Lettre ouverte du Pôle Renaissance communiste en France (PRCF) à l’adresse du PCF
Chers militants et camarades communistes du PCF, cher camarade Fabien Roussel,
Le 3 septembre 2019, vous avez prononcé, camarade Roussel, un discours en conclusion du colloque Jean Jaurès à Toulouse à l’occasion du 160e anniversaire de la naissance de celui qui fut le leader de la SFIO et qui revendiquait sa proximité intellectuelle avec les principes du marxisme-léninisme. Dans ce discours, vous avez énoncé un certain nombre de phrases que nous, camarades militants du PRCF (et parfois encore au PCF), fortement attachés à l’héritage du grand PCF de Thorez et Duclos – avec ce souci constant de faire perdurer et vivre cet héritage quotidiennement et par-delà l’histoire –, approuvons, et en particulier le lien que vous établissez entre « le drapeau bleu blanc rouge de la France » et « le drapeau rouge du mouvement ouvrier ».
Cette association des deux drapeaux, à laquelle nous associons également le couple de la Marseillaise et de l’Internationale (rappelons que la Marseillaise fut le premier hymne officiel de la Russie bolchevique !), nous, militants du PRCF, la pratiquons depuis la création du Pôle en 2004, dans la ligne droite de la position adoptée par Jacques Duclos, avec l’accord de Maurice Thorez et de l’Internationale communiste, lors du meeting fondateur du Front populaire antifasciste… le 14 juillet 1935 ! On se doute bien que le choix de cette date ne releva pas de la pure coïncidence et signifiait un acte politique et idéologique fort, celui qui allait guider le Front populaire et la Résistance antifasciste ; celui encore qui, déjà avant 1935, fut pris par la Commune de Paris pour défendre la République socialiste et patriotique contre les Versaillais et la Prusse réactionnaire.
Plus généralement, au cours de votre intervention tout comme dans d’autres déclarations ou entretiens réalisés auprès des « grands médias », vous dénoncez la destruction de la « souveraineté » opérée par Macron et le gouvernement Philippe, que ce soit dans le cas de General Electric au sujet de l’arrêt de la diversification des turbines – « nous considérons que c’est une production stratégique, c’est dans l’intérêt de la nation, de notre pays, de conserver ces savoir-faire, ces compétences », « pour des raisons de souveraineté économique » – ou dans votre discours du 3 septembre 2019 quand vous déclarez : « ceux qui défendent ce système ultra financiarisé ne veulent pas de nations souveraines ! Ils veulent encore moins de frontières entre lesquelles peut encore s’exercer cette souveraineté, s’organiser le débat démocratique. Ils ne veulent pas non plus de services publics qui pourraient échapper aux règles de la compétitivité et de la profitabilité à tout prix. » ; de même affirmez-vous que « la nation de Jaurès, et de tous les progressistes, est d’abord conçue comme une communauté de citoyens que ne se distinguent ni par leur origine, ni par leurs convictions intimes. C’est en cela que la nation française, grandie par la Révolution de 1789, a pu d’emblée porter un message universel en direction des autres peuples d’Europe. Qu’elle a accompagné leur marche vers la liberté et l’indépendance. »
Ces positions rejoignent fortement celles que le PRCF ne cesse de porter depuis sa création en 2004, et que déjà le PCF portait avant son euro-mutation l’ayant progressivement poussé à abandonner, entre autres, le drapeau tricolore – et récemment jusqu’aux emblèmes tellement significatifs que sont la faucille et le marteau ! – au profit… du drapeau de l’« Union » européenne, cette nouvelle Sainte-Alliance réactionnaire pilotée depuis Bruxelles, Berlin et Washington pour écraser toutes les conquêtes sociales et démocratiques arrachées par le mouvement ouvrier, le syndicalisme de classe et de masse et le PCF… mais aussi araser les nations souveraines dont vous prenez la défense. Car il est impossible de défendre la souveraineté nationale et populaire, celle des Jacobins et des sans-culottes de 1789 et 1793, des Communards, des militants antifascistes et patriotiques du Front populaire, des résistants anti-vichystes et antifascistes, SANS établir un lien avec la « construction » européenne, véritable entreprise de destruction des souverainetés dans tous les domaines, notamment celui des services publics soumis à la loi de la « concurrence libre et non faussée » prônée sur un ton mystique par l’UE. Qu’on en juge plutôt : politiques en faveur de « l’ouverture à la concurrence » de la SNCF (et ce depuis les premiers paquets ferroviaires des années 1990), de la privatisation des barrages hydroélectriques, du démantèlement du code du travail – dont se félicita explicitement l’ancien président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker ! – et de l’Éducation de moins en moins « nationale » – avec notamment l’adoption de la loi Blanquer officialisant la création d’un « baccalauréat européen » (et pour les prolétaires, un « bac national » au rabais !) et la volonté proclamée par le même Blanquer « d’ancrer l’idée européenne chez les jeunes, en faisant bien comprendre que c’est leur avenir » (un véritable bourrage de crâne européiste !) –, de la mise en place des « euro-métropoles », des « euro-départements » (comme la Moselle) et des « collectivités européennes » (comme l’Alsace) détruisant le cadre révolutionnaire des communes, des départements et de l’Etat-nation jacobin, et jusqu’à la disparition de la langue française face au déferlement du « globish » managérial (au mépris de la loi Toubon de 1994) ! On ne saurait mieux trouver un ennemi déclaré du principe de souveraineté nationale et populaire…
