17 juin 2021 – 81ème anniversaire de l’Appel à la Résistance de Charles Tillon, membre du bureau politique du PCF clandestin.
Par Georges Gastaud [*] –
L’écrivain Michel Houellebecq, dont notre propos n’est pas de discuter ici les idées politiques ou le talent littéraire, vient de déclarer aux médias : « Il y a en France une ambiance vague et répandue d’autoflagellation — quelque chose qui flotte dans l’air comme un gaz. Quiconque visite la France et regarde la télévision ne peut s’empêcher d’être frappé par l’obsession de ses animateurs, journalistes, économistes, sociologues et spécialistes divers : ils passent la plus grande partie de leur temps à l’antenne à comparer la France à d’autres pays européens, invariablement, dans le but de rabaisser France« .
Vivent le « Modell Deutschland » et le « modèle anglo-saxon ».
On pourrait ajouter, pour accroître la précision du diagnostic, que si la France est systématiquement dévaluée et déclassée par une bonne partie de ses élites prétendues, c’est toujours à l’avantage soit de l’Allemagne unifiée, cette « République de Berlin » dont il est bienvenu d’admirer la « vertu » de ses dirigeants et l’« esprit de compromis » de ses syndicats ; soit des « pays de l’Europe du Nord », dont la très puritaine obsession du « politiquement correct » est unanimement célébrée ; soit bien entendu, des sacro-saints « pays anglo-saxons » dont le « modèle » socioéconomique (qui vient pourtant de provoquer une hécatombe virale aux USA et en Grande-Bretagne), le « management », la chanson, le cinéma, et par-dessus tout, la langue, sont inlassablement exaltés au détriment de la « culture française » (dont E. Macron va jusqu’à nier l’existence !), voire de cette langue française que toute une partie de notre intelligentsia bien-pensante va jusqu’à traiter de « machiste », voire – pour faire bon poids et en se réclamant de Roland Barthes – de carrément « fasciste »…
Racines contre-révolutionnaires de l’autophobie nationale française.
Sans en tirer les mêmes conclusions politiques que Michel Houellebecq, le PRCF a depuis longtemps stigmatisé non seulement ce que nous nommons l’« autophobie nationale » française (invariablement les adjectifs et les substantifs décrivant notre pays sont méprisants : hexagonal, franco-français, franchouillard, exception française, cocorico, gaulois réfractaires, etc.), mais aussi ses profondes racines de classe et de caste. Comme nous l’avons maintes fois établi, l’oligarchie financière et patronale « française » qui vampirise notre pays et détruit méthodiquement ses services publics, son industrie, sa protection sociale et jusqu’à sa langue*, n’éprouve qu’un mépris teinté de crainte pour ce peuple éminemment politique doté de vieilles traditions frondeuses dont la Révolution démocratique bourgeoise fut marquée d’une forte empreinte populaire et « Sans Culotte ». Un pays qui s’est illustré depuis 1789 par les insurrections populaires-républicaines à répétition des XVIIIe et XIXe siècles (Conjuration pour l’Egalité de Babeuf, Trois Glorieuses de 1830, insurrections de février et juin 1848, Commune de Paris, Marseille et Lyon), par les luttes laïques débouchant sur la loi de 1905, par la création d’un parti communiste de masse (Congrès de Tours, 1920) sympathisant des Soviets, par le Front populaire antifasciste et ses occupations d’usine, par la Résistance communiste armée, par le programme social avancé du CNR et par les grandes réformes progressistes de 1945-47 (effectuées par des ministres communistes, les Thorez, Croizat, Paul, Joliot-Curie, etc.), par les luttes anticoloniales, par les grèves ouvrières de 1968, et plus près de nous, et de manière décidément incurable et incorrigible, par les grèves cheminotes anti-maastrichtiennes de décembre 1995, par le Non populaire à la Constitution européenne (mai 2005), par les grandes luttes à répétition pour les retraites, par l’insurrection de la jeunesse populaire contre le CPE (2006), et enfin par le soulèvement pré-insurrectionnel des Gilets jaunes (lequel, rappelons-le, a filé une frousse bleue à Macron lui-même…). Alors, ce « pays de merde » (nombre de grands bourgeois ne l’écriraient pas mais le clament oralement sans retenue…), s’ils peuvent le dénigrer et lui faire la peau et, du même coup, araser tous ses acquis sociaux jugés obsolètes, hérités du « compromis de 1945 entre communistes et gaullistes à une époque où l’Armée rouge campait à quelques centaines de kilomètres des frontières »[1], ils ne vont certainement pas s’en priver. Comme ils ne vont pas se retenir de liquider la grande industrie française – et avec elle, un prolétariat ouvrier demeuré trop longtemps rouge et cégétiste –, sans parler de ces services publics d’Etat dans lesquels l’existence de personnels dotés d’un statut limite les appétits prédateurs du capital, grand amateur, sinon de « produire en France », du moins de rentes de situation susceptibles de très peu lui coûter tout en lui rapportant gros (aéroports, autoroutes, lignes rentables de la SNCF, part rentable de la production d’énergie…).
