Le 2 février 2018, 170ème anniversaire du Manifeste du Parti communiste de Karl MARX et Friedrich ENGELS…
Par Georges Gastaud et Aymeric Monville,
philosophes, militants du PRCF
C’est au début du mois de février 1848 qu’a paru à Londres, en allemand[1], le célèbre Manifeste du Parti communiste, l’un des rares textes politiques qui ait fait le tour du monde et qui ait été ultérieurement traduit dans toutes les langues dotées d’une écriture. Sous l’impulsion du combatif prolétariat parisien et de la gauche républicaine, éclatait peu après à Paris la révolution populaire de Février 1848, laquelle enclencha ce qu’on nomma par la suite le Printemps des peuples européens. Héros prolétarien méconnu, l’ouvrier Marche, accompagné d’une délégation d’ouvriers-citoyens en armes, imposait au Gouvernement provisoire la signature d’une déclaration comportant le mot République et la référence au droit au travail pour tous. Quelques mois plus tard, la nouvelle République bourgeoise tombait son masque « social » ; les 25 et 26 juin de la même année, la droite « républicaine » se déchaînait (avec des milliers de morts à la clé !) contre les ouvriers parisiens réduits au chômage et à la faim par la décision brutale, prise par l’Assemblée nationale, de fermer les Ateliers nationaux. L’alliance idéale, au sens gramscien de cet adjectif, entre la « République » et le « prolétariat » insurgé était toutefois devenue si indissoluble que dès le 2 décembre 1852, la sanglante « République » anti-ouvrière du général Cavaignac se muait en Second Empire suite au coup d’Etat militaire perpétré par Louis-Napoléon Bonaparte, que dénonçait aussitôt le grand écrivain Victor Hugo.
Pas de République sociale sans prolétariat organisé en Parti communiste !
De manière éclatante, les deux leçons principales du Manifeste se voyaient ainsi confirmer par la pratique historique :
- sans un Parti communiste, sans une organisation de classe pratiquant l’analyse matérialiste du mouvement de la société, le prolétariat est voué à servir de masse de manœuvre à la bourgeoisie « républicaine » avant d’être ensuite écarté du pouvoir, socialement grugé et finalement réprimé avec férocité.
- Quant au communisme, il ne dépend pas d’« utopies » rêvées en chambre par tel ou tel petit-bourgeois réformiste (Proudhon par ex.) cherchant à transformer le capitalisme « du dedans » à partir de réformettes géniales, mais bien du développement le plus large possible de la lutte des classes. Or, celle-ci résulte nécessairement du déploiement des contradictions du mode de production capitaliste et de ses rapports de production foncièrement inégaux ; des rapports au sein desquels les maîtres privés du capital (usines, chemins de fer, mines, banques, ports, grands magasins…) exploitent le travail d’autrui sans aucune autre limite « morale »… que la résistance (ou que la passivité !) de leurs victimes. Communisme ne signifie donc pas, du moins pas principalement, multiplication des coopératives ouvrières (on dirait aujourd’hui des « SCOP ») forcées de jouer le jeu de la concurrence capitaliste ou bien de disparaître, mais expropriation des expropriateurs (comme l’écrira plus tard Marx dans Le Capital) : c’est en effet en socialisant les grands moyens de production et en réalisant la démocratie politique et économique la plus large, celle qui permet à la majorité prolétarienne de diriger effectivement la société[2], que les prolétaires peuvent affranchir peu à peu toute la société. En effet, le prolétariat est la première classe dominée de l’histoire[3] qui, tout en étant exploitée par toute la société, n’exploite aucune autre partie de la population : si bien que la classe des travailleurs salariés ne peut s’émanciper elle-même (contenu de classe de la révolution communiste) qu’en affranchissant toute la société[4] (contenu universel de cette émancipation). La contre-révolution dans les ex-pays socialistes a d’ailleurs montré expérimentalement que lorsque, pour telle ou telle raison intérieure et/ou extérieure, le socialisme finit par entrer en « stagnation », lorsqu’il piétine et cesse de « faire signe » vers la désaliénation générale de la société, en un mot, quand il cesse d’être concrètement et sensiblement orienté vers le communisme qui constitue sa fin objective, les forces intérieures et extérieures de la restauration capitaliste peuvent alors passer à la contre-offensive visant à rétablir la dictature des possédants.
