Face aux attaques sectaires qui refusent toute recherche de front uni, face aux conceptions opportunistes qui prétextent symétriquement de l’ « identité » communiste pour accompagner sans fin la direction du PCF-PGE, cette étude de Benoit Foucambert rappelle comment les fondateurs du bolchevisme articulaient dialectiquement l’identité communiste à la construction d’un large front de lutte dirigé par la classe ouvrière pour isoler le grand capital et le battre.
Une réflexion de Benoit Foucambert à l’usage des militants communistes
Adoptée après un débat approfondi, la position du PRCF en soutien critique à JL Mélenchon pour les élections présidentielles, complémentaire de son orientation stratégique, a entraîné des réactions critiques de camarades, et surtout, de sympathisants.
Quoique très minoritaires (le vote final du Comité Central a été acquis à l’unanimité moins une voix), ces critiques sincères appellent des remarques qui nous permettront sans doute d’approfondir notre unité politique.
Les critiques qui nous ont été adressées peuvent être formulées ainsi : Mélenchon est un social-démocrate, issu du trotskisme et du PS, nous n’avons pas à le soutenir car il ne défend pas nos fondamentaux. Nous n’avons pas de temps à perdre à expliquer les choses à des sociaux-démocrates et dans tous les cas, c’est sur le terrain des luttes quotidiennes dans les entreprises et dans la convergence des ces luttes que se passeront les choses. L’essentiel est donc dans la propagande communiste pour la révolution socialiste tandis que rien ne pourra sortir de bon des élections bourgeoises »
L’argument principal de ces critiques est donc le suivant : comme il n’y a pas de candidat authentiquement communiste dans ces élections, nous ne devons pas y participer de manière active et nous devons rappeler aux travailleurs qu’il n’y a d’issue possible que dans la révolution socialiste.
Remarquons que cette position ainsi exprimée peut valoir pour toutes les situations (et tous les pays) où les forces communistes ne sont pas assez puissantes pour agir de manière autonome dans le cadre des institutions « démocratiques » bourgeoisies et qu’elle fait dangereusement l’impasse, pour facile qu’en soient l’entendement et l’application, sur « l’analyse concrète des situations concrètes » chère à Lénine.
Il importe donc pour commencer de préciser l’état du rapport des forces entre les classes dans lequel les élections à venir s’inscrivent pour déterminer si elles représentent un enjeu ou un danger spécifiques. Nous renvoyons en annexe pour une compilation d’extraits tirés des ouvrages des plus grands théoriciens et praticiens du mouvement communiste posant et répondant, toujours sous le « primat de la réalité concrète » à la question des alliances, des compromis, des rapports entre stratégie et tactique et de la politique communiste d’une manière générale.
Depuis une trentaine d’années, profitant de la faiblesse et des dérives des organisations prolétariennes et aiguillonnée par la crise structurelle de son système, la grande bourgeoisie capitaliste (CAC40, Medef…) mène une véritable guerre sociale et ravage tous les acquis sociaux (sans même parler des guerres impérialistes, poursuite à l’extérieur de la guerre sociale). Elle attaque dans le même temps de plus en plus ouvertement les acquis démocratiques et les libertés (négation des votes populaires, surveillance généralisée, état d’urgence prolongé indéfiniment, propagande totalitaire diffusée par les médias aux mains des puissances financières, criminalisation de l’action syndicale, criminalisation du communisme dans une bonne partie de l’UE…).
Or, depuis une quinzaine d’années, nous sommes dans une situation concrète de « crise » politique avec :
- D’une part, le divorce entre « France d’en haut » et « France d’en bas » et la négation populaire de toutes les injonctions de l’oligarchie et en particulier de l’UE des délocalisations et de la casse des nations : Non de classe en 2005 ou vote FN (l’électorat populaire et ouvrier du FN est à distinguer des ultras nationalistes et autres nostalgiques de Pétain et des Colonies qui fondent le cœur de ce parti ; délaissant en partie ses thématiques traditionnelles, le FN recycle et détourne, pour mieux les neutraliser, les mots d’ordre populaires et/ou le désespoir des régions ouvrières déclassées et désossées, orphelines du grand parti communiste qui savait lever ensemble drapeau rouge et drapeau tricolore pour défendre les classes populaires). Le Brexit ou le vote Trump peuvent être analysés en partie de la même manière.
