Cinq mois après avoir annoncé votre candidature à l’élection présidentielle de 2022, vous publiez une vidéo pour « avoir une alliance privilégiée, d’abord pour constituer le pôle populaire, le pôle de la rupture, avec le Parti communiste ». Pour ce faire, après avoir rappelé que la France Insoumise (FI) et le Parti communiste français (PCF) ont « des programmes d’action qui sont souvent, à 90%, semblables » et que « la question de l’élection présidentielle ne se résume pas à la question d’une candidature liée à un parti », vous proposez au PCF « un accord sur les législatives qui soit un accord avant l’élection présidentielle ».
Pour faire accepter cette proposition, vous rappelez, à raison, que ce qui est en jeu, « c’est la direction vers laquelle on veut faire aller le pays » : soit « évoluer avec le système », soit « rompre cette manière de gérer la société, de faire du chômage de masse, de détruire la nature, d’épuiser les êtres humains qui travaillent au travail » (sic). Et comme vous l’indiquez à bon escient pour justifier votre démarche, « c’est une question de stratégie ; et la stratégie pose la question du contenu du programme ».
« L’UE, on la change ou on ne la quitte plus » ?
Passons sur le fait que vous ne vous adressiez qu’aux membres du PCF, négligeant le rôle des communistes du Pôle de Renaissance communiste en France (PRCF) qui, en 2017, ont apporté un soutien critique mais actif sur le terrain à votre candidature qui, à l’époque, posait une dialectique claire avec le mot d’ordre : « l’UE, on la change ou on la quitte ! ». Or, depuis cette élection, et particulièrement depuis l’élection européenne de 2019 pour laquelle vous avez accepté que Manon Aubry, européiste convaincue qui s’émeut profondément du Brexit et affirme que « Robert Schuman construisait l’Europe sur la solidarité de fait » (!!!), soit tête de liste de votre mouvement, force est de constater que vous avez reculé sur un certain nombre de sujets, et particulièrement celui du rapport à la mortifère Union européenne (UE). Si bien que nous voici ramenés à 2012 lorsque, lors de votre première campagne présidentielle, vous affirmiez que « l’euro est à nous » et que vous désiriez « mettre la BCE au service de l’emploi » : autrement dit, une époque où vous entonniez le refrain de l’utopique « Europe sociale ». Une époque où le PRCF vous interpellait déjà et vous posait la question suivante : « que ferez-vous si Merkel et Barroso disent « Nein ! » à votre « réorientation progressiste de l’Europe ? » (un « Ja » ! relevant selon nous du conte de fées !) : sortirez-vous alors de l’UE pour créer de nouveaux traités progressistes internationaux analogues à l’ALBA latino-américain ? Ou bien plierez-vous devant l’UE et ses courroies de transmission que sont la Confédération Européenne des Syndicats et le Parti de la Gauche Européenne, qui défendent tous deux l’euro à cor et à cris ? »
Dix ans plus tard, force est de constater l’important recul sur cette question cruciale pour que se développe une puissante dynamique populaire comme vous avez su le faire en 2017. En effet, au-delà de Manon Aubry catégoriquement opposée au Frexit même progressiste, d’autres proches souhaitent « sortir des traités européens, mais pas de l’UE », à l’image d’Éric Coquerel qui affirmait vouloir « reconstruire l’Europe, mais pas en sortir ». Nous revoici donc confrontés à la même question qu’en 2012 : alors que vous clamez votre volonté de rompre « avec les méthodes du capitalisme » (donc pas avec le capitalisme tout court ?) pour mener le « changement profond dans la société, changement profond écologique et social, social et écologique », comment ferez-vous si, a minima, vous ne réaffirmez pas clairement le mot d’ordre de 2017 ? Et quid du changement profond économique, qui ne saurait consister en une seule rupture avec « les méthodes du capitalisme » mais avec le capitalisme tout court ? Quid du changement profond international, nécessitant d’en finir une fois pour toutes avec l’euro, ce clone du Deutsche Mark imposant l’austérité à perpétuité aux peuples – particulièrement à la classe ouvrière lessivée par quatre décennies d’euro-désindustrialisations –, et la prison des peuples irréformable qu’est l’UE du Capital ? De tout cela, vous ne dites mot. De même, vous n’évoquez que très timidement (voire pas du tout) les indispensables nationalisations des grands secteurs productifs de l’économie sous le contrôle démocratique des travailleurs, à savoir les banques, les assurances, les énergies, les télécommunications, la pharmaceutique, la grande distribution ou encore les transports.
Un incontestable recul électoral
Vous nous rétorquerez que tout ce que vous annoncez est dans votre programme « L’Avenir en commun » de 2017, qui a été pour partie mis à jour et que si nous avons appuyé votre candidature en 2017 – de manière critique, sans jamais négocier la moindre place comme vous proposez de le faire au PCF après avoir annoncé votre candidature de manière solitaire en novembre dernier –, nous devrions fort logiquement faire le même choix pour 2022. Et de développer une démonstration mathématique en rappelant « être passé de 3,5 à 11, puis de 11 à 19 » : alors, « on pourrait faire plus la prochaine fois ». Mais la vie politique et sociale obéit à d’autres logiques que la simple argumentation mathématique et nombre d’exemples en attestent : votre mouvement n’a-t-il pas obtenu un score très décevant de 6,3% à l’élection européenne de 2019, terminant au même niveau que Place Publique emmenée par l’atlantiste européiste Raphaël Glucksmann ?
