizat, le seul ministre des travailleurs. C’est ce programme de paix, de justice et de souveraineté de la nation qu’elle a toujours défendu.
Elle n’aurait jamais voté pour une augmentation du budget de l’armement, elle qui avait accroché bien visiblement sur son mur une copie de la colombe de la paix de Picasso. Elle a toujours su où étaient les intérêts de la classe dont elle était issue : la classe des travailleurs.
Gilda Landini
A lire :
Rendons hommage à Chaim Léon Pulvermacher
Quand on était gamines et mêmes adolescentes, ma tante et mon oncle venaient déjeuner chez nous le dimanche. Ma tante arrivait toujours avec un gros bouquet de fleurs, un grand manteau en fourrure et entourée d’un nuage de parfum. Je me disais : quelle classe ! Quelle dame ! Quand je serai grande je serai comme elle ! Ben, j’ai eu beau me couvrir de parfum, je n’ai jamais été cette grande dame qu’elle a toujours été. C’est ainsi qu’on s’en souviendra tous. Même si ces derniers temps elle s’était bien rabougrie sous le poids des malheurs.
Quand elle me téléphonait, je lui disais toujours que je travaillais de longues heures chaque jour à gérer les cafés marxistes et la revue EtincelleS à laquelle tonton était abonné, à écrire des articles pour Initiative communiste qu’il lisait sur son ordinateur, etc… et elle me disait : « Oh écoute ma fille, quand je t’entends, je pense à tout le travail que je faisais durant des heures à l’Assemblée nationale et tu vois maintenant je ne suis plus rien et plus personne ne pense à moi. » Eh bien tu vois tatie, les gens que tu as connus et même ceux que tu n’as pas connus sont là pour te rendre hommage.
Et moi à travers l’hommage que je veux te rendre aujourd’hui, c’est à tous les tiens que je veux rendre hommage car « bon sang ne saurait mentir ». Toi et papa avez toujours parlé de vos parents avec une infinie tendresse et une immense admiration. En effet, l’histoire des Landini commence avec eux. Avant eux, on a une histoire commune d’humbles forestiers toscans illettrés. Avec ton père, on rentre dans l’Histoire.
Aristide Landini et Violette Bartalucci sont nés dans un petit village de Toscane, Roccastrada. Aristide, muni de son certificat d’études, devint comme son père, charbonnier au sein des sombres forêts toscanes.
Lorsque la Première Guerre mondiale a éclaté en 1915 (Italie,) Aristide et Violette venaient de se marier et le grand frère de tatie, Arnolfo que tout le monde appellera Roger en France, venait de naître. En revanche, le petit frère d’Aristide, Bruno, est mort dans les premiers jours de la guerre (on ne sait ni où ni quand exactement). Lorsqu’Aristide a été mobilisé à son tour, il a refusé de partir en disant :
« Déserter n’est pas de la lâcheté, c’est un acte politique. Cette guerre impérialiste n’est pas la nôtre. C’est la guerre des marchands de canons qui poussent les prolétaires à s’entretuer pour décupler leurs profits. (Voilà qui n’a guère changé.. Celui qui a des terres à défendre, c’est le comte. Nous on n’en a pas. »
Un soir il a vu arriver 50 carabinieri pour l’arrêter : il n’y avait pas assez de soldats pour la guerre, mais assez de carabiniers pour l’arrêter. Lorsque son procès a eu lieu il a répondu au président du tribunal :
« C’est sans hésitation que j’ai refusé d’aller défendre les biens des exploiteurs du peuple. Si je dois donner ma vie ce sera pour mon idéal de paix et de justice et non pour une société d’inégalité et de misère. Je suis d’une trempe qui rompt mais ne plie pas. Condamnez-moi puisque c’est votre rôle dans ce tribunal qui est une parodie de justice car sachez que si demain j’étais membre d’un tribunal du peuple et que j’avais des gens de votre espèce à juger, je serais sans pitié. »
C’est ce sang-là qui coulait dans les veines de ses enfants : Roger, Léon et Mimi. Et il entonna l’Internationale. Le président fut donc sans pitié : vingt ans de bagne. Les deux années suivantes, Aristide fit le tour des prisons italiennes avant de bénéficier, comme les dizaines de milliers d’autres déserteurs, d’une amnistie.