- D’autre part, outre les épisodes récents et puissants de lutte des classes qui montrent que la combativité sociale existe encore et que des secteur ouvriers d’avant-garde ont toujours la tête haute (bases CGT de Classe, travailleurs de Ports, de la Chimie, une partie des travailleurs du public…), la mobilisation croissante sur des bases progressistes d’une partie des couches intermédiaires salariées en voie de paupérisation et de déclassement dans la plupart des centres impérialistes se traduisent par l’émergence de courants critiques et explicitement anti-système, traduisant (de façon certes insatisfaisante et insuffisante) le désarroi des « classes moyennes » et d’une partie de la « jeunesse » : Corbyn en GB, Sanders aux EU, Mélenchon en France… .
Ces tendances combinées dessinent une situation de rejet populaire majoritaire des injonctions de l’oligarchie, une situation de « crise d’hégémonie » de la grande bourgeoisie, dans laquelle ceux d’en bas ne veulent plus et ceux d’en haut ont de plus en plus de mal à pouvoir, ce qui, en l’absence d’une alternative politique révolutionnaire portée par un vrai PC, entraîne la fascisation accélérée à laquelle nous assistons.
Dans ce contexte, la bourgeoisie monopoliste doit cependant encore composer avec le suffrage universel arraché par le mouvement ouvrier et démocratique au XIXème siècle même si toute une série de mesures le dénature à marche forcée, à commencer par l’UE qui vise ni plus ni moins à construire un Empire européen du capital à l’abri des souverainetés nationales et populaires qu’il s’agit de contourner, si possible en dissolvant les nations.
Elle entretient classiquement trois relais politiques : droite (LR), gauche « réformiste » (PS) et extrême-droite (FN), avec toutes les combinaisons possibles visant à semer la confusion la plus grande (Macron, Bayrou, Alliot-Marie, Guaino…). Les classes populaires ne disposent plus quant à elles de force indépendante de masse dans le champ politique visible depuis la mutation-disparition du PCF-PGE et, par défaut, le seul élément de résistance populaire dans la période semble être le mouvement de JLM.
Les élections présidentielles et législatives qui arrivent détermineront en partie la façon dont la politique du capital s’appliquera, son degré de brutalité et de fascisation mais aussi le contexte politique dans lequel les forces syndicales et sociales pourront mener leur action de résistance et/ou de construction.
Cette période est donc grosse à la fois de dangers et de possibilités et son issue est imprévisible : alors qu’existent en puissance les conditions d’une contre-offensive populaire majoritaire contre le grand capital, elle peut déboucher aussi bien sur la victoire électorale de la droite patronale versaillaise-thatchérienne ou de l’extrême-droite que sur la construction de ce qui pourrait, avec toutes les insuffisances et contradictions compte-tenu de la faiblesse des organisations franchement communistes, d’un front majoritaire des forces populaires.
Concrètement, alors que la nécessité d’un changement de société portée par la perspective du socialisme a été extirpée de la consciences des masses, les communistes peuvent-ils s’en tenir à la politique de l’abstention et de la simple propagande pour la révolution socialiste, se désintéressant de fait de la question électorale et à travers elle, des chantiers immédiats de la résistance populaire (conditions de vie des masses, libertés démocratiques, défense de la paix, souveraineté nationale…) ?.
