Par Jean Pestieau, chercheur en physique, membre du PTB et Georges Gastaud, professeur de philosophie, membre du PRCF.
Jean Pestieau, chercheur en physique et membre du Parti du Travail de Belgique, nous raconte ci-dessous comment le boson de Higgs a hérité du surnom grotesque de « particule de Dieu » que nous servent les médias amateurs de sensationnel et de « retour du religieux »…
Sur le fond, les recherches des physiciens du CERN, qui viennent d’isoler une particule très attendue – se situent à des années-lumière de l’idéologie créationniste que diffusent les médias – y compris certaines revues « scientifiques » – tantôt à propos du « big-bang », tantôt à propos de la physique des particules. Le cœur du créationnisme est en effet l’idée magico-religieuse que quelque chose pourrait être produit à partir de rien par un « Esprit » tout-puissant.
En réalité – comme l’avait vu Lénine dans Matérialisme et empiriocriticisme – la physique connaît des « transformations » et non des « créations » ou des « destructions absolues » : en clair, telles formes de matière donnent naissance à d’autres formes de matière selon des processus précis qu’on appelle des lois. Le fameux boson de Higgs ne fait pas exception à la règle même s’il joue un rôle décisif dans l’attribution d’une masse aux particules qu’il rencontre. En effet la masse d’un corps n’est qu’un attribut parmi d’autres possibles de la matière conçue dans toute son extension et dans toute sa diversité. N’en déplaise au créationnisme, l’énergie, voire le « vide quantique », n’appartiennent ni au « néant pur » ni au « royaume de l’Esprit » et le rôle de la science est au contraire de saisir comment s’opèrent ces transformations matérielles dans des domaines qui sont souvent extrêmement différents dans leur fonctionnement de ce que nous sommes habitués à « voir » au quotidien.
Comme le disait Engels, « à chaque découverte faisant époque, le matérialisme doit changer de forme ». Changer de forme donc, pas de contenu. C’est pourquoi il faut apprendre à penser dialectiquement, à voir les choses dans leurs transformations et leurs contradictions surmontées, pour comprendre que dans son principe même, et si surprenantes que soient ses découvertes, la science tend à ELARGIR le matérialisme, à approfondir la rationalité en faisant reculer les conceptions obscurantistes. C’est pourquoi les communistes, qui se réclament du matérialisme dialectique, disent « bienvenue à la « damnée » particule, voire à la « putain de particule » conjecturée dans les années soixante par les physiciens belges Brout et Englert et par le physicien britannique Higgs.
De : Jean Pestieau, dimanche 8 juillet 2012 00:29, à Georges Gastaud. Objet : Courrier (4) sur la découverte du boson du CERN
Cher Georges,
Je veux ici répondre à ta question et te parler du fameux nom de « particule de Dieu » qui désigne dans certains journaux le boson scalaire ou boson de Brout-Englert-Higgs dont on a annoncé la découverte au CERN, à Genève, le 4 juillet 2012.
Leo Lederman, prix Nobel de Physique en 1988 (pour la découverte du neutrino muonique), a écrit en 1993 un livre qui a pour titre « The God Particle. If the Universe is the Answer, What is the Question? » Traduction française: « La particule de Dieu. Si l’univers est la réponse, quelle est la question? ».
Leo Lederman qui a 90 ans cette année est un fameux humoriste.
Le titre qu’il aurait voulu est » The Goddamn Particle. If the Universe is the Answer, What is the Question? ». Traduction française: » Putain de particule! Si l’univers est la réponse, quelle est la question? ».
Il explique « Cette particule [de Brout-Englert-Higgs] est si centrale pour l’état de la physique d’aujourd’hui, si cruciale pour notre compréhension finale de la matière et en même temps si fuyante »
Cette particule est une foutue particule, une putain de particule, littéralement une particule damnée (goddamned) qu’il est presque pas possible de découvrir. C’est une particule qui donne du fil à retordre depuis des dizaines d’années, très difficile à détecter.
C’est cette particule qui a été découverte au début juillet 2012 par dix mille scientifiques travaillant d’arrache-pied avec l’accélérateur le plus puissant du monde (LHC), payés par les impôts de centaines de millions de travailleurs.
L’éditeur de Lederman lui a dit en substance: Le livre ne se vendra pas si on met pour titre « Putain de particule » (ou « Foutue particule », ou « Particule damnée de Dieu »). Le livre aura un titre vendeur aguichant « Particule de Dieu » qui en fera un succès de librairie assuré.
