Le 17 novembre 2018 se tenait à Paris à l’Ecole Normale Supérieur de la rue d’Ulm un colloque d’histoire avec pour thème
« Pétain, montée du fascisme, débâcle de 40, collaboration »
Pétain, montée du fascisme, débâcle de 40 et collaboration : les actes du colloque sont parus !
Les « amis d’Henri Guillemin » qui organisaient l’évenement viennent de faire paraitre les actes de ce colloque sous forme numérique, accessible en cliquant ici.
Causes, conditions et objectifs du choix de la défaite de 40 par Annie Lacroix-Riz
Actes du colloque Henri Guillemin, 17 novembre 2018, Causes, conditions et objectifs du choix de la défaite de 1940 : Henri Guillemin, un des pionniers de l’analyse, Publié en ligne par l’association des amis de Henri Guillemin http://www.henriguillemin.org/wp-content/uploads/2019/05/lacroix-riz.pdf
Autour de l’ouvrage : La vérité sur l’affaire Pétain, Genève, Milieu du Monde, 1945, rééd., éditions d’Utovie, 1996
Annie Lacroix-Riz, professeur émérite université Paris 7
La présente communication sur les causes, conditions et objectifs du choix de la défaite de 1940 rend hommage à Henri Guillemin, dont le franc parler ou la tendance méritoire à appeler un chat un chat est aujourd’hui tabou(e) sur les prémices de 1940 ou sur Vichy, comme sur la Commune ou sur tout autre sujet. Avec l’ouvrage, paru en 1945 et rédigé sous le pseudonyme de Cassius, La vérité sur l’affaire Pétain[1], il se classe parmi les analystes qui, dès l’été 1940 ‑‑ avec le célèbre texte fondateur de Marc Bloch, L’étrange défaite, rédigé de juillet-septembre 1940 mais inconnu jusqu’en 1946[2]) ‑‑ et surtout en 1943 et 1944, décrivirent les longs préparatifs français de la Débâcle.
Introduction : la « trahison », un concept « militant »?
Guillemin intervint, comme ses prédécesseurs, alors que faisait défaut la connaissance des conditions précises de la planification de la Défaite. Les sources archivistiques relatives à Vichy et, plus largement, à la Deuxième Guerre mondiale, ne commencèrent à se débloquer en France qu’à partir des années 1980, très partiellement, et sur stricte dérogation[3]. Il fallut attendre la seconde moitié des années 1990 pour pouvoir les consulter sans dérogation particulière. Mais surtout, la libération des fonds de politique intérieure des années 1930, décisifs pour la découverte des plans longuement mûris et conjoints de défaite et de dictature militaire, dut attendre soixante ans (1999)[4]. Soit 55 ans après que, au printemps 1944, Marc Bloch eut, avec un grand optimisme sur les intentions gaullistes auguré que « le jour viendra[it…] et peut-être bientôt où il sera[it] possible de faire la lumière sur les intrigues menées chez nous de 1933 à 1939 en faveur de l’Axe Rome-Berlin pour lui livrer la domination de l’Europe en détruisant de nos propres mains tout l’édifice de nos alliances et de nos amitiés. »[5]
C’est en effet de « trahison » qu’il s’agit, d’« intelligence avec l’ennemi » juridiquement définie, à la veille de la Deuxième Guerre mondiale, en 1938, puis en 1943-1944 à Alger puis à Paris, dans le cadre des théoriques préparatifs gaullistes, sur le papier, de « l’épuration » judiciaire de Vichy : ils débouchèrent ‑‑ pour rire ‑‑ sur l’« ordre d’informer » du 13 septembre 1944, visant les (soixante) ministres et secrétaires d’État de Vichy (encore vivants) « coupables de trahison, infraction, punie de la peine de mort, prévue par les articles 75 et suivants du Code Pénal »[6]; puis, sur la foule de mandats d’arrêts du juge militaire parisien Stehlé, pour « trahison », « intelligence avec l’ennemi », « atteinte à la sûreté extérieure et [ou] intérieure de l’État »[7]. Ce crime était distinct de celui de « collaboration », qui n’encourait pas ce châtiment définitif.