Il devint conseiller municipal de la commune socialiste de Roccastrada en 1921 et fonda – peu après la naissance du PCI en janvier 1921 – la cellule communiste du village qui fut rapidement appelé Roccastrada la rossa. Un vilain matin de juillet 1921 à 5h du mat, les Chemises noires ont débarqué dans le village. Ils ont tout cassé, incendié et massacré onze personnes. La terreur s’est abattue sur l’Italie. Les fascistes recherchaient tous les rouges pour les abattre. Ils ont même tiré sur mon grand-père dans son propre hameau, l’obligeant ainsi à fuir son pays.
Il a passé clandestinement la frontière et s’est réfugié en France, le pays de la grande Révolution, le seul au monde où ces trois mots « Liberté égalité, fraternité » brillent au fronton des monuments publics. À l’heure où le racisme est une opinion dite décomplexée, rappelez-vous bien qu’aucun de ceux qui sont obligés de quitter leur pays natal, que ce soit pour des raisons économiques ou politiques, ne le fait de gaité de cœur. On devrait sans doute en informer Retailleau.
Arrivé à Auboué dans l’Est de la France, Aristide le forestier est allé travailler au fond des mines de fer et a milité au sein de la CGTU, conscient que les patrons, utilisant les sirènes de la xénophobie, divisaient la classe ouvrière afin d’en tirer les plus grands profits. Cela ne l’empêchait pas d’espérer que les Italiens ne supporteraient pas longtemps la violence fasciste et qu’il pourrait bientôt rentrer chez lui. Mais à l’automne de l’année suivante, en 1922, la mauvaise nouvelle tomba : le roi Victor Emmanuel venait d’offrir le pouvoir à Mussolini après sa lamentable marche sur Rome. Aristide a alors fait alors venir en France sa femme Violette et ses deux enfants nés en Italie, Roger et Lina, et la famille s’est installée dans un village provençal : le Muy, où se trouvait déjà toute une petite colonie de fuoriusciti, les antifascistes italiens. C’est là que sont nés à 18 mois d’écart Léon (1926) et Hermine (le 1er décembre 1927) (c’était le prénom de la maman tant aimée d’Aristide).
C’est dans ce village qui ressemblait à leur Toscane originelle que les deux enfants ont grandi, à l’écoute des conversations politiques de leurs aînés – conversations qui se tenaient dans la cuisine familiale où la Mamma, Violette, préparait pour tous la pasta asciutta. Et quand Aristide leur intimait l’ordre de sortir, « passa via », ils couraient derrière la maison et passaient leur petit nez par la fenêtre pour ne pas en perdre une miette et « téter du lait rouge » comme ils disent.
Toutes les valeurs de ce milieu antifasciste sont restées les leurs jusqu’à la fin de leurs jours : la fraternité, l’égalité, la dignité et une insatiable soif de justice sociale dans un monde en paix, dans un monde où l’indépendance de chaque nation serait respectée. C’est pourquoi la maison des Landini est devenue dans les années trente le refuge de tous les étrangers clandestins de passage, des Allemands, des Italiens, des Espagnols dont ils ne savaient même pas le nom, dont un Italien qui claudiquait et que mon oncle Roger, délicat comme une râpe à fromage, avait surnommé « ruota sgonfia » ce qui signifie « roue dégonflée ». Ce n’est qu’après la guerre en regardant les actualités télévisées qu’il le reconnut : c’était Palmiro Togliatti, le secrétaire national du Parti communiste italien. Tous savaient que « le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage » et lorsque la guerre a de nouveau éclaté en 1939, tous connaissaient, qui pour l’avoir vécu, qui pour en avoir tant entendu parler, les horreurs dont étaient capables les fascistes, et aucun d’entre eux n’a hésité.
