« Pulsions totalitaires » : c’est ainsi que s’était exprimé Jean-Luc Mélenchon le 1er mars dernier, pour dénoncer l’usage de l’article 49-3 de la Constitution par le gouvernement Philippe pour adopter la scélérate contre-réforme des retraites. « Légal » clament les macronistes, puisque nous sommes dans un «État de droit » – expression dont s’enorgueillissent toujours les « défenseurs de la démocratie et de la liberté » pour dissimuler la destruction croissante de ces dernières. C’est oublier que les forces fascistes, Mussolini et Hitler en tête, arrivèrent légalement au pouvoir (avec, naturellement, la menace et l’emploi permanents de la violence sanguinaire, à l’encontre notamment des communistes) et mirent en pièces de l’intérieur les démocraties bourgeoises corrompues et tentées par la solution autoritaire réactionnaire. C’est exactement ce qui se passe en France depuis des mois, où le tabassage systématique des manifestants (politiques, syndicalistes de combat, associations, gilets jaunes, lycéens et étudiants, avocats, pompiers, cheminots…) et les violences policières à l’encontre des habitants (surtout ceux d’origine africaine) des quartiers populaires sont désormais la règle sous la matraque du fascisant préfet Lallement ; ce dernier n’a-t-il d’ailleurs pas affirmé qu’il « ne laisserai[t] pas salir une institution dont le rôle, dans les grands moments de l’histoire de ce pays, a été essentiel » (on n’ose imaginer quels étaient ces « grands moments », surtout au temps de Jean Chiappe, René Bousquet et Maurice Papon…) ?
Mais au-delà de cette violence dangereusement banalisée, le Parlement accélère la fascisation du pays… au point de se voir à son tour menacé d’être réduit à rien – ce qui, de fait, est déjà le cas, par une « majorité » LREM votant tout ce que son maître Jupiter lui dit de faire. Après avoir contribué à la fascisation avec notamment la mise en place d’un fichier comportant une « application mobile de prise de notes » et permettant de collecter des informations sur « l’origine raciale ou ethnique », les « opinions politiques, philosophiques ou religieuses », « l’appartenance syndicale », « la santé » et « la vie sexuelle ou l’orientation sexuelle (décret n°2020-151 du 20 février 2020), une décision du Conseil constitutionnel (le fameux, et surtout fumeux, « Conseil des Sages ») promulguée le 28 mai dernier annonce qu’une ordonnance non ratifiée par le Parlement pourrait avoir rétroactivement force de loi une fois passé le délai d’habilitation, à la seule condition que le projet de loi de ratification de l’ordonnance ait été déposé dans le temps imparti. Autrement dit, les ordonnances sur la contre-réforme des retraites pourraient être implicitement ratifiées sans que le Parlement n’en dise mot !
Et au-delà de ce seul cas ô combien majeur, cela signifie désormais que le gouvernement peut se passer de l’obligatoire accord du Parlement, qui est seul en mesure d’habiliter le gouvernement à légiférer par ordonnances. Mais puisque les députés et les sénateurs ne servent à rien pour Macron, autant que ce dernier applique sa vision du pouvoir, résumée par l’historien Nicolas Roussellier dans La Force de gouverner : « la démocratie [NDLR : il faudrait des guillemets à « démocratie » …] exécutive contemporaine représente une forme de réhabilitation de ce « pouvoir personnel » que des générations de républicains avaient appris à détester au XIXe et au début du XXe siècle. Elle a réussi à légitimer, y compris aux yeux de la gauche, la nécessité de concentrer la presque totalité des pouvoirs au profit d’un Exécutif puissant et moderne ». Est-ce vraiment surprenant alors que « l’état d’urgence sanitaire », se surajoutant à l’état d’urgence tout court devenu disposition légale pérenne, servent désormais d’alibi pour interdire toute manifestation, à commencer par celles dénonçant les violences racistes pratiquées par certains policiers ?
« Cette décision est un gros souci quand même » pour Cécile Duflot. Bel euphémisme pour ne pas nommer fascisation la situation actuelle du pays, marquée par la décrépitude de la démocratie parlementaire bourgeoise. Exactement ce que signale l’historien Ivan Jablonka dans Histoire des grands-parents que je n’ai pas eus, au sujet de la IIIe République à l’agonie à la fin des années 1930, dont nous aurions tout intérêt à méditer les passages suivants (en dépit d’oublis factuels) : « Les camps de concentration républicains, destinés aux réfugiés espagnols, allemands ou autrichiens, aux Juifs chassés de toute l’Europe, constituent un vivier où puiseront à l’envi les autorités de Vichy et les nazis. Les décrets-lois de Daladier préparent le terrain à la législation du maréchal Pétain, dirigée contre les naturalisés et les étrangers en juillet-septembre 1940, contre les Juifs à partir d’octobre 1940. À cette date, cela fait plusieurs années que la France discrimine les étrangers et traque les clandestins. […] Sous le Front populaire, le fichier de la Sûreté nationale est géré par un jeune fonctionnaire plein d’avenir, René Bousquet. En 1940, après son évacuation en péniche, le « casier central » de la Préfecture de police est rapatrié à Paris où il est remis en ordre par la direction des étrangers et des affaires juives. […] Bien que la législation des années 1930 ne soit pas expressément antisémite, il y a un « Vichy avant Vichy », et il fermente dans la République. » Sans parler, bien entendu, des décrets dissolvant le Parti Communiste et les municipalités communistes, puis du décret Sérol punissant de mort toute activité communiste bien avant l’avènement du régime vichyste…