Ce serait une absurdité doublée d’une tragique erreur :
- Une absurdité car cette ligne correspond à en une vision non dialectique, mécaniste de l’histoire : elle repose sur la conviction que la victoire du prolétariat est inscrite dans les lois de l’histoire et qu’en conséquence, il est inutile de lutter au jour le jour, qu’il suffit d’attendre le grand jour, c’est-à-dire le jour où la situation deviendra objectivement révolutionnaire. Or, sauf à croire à la génération spontanée, la conscience des masses, dominée par l’idéologie bourgeoisie dans toutes ses variantes, ne peut être spontanément favorable au socialisme. De même, une simple action de propagande et de répétition abstraite de slogans n’a qu’une efficacité limitée sur les masses, y compris comparativement à la puissance de la propagande diffusée par les capitalistes par tous les canaux à leur disposition. Plus profondément, ce qui compte, c’est l’expérience que les masses font car ce n’est qu’au cours de la lutte qu’elles peuvent prendre conscience des buts de cette lutte, le terrain de la lutte ne pouvant être circonscrit par nos désirs mais par la réalité, le terrain électoral devenant un terrain de lutte à partir du moment où elles mettent en mouvement tout ou partie des masses. Comme le dit Lénine : « Il faut montrer aux masses la vérité dans les faits. Les théories n’ont pas prise sur les masses arriérées [politiquement]; elles ont besoin de l’expérience. »
- Ce serait une tragique erreur car la victoire de la droite revancharde flanquée de l’extrême-droite ou la victoire directe de l’extrême-droite ne peut qu’entraîner l’écrasement total des forces progressistes, la répression ouverte des militants syndicaux de combat et la chasse aux sorcières anti-communiste en même temps que la destruction des derniers acquis sociaux, à commencer par la Sécu. Ce serait faire la politique du pire (complémentaire de la politique opportuniste du moindre mal) en espérant que le durcissement de la situation pour les exploités les amènera spontanément à la révolution socialiste, ce qui nous renvoie à l’absurdité soulignée plus haut, alors qu’en l’absence d’une alternative progressiste de masse, la fascisation peut faire un bond de géant.
Dans ces conditions de danger grave et imminent pour le monde du travail, les communistes ne peuvent donc invoquer le « droit de retrait » voire l’abstention révolutionnaire et se contenter de laisser passer le mauvais moment électoral, en répétant inlassablement que de toute façon, la seule solution est la révolution socialiste. Celle-ci n’étant pas envisageable immédiatement, tant le rapport des forces est aujourd’hui dégradé pour le camp progressiste, ce serait à la fois discréditer ce juste mot d’ordre révolutionnaire en le rabâchant comme une formule magique et prendre le risque de laisser seules (ou à la remorque du réformisme, voire de l’extrême-droite) les masses populaires face au cauchemar qui s’annonce.
Quelle peut et doit être alors l’action des communistes que nous sommes à propos des élections à venir ?
A l’opposé du repli sectaire et du « solo funèbre » dont parlait Marx, « il faut pour vaincre le capital le fragiliser par toute une série d’objectifs tactiques orientés vers la conquête de nouveaux alliés pour le prolétariat et visant à disloquer l’organisation défensive et offensive de l’ennemi » (Gramsci).
Pour paraphraser Lénine et Gramsci, qui savaient, en bon stratèges, que pour vaincre un ennemi plus puissant, il faut le couper de ses soutiens et l’isoler et dans le même mouvement. Les communistes, partie avancée de la classe prolétarienne qui vise à la conquête du pouvoir politique, doivent agir pour permettre à la classe de reconstruire son unité pour prendre la direction morale et intellectuelle d’un bloc historique populaire et progressiste démantelant le bloc dominant pour en constituer un nouveau, de façon à pouvoir transformer les rapports de production.
L’ennemi principal de la classe des travailleurs salariés étant le capital monopoliste et ses relais directs (FN, LR, PS), c’est donc lui qu’il faut isoler en construisant des fronts entre tous ceux qui, appartenant à la classe des travailleurs salariés et des couches non-monopolistes ont le même adversaire, pour cristalliser sur des bases progressistes la colère populaire face au système afin de construire un pouvoir populaire en marche vers le socialisme .
Pour cela, l’action politique communiste doit, tout en renforçant le Parti Communiste, son unité et de sa discipline, viser l’élargissement de l’arc des forces sociales intéressées par la défense des libertés démocratiques et le changement de société en opérant la jonction entre la mobilisation active d’une partie des couches intermédiaires salariées et la colère/désespoir des masses ouvrières et populaires, à partir en particulier de la question cruciale de l’UE et de l’indépendance nationale.
