Monsieur le Député et cher camarade,
Bien que totalement souverain et indépendant du PCF actuel, le PRCF ne saurait se désintéresser du sort de ce parti dans lequel les fondateurs du PRCF ont milité durant des dizaines d’années, certains de nos vétérans et anciens FTPF ou FTP-MOI y ayant même adhéré sous l’Occupation.
Étranger à tout sectarisme, le PRCF appuie ici et là, selon les capacités de dialogue et d’ouverture des élus locaux ou nationaux du PRCF, toute possibilité d’action commune. En outre, et c’est le plus important, rien de ce qui se réclame de l’étiquette communiste ne nous est étranger.
C’est pourquoi nous souhaitons aujourd’hui vous interpeller cordialement et publiquement à propos des intentions politiques qui sont celles des signataires du texte « Pour un manifeste communiste du 21ème siècle » (que nous appellerons MC 21 dans la suite de notre lettre) dont vous êtes la figure de proue en tant que président du groupe du PCF à l’Assemblée nationale. Nous avons déjà exposé publiquement nos critiques au sujet des manques, des équivoques et des propositions lourdement erronées qui selon nous affectent ce texte. Nous regrettons qu’il ne revienne en rien sur l’acceptation par le PCF, en rupture avec toute son histoire, de la funeste « construction » européenne à 100% tournée contre les peuples, contre la paix et contre les travailleurs. Nous regrettons le jugement négatif qui est globalement porté par ce texte sur l’Union soviétique et, en filigranes, sur Lénine, sans l’action duquel le PCF n’aurait pas vu le jour. Nous constatons avec tristesse l’absence totale, dans ce texte, de référence aux nationalisations démocratiques indispensables au retour à l’indépendance nationale plénière, au rôle central de la classe ouvrière et du monde du travail, à la lutte révolutionnaire pour le socialisme (pouvoir populaire, socialisation des grands moyens de production, planification démocratique, etc.) et pour le communisme, car une « visée communiste » qui fait l’économie de la révolution socialiste ne peut en rien mobiliser le monde du travail. Nous observons, en outre, que la critique que produit le MC 21 à propos de la France insoumise se situe sur la droite de ce mouvement : moins pour lui reprocher de ne pas aller jusqu’au bout dans l’idée de rupture progressiste avec l’UE que pour lui faire grief «populiste » et « nationaliste » d’envisager un plan B (bien imprécis d’ailleurs) envisageant la rupture de gauche avec l’UE. Nous ne retirons aucune de ces critiques à l’égard du MC 21 : ne serait-il pas naturel de nous répondre sereinement au lieu de nous incendier publiquement comme l’ont fait, hélas, certains camarades ?
Mais par-delà les textes, il y a la volonté politique de leurs signataires. Or cette dernière semble très floue, pour ne pas dire discordante, ne serait-ce qu’en raison de l’hétérogénéité des signataires dont certains se sont longtemps réclamés du marxisme-léninisme et de la sortie de l’UE, et dont d’autres sont très attachés à des notions cardinales de la « mutation » et de la réorientation « euro-constructive » du PCF. Qu’est-ce par exemple qu’une « socialisation » sans nationalisation démocratique passant par l’expropriation du grand capital ? Et qu’est-ce qu’une nationalisation allant vers la socialisation si la nation n’est pas indépendante de l’axe Berlin-Bruxelles ? Par ailleurs, l’économiste Frédéric Boccara a déclaré que tous les signataires étaient d’accord sur l’idée suivante : « Le texte choisi porte une orientation qui a sa cohérence, par exemple en refusant d’opposer rassemblement et développement de nos idées. Sur l’Europe, nous voulons mener une grande bataille sur la banque centrale européenne pour les services publics, c’est au cœur de notre texte et cela unit tous ses signataires, et bien au-delà. Le débat n’est pas sortir ou rester dans l’Europe, ça c’est celui que Macron veut imposer. Mais quelle bataille menons-nous et avec quelles perspectives. » Au final, si l’on excepte la volonté de rompre des lances avec la France insoumise – sans pour autant la critiquer « de gauche » – on voit mal en quoi ce texte tranche avec les orientations funestes de la mutation euro-constructive, et plus anciennement , de l’eurocommunisme, qui ont conduit le PCF aux portes de la disparition tout en plongeant le mouvement ouvrier dans la plus grave crise depuis, au moins, 1945. C’est pourquoi nos questions ne relèvent absolument pas du plaisir de polémiquer : il s’agit tout bonnement de vous demander une clarification pour que tous les communistes, ceux qui sont encore dans le PCF, ceux qui sont organisés à l’extérieur, et ceux qui attendent d’y voir plus clair pour se réengager, sachent quel est le cap fixé par vous. La mise en minorité de Pierre Laurent – dont nous avons toujours dénoncé les orientations socialo- et euro-dépendantes – peut-elle être porteuse d’une réorientation léniniste et 100% eurocritique du PCF, donc pour commencer, d’une sortie immédiate du Parti de la Gauche Européenne asservi à l’UE, ou ne s’agit-il que d’une révolution de palais permettant de préserver l’appareil tout en poursuivant la désastreuse mutation liquidatrice par d’autres moyens, ceux d’un « identitarisme » purement électoral ?