Le Manifeste du Parti communiste, socle d’une tradition théorique en développement constant
Naturellement, le Manifeste de 1848, écrit par deux jeunes gens, fussent-ils géniaux, ne pouvait pas contenir le tout de la science socio-historique. A l’époque, Marx et Engels, déjà très liés par leurs activités militantes au mouvement ouvrier révolutionnaire de France, d’Allemagne et d’Angleterre, maîtrisaient pour l’essentiel les bases du matérialisme dialectique et historique, lesquelles sont exposées dans L’Idéologie allemande (1846). En revanche ils ne possédaient pas encore à fond la théorie scientifique de la plus-value comme différence entre la valeur marchande de la force de travail et la valeur des produits accaparés par les détenteurs capitalistes des moyens de production. Les jeunes Friedrich et Karl maîtrisaient encore moins l’idée d’une « baisse tendancielle du taux de profit moyen » condamnant la société capitaliste à tenter sans cesse d’aggraver l’exploitation du travailleur tout en dévoyant les résultats de la science à son seul bénéfice. Il serait donc stupide d’encenser le Manifeste en ignorant l’impétueux développement théorique ultérieur du marxisme, qu’il s’agisse de la critique marxiste de l’économie politique, qui culminera dans Le Capital, de la théorie matérialiste de la connaissance (dont le sommet est sans doute l’Introduction de Marx à la méthode de la science économique), de la dialectique de la nature (grandiose apport d’Engels constamment sous-estimé par tant de marxistes de la chaire), et bien entendu, de l’approche marxiste de l’anthropologie (cf L’origine de la famille, de la propriété et de l’Etat, d’Engels) et de la théorie politique proprement dite (notamment les écrits de Marx sur La guerre civile en France, La critique du programme de Gotha, Le 18 brumaine de Louis Bonaparte…).
L’autocritique ponctuelle de Marx : la dictature du prolétariat initialement absente du Manifeste du Parti communiste…
Par ailleurs, Marx n’avait pas encore formulé le concept de la « dictature du prolétariat » que, dès 1852, dans une lettre célèbre à Weydemeyer, il considèrera comme la pierre de touche de ses conceptions politico-historiques : la démocratie en général n’existe ni ne peut exister à l’intérieur d’une société de classes, dans ce cadre, toute démocratie est inévitablement une dictature de classe : soit une dictature de la bourgeoisie sur le prolétariat, quelles que soient les formes éventuellement démocratiques de ce pouvoir de classe puisse prendre selon les lieux et les temps, soit une dictature du prolétariat réprimant les inévitables menées contre-révolutionnaires de la bourgeoisie déchue et permettant ainsi à l’inverse à la majorité écrasante du peuple de diriger démocratiquement son pays tout en cherchant l’union avec les autres prolétaires du monde. Et pour cela, – Marx y reviendra spécialement en 1871 quand il produira l’analyse critique de la Commune de Paris tout récemment défaite –, le prolétariat ne doit pas se contenter d’épousseter, de récupérer et de « démocratiser » l’appareil d’Etat de la domination capitaliste : il doit plutôt « faire sauter » (versprengen) l’appareil de domination bourgeois afin de créer son propre appareil d’Etat prenant appui sur les masses populaires en mouvement. Lequel doit à son tour viser d’emblée, et en permanence, bien entendu en tenant compte des possibilités réellement existantes, son propre dépérissement et sa transformation en autogestion nationale d’ensemble. C’est ce que Lénine, en pleine période postrévolutionnaire, traduira par l’expression littéralement stratégique, voire anthropologique : « le socialisme est l’œuvre vivante des masses »[5].