Les membres de la France insoumise, et au-delà ceux qui suivent de près cette « sensibilité », n’appartiennent d’ailleurs pas au camp des exploiteurs mais constituent une partie mobilisée des couches intermédiaires salariées (à commencer par les salariés du public en voie de déclassement-prolétarisation rapide) positionnés de manière certes contradictoire et/ou incomplète dan le champ politique progressiste (sortie de l’OTAN, soutien aux luttes, Soutien à Cuba socialiste et au Vénézuéla bolivarien, critique des guerres impérialistes, « indépendance » de la France et critique de l’UE jusqu’à poser la question d’en sortir…). Les communistes ne peuvent ni mépriser ce mouvement ni avoir peur lui.
La mise en mouvement de ces forces parmi d’autres vers la constitution d’un Front peut devenir un élément positif de la période à condition que les communistes y travaillent pour, de façon autonome et en gardant leur liberté totale de propagande, combattre la tendance spontanée au réformisme et accélérer, sur la base de l’action politique de campagne électorale, la maturation anti-UE et anti-capitaliste que doit prendre toute résistance populaire pour gagner, en raccrochant pur le donner une place centrale les masses ouvrières laissées au désespoir et/ou au FN reprenant thématique délaissées par le PCF.
Ce « front populaire » en puissance n’est certes pas réalisé et les obstacles seront nombreux, à commencer par les manœuvres de tous les tenants de l’Europe sociale et des caciques du PCF-PGE qui cherchent à tirer à droite la France insoumise pour la rabattre vers l’euro-constructivisme et pourquoi pas « l’alliance de toute la gauche ». Mais les communistes savent justement que la conquête de l’hégémonie populaire passe par le combat contre le réformisme en lui disputant le terrain pied-à-pied et non par la désertion et le repli lui laissant le champ libre pour mener le mouvement populaire dans l’impasse.
Cela seul peut permettre aux communistes, intervenant de manière indépendante et sur leurs mots d’ordre dans l’optique du rôle dirigeant de la classe ouvrière au sein d’un front par nature hétéroclite, de se lier davantage aux masses et de gagner des milliers de travailleurs hésitants et déboussolés.
Les conditions font que la ligne franchement communiste des quatre sorties (sortie sur des bases progressistes de l’UE, de l’Euro, de l’Otan pour ouvrir la voie vers la sortie du capitalisme) peut devenir une ligne de masse pour peu que l’on prenne appui, par un « soutien critique » et en toute indépendance organisationnelle, sur les contradictions internes à la France insoumise et à ceux qui la soutiennent de près ou de plus loin, en combattant les illusions réformistes et euro-béates pour faire prendre conscience aux « insoumis », à partir de l’état réel des consciences , que l’UE est irréformable du dedans, que la souveraineté nationale ne se négocie pas, que le FREXIT progressiste est la seule solution progressiste et que seule cette orientation patriotique et populaire peut arracher au vote FN des millions d’ouvriers en faisant de la France Insoumise une France Franchement Insoumise (FFI)… à l’UE du grand capital.
Et il y a unité dialectique, et non opposition, entre la nécessité de reconstruire un vrai parti communiste en France, celle d’impulser la contre-attaque du syndicalisme de classe, et celle d’édifier un large front de la classe ouvrière et des couches moyennes pour isoler le grand capital, arrêter et briser la fascisation galopante, rompre les chaînes de l’UE et de l’OTAN, unir le drapeau rouge frappé des « outils » au drapeau tricolore pour permettre à notre peuple, aujourd’hui réduit à une défensive dangereuse et sans perspective, de passer à l’indispensable contre-offensive progressiste.
Et peu importe alors que Mélenchon, issu du PS mais l’ayant quitté sur sa gauche, ayant voté oui à Maastricht mais aujourd’hui euro-critique, puisse finalement « plier les gaules » une fois au pouvoir (ce qui n’est pas assuré d’ailleurs). D’une part, l’accuser de trahison aujourd’hui ne peut être qu’un acte de foi répondant à la foi inverse en sa loyauté. Mais surtout ce qui importe ici, c’est de combattre le réformisme au sein du peuple et comme le rappelait Lénine, « ce changement, c’est l’expérience politique des masses qui l’amène et jamais la seule propagande ». Pour guérir les masses des illusions réformistes, quel autre moyen que d’aider Mélenchon à gagner (tout en maintenant la critique, c’est-à-dire en conservant nos objectifs historiques et nos moyens d’actions autonomes) afin qu’elles fassent l’expérience de sa possible trahison et qu’« on ne peut avancer d’un pas si l’on craint d’aller au socialisme » (Lénine) ?