Un MEDEF qui ne manque pas d’air(e).
Tout antipatriotisme à gros grain de l’oligarchie financière et patronale n’est certes pas sans rappeler la manière dont le grand patronat fit le « choix de la défaite »[2] et de la collaboration dans les années trente et quarante. Cette orientation grossièrement antinationale a d’ailleurs été exposée de manière parfaitement dévergondée dans le Manifeste patronal « Besoin d’aire » publié par le MEDEF début 2012 : il n’y est question que de « transferts de souveraineté vers l’UE », de liquidation de l’Etat-nation au profit des « Etats-Unis d’Europe » s’insérant eux-mêmes dans une future « Union transatlantique » arrimée à l’OTAN, de la « reconfiguration des territoires » français par la substitution aux communes et aux départements existants de métropoles et de Grandes Régions redécoupés à l’échelle et sur le modèle des Länder allemands. Sans oublier la substitution méthodique et délibérée – sans l’once d’un débat parlementaire ! – de l’anglais, « langue des affaires et de l’entreprise » aux dires du Baron Sellières s’exprimant devant le Conseil européen en 2004, à la « langue de la République » qu’est censé être le français au titre de l’article II de la Constitution… Bref, rien n’y manque d’une politique d’euro-dislocation de la France qui vise principalement à permettre aux manitous du CAC-40, depuis longtemps résidant hors de France, ne parlant plus qu’anglais à leurs rejetons et ne payant plus que quelques taxes résiduelles dans l’Hexagone – de mener leurs fusions capitalistiques à l’échelle continentale (Altshom-Siemens, STX-Fincantieri…) ou transcontinentale (Renault-Nissan, PSA-Chrysler-Fiat…). Cette dénationalisation généralisée de la nation, qui fera bientôt ressembler la France au fameux « couteau sans lame dont on a perdu le manche » de Lichtenberg, permettra alors au grand capital « français » de poursuivre sans freins sociaux et nationaux d’aucune sorte sa quête débridée du profit maximal selon les bienheureuses règles maastrichtiennes de l’« économie de marché ouverte sur le monde où la concurrence est libre et non faussée ».