Des prolétaires « sans-patrie » au prolétariat « devenant la nation »
Il faut bien comprendre en outre le sens véritable de certaines formules brillantes qui figurent dans le Manifeste et que ses exégètes trotskistes ou « altermondialistes » ont souvent montées en épingle et décontextualisées pour opposer le patriotisme communiste à l’internationalisme prolétarien. C’est le cas de la formule-choc : « les prolétaires n’ont pas de patrie ». D’une part, cette formulation est aussitôt contrebalancée dans le texte par l’injonction adressée au prolétariat de chaque pays de « devenir la nation » au moyen de la révolution populaire. L’expérience des insurrections populaires du 19ème siècle, et plus encore, celle des révolutions socialistes victorieuses du 20ème (chinoise, vietnamienne, cubaine…) allait vite démontrer, notamment avec l’essor du « mouvement des nationalités » en Europe, puis avec le déploiement mondial des Fronts de libération nationale du siècle dernier, que le combat des nations opprimées contre leurs oppresseurs féodaux, impériaux[6], puis impérialistes au sens actuel du mot, pouvait devenir l’allié continental, voire mondial puissant, du mouvement foncièrement internationaliste du prolétariat. A l’expresse condition naturellement que ce dernier ne se dissolve pas dans lesdits fronts patriotico-populaires en oubliant ses intérêts propres et sa lutte générale pour le progrès social, la démocratie, l’égalité hommes-femmes, la désaliénation idéologique, etc. Mais dans les conditions de 1848, il était bien sûr impératif de faire de l’indépendance du prolétariat par rapport au nationalisme bourgeois, fût-il « républicain », une absolue priorité[7].
Il reviendra à Lénine de procéder ultérieurement à l’analyse marxiste de l’impérialisme (qui n’existait pas encore comme tel à l’époque où parut le Manifeste), cette phase « réactionnaire sur toute la ligne » du développement capitaliste que caractérise la domination des monopoles privés, l’achèvement du partage du monde et la tendance concomitante des Etats bourgeois dominants au repartage guerrier périodique du butin mondial ; sans oublier l’exportation des capitaux dans le but de surexploiter les pays périphériques et d’amasser sur leur dos un énorme « surprofit » de manière à « corrompre » la partie supérieure des prolétaires des Etats dominants[8]; si bien que la devise de l’Internationale communiste créée en 1919 complètera la « chute » du Manifeste « Prolétaires de tous les pays unissez-vous ! » par la formule plus complète : « prolétaires de tous pays, peuples opprimés du monde, unissez-vous ! ».
Comme l’exploitation capitaliste, le prolétariat change de forme sans changer de nature
Aujourd’hui, la lecture et la relecture Manifeste du Parti communiste sont plus utiles que jamais aux militants franchement communistes, aux syndicalistes de classe et à tout véritable progressiste. D’abord parce que le prolétariat ne disparaît nullement, contrairement à une idée reçue ; au contraire, qu’elles en soient ou non conscientes, de nouvelles professions non ouvrières et « de service » sont frappées chaque jour par la prolétarisation galopante[9]. Chacun constate de ce point de vue que dans la controverse théorique qui opposa dans les années soixante le socialiste Guy Mollet (secrétaire général de la SFIO) au marxiste Maurice Thorez, alors secrétaire général du PCF, le second l’a nettement emporté au vu de l’expérience historique. Mollet prétendait en effet que, de par le mouvement propre du capitalisme, il n’y aurait pas de « paupérisation absolue du prolétariat », c’est-à-dire qu’il n’y aurait pas des difficultés grandissantes pour le prolétariat à couvrir ses besoins, eux-mêmes croissants en fonction du développement économique. Mollet croyait en outre que le développement capitaliste favoriserait par lui-même ce que l’on nommait alors la moyennisation de la société (base de masse de la social-démocratie et de sa prétention à gérer « humainement » le capitalisme…). Au contraire, Thorez soulignait qu’en longue période, ce serait au contraire les « couches moyennes » qui se prolétariseraient, le mouvement de prolétarisation se mesurant quant à lui à l’échelle pas seulement