C’est pourquoi, sachant que l’élu de terrain que vous êtes ne refuse jamais le dialogue avec les verts, les socialistes, et donc a fortiori, pas avec d’autres communistes, nous vous serions très reconnaissants de répondre aux légitimes interrogations suivantes :
- êtes-vous résolu à mettre désormais fortement l’accent sur la dimension euro-atlantique et antinationale de la casse antisociale (privatisations, nouvelles délocalisations, euro-austérité, arrachage rapide de la langue française au profit du tout-anglais « transatlantique », euro-métropolisation du territoire national avec la mise en place du « Grand Paris », du « Grand Lyon », etc.) ? Êtes-vous prêt à faire beaucoup plus fort, sans renvoyer dos à dos les acteurs en conflit, contre la marche aux guerres impérialistes de l’UE-OTAN asservie aux USA, que ce soit contre la Russie, contre l’Iran ? Comment faire plus et mieux pour défendre les peuples latino-américains, vénézuélien, nicaraguayen, cubain, bolivien, et désormais, brésilien, contre l’offensive de Trump et de l’oligarchie interne en défendant clairement l’ALBA et Cuba socialiste ?
- le principal objectif du MPC 21 est de permettre la présence du PCF à toutes les élections, notamment à la présidentielle de 2022. Cette présence n’aurait selon nous de sens que si elle porte une alternative progressiste 100% euro-critique (Frexit progressiste, antifasciste et internationaliste) susceptible de briser la tenaille entre les pseudo-internationalistes macronistes et les faux patriotes Le Pen/Wauquiez, qui d’ailleurs, ne veulent en rien contester la présence de la France dans l’UE, cette prison des peuples, dans l’OTAN, cette machine à mondialiser les prédations US, et de l’euro, cette austérité continentale faite monnaie. Sans ce préalable, que n’affiche nullement soit dit en passant la tête de liste désignée du PCF aux européennes, à quoi et à qui servirait une candidature PCF dite « identitaire » si ce n’est à creuser le fossé « en bas » avec les militants de la FI, à prendre Mélenchon « de droite », tout en facilitant par la bande le retour du PS ou d’une pseudo candidature « union de la gauche » sur des bases européistes ? Il importe donc de clarifier le contenu d’un virage « identitaire » du PCF qui n’aurait aucun sens en dehors d’une franche insoumission à l’UE du capital et d’une critique de gauche, fraternelle et constructive, des manquements de la FI, d’un lien central avec les luttes sociales contre les régressions dictées par l’UE dans leur cohérence. Régressions dont Emmanuel Macron a donné un bel exemple en déclarant : « Les réformes entreprises en France sont ce que nombre de nos partenaires, et en particulier l’Allemagne, attendaient depuis de nombreuses années, et à juste titre » (Conseil des chefs d’état européens de septembre 2018.)
- Pouvez-vous assurer les communistes que les prochaines échéances électorales, municipales, législatives notamment, excluront toute forme d’alliance avec le PS et ses surgeons européistes du style « Génération-S » ? Nous sommes absolument certains que, même les communistes qui souhaitent une clarification majeure avec Mélenchon (nous ne parlons pas de ceux qu’inspirent l’esprit de boutique et le sectarisme), souhaitent encore bien moins un rapprochement avec le PS et ses surgeons. Nous sommes fondés à nous poser la question puisque la tête de liste du PCF aux européennes est un membre éminent de la municipalité social-libérale de Paris, et que tout récemment la direction fédérale du Pas-de-Calais qui a signé le texte MPC-21 a annoncé son ralliement dès le premier tour à la liste que conduira le maire PS Sylvain Robert (une première dans l’histoire communiste de Lens, où il y a toujours eu une présence communiste indépendante).
- Le texte que vous promouvez est censé rappeler le PCF à ses « fondamentaux », bien qu’il ne soit pas spécifié quels ils sont (absence de toute référence au marxisme-léninisme, à la classe ouvrière, au parti d’avant-garde, rejet total de l’expérience soviétique…). Or nous, militants du PRCF qui, de manière pionnière, avons alerté les premiers contre les dégâts certains que l’eurocommunisme, puis le soutien à Gorbatchev, puis la « mutation » et le ralliement de principe à la « construction » européenne allaient causer au Parti, à la classe ouvrière et à la nation, et qui pour cela avons souvent subi la répression interne (bien souvent au nom de… l’ « anti-stalinisme »), pouvons-nous escompter qu’un large débat public, ouvert à tous les communistes, y compris à ceux qui ont été poussés hors du PCF quelquefois de manière « musclée », sera organisé, à moyens éditoriaux égaux, dans la prochaine période ?
- Concernant la nature de classe du pouvoir macroniste, vous engagez-vous si votre orientation triomphe au congrès, à en finir avec la politique qui a abouti à soutenir Macron, soi-disant pour faire rempart à la fascisation lepéniste, alors que le pouvoir macroniste est grossièrement liberticide (comme le montre encore l’agression policière et médiatique sans précédent contre la FI) et que nul ne peut être dit « légitime », comme n’a cessé de le prétendre P. Laurent à propos de Macron, pour casser son pays et pour piétiner l’ensemble des acquis populaires ?
Cher André Chassaigne, à l’heure où l’impérialisme euro-atlantique menace plus que jamais la paix mondiale, à l’heure où Macron accélère sa destruction de la France du CNR et de la Révolution française, nous sommes certains que votre réponse publique et ouverte à nos interpellations serait reçue comme un signal positif par de nombreux camarades. En revanche, une non-réponse analogue à celle que vous aviez opposée à notre lettre de novembre 2017, montrerait toutes les limites du « changement fondamental » que le congrès prochain est censé apporter aux yeux de certains.
Avec nos salutations cordiales et citoyennes,
Léon Landini, président du PRCF, ancien officier FTP-MOI
Georges Gastaud, secrétaire national du PRCF
Antoine Manessis, responsable de l’action unitaire
Aymeric Monville, membre du secrétariat national
Fadi Kassem, animateur de la Région parisienne