Pour conclure, si nous acceptons le débat avec les communistes sincères qui, par réaction aux dérives opportunistes et à la mission historique des chefs de la sociale-démocrate de trahir les travailleurs, espèrent se prémunir de toute déviation par leur refus des alliances (mais ce n’est pas l’alliance ou le compromis en eux-mêmes qui constituent la déviation, c’est l’abandon des principes communistes), nous serons en revanche beaucoup plus sévères avec les petits groupes, qui se proclamant dans leur (petit) coin parti communiste, érigent en vérités doctrinales (pas d’alliance ! Pas de participation aux élections bourgeoise ! Révolution socialiste !) leurs insuffisances théoriques et leur paresse intellectuelle et/ou militante.
La position léniniste se distingue du tout au tout, non seulement de l’opportunisme échevelé du PCF-PGE, mais du sectarisme hostile à toute forme d’alliance politique.
Quelle mine aurait tout simplement le communiste abstentionniste à qui l’ouvrier licencié, voyant la sécu détruite par la réaction versaillaise au pouvoir et constatant l’incapacité des forces syndicales de mener seules le combat sans appui ni perspectives politiques ici et maintenant, dirait : « au lieu d’expliquer qu’on n’avait pas à s’en mêler, vous n’avez pas tout fait pour empêcher ça ? »
La position franchement communiste, à égale distance de opportunisme et du sectarisme, est vitale pour la reconstruction d’un véritable parti communiste, elle est vitale aussi pour l’avenir de ce pays si l’on considère qu’un second tour de cauchemar Fillon-LePen assorti d’un PS maintenu réduirait à néant l’espace politique populaire et euro-critique dont auront besoin les luttes sociales face à face au capital revanchard décidé réaliser enfin complètement le rêve du Medef et de l’UE : en finir avec les acquis du CNR, et au-delà ceux de 1936, voire ceux de 1905 et de 1789-1793.
Quelques citations à réfléchir :
Dès l’origine, dans le Manifeste du Parti Communiste, Marx en Engels exposent dans le chapitre IV intitulé : « Position des communistes envers les différents partis d’opposition » les diverses attitudes des communistes selon les pays et les situations :« En France, les communistes se rallient au Parti démocrate-socialiste contre la bourgeoisie conservatrice et radicale, tout en se réservant le droit de critiquer les phrases et les illusions léguées par la tradition révolutionnaire. En Suisse, ils appuient les radicaux, sans méconnaître que ce parti se compose d’éléments contradictoires, moitié de démocrates socialistes, dans l’acception française du mot, moitié de bourgeois radicaux. (…) En Allemagne, le Parti communiste lutte d’accord avec la bourgeoisie, toutes les fois que la bourgeoisie agit révolutionnairement contre la monarchie absolue, la propriété foncière féodale et la petite bourgeoisie. Mais, à aucun moment, il ne néglige d’éveiller chez les ouvriers une conscience claire et nette de l’antagonisme violent qui existe entre la bourgeoisie et le prolétariat, afin que, l’heure venue, les ouvriers allemands sachent convertir les conditions politiques et sociales, créées par le régime bourgeois, en autant d’armes contre la bourgeoisie, afin que, sitôt détruites les classes réactionnaires de l’Allemagne, la lutte puisse s’engager contre la bourgeoisie elle-même. » « En somme, concluent-ils, les communistes appuient en tous pays tout mouvement révolutionnaire contre l’ordre social et politique existant. Dans tous ces mouvements, ils mettent en avant la question de la propriété, à quelque degré d’évolution qu’elle ait pu arriver, comme la question fondamentale du mouvement. Enfin les communistes travaillent partout à l’union et à l’entente des partis démocratiques de tous les pays ».
Les communistes n’ont ainsi jamais défendu la théorie du solo funèbre des communistes ou de la classe ouvrière.