nationale, mais internationale. Certes, le rapport des forces mondial et national issu de la victoire historique de l’URSS sur Hitler, de la forte dynamique du PCF et de la CGT, sortis tous deux grandis de la Résistance, de l’influence mondiale d’un puissant camp socialiste s’étendant de Berlin à Pyongyang, ont alors contraint le capitalisme occidental (et le patronat hexagonal…) à « jeter du lest » (osons même dire: à giter de l’Est !) en consentant aux grandioses réformes sociales que portèrent les ministres communistes de 1945-47 (Thorez, Croizat, Paul, Tillon, Casanova, Billoux, Jacques Duclos présidant alors l’Assemblée nationale). Contre-épreuve de cette réalité historique, l’oligarchie capitaliste s’est évidemment empressée de résilier ces réformes, et avec elle, le programme du CNR lui-même, sitôt qu’eurent disparu l’URSS, la RDA… et que se fut consolidée à l’Ouest l’allégeance « eurocommuniste » de plusieurs PC occidentaux, dont le PCF, à la « construction européenne » et à la social-démocratie contre-révolutionnaire. Mais dès le printemps 1968, l’immense grève générale française, dont l’aliment principal fut la résistance acharnée de la CGT, dès les années 65/67, à la régression sociale orchestrée par Giscard d’Estaing (Plan de stabilité, ordonnances gaullistes contre la Sécu…), plus l’excellent score obtenu par le PCF aux législatives de 67 (22,7%), eurent tôt fait de rappeler à l’ordre les idéologues réformistes. Difficile en effet de chanter la collaboration des classes à l’allemande en plein affrontement de classes national, puis européen… Bref, le prolétariat ne disparaît ni ne change de nature, il change de formes avec l’évolution des formes du rapport d’un production capitaliste dont l’essence perdure : l’extorsion vampirisante de la plus-value prélevée sur le travail vivant.
Cette leçon centrale du matérialisme dialectique a dès longtemps été tirée par Lénine sur un plan très général. Dans son livre de 1908 intitulé Matérialisme et empiriocriticisme, Lénine a étudié quasiment en temps réel les bouleversements des conceptions physico-chimiques du 20ème siècle commençant. Et il en a sagement conclu que non, « la matière ne disparaît pas », contrairement à ce que prétendaient les philosophes idéalistes et certains scientifiques à leur suite, et que tout au contraire, c’est le « le concept scientifique de matière qui change de forme »… Ce qu’Engels avait déjà formulé ainsi dans le principe, en refusant d’avance toute acception dogmatique du marxisme : « à chaque découverte faisant époque, le matérialisme doit changer de forme ». Pourquoi en irait-il autrement dans le champ du matérialisme historique et socio-économique ?
De la contre-révolution à la re-prolétarisation
Confirmation éclatante de ces données géo-historiques : sitôt le brutal pouvoir de la bourgeoisie restauré dans l’ex-URSS, et dans l’ex-camp socialiste européen, une fois la Grande Allemagne impérialiste reconstituée par l’annexion « démocratique » de la RDA et par la satellisation-dislocation (achevée ou en cours !) de plusieurs de ses voisins[10], la contre-offensive capitaliste prenait la forme de cette nouvelle Sainte-Alliance contre le socialisme, contre les acquis sociaux et l’indépendance des peuples qu’est aujourd’hui l’Union européenne (Traité de Maastricht, 1992). Et en fait de « nouvel ordre mondial » et d’émancipation « antitotalitaire » du sous-continent européen, on a eu en cascade la misère de masse dans les ex-pays socialistes, l’interdiction des Partis communistes de l’Est et la montée concomitante de l’ultra-droite raciste et cléricale de l’Atlantique à la Vistule, la tentative européenne d’interdire la grève dans divers pays (Grèce), le « partenariat stratégique » de l’UE avec l’OTAN. Sans oublier la très totalitaire « économie de marché ouverte sur le monde où la concurrence est libre et non faussée » que verrouillent tous les traités supranationaux européens depuis 1992 ! Faux antitotalitaires et vrais anticommunistes qui avez applaudi la chute de l’URSS et le Traité de Maastricht, où donc est votre bienheureuse « fin de l’histoire » tant vantée ?
De l’affrontement de classes à la « lutte finale » : communisme ou exterminisme ?