Et comment ne pas voir que l’abstention s’établit désormais massivement à plus de 50% pour toutes les élections depuis juin 2017, sanctionnant toutes les formations concourant à des élections qui s’apparentent parfois à une lutte des places à l’image de l’élection européenne – le Parlement européen étant une chambre d’enregistrement des « directives » dictatoriales émises par la Commission ?
Au-delà, comment ne pas voir que le contexte politique, économique, social, etc., s’est profondément transformé depuis 2017 et s’est considérablement dégradé pour les citoyens et les travailleurs, réduisant à l’impuissance un projet politique ne posant pas radicalement les questions vitales pour le mouvement populaire en France ? De ce point de vue, le mouvement des Gilets jaunes constitue une césure majeure, remettant massivement en cause les formations dites de « gauche », sans sombrer dans les bras de l’extrême droite de plus en plus menaçante mais qui se heurte, elle aussi, au mur de l’abstention.
La France et les travailleurs dans une situation mortifère
Car en effet, la situation a radicalement changé depuis 2017. La République une et indivisible s’écroule dans les grandes proportions, à travers le « droit à la différenciation des territoires », la création de la « collectivité européenne d’Alsace » et de l’« euro-département » de Moselle, l’officialisation progressive de l’anglais et des langues régionales au côté du français – unique langue commune de la République –, la substitution progressive des euro-métropoles et des euro-régions aux communes et départements, etc. Ce qui ne vous empêche pas de tendre la main aux députés communistes qui viennent d’approuver la honteuse loi Molac qui promeut « l’affichage bilingue sur les bâtiments publics, les panneaux de signalisation, dans la communication institutionnelle, dans les régions qui le souhaitent », accélérant l’euro-dissolution de la République une et indivisible à laquelle vous êtes attaché.
En outre, la laïcité est également attaquée de toutes parts, y compris par Macron, l’haineuse extrême droite et la droite réactionnaire qui, sous couvert de « laïcité » et de « lutte contre l’islamisme », tirent essentiellement à boulets bruns sur les travailleurs et les citoyens et étrangers de confession musulmane, tout en entretenant un pseudo « choc des civilisations ». Sur ce sujet, nous n’avons jamais remis en cause votre attachement profond et sincère à la laïcité, et nous avons toujours condamné les ignobles attaques dont vous êtes l’objet au sujet de votre prétendu « islamo-gauchisme » ; mais nous sommes également obligés de constater que des déclarations et/ou des positions au sein de la FI (sur le Parti des indigènes de la République, sur l’islamophobie, etc.) ont brouillé les cartes, suscitant une interrogation – et, en conséquence, une stigmatisation – sur votre positionnement officiel.
Au-delà, l’euro-démantèlement des services publics s’accélère, à l’image de l’actuel projet Hercule prévoyant la mise à mort d’EDF, au même titre que la SNCF, les hôpitaux, l’Éducation nationale, etc. Or, comment pourrait-il en être autrement en refusant de sortir de l’UE, alors même que cette dernière ne reconnaît que le titre juridique de « services d’intérêt général », donc « l’ouverture à la concurrence » et la gestion par le privé de ce qui doit revenir à la puissance publique et au contrôle des citoyens ?
De la même manière, l’offensive des tenants du capitalisme, à l’échelle nationale (CAC 40, MEDEF et euro-gouvernements serviles), européenne avec l’UE, mondiale avec l’OMC, le FMI, la Banque mondiale, etc., atteint des proportions vertigineuses, débouchant sur une désindustrialisation massive, un chômage de masse, une pauvreté effarante et des inégalités dont les niveaux dépassent désormais ceux de la fin du XIXe siècle. Mais en même temps, cette grande réinitialisation capitaliste met plus que jamais la lutte des classes à l’ordre du jour, et le PRCF le constate au regard des adhésions croissantes – particulièrement de jeunes et de syndicalistes de combat – en son sein et de la diffusion de ses idées.
En outre, l’euro-destruction des conquêtes sociales et démocratiques comme le Code du travail, la Sécurité sociale et les retraites par répartition, est démultipliée, les euro-dirigeants ne se cachant même plus. Comment oublier que Jean-Claude Juncker se vantait d’être à l’origine de la loi Chômage de 2016 ; que la Commission européenne « recommande » de « réformer les retraites » ; ou que cette dernière a sommé à 63 reprises les États-membres de l’UE de « réduire les dépenses de santé », nous précipitant dans le désastre sanitaire dans lequel nous sommes embourbés depuis plus d’un an ?