La problématique d’une trahison nationale qui aurait précédé et fondé la Collaboration, identique chez Guillemin et ceux qui l’avaient précédé, Marc Bloch, Raymond Brugère, André Géraud-Pertinax et Pierre Cot, présentés plus loin, faisait l’objet à la Libération d’un large consensus éditorial. Celui-ci s’est prolongé pendant plusieurs décennies mais c’est précisément quand l’ouverture des fonds originaux, dans les années 1990, a permis de vérifier les hypothèses les plus audacieuses sur Pétain et sur les préparatifs, intérieurs et extérieurs, de la Débâcle[8] que l’historiographie dominante française les a, et de plus en plus catégoriquement au fil du temps, condamnées comme « conspirationnistes ». Le paradoxe n’est qu’apparent : la droitisation générale de l’histoire contemporaine lui avait alors donné le droit souverain de trancher sur le dossier en la dispensant du devoir, naguère impératif, de vérifier les sources originales enfin libérées. Olivier Dard, professeur d’histoire contemporaine à Paris-Sorbonne (ex-Paris 4), chef de file français de la thèse de « la synarchie-qui-n’existe-pas » et de l’absurdité de celle du complot contre la République et la défense nationale, a particulièrement bénéficié de cette conjoncture : il peut depuis vingt ans se permettre sans péril de refuser de consulter les archives de l’entre-deux-guerres ouvertes depuis 1999 ou consultables sur dérogation[9] en arguant, dans un consensus académique quasi unanime, qu’elles sont squelettiques, manipulées par les « fascistes » et les « communistes » (le contenu de ses travaux et son statut de conférencier de premier plan de l’Action française donnent à cette double condamnation, apparemment équitable, un aspect très déséquilibré), et résolument « complotistes » ou « conspirationnistes »[10].
La bien-pensance historiographique, aujourd’hui hégémonique dans l’Université française, déteste cordialement Henri Guillemin, qu’elle conteste comme historien non professionnel et par conséquent incompétent. Rien n’empêche pourtant, de principe, un agrégé de littérature, docteur d’État en histoire littéraire ‑‑ sous la direction d’un illustre spécialiste d’histoire littéraire, Daniel Mornet, auteur, entre autres, des Origines intellectuelles de la Révolution française 1715-1787[11] ‑‑, de s’intéresser à l’histoire tout court et d’y démontrer ses capacités. Il convient de rendre hommage, je n’ai fait souvent, à la grande qualité de travaux historiques de certains journalistes plus curieux des archives que nombre d’historiens professionnels et manifestement qualifiés, vu leur formation en histoire, à en faire usage.
Ladite bien-pensance me fait l’honneur, que j’apprécie, de me placer auprès de Guillemin en proscrivant le mot même de « trahison » (pas même prononcé) et en contestant formellement le concept même de Collaboration, postulat solidement établi depuis le début de la décennie 1990[12] : « Une longue tradition d’historiographie militante, d’Henri Guillemin à Annie Lacroix-Riz, tranche-t-elle en 2017, s’est efforcée d’établir des similitudes entres les épisodes de défaite militaire suivis d’une occupation étrangère (1814-1819 et surtout 1870-1873 et 1940-1944) pour dénoncer la tendance défaitiste, capitularde, voire purement et simplement “collaboratrice” des élites françaises qui auraient ainsi cherché dans les armées étrangères le rempart contre le péril de la subversion intérieure (de la Commune de Paris en 1871 à la poussée sociale du Front populaire en 1936). En 1974, dans un ouvrage devenu un classique[13], l’essayiste et critique littéraire Henri Guillemin (1902-1992), adepte d’une “contre-histoire”, dressait le parallèle entre le comportement des élites françaises (« les gens de bien ») de 1870-1871 et celui de leurs héritières de 1936-1940 : dans les deux cas, un ultra-pacifisme tendant au défaitisme qui n’aurait été dicté que par la volonté de défendre l’ordre social intérieur menacé. Ces analyses relevant avant tout d’une histoire engagée, pour ne pas dire partisane, n’aident pas vraiment à saisir ce qui se joue en France entre 1940 et 1944. […] En réalité, bien que le mot soit ancien, la collaboration du type de celle qui exista dans la France des années 1940-1944 demeure sans précédent dans notre histoire »[14]. Le précédent colloque sur Guillemin a pourtant bien confirmé la réalité du « précédent » de 1870-1871[15], et la remarque dépréciative sur le « militantisme » ne désigne en réalité que la base documentaire, surtout archivistique, résolument fuie, depuis les années 1990, par les piliers de la traque au « complotisme ».