Car aujourd’hui, seuls des benêts politiques peuvent encore dénier la réalité objective de l’antagonisme des classes qui forme le cœur des rapports de production capitalistes. Moins aveugle que nombre d’idéologues sociaux-démocrates, le richissime financier américain Warren Buffett avoue ainsi sans barguigner que « la guerre des classes existe ». Et faisant si l’on ose dire, du « marxisme à l’envers », ce méga-exploiteur ajoute cyniquement que « c’est ma classe, celle des riches, qui est en passe de la gagner ». Tantôt latent, tantôt éclatant, l’affrontement entre les classes sociales est nourri en permanence par une exploitation capitaliste grandissante et pourvoyeuse d’inégalités implosives ; car aussi longtemps que nul ne l’arrêtera dans son offensive anti-prolétarienne nationale, continentale et mondiale, l’Attila libéral-fascisant de la revanche capitaliste contre Octobre 17, contre Stalingrad, contre le CNR, contre Mai 1968 et, en dernière analyse, contre cet indestructible « spectre du communisme » qui hantait déjà l’Europe prérévolutionnaire de février 1848, continuera de tout anéantir sur son passage.
Ajoutons que face à cette lutte à mort engagée entre le super-maître et la masse des candidats involontaires au nouvel esclavage de masse, nul n’a ni n’ aura jamais la possibilité de crier « pouce ! »… Dès lors, quand, aigri par ses défaites syndicales à répétition, ou gagné par l’illusion suicidaire de l’ « euro-constructivisme », le prolétariat occidental en général, et français en particulier, est tenté de « plier les gaules » et d’accompagner à petits pas la casse sociale, la classe capitaliste poigne sa victime encore plus sauvagement, forçant tôt ou tard la classe exploitée à contre-attaquer… sauf à être écrasée au risque d’une pan-destruction ou d’un avilissement général de l’humanité. En effet, les travailleurs formant l’écrasante majorité, non seulement de chaque nation en particulier, mais de l’humanité en général, une défaite historique durable des forces populaires porte en germes la défaisance des nations, le pillage irréversible de l’environnement, voire la destruction de l’Humanité (ou du moins, de l’humanité en chaque homme…). Marx ne signalait-il pas déjà dans Le Capital que « le capitalisme n’engendre la richesse qu’en épuisant ses deux sources, la Terre et le travailleur « ? Le communisme n’est donc rien d’autre en son principe qu’une lutte des classes menée jusqu’à son terme. Deux issues en sont possibles :
- soit la révolution socialiste débouchant sur le communisme, donc sur la société sans classes et conséquemment, sur l’extinction de la lutte des classes (« je n’ai jamais conçu la lutte, écrivait le poète communiste chilien Pablo Neruda, que pour mettre fin à la lutte ») : telle serait la « bonne fin » de l’histoire où, selon le mot du Manifeste, « le développement de chacun (deviendrait) la clé du développement de tous »,
- oit ce que nous nommons l’exterminisme, c’est-à-dire un broyage tel des peuples et de l’environnement par le capital-impérialisme, que c’est la survie même du genre humain, et peut-être même celle du vivant sur Terre qui seraient alors menacées ; en un mot, une mauvaise fin capitaliste de l’histoire ne laissant plus le choix aux hommes « qu’entre un effroi sans fin et une fin pleine d’effroi » (Marx). S’il est vrai que l’exterminisme est devenu le stade suprême du capitalisme-impérialisme[11], il s’ensuit que le communisme doit désormais s’emplir, outre ses missions transformatrices connues depuis longtemps, d’une visée proprement anti-exterministe. Par delà sa dimension héroïque toujours audible, c’est ce que traduit le mot d’ordre cher à F. Castro et aux communistes cubains : « le socialisme ou la mort ! », qui généralise à l’humanité la remarque d’Engels reprise par Rosa Luxemburg à l’époque de la Première Guerre mondiale : « Socialisme ou barbarie ! ».