Enfin, et votre mouvement s’y est opposé, comment ne pas alerter sur l’euro-fascisation galopante, ayant débouché sur l’adoption de l’infâme résolution du 19 septembre 2019 par le Parlement européen, faisant du communisme l’équivalent du nazisme ? Ce qui ne vous empêche pas de proposer un accord à EELV pour les élections régionales et de vous y allier comme dans les Hauts-de-France, alors même qu’EELV brille par son européisme et son fédéralisme respectivement compatibles avec le « saut fédéral européen » et le « pacte girondin » de Macron, son anticommunisme, son antipatriotisme et son refus de sortir du capitalisme.
Une seule solution franchement insoumise : l’Alternative Rouge-Tricolore !
Comment donc comprendre, et encore plus accepter, tant de grands écarts de votre part ? Comment espérer une grande dynamique populaire et patriotique, franchement insoumise, en soufflant le chaud et le froid sur des sujets aussi fondamentaux que l’indépendance nationale, l’unité et l’indivisibilité de la République, la souveraineté populaire, la rupture avec le capitalisme, le refus de l’UE supranationale du Capital ? Comment ne pas voir les nombreuses contradictions qui caractérisent votre positionnement, jusque dans le choix des interlocuteurs auxquels vous vous adressez ? Car si vous regrettez ne « jamais avoir eu de réponse » à la lettre écrite à Fabien Roussel, secrétaire national du PCF, aux présidents des deux groupes parlementaires, au président du Conseil national, pourquoi n’avoir jamais répondu aux interpellations publiques et aux demandes de rencontres officielles avec les militants franchement communistes du PRCF, qui n’ont cessé de plaider pour une clarification non pas de places mais de classe, non pas électorale mais programmatique ? Nous n’avons en effet jamais eu le moindre retour de votre part ni de vos proches à nos diverses sollicitations – il en est de même d’ailleurs de la part de la direction du PCF – afin de préparer 2022 et d’éviter le funeste scénario d’un second tour tant vendu par les médias dominants, celui d’un faux « duel » et vrai duo Macron-Le Pen.
Au lieu de cela, vous avez choisi une stratégie solitaire qui déplaît jusqu’au sein du PCF, dont le positionnement sur l’UE, la République une et indivisible, les nationalisations, et même les sujets internationaux, est pourtant très en-deçà de ce qu’une candidature franchement communiste se doit de porter.
C’est la raison pour laquelle nous, PRCF, avons unanimement approuvé la nomination de notre camarade et secrétaire national Fadi Kassem comme porte-parole de la campagne pour qu’émerge une Alternative Rouge et Tricolore, en franche rupture avec l’euro, l’UE, l’OTAN et le capitalisme exterministe qui « ne développe la technique et la combinaison du procès de production social qu’en ruinant dans le même temps les sources vives de toute richesse : la terre et le travailleur » (Karl Marx). Cette campagne vise à l’émergence d’une candidature franchement communiste et franchement insoumise, pour mettre en branle un mouvement populaire – à commencer par la classe ouvrière – qui se réfugie dans l’abstention massive voire cède aux sirènes nauséabondes du mensonger « Rassemblement national », dont l’abandon du projet de sortie de l’euro, de l’UE et de l’espace Schengen condamne d’ores et déjà le parti frontiste à un échec programmé… et les travailleurs et citoyens de France à une euro-régression et une euro-fascisation décuplées. Ce projet s’adresse à tous les travailleurs, aux syndicalistes de combat, aux gilets jaunes, aux militants communistes, insoumis, gaullistes, à tous les citoyens désireux de reconquérir une souveraineté nationale et populaire pleine et entière, ne transigeant avec aucune force de soumission quelle qu’elle soit.
Notre positionnement n’est nullement lié à « un sigle de parti », et nous l’avons suffisamment démontré en appuyant votre candidature – de manière critique– en 2017 ou en appelant à l’abstention citoyenne en 2019. Nous ne nous lançons pas dans la « compétition électorale », mais menons un combat pour la Convergence nationale des Résistances (CNR), sur des bases patriotiques et populaires claires, cohérentes et radicales qui manquent singulièrement au projet que vous portez – sans parler des « euro-gauches » qui continuent de faire croire qu’une « Europe sociale » est possible !
L’alternative que nous portons associe la Marseillaise et l’Internationale, le drapeau tricolore et le drapeau rouge que vous bannissez de vos rassemblements (déjà en 2017), car seule cette alliance assure la franche insoumission à l’UE du Capital, au capitalisme mondialisé et à ses bras armés comme l’OTAN. Seule l’Alternative Rouge et Tricolore que nous défendons est en mesure de reconstruire une République une et indivisible, sociale et laïque, souveraine et démocratique, fraternelle et pacifique, d’affronter les forces réactionnaires et européistes, et de conduire les citoyens et les travailleurs vers les « nouveaux Jours heureux » dont nous avons urgemment besoin !
Salutations fraternelles,
Pour le PRCF,
- Léon Landini, président, ancien FTP-MOI,
- Georges Gastaud, secrétaire national,
- Fadi Kassem, porte-parole de la campagne pour l’Alternative Rouge et Tricolore.