Lénine a développé cet aspect dans sa lutte contre les économistes. Pour lui, n’est pas communiste (social-démocrate dans les citations qui suivent tirées de Que faire ?) celui qui veut « développer la conscience politique de classe des ouvriers, pour ainsi dire de l’intérieur de leur lutte économique, c’est-à-dire en partant uniquement (ou du moins principalement) de cette lutte, en se basant uniquement (ou du moins principalement) sur cette lutte » et qui se figurent encore maintenant « que les ouvriers doivent d’abord “par la lutte économique contre le patronat et le gouvernement” accumuler des forces (pour la politique trade-unioniste) et ensuite seulement “passer” – sans doute de “la préparation” trade-unioniste de l’“activité”, à l’activité social-démocrate ! »
Au contraire « C’est pourquoi, à la question : que faire pour apporter aux ouvriers les connaissances politiques ? – on ne saurait donner simplement la réponse dont se contentent, la plupart du temps, les praticiens, sans parler de ceux qui penchent vers l’économisme, à savoir “aller aux ouvriers”. Pour apporter aux ouvriers les connaissances politiques, les social-démocrates doivent aller dans toutes les classes de la population, ils doivent envoyer dans toutes les directions des détachements de leur armée. »
Et de poursuivre : « Existe-t-il un terrain pour agir dans toutes les classes de la population ? Ceux qui ne voient pas cela montrent que leur conscience retarde sur l’élan spontané des masses. Chez les uns, le mouvement ouvrier a suscité et continue de susciter le mécontentement; chez les autres, il éveille l’espoir en l’appui de l’opposition; à d’autres enfin, il donne la conscience de l’impossibilité du régime autocratique, de sa faillite certaine. Nous ne serions des « politiques” et des social-démocrates qu’en paroles (comme cela se produit très souvent dans la réalité), si nous ne comprenions pas que notre tâche est d’utiliser toutes les manifestations de mécontentement, de rassembler et d’étudier, d’élaborer jusqu’aux moindres éléments d’une protestation, fût-elle embryonnaire.
En quoi, demanderons-nous à nos économistes, doit consister “l’accumulation de forces par les ouvriers en vue de cette lutte” ? N’est-il pas évident que c’est dans l’éducation politique des ouvriers, dans la dénonciation, devant eux, de tous les aspects de notre odieuse autocratie ? Et n’est-il pas clair que, justement pour ce travail, il nous faut “dans les rangs des libéraux et des intellectuels”, des “alliés” prêts à nous apporter leurs révélations sur la campagne politique menée contre les éléments actifs des zemstvos, les instituteurs, les statisticiens, les étudiants, etc. ? Est-il vraiment si difficile de comprendre cette “savante mécanique” ?
En effet, unir toute la classe des travailleurs salariés, nouer des liens avec les autres classes en vue de renverser la classe dominante, tout ceci est inscrit noir sur blanc non seulement dans le raisonnement logique mais dans l’organisation même de la société capitaliste.
En effet, écrit Lénine dans La maladie infantile du communisme, « le capitalisme ne serait pas le capitalisme si le prolétariat « pur » n’était entouré d’une foule extrêmement bigarrée de types sociaux marquant la transition du prolétaire au semi-prolétaire (à celui qui ne tire qu’à moitié ses moyens d’existence de la vente de sa force de travail), du semi-prolétaire au petit paysan (et au petit artisan dans la ville ou à la campagne, au petit exploitant en général); du petit paysan au paysan moyen, etc.; si le prolétariat lui-même ne comportait pas de divisions en catégories plus ou moins développées, groupes d’originaires, professionnels, parfois religieux, etc. (…)