Effectivement, le livre a été un grand succès plus par son titre que par son excellent contenu. Lederman, qui ne croit ni à dieu ni à diable, et son éditeur ont ainsi gagné beaucoup d’argent. Il s’agit d’une affaire de fric pas de théologie.
La découverte du 4 juillet est pour moi une illustration parfaite de la 8e thèse sur Feuerbach ;
amicalement, Jean.
PRECISIONS SCIENTIFIQUES APPORTEES PAR JEAN PESTIEAU
L’article de Jean-Pierre Kerckhofs et moi-même, « Les fondements de la matière et de la lumière », paru dans Etudes marxistes, n° 97 (2012) se termine par: »Un […] grand défi est de découvrir l’origine de la masse des particules élémentaires. Telle est la tâche principale du LHC [grand collisionneur de particules] à Genève »
Le mercredi 4 juillet 2012 a été annoncée la découverte d’une particule, appelée boson de Higgs (*), qui est la manifestation du champ d’interaction de Higgs (*), qui serait à l’origine des masses des particules élémentaires.
Quand Christophe Colomb est parti, en 1492, à la recherche d’une voie pour atteindre l’Asie de l’Est par l’ouest, il n’a pas atteint la côte Est de l’Asie mais bien les Caraïbes ouvrant ainsi la porte à la redécouverte de l’Amérique. Il a fallu attendre Magellan et ses matelots pour faire le tour du monde (1520-1522), atteindre, par l’ouest , l’Asie de l’Est.
Et la confusion a été telle que les habitants de l’Amérique ont été appelés Indiens car on croyait qu’ils étaient des habitants de l’Asie! Le nom est resté jusqu’aujourd’hui.
La leçon à tirer, c’est que bien souvent une première grande découverte en cache d’autres qui recadreront la première. Ce sera probablement le cas du boson de Higgs.
(*) Le boson manquant
Dans les années 1970, les physiciens constataient que deux des quatre forces fondamentales [gravitationnelle, électromagnétique, faible et forte], la force faible et la force électromagnétique, sont de même nature. Cette avancée majeure pour la physique des particules a permis l’unification des deux forces dans la même théorie, qui constitue la base du modèle standard. Ainsi, l’électricité, le magnétisme, la lumière ainsi que certains types de radioactivité sont toutes des manifestations d’une seule et même force appelée, logiquement, force électrofaible. Cependant, pour que cette unification soit vérifiée mathématiquement, il faut partir du principe que les particules porteuses de force n’ont pas de masse. Or, nous savons que cela n’est pas le cas. les physiciens Peter Higgs (britannique), Robert Brout (belge, 1928- 2011) (**) et François Englert (belge) ont proposé, en 1964, une solution à cette énigme.
Leur théorie implique que, juste après le Big Bang, aucune particule n’avait de masse. Lorsque l’Univers a refroidi et que la température est tombée en-dessous d’un seuil critique, un champ de force invisible appelé « champ de Higgs » s’est formé en même temps que le boson de Higgs, particule qui lui est associée. L’interaction avec ce champ répandu partout dans le cosmos permet aux particules d’acquérir une masse par l’intermédiaire du boson de Higgs. Plus les particules interagissent avec le champ de Higgs, plus elles deviennent lourdes. Au contraire, les particules qui n’interagissent pas avec ce champ ne possèdent aucune masse.
Cette idée constituait une solution satisfaisante et était en adéquation avec les théories et les phénomènes établis. Le problème est que, avant 2012, personne n’avait jamais observé le boson de Higgs lors d’une expérience pour confirmer cette théorie. La découverte de cette particule au Grand collisionneur de hadrons (LHC) permet d’une part de mieux comprendre pourquoi les particules ont la masse qui leur est propre et, d’autre part, de contribuer au développement de la physique. Ainsi Vincent Lemaître, membre belge de l’expérience CMS (une des deux expériences à la recherche du boson manquant au CERN), a déclaré le 4 juillet de manière avec émotion: « Jusqu’à mardi 3 juillet, tous les physiciens de la planète travaillaient avec la conviction que les particules avaient une masse intrinsèque. Aujourd’hui, on doit apprendre à se dire que cette masse est le fruit d’une interaction avec un champ scalaire. Tout reste à comprendre. Nous avons ici un bras de levier formidable pour élaborer une nouvelle étape de la physique » (Le Soir, 5 juillet 2012)
(d’après, http://public.web.cern.ch/public/fr/science/Higgs-fr.html )
(**) Robert a été mon professeur, pendant mon doctorat, entre 1966 et 1968