Caractère régressif des « mutations » révisionnistes opérées par les PC occidentaux
Pour revenir de manière plus précise à la société française, on voit combien ont nui à notre peuple les naufrageurs du PCF, « rénovateurs » des années 70 ou « refondateurs » et autres « mutants » des années 80, 90, 2000… : bref, tous ceux qui n’ont cessé d’affadir et d’étouffer successivement le message de Lénine, puis celui de Marx-Engels, puis celui des grands jacobins français inspirés de Rousseau[12], de présenter leur indécent effeuillage idéologique[13] comme une « métamorphose du capitalisme »… alors même que tout ce chemin du déshonneur et de l’auto-phobie communiste, pour parler comme Domenico Losurdo, n’a rien fait d’autre que nous ramener très loin vers l’arrière, à l’époque pré-marxiste du socialisme petit bourgeois et réformiste où la classe ouvrière était la dupe des révolutions, voire l’esclave pantelante des contre-révolutions. Et cela à une époque contre-révolutionnaire où le capitalisme-impérialisme reprend tous les conquis qu’il avait dû consentir sous la poussée conjointe de Stalingrad, du CNR, et du PCF marxiste-léniniste des années 30/40/50, n’apportant plus, social-démocratie en tête, que des contre-réformes, que le rabougrissement des conquêtes démocratiques liées à la révolution bourgeoise (souveraineté nationale, laïcité, Lumières, Habeas corpus, etc.), que la recolonisation rampante des pays de l’Est et du Sud, que le délitement de pays entiers comme la Grèce, l’Italie, l’Espagne… ou la France. Plus que jamais l’ (euro-)réformisme enferme la classe travailleuse dans une défensive sans issue et totalement éclatée. Alors que l’euro-syndicalisme réformiste dominant n’apporte plus que des déroutes déshonorantes, force est de revenir au constat léninien : « on ne peut avancer d’un pas si l’on craint d’aller au socialisme » et « les réformes sont la retombée des luttes révolutionnaires ».
Pas de « communisme » sans… Parti communiste…
Enfin la négation théorique (par L. Sève notamment, hélas) et pratique (P. Laurent transformant l’ex-parti de combat doté de cellules d’entreprises en un forum permanent) de la « forme-parti » au profit d’un « mouvementisme » plat, a totalement désarmé, non seulement les peuples des ex-pays socialistes, où la dégénérescence, puis la casse des PC au pouvoir a partout précédé ou accompagné la contre-révolution, mais les classes ouvrières de France et d’Italie, deux pays dans lesquels existaient naguère de puissants partis communistes, socles populaires et avant-gardes politiques des luttes socioculturelles. Alors que la France insoumise, qui ne se pense en rien comme un mouvement prolétarien ou principalement prolétarien[14] croit elle aussi devoir théoriser l’obsolescence de la « forme-parti », ce n’est sûrement pas en s’aventurant dans ces sables… mouvants que les communistes aideront le monde du travail à stopper Macron, à relancer le syndicalisme de classe, à construire un large FRont Antifasciste, Patriotique, Populaire et Ecologiste (FrAPPE) indispensable pour permettre à notre pays, avant qu’il n’en meure, de sortir par la gauche (‘Frexit progressiste’) de l’euro, de l’UE-OTAN et du capitalisme, bref, à retrouver toute la dureté politique et syndicale nécessaire pour vaincre un ennemi de classe plus acharné et plus impitoyable que jamais.
Manifestement, il urge de reconstruire le Parti communiste en France
Pour cela, il ne suffira certes pas de développer une « tendance marxiste-léniniste » (?) à l’intérieur du PCF en phase de déchéance et de liquidation finales. Il faudra d’abord redéployer l’unité d’action des forces franchement communistes, qu’elles agissent encore dans ce qui subsiste du PCF-PGE ou qu’elles se soient organisées indépendamment de lui, comme c’est au premier chef le cas du PRCF.
Il faudra aussi se souvenir à la fois des leçons du Congrès de Tours[15], et de celles, très en amont, de Marx et Engels dont tout l’effort – avec la mise en place de la Ligue des communistes puis avec celle de la Première Internationale[16] – aura été de doter les travailleurs, dans des formes initialement balbutiantes[17], d’un parti de classe bien à eux. C’est-à-dire d’une organisation ouverte aux actions les plus larges, mais régie par sa propre discipline démocratique, en un mot d’un parti communiste indépendant de la grande, de la moyenne et de la petite bourgeoisie. D’un parti doté d’une capacité, sans jamais se priver des alliances tactiques indispensables pour éviter le « solo funèbre »[18], à poursuivre sans relâche ses buts stratégiques et anthropologiques propres : la mise à bas par les travailleurs et par les nations souveraines de la Sainte-Alliance euro-atlantique, la révolution sociale, le socialisme poussé jusqu’au communisme : en un mot, l’émancipation hasta la victoria siempre de chaque peuple et de chaque individu pour que naisse enfin – et d’abord pour que survive et tienne bon en ce crépusculaire début de 21ème siècle ! –, une « Humanité » devenant enfin digne de ce beau nom.