De l’euro-dislocation à la fascisation
Bien entendu, une telle casse nationale, qui prend désormais les proportions d’une euro-dislocation de l’idée même de territoire national (Collectivité européenne d’Alsace, Pacte d’Aix-la-Chapelle donnant à Berlin un droit de regard sur le devenir de la France, Collectivité unique de Corse, euro-département de Moselle, à qui le tour ?), voire de mise au rencart de l’idée de langue nationale (loi Molac prévoyant l’enseignement « immersif » en langues régionales et traitant le français comme une langue étrangère, anglais devenant langue universitaire bis par un simple décret de la secrétaire d’Etat macroniste Frédérique Vidal, montée en puissance dans l’enseignement primaire et secondaire de l’enseignement, non pas de l’anglais, mais en anglais, etc.), ne peut guère enthousiasmer le peuple français, et notamment, le monde du travail, cœur de la nation et cible principale de ces politiques de casse que se chargent d’habiller de rose, de vert ou de rouge clair les Partis et micro-partis qui forment l’arc maastrichtien. D’autant que, la fausse gauche politico-syndicale ne faisant pas, ne serait-ce que son minimum syndical d’opposition institutionnelle mais accompagnant au contraire ces politiques de casse en s’unissant dans les Grandes Régions (au prix de quelques strapontins…) aux eurofédéralistes verts ou en cultivant veulement le tout-globish[3], le peuple travailleur n’a plus guère d’appui institutionnel pour résister et contre-attaquer efficacement. Dès lors, faut-il s’étonner si une partie des couches populaires trahies et abandonnées par la fausse gauche et par les faux communistes prête de plus en plus l’oreille à l’ « alternative » suicidaire que lui désigne, en guise d’exutoire, le système oligarchique en place : celle, xénophobe et fascisante, d’une galaxie extrémiste qui, de Zemmour à Marion Maréchal, désigne aux bonnes gens « le » musulman, « le » migrant, et, de plus en plus, le communiste, l’insoumis et le cégétiste, comme la cause d’un délitement français par ailleurs bien réel et dont les soignants, les enseignants, les paysans, sans parler des ouvriers massivement licenciés et déclassés, vivent quotidiennement l’étouffante réalité ? Une galaxie centrée sur la mortelle alternative lepéniste qui, d’ailleurs, s’engage préventivement à criminaliser le Rouge, l’Insoumis, le Cégétiste, l’immigré et le Musulman, mais à ne pas toucher à un atome de la « construction » européenne et à l’Empire euro-atlantique en gestation autour de l’Axe Washington/Berlin/Bruxelles : Marine Le Pen ne saisit-elle pas du reste toutes les occasions pour faire publiquement allégeance à l’UE, à la monnaie unique, à l’OTAN et aux Accords de Schengen, jadis honnis ? Et faut-il être surpris si, de manière symétrique, une partie de la jeunesse d’origine immigrée se tourne, « en miroir », et fût-ce de manière très minoritaire, vers le radicalisme islamiste, ce dévoiement criminel et désespéré de l’esprit de résistance ?
De l’autophobie nationale à la xénophobie.
Sartre en avait fait la juste analyse psychologique en son temps : la haine de soi est la matrice permanente de la haine d’autrui, et très logiquement, faute d’un parti communiste d’avant-garde digne de ce nom et d’un outil syndical de classe affranchi des tutelles paralysantes de la CFDT jaunâtre et de la très maastrichtienne C.E.S., l’autophobie nationale alimentée par les élites et relayée par une part importante des couches moyennes friquées des « villes-centres » (les fameux « bobos ») ne peut que nourrir la xénophobie : si la France continue de se dissoudre dans l’acide sulfurique de la « construction » européenne, on peut même craindre que la xénophobie d’Etat, avec, en politique étrangère, un alignement redoublé sur les croisades antirusses et antichinoises inspirées par Washington, ne reste l’unique « liant » d’un peuple français en très grave danger de décomposition politique ultime. Avec à la clé les énormes dangers d’exaspération des violences que peut comporter cette dislocation (industrielle, agricole, institutionnelle, éducative, linguistique…) de notre pays. Seule donc une véritable Alternative rouge et tricolore associant le combat social, d’essence internationaliste, au combat patriotique et républicain pour reconstituer la nation – sur des bases sociales, laïques et démocratiques – peut désormais encore stopper les processus connexes d’euro-dislocation et de fascisation galopante de ce qui subsiste de notre pays après trois décennies de déconstruction maastrichtienne.
Le monde du travail, cœur de la reconstruction nationale
Etant donné la nature oligarchique de la stratégie maastrichtienne de casse nationale, il revient au monde du travail, avec en son cœur la classe ouvrière[4], de devenir le barycentre du processus de résistance socioéconomique, de reconstruction culturelle et de reconstitution politique de la République française. Tout cela doit s’effectuer sans crainte d’affirmer la nature antifasciste et anti-impérialiste de cette renaissance française associant Frexit progressiste, nationalisation démocratique des secteurs-clés de l’économie, extension sans précédent de la démocratie sociale, coopérations égalitaires avec tous les peuples de tous les continents (sans en exclure les peuples russe, chinois, latino-américains et en refondant totalement les relations de la future République sociale française avec l’Afrique francophone) et soutien à l’Europe des luttes sans crainte de rouvrir à notre pays la perspective du socialisme.