S’il est donc tout à fait opportun de rappeler que Jean Jaurès proclamait qu’« un peu d’internationalisme éloigne de la patrie » et que « beaucoup d’internationalisme y ramène », encore faut-il rappeler que L’INTER-nationalisme n’est pas le SUPRA-nationalisme, et que ce dernier constitue l’essence même de l’UE ! Jaurès, qui considérait que « la souveraineté nationale est le socle de l’émancipation sociale », avait parfaitement compris le piège du mot « Europe » auquel le PCF a malheureusement succombé :
« Nous savons que dans l’état présent du monde et de l’Europe, les nations distinctes et autonomes sont la condition de la liberté humaine et du progrès humain. Tant que le prolétariat international ne sera pas assez organisé pour amener l’Europe à l’état d’unité, l’Europe ne pourra être unifiée que par une sorte de césarisme monstrueux, par un saint empire capitaliste qui écraserait à la fois les fiertés nationales et les revendications prolétariennes. Nous ne voulons pas d’une domesticité internationale. Nous voulons l’Internationale de la liberté, de la justice et du droit ouvrier. »
Jean Jaurès 1898
Ce discours de 1898, Lénine le résuma parfaitement dans son commentaire au sujet « Du mot d’ordre des Etats-Unis d’Europe » le 23 août 1915, en déclarant fermement : « les États-Unis d’Europe sont, en régime capitaliste, ou bien impossibles, ou bien réactionnaires ». Or il s’agit exactement de la situation de l’UE, cette prison des peuples créée de toutes pièces par les forces du grand capital, par les réactionnaires de tous bords désireux de se débarrasser des nations libres et souveraines et de toutes les conquêtes sociales et démocratiques – et dire que le premier président de la Commission européenne fut Walter Hallstein, un ancien nazi ! –, et bien entendu par l’impérialisme états-unien trop heureux de constituer un nouveau « bloc euro-atlantique » en mesure de combattre l’URSS et de détruire toute trace de communisme en Europe. Rien d’étonnant, dès lors, de voir le très européiste MEDEF proclamer un « Besoin d’Aire » – du nom de son Manifeste de décembre 2011 appelant à une totale ouverture des frontières – et défendre la « totale liberté de circulation » des services, des marchandises, des capitaux (avant tout !) et des hommes, afin de toujours plus exploiter les travailleurs, ce que dénonçait déjà… Jaurès dans un discours du 17 février 1894 : « Ce que nous ne voulons pas, c’est que le capitalisme international aille chercher la main-d’œuvre sur les marchés où elle est le plus avilie, humiliée, dépréciée, pour la jeter sans contrôle et sans réglementation sur le marché français, et pour amener partout dans le monde les salaires au niveau des pays où ils sont le plus bas. » Jaurès le craignait, l’UE le fait !
Dès lors, si vous souhaitez défendre efficacement la souveraineté nationale et populaire, camarade Roussel, il est urgent et vital d’abandonner les euro-illusions encore véhiculées au sein du PCF, à commencer par Ian Brossat qui proclamait sur France Culture que « les communistes ne veulent pas sortir de l’UE », avant d’affirmer dans son clip de campagne pour les élections européennes : « n’écoutez pas non plus ceux qui vous disent qu’il faut quitter l’Union européenne », confondant volontiers le « Frexit de gauche » avec l’extrême droite fascisante et nationaliste du mensonger « Rassemblement national » … qui ne souhaite pourtant pas sortir de l’UE ! Comme vous, nous estimons qu’« il est insupportable de lire, d’entendre ici et là comment la nation est aujourd’hui réduite au nationalisme, au repli sur soi, à la division d’un peuple, et donc à l’opposé de ce qui la fonde. Oui c’est vraiment insupportable car les fondations d’une nation ne sont pas ethniques ou religieuses. Elle relève d’une construction politique, d’une histoire commune d’un peuple uni dans sa diversité. » Seulement voilà : cette position est tenue au sein même du PCF, notamment par Sophia Hocini qui déclarait lors de la campagne des européennes que « les eurosceptiques, tout d’abord, ce sont des gens qui sont profondément racistes, ce sont des gens qui sont dénués, véritablement dénués de valeurs ». Quelle insulte profonde pour notre président Léon Landini, fils d’immigrants italiens qui a combattu Vichy et le nazisme au sein des FTP-MOI et qui a été décoré de la médaille de la Résistance par l’URSS !