D’où la nécessité, la nécessité absolue pour l’avant-garde du prolétariat, pour sa partie consciente, pour le Parti communiste, de louvoyer, de réaliser des ententes, des compromis avec les divers groupes de prolétaires, les divers partis d’ouvriers et de petits exploitants. Le tout est de savoir appliquer cette tactique de manière à élever, et non à abaisser le niveau de conscience général du prolétariat, son esprit révolutionnaire, sa capacité de lutter et de vaincre. » « Agir autrement, c’est entraver l’œuvre de la révolution, car si un changement n’intervient pas dans la manière de voir de la majorité de la classe ouvrière, la révolution est impossible; or ce changement, c’est l’expérience politique des masses qui l’amène, et jamais la seule propagande. « En avant, sans compromis, sans dévier de sa route », si c’est une minorité notoirement impuissante d’ouvriers qui parle ainsi […] ce mot d’ordre est manifestement erroné. »
Et Lénine d’enfoncer le clou contre les communistes « de gauche » se réfugiant dans l’isolement, dans le refus des alliances et de la politique dans le souci du « purisme » : « Toute l’histoire du bolchevisme, avant et après la Révolution d’Octobre, abonde en exemples de louvoiement, d’ententes et de compromis avec les autres partis, sans en excepter les partis bourgeois! (…) Faire la guerre pour le renversement de la bourgeoisie internationale, guerre cent fois plus difficile, plus longue, plus compliquée que la plus acharnée des guerres ordinaires entre Etats, et renoncer d’avance à louvoyer, à exploiter les oppositions d’intérêts (fusent-elles momentanées) qui divisent nos ennemis, à passer des accords et des compromis avec des alliés éventuels (fusent-ils temporaires, peu sûrs, chancelants, conditionnels); n’est-ce pas d’un ridicule achevé ? N’est-ce pas quelque chose comme de renoncer d’avance, dans l’ascension difficile d’une montagne inexplorée et inaccessible jusqu’à ce jour, à marcher parfois en zigzags, à revenir parfois sur ses pas, à renoncer à la direction une fois choisie pour essayer des directions différentes ? (…) On ne peut triompher d’un adversaire plus puissant qu’au prix d’une extrême tension des forces et à la condition expresse d’utiliser de la façon la plus minutieuse, la plus attentive, la plus circonspecte, la plus intelligente, la moindre « fissure » entre les ennemis, les moindres oppositions d’intérêts entre tes bourgeoisies des différents pays, entre les différents groupes ou catégories de la bourgeoisie à l’intérieur de chaque pays, aussi bien que la moindre possibilité de s’assurer un allié numériquement fort, fut-il un allié temporaire, chancelant, conditionnel, peu solide et peu sûr. »
Ce que Staline reprenait dans Les principes du Léninisme : « La guerre révolutionnaire nécessite une grande souplesse tactique, l’aptitude à opérer de brusques et hardis revirements, à louvoyer, à exploiter les oppositions d’intérêts (même passagères) de l’ennemi, à passer des compromis temporaires avec des alliés même chancelants, à lutter pour de simples réformes, à utiliser l’action légale, à effectuer des reculs momentanés et des mouvements tournants ; à condition que cela serve d’instrument de désagrégation de l’ennemi et soit subordonné au but final révolutionnaire. »
Comme l’écrivait avec force Lénine dans L’insurrection irlandaise de 1916 : « Quiconque attend une révolution sociale « pure » ne vivra jamais assez longtemps pour la voir. Il n’est qu’un révolutionnaire en paroles qui ne comprend rien à ce qu’est une véritable révolution. (…) C’est s’imaginer qu’une armée prendra position en un lieu donné et dira « Nous sommes pour le socialisme », et qu’une autre, en un autre lieu, dira « Nous sommes pour l’impérialisme », et que ce sera alors la révolution sociale ! ».