Ainsi, rester fidèle au Manifeste, c’est travailler à reconstruire, indépendamment des forces euro-réformistes affiliées au PGE, et par son entremise, à la « construction » européenne, une organisation de combat pour notre temps, un Parti franchement communiste ancré dans un Mouvement communiste international marxiste, léniniste et révolutionnaire.
[1] A la demande de la Ligue des Justes, devenue Ligue des communistes sur proposition de Marx et d’Engels.
[2] Au rebours de ce qui se passe dans toute société capitaliste, où la minorité bourgeoise détient à compte privé ou au moyen de l’Etat bourgeois les moyens de domination matériels et spirituels.
[3] Contrairement par ex. à la plèbe romaine ou à la bourgeoisie d’ancien régime…
[4] Le communisme est donc un humanisme véritable, et non pas hypocrite comme c’est le cas de la bourgeoisie qui déguise son égoïsme de classe en « valeurs universelles de l’homme », pour parler comme cet extraordinaire bateleur théorique que fut M.S. Gorbatchev…
[5] Voir aussi bien entendu les célèbres Thèses d’avril 1917.
[6] Au 19ème siècle, le tsar russe, les Habsburg, mais aussi le pouvoir transnational de la Papauté, etc.
[7] De même qu’aujourd’hui, le PRCF refuse et refusera toujours de se fondre dans un « front patriotique » sans rivage qui ignorerait les dimensions antifasciste, sociale, progressiste, démocratique, féministe, pacifique et écologique du combat.
[8] Telle est la base de l’opportunisme réformiste, voire « contre-réformiste » dans les conditions actuelles, au sein du mouvement ouvrier, et aujourd’hui, de l’attachement social-impérialiste des forces (contre-) réformistes au mythe de l’ « Europe sociale ».
[9] Car on peut être prolétaire sans être ouvrier si l’on ne possède pas ses moyens de production, si l’on est contraint pour gagner sa vie de vendre au capitaliste sa force de travail manuelle ou intellectuelle, et si l’on est susceptible de produire par son travail une valeur supérieure à ce qu’a coûté l’achat de sa force de travail par le capitaliste. Ainsi pour Marx est prolétaire celui qui « est délié de tout, sauf du besoin ». Bref, si l’on sait distinguer l’essence de la forme, et plus encore, de l’apparence, l’ubérisation n’est pas « dé-prolétarisation » mais hyper-prolétarisation, voire Macro(n)-prolétarisation…
[10] Républiques soviétiques de la Baltique, Tchécoslovaquie, Yougoslavie, sans oublier les tensions euro-séparatistes qui tendent à disloquer la Belgique, l’Italie, l’Espagne, voire la France « une et indivisible »…
[11] Cf Gastaud, Mondialisation capitaliste et projet communiste, Temps des cerises, 1997, partie III intitulée Matérialisme et universalisme.
[12] … chez lesquels on trouve de fulgurantes anticipations de l’antagonisme à venir entre bourgeois et « peuple ».
[13] Abandons successifs des références statutaires à la dictature du prolétariat, 1976, au marxisme-léninisme et à l’internationalisme prolétarien, 1979, au socialisme, à la classe ouvrière et au centralisme démocratique, 1994 ; sans parler du ralliement au réformisme via les thèmes utopistes du « socialisme autogestionnaire au pas à pas », des « nouveaux critères de gestion » dans le cadre de la propriété capitaliste, de l’acceptation de principe de la « construction » européenne, du ralliement à l’antisoviétisme et à l’anti-léninisme le plus échevelé, de l’adhésion du PCF au PGE financé par Bruxelles…
[14] Ce n’est pas là un reproche mais un fait.
[15] Qui se tint en décembre 1920 et déboucha sur l’affiliation du PS français à l’Internationale communiste.
[16] Il ne pouvait en être autrement tant que le prolétariat industriel n’était pas puissamment développé par l’essor même du capitalisme.
[18] Expression utilisée par Marx pour pointer l’incapacité de la Commune à rallier la paysannerie française contre Versailles.