Ces euro-illusions, elles apparaissent encore dans votre discours lorsque vous indiquez que « [v]otre opposition à des traités imaginés pour servir uniquement la finance et les multinationales, va de pair avec [v]otre proposition d’une nouvelle union de peuples souverains et de nations librement associées » : qui peut sincèrement croire qu’il est possible de « changer l’UE », alors que ses traités fondateurs gravaient dans le marbre les principes mêmes de la domination capitaliste euro-atlantique et de la mort de la démocratie, ce que résuma Pierre Mendès France dans son discours d’opposition à l’adoption de la CEE – CEE qu’avait refusée et combattue le PCF ! – le 18 janvier 1957 : « L’abdication d’une démocratie peut prendre deux formes, soit le recours à une dictature interne par la remise de tous les pouvoirs à un homme providentiel, soit la délégation de ces pouvoirs à une autorité extérieure, laquelle, au nom de la technique, exercera en réalité la puissance politique, car au nom d’une saine économie on en vient aisément à dicter une politique monétaire, budgétaire, sociale, finalement « une politique », au sens le plus large du mot, nationale et internationale. » Près de 60 ans plus tard, Jean-Claude Juncker ne dit pas mieux lorsqu’il indiquait qu’« il n’y a pas de choix démocratique contre les traités européens », au moment où Syriza avait remporté les élections législatives en Grèce en 2015 – avec une énième promesse (comme d’autres avant) d’une « autre Europe » et de « changer l’Europe ». Rester dans l’UE en faisant croire qu’il y a eu une « perversion de l’Union européenne, en tout cas telle qu’elle aura été construite ces dernières décennies » et qu’il suffit dès lors de « changer d’Europe », de lutter pour une « harmonisation fiscale et sociale », une « Europe sociale » ou une « autre Europe », c’est condamner les forces populaires et révolutionnaires, patriotiques et internationalistes, à de nouvelles défaites face à l’offensive euro-atlantiste et ultralibérale du camp capitaliste, aujourd’hui symbolisé par le « Young Leader » Macron et sa cour d’affidés. C’est occulter les véritables « origines du carcan européen » magistralement analysées par l’historienne Annie Lacroix-Riz, à savoir celles d’un plan de domination des impérialismes états-uniens et allemand (avec la complicité des fascistes et réactionnaires de tout poil, du grand patronat de chaque pays d’Europe et du Vatican) pour en finir avec le « péril rouge », d’abord circonscrit aux partis socialistes et syndicats de classe d’avant 1914 puis ramené à l’URSS et aux partis communistes, PCF en tête.
Chers camarades du PCF, cher camarade Roussel, à l’heure où la France, avec son histoire, ses conquêtes démocratiques et sociales, sa souveraineté nationale et populaire, sa République une et indivisible héritée de la Révolution française, sa langue comme ciment d’unité et de combat contre l’ordre du « globish » managérial, son indépendance diplomatique et militaire et son message universel de paix, de liberté, d’égalité et de fraternité, fond comme neige au soleil au sein de l’ordre euro-atlantique piloté par Bruxelles, Berlin et Washington – au point de multiplier les menaces contre la paix mondiale à travers des menaces toujours plus explicites et dangereuses envers la Chine populaire, la Russie, l’Iran, Cuba socialiste, le Venezuela bolivarien ou le Nicaragua sandiniste –, il est plus que jamais urgent, si l’on veut stopper la dislocation de la nation française, de sortir de l’euro, de l’UE et de l’OTAN, condition fondamentale pour en finir avec le capitalisme exterministe ! Si vous souhaitez que l’alliance des deux drapeaux que vous appelez de vos vœux – mais aussi de la Marseillaise et de l’Internationale que chantaient à pleins poumons et fièrement Thorez, Duclos, Frachon et toutes les militants et tous les militants du PCF et que nous, militants du PRCF, assumons pleinement et totalement – débouche sur un affrontement de classe et une possible victoire contre les forces capitalistes, impérialistes et atlantistes, ayez « le courage de chercher la vérité et de la dire », à savoir que la seule voie de salut pour le mouvement populaire en France est le Frexit progressiste, par la « porte de gauche » et contre tous les ennemis de classe que sont Macron et ses sbires, le RN et les « Républicains », le MEDEF et les faux « patriotes », mais également l’UE aux bottes du grand capital euro-atlantique. Si vous voulez réellement que fleurissent les « Jours heureux » en faveur d’uneRépublique sociale, démocratique, laïque, souveraine, une et indivisible, osez affronter frontalement Macron, le MEDEF, Merkel, Juncker, Le Pen, les faux « Républicains » et « Patriotes », la « mondialisation heureuse » (OMC, FMI et ALE), et bien entendu la mortifère UE appuyée par la « social-démocratie » (en réalité le social-libéralisme). Et ainsi soyez fidèles à l’appel du 10 juillet 1940 lancé par Maurice Thorez et Jacques Duclos : « Le Peuple de France ne se laissera pas faire. A la ville, dans les campagnes, dans les usines, dans les casernes doit se former le front des hommes libres contre la dictature des forbans », car « jamais un grand peuple comme le nôtre ne sera un peuple d’esclaves » !
Fadi Kassem, secrétaire national adjoint du PRCF