Si l’on fait un saut de quelques années pour arriver dans les années 30, années de crise générale du capitalisme et de montée du racisme, les positions de l’internationale communiste nous livrent des enseignements majeurs. En particulier, les rapport et conclusion de Dimitrov lors du 7ème congrès de l’Internationale communiste (1935) au moment où Hitler et Mussolini fortifient leurs dictatures au profit du Capital et où le Front Populaire prend forme en France, livrent des enseignements précieux, toujours dans l’optique de « gagner aux Partis Communistes les grandes masses prolétariennes. » :
« Nous ne devons pas nous borner simplement à des appels sans lendemain en faveur de la lutte pour la dictature du prolétariat, mais trouver et formuler des mots d’ordre et des formes de lutte découlant des nécessités vitales des masses, du niveau de leur combativité à l’étape donnée du développement. (…) Nous devons indiquer aux masses ce qu’elles ont à faire aujourd’hui pour se défendre contre le pillage capitaliste et la barbarie fasciste (…). Les communistes, évidemment, ne peuvent pas et ne doivent pas, l’espace d’une seule minute, renoncer à leur travail indépendant en matière d’éducation communiste, d’organisation et de mobilisation des masses. Toutefois, afin d’ouvrir sûrement aux ouvriers la voie de l’unité d’action, il est nécessaire, en même temps, de travailler à réaliser des accords de brève durée comme aussi de longue durée sur les actions à engager en commun avec les Partis social-démocrates, les syndicats réformistes et les autres organisations de travailleurs contre les ennemis de classe du prolétariat. (…). Le succès de toute la lutte du prolétariat est étroitement rattaché à l’établissement d’une alliance de combat avec la paysannerie laborieuse et la masse fondamentale de la petite bourgeoisie urbaine, qui forment la majorité de la population même dans les pays d’industrie développée (…). Il nous appartient de retourner la pointe et de montrer aux paysans travailleurs, aux artisans et aux intellectuels travailleurs, d’où vient le danger réel qui les menace: de leur montrer de façon concrète qui fait peser sur le paysan le fardeau des impôts et des taxes; qui lui extorque des intérêts usuraires; qui donc, possédant la meilleure terre et toutes les richesses, chasse le paysan et sa famille de sa parcelle et le voue au chômage et à la misère.
(…)
Vous voyez donc qu’ici, sur toute la ligne, il faut en finir avec le dédain, l’attitude d’indifférence qui s’observent fréquemment dans notre pratique à l’égard des divers partis et des diverses organisations des paysans, des artisans et des masses petites bourgeoises de la ville.
(…)
Intensifiant la lutte contre la partie réactionnaire de la social-démocratie, les communistes doivent établir la collaboration la plus étroite avec ceux des ouvriers, militants et organisations social-démocrates de gauche qui luttent contre la politique réformiste (…)
Plus nous accentuerons notre lutte contre le camp réactionnaire de la social-démocratie formant bloc avec la bourgeoisie, plus effective sera notre aide aux éléments social-démocrates qui deviennent révolutionnaires. »
Toutes ces citations sont à relier avec le travail de Gramsci sur les notions d’hégémonie, de bloc historique, de guerre de position et de guerre de mouvement, qui articulent en particulier les notions de renforcement du parti et d’unité de la classe prolétarienne par le travail dans toutes ses couches. Nous développerons ces aspects dans un texte ultérieur.
Bonjour.
Quel argumentaire ! ! ! ! super bien ! dès aujourd’hui je m’en sers tant il correspond à ma position et analyse personnelles.
A diffuser largement…..même si la mode est à tweeter…..les tweets ne sont qu’un argument de plus de la bourgeoisie pour empêcher la nécessaire conscience de classe de progresser.
Merci de cette publication.
Georges
Texte très riche,superbes analyse et argumentaire qui remettent les choses à leur place.
L’heure n’est , en effet, pas à l’attentisme, au défaitisme et au repli sur soi.
Nous vivons en ce moment une période charnière où tout peut basculer, dans le bon ou le mauvais côté.
L’important à l’heure actuelle est d’insuffler une énergie, de l’espoir et des moyens concrets, qui consistent à s’ouvrir aux autres, d’essayer de comprendre leurs positions et d’apporter des arguments contradictoires.
Car il est plus facile de s’isoler dans ses positions (aussi bonnes soient-elles), que d’en discuter sereinement.
Sûr, cela demande de l’énergie, de la patience et des concessions parfois…
Mais c’est le prix à payer, je pense…
C’est pour quand le prochain texte?;)
Si je peux me permettre un conseil de lecture, « l’art de la guerre », de Sun Tzu, un auteur chinois du 5ème siècle avant JC.
C’est un livre d’une centaine de pages, qui rejoint sûrement celui de Staline « les principes du léninisme », cité dans l’article.
L’auteur y développe des stratégies et des tactiques psychologiques pour arriver à la victoire.
Ces principes stratégiques sont appliqués au domaine militaire, mais peuvent l’être aussi à celui des affaires, de la politique ou de la société. Ce vieil ouvrage apparaît ainsi étonnamment moderne par ses dimensions psychologiques et morales.
J’ai même appris récemment que c’était un livre de référence dans les écoles de commerce.
Alors pourquoi laisser à eux seuls l’utilisation d’une telle lecture…