L’exploitation capitaliste change au gré des révolutions techniques, c’est un fait, et sait prendre des formes différentes selon les périodes. Dernièrement, l’un des exemples bien connus de cette exploitation « modernisée », c’est celui du capitalisme de plateforme, dont les versants les plus connus sont Uber et Deliveroo. Cependant, moins documenté, il existe un autre phénomène qui prend de l’ampleur : celui des « travailleurs du clic ».
Nous définissons comme « travailleurs du clic » toutes ces personnes qui font un travail invisible, et de prime abord sans valeur, comme trouver des objets sur une photo, répondre à un questionnaire ou encore noter des publicités. Il s’agit d’un micro-travail où les gens sont payés à la tâche ou à l’heure. Ils n’ont pas de statut de salarié, une simple confirmation de participation servant de contrat entre la plateforme internet et l’utilisateur.
Apparu en 2005 avec l’entreprise Amazon Mechanical Turk (d’où le surnom de « Turkers » pour ce type de travailleurs), les pays où est la plus présente cette « main d’œuvre » à bas prix : l’Inde, les Philippines, le Pakistan, le Bangladesh, les États-Unis, l’Europe de l’est, la Pologne et l’Ukraine : une majorité donc de pays connaissant un taux de pauvreté assez fort (mais où l’utilisation d’internet est possible).
Selon le professeur Vili Lehdonvirta (Oxford Internet Institute), la force de travail européenne qui passe par ces plateformes représente 1% de la force de travail totale du continent. En France, ils sont 260 000, dont 15 000 très actifs, 50 000 réguliers (une fois par mois), et le reste des « occasionnels ».
Grâce à une étude réalisée il y a quelques mois, le profil en France de ces « travailleurs » est le suivant : majoritairement des femmes, vivant en zone urbaine, âgées d’entre 25 et 44 ans et plus diplômées que la moyenne, la plupart du temps, avec un autre emploi à côté.
Au sujet de l’un des sites, Foule Factory, 56 % des utilisateurs sont des femmes qui cumulent temps partiel, travail domestique et micro-travail. Un quart des travailleurs de Foule Factory sont en-dessous du seuil de pauvreté.
Le salaire varie mais il est globalement très peu élevé. À titre exemple, une auto-entrepreneuse vivant à la campagne, dont la principale activité est ce micro-travail, gagne 15 euros de l’heure. Elle travaille 20 h par semaine, ce qui signifie qu’en un mois, elle gagne approximativement 1200 euros. Un étudiant faisait la même chose pour une application de Facebook, gagnant 420 euros par mois tout en travaillant 7 jours sur 7.
La première motivation des « travailleurs du clic » ? L’argent bien évidemment (mais pas dans le même sens qu’un Bernard Arnault). Rétribution dont l’usage est assez varié, pouvant servir aussi bien pour la vie courante (à titre de salaire), que pour payer un loisir, pour pouvoir épargner, payer une réparation ou rembourser un prêt étudiant, comme c’est déjà arrivé pour des étudiants états-uniens. Ce type d’utilisation de l’argent récolté paraît relativement normal à l’observateur car bien que beaucoup de ceux qui y ont recours cumulent avec un autre travail, les salaires et le pouvoir d’achat ont une relation antagonique, dans le sens où l’une à tendance à baisser tandis que l’autre augmente. Il faut donc bien trouver un moyen de s’acquitter des financements éventuels et imprévisibles de la vie. C’est ce que permet, entre autres, ce genre de micro-travail.
Au final, tout de même, à quoi servent ces actions ? Les entreprises ne payent pas pour rien ! En réalité, et sans que finalement les « travailleurs » en soient informés, leur réponse permet souvent d’améliorer une intelligence artificielle, mais aussi sans doute de vendre les données récoltées (notamment le lieu d’habitation de l’utilisateur et ses goûts), à un prix naturellement bien supérieur à la rétribution du travailleur. Toutefois, nous ne pouvons pas dire que cette utilisation soit « claire » et les retombées financières en termes de profit de ces plateformes ne sont pas connus.
Ce « travail » n’étant pas reconnu comme tel, il permet plus facilement d’expulser les gens de ces plateformes sans avoir à en expliquer les raisons, comme dans tout contrat de travail normal. Bien évidemment, les droits liés au Code du travail, comme les congés payés, l’assurance-chômage et autres, ne sont pas dûs, quand bien même cette personne se retrouverait sans sa principale source de revenus.
En conclusion, nous venons de décrire succinctement la façon dont s’exerce un « job à la con », qui l’exerce et pour quelle rémunération. Si cela marche relativement bien, le secteur étant en plein développement, c’est bien à cause à la fois de la précarisation de la société, mais aussi de sa flexibilité qui donne l’apparence pour certains travailleurs, à l’image de ce qui se passe avec Uber et Deliveroo, d’une certaine indépendance et d’un aménagement de son espace de travail. Par exemple, la travailleuse de la campagne, citée précédemment, appréciait la possibilité qui lui était offerte, via la plateforme, de s’occuper plus souvent de ses enfants.
Cependant, cela reste un travail précaire et sans véritable valeur de production. Sans nous attaquer aux personnes qui utilisent ce genre de plateformes, le changement de société que nous souhaitons ne pourra se satisfaire de ce genre de travail et du lot de précarité qu’il entraîne.
Par Quentin – source, site internet des jeunes communistes des JRCF. http://jrcf.over-blog.org/2019/07/les-travailleurs-du-clic-et-l-economie.html
Sources :
https://www.la-croix.com/Economie/Social/sont-travailleurs-clic-France-2019-05-28-1201025132