Lorsque mon père et ma tante entendent dire aujourd’hui que le PC n’a résisté qu’après l’invasion de l’URSS par les nazis, ça les a toujours fait bondir et pour cause. Mon oncle Roger a fait dérailler un train de marchandises à destination de l’Allemagne en décembre 1940 en gare de triage de Fréjus-Plage. Puisque le Parti avait été interdit dès septembre 1939, chacun d’eux se considérait comme le représentant local du Parti même clandestin, car « chacun sait ce qu’il veut, ce qu’il fait quand il passe et sait que, s’il tombe, un ami sort de l’ombre à sa place ». C’est au nom de l’Idéal de ce grand Parti communiste qu’ils se sont battus.
Au début de la guerre, Mimi était trop petite pour faire partie des actions menées contre l’occupant et ses valets vichystes : elle n’avait encore que 13 ans. Mais dès la fin de l’année 1942 -début 43, elle a commencé à servir d’agent de liaison. Elle devait accompagner les jeunes réfractaires au STO dans le maquis FTP-MOI des Maures. Puis ce furent des tracts, cachés parfois dans sa culotte, et même des armes dans son panier de vélo. C’est la raison pour laquelle elle a été honorée du grade de Chevalier de la Légion d’honneur et Officier de l’Ordre du Mérite.
À la fin de la guerre, mon père, dont la plupart des copains de combat FTP-MOI étaient juifs, lui a présenté un jeune copain juif qui avait perdu pratiquement toute sa famille dans les fours d’Auschwitz, Léon Pulvermacher. Ils se sont mariés en 1952 et ma cousine Sonja est née l’année d’après. Mais militants dans l’âme ils ont continué à se battre pour leur idéal de paix, à un moment où comme aujourd’hui le monde tremblait à l’idée d’une guerre nucléaire car « une volonté de lutte résolue ne connaît pas de trop tard » (Karl Liebknecht). Sur les conseils de Gaston Plissonnier, Tatie Mimi a donc collaboré au Conseil mondial de la Paix, dont le président était Joliot Curie.
Vous savez tous qu’à partir des années soixante elle est devenue la secrétaire générale du groupe communiste à l’Assemblée nationale, mais sans doute ne savez-vous pas qu’elle y est restée dix ans de plus que l’âge légal et qu’elle s’est contentée de toucher sa retraite.
Dans les années 90, comme elle me disait souvent, ce n’est pas elle qui a quitté le Parti, c’est SON Parti qui l’a quittée. Elle ne se retrouvait plus dans les déclarations de la désastreuse mutation entreprise par Robert Hue. Aussi, quand son frère Léon Landini a créé le Pôle de Renaissance communiste en France en compagnie de son vieux camarade Georges Hage, dit « Jo le Bolcho », et de Georges Gastaud, elle est devenue sans hésiter membre du Comité de parrainage du PRCF au sein duquel le drapeau rouge de la Commune et le drapeau tricolore de la grande Révolution française se mêlent dans un même idéal. Le cœur déchiré, tatie et tonton ont continué à être abonnés à L’Huma par fidélité à leurs idéaux, à ce Parti disparu qui avait été le cœur de leur vie durant des décennies, mais mon oncle Léon lisait tous les matins Initiative communiste sur son ordinateur et était abonné à ÉtincelleS – tout comme André Chasseigne d’ailleurs, c’est lui qui me l’a dit – et nous avions de grands échanges tous les deux.
C’est à cette époque-là qu’ils se sont installés ici au Mont Valérien, et comme ma tante et mon oncle n’avaient pas eu la chance d’avoir de petits-enfants, ils sont devenus les grands parents de toutes les familles de la grande maison dans laquelle ils ont vécu toutes ces dernières années. Et je voudrais rendre hommage à cette nouvelle grande famille qui les a tant aimés et choyés : après le décès de leur fille, ma cousine Sonja en 2008, et plus encore après la disparition de mon oncle cet été, lorsque ma tante a sombré dans un profond désarroi. Merci à vous tous. Tatie n’avait qu’une hâte ces derniers mois : rejoindre sa Sonyou et son Issou dans leur caveau du cimetière du Mont Valérien, où errent encore les ombres de tous ces immigrés fusillés, morts pour la France et qui ont tous bien mérité de la nationalité française. Rejoins-les, tatie, car toi non plus, tu n’as jamais démérité.