Un « sprint final » est engagé entre l’euro-dislocation fascisante de la France et l’urgente reconstitution du parti communiste de combat
Comme on le voit, une course de vitesse est désormais engagée entre, d’une part, le double processus de fascisation et d’euro-dislocation, et, d’autre part, l’émergence urgente d’une Alternative rouge tricolore pour laquelle notre camarade Fadi Kassem mène une campagne ardente. Au cœur de cette alternative ne peut que figurer la reconstitution d’un parti communiste de combat, et aussi, indissociablement, du syndicalisme de classe et de masse dont la CGT fut, et reste dans certains secteurs, la principale incarnation historique. Sans un parti de classe clairement centré sur le prolétariat, producteur d’une analyse marxiste-léniniste de la réalité sociale et porteur d’une stratégie de rassemblement populaire majoritaire, le monde du travail, cœur de l’alliance anti-oligarchique des couches populaires et moyennes, ne disposera pas de l’outil nécessaire pour faire valoir ses perspectives propres et pour diriger sur des bases progressistes, internationalistes et antifascistes le sursaut populaire qui vient contre l’intense détricotage maastrichtien de la nation. Or, dérives erratiques d’un Fabien Roussel aidant, qui ne voit mieux désormais que cette reconstruction communiste urgente ne peut plus résulter du redressement d’un PCF définitivement ligoté aux Verts, au PS maastrichtien et au Parti de la Gauche Européenne ? La reconstruction devient ainsi pour le monde du travail, pour tous les syndicalistes de lutte et pour tous les patriotes antifascistes une question vitalement urgente. A chaque communiste, où qu’il soit présentement organisé (ou non organisé), à chaque syndicaliste de classe désireux de parer à la répression antisyndicale dure qui s’annonce, à chaque patriote républicain, de tirer rapidement de ce constat les conclusions qui s’imposent, la question des rythmes politiques devenant objectivement de plus en plus centrale pour tous les tenants sincères de la reconstruction communiste, et plus largement, pour tous les acteurs possible d’une Convergence Nationale des Résistances : car, comme disait Marx, « l’histoire ne repasse pas les plats ! ».
Pour sa part, le PRCF, dont la dynamique dans la jeunesse est un élément d’espoir, et qui regarde avec sympathie le mouvement de renaissance du syndicalisme de classe dont témoignent les récentes Rencontres cégétistes informelles de Gardanne, prend et prendra toutes ses responsabilités dans ce processus de reconstruction.
[1] Dixit Denis Kessler, alors idéologue du MEDEF, dans un édito tristement fameux paru dans Challenges en novembre 2007.
[2] Selon le mot de l’historien résistant Marc Bloch parlant de la déroute française de 1940, et selon le titre très éloquent d’un ouvrage d’Annie Lacroix-Riz paru chez Armand Colin.
[3] « PCF is back ! » comme l’a « glorieusement » déclaré Fabien Roussel dans Marianne…
[4] La classe ouvrière est la classe la plus ciblée par la déconstruction maastrichtienne du pays : c’est elle qui perd sur tous les tableaux, emplois délocalisés et savoir-faire perdus, protections sociales atomisées, services publics dépecés, culture populaire totalement délégitimée, communes ouvrières et « périphériques » écrasées par les « métropoles », etc. Cette classe est aussi la plus consciente des dégâts occasionnés par Maastricht puisqu’en 2005, 80% des ouvriers ont voté Non au traité constitutionnel européen.
[*] Philosophe, co-secrétaire national du Pôle de Renaissance Communiste en France (PRCF). Derniers livres politiques parus, Patriotisme et internationalisme et Le nouveau défi léniniste.