Privé des sources étatiques françaises et allemandes, qui ne furent accessibles qu’après sa mort, Henri Guillemin en a trouvé d’autres pour éclairer non seulement le fonctionnement du régime de Vichy mais ses longues origines, intérieures et extérieures. Il a donc fait, comme tous ses pairs, large usage des publications d’avant-guerre et d’Occupation. Il a lu la grande presse, où Charles Maurras, prétendu « nationaliste intégral », s’était illustré par sa frénésie « pacifiste », délirante en 1939 et 1940, avant d’encenser le régime qu’il avait tant aidé à faire naître. Il a recensé les autocongratulations et aveux écrits et publiés des vainqueurs de l’été 1940 sur leur propre contribution, et celle de Pétain et consorts, au désastre militaire et à l’établissement de la dictature de Vichy. Il en cite de nombreux, limpides sur les « préparatifs » des opérations, parmi lesquels se distinguèrent de 1941 à 1943 voire 1944, d’intarissables bavards triomphants : Maurras, René Benjamin, fidèle de son gourou Maurras[16], et Anatole de Monzie, synarque de haut rang, au service du président de la banque Worms, Hippolyte Worms, depuis la Première Guerre mondiale, qui, en 1941, dans Ci-devant, raconta presque tout sur Munich et ses lendemains[17]. Guillemin a beaucoup puisé, comme d’autres avant lui, dont Pierre Cot, dans les trésors du PV des séances du procès de Riom procès de Riom (17 février-11 avril 1942) et des consignes de la censure vichyste à ce sujet : ces documents de 1942 sont presque aussi explicites que les sources militaires et diplomatiques sur le sabotage organisé de la Défense nationale dans les années 1930[18]. De façon plus générale, il a tiré parti des excellentes informations de ses prédécesseurs de 1940 et 1943-1944.
Henri Guillemin et la « connexion étroite entre la politique intérieure française et les événements internationaux » d’avant-guerre
Le primat des questions intérieures
Sans sources, Guillemin a découvert, en se penchant sur Pétain et ses soutiens, des aspects essentiels de la décennie de crise et de la radicalisation fasciste des classes dirigeantes françaises. Cette phase décisive est décrite dans son chapitre II, « Préludes ». Il ne désigne pas sous le terme de « synarchie » le petit groupe du très grand capital financier secrètement fondé en 1922 en vue de liquider le régime républicain, et qui, après avoir financé et dirigé les ligues fascistes créées depuis 1924, les regroupa en Cagoule (1935-1936), son bras armé ou son « “aile marchante” »[19]. Le terme en était pourtant couramment utilisé depuis « le scandale de la synarchie » qui avait révélé son existence, entre le printemps et l’été 1941. C’est d’ailleurs le cas de presque tous ses pairs dans le descriptif de Vichy et de ses prémices, à l’exception du seul diplomate patriote dont la France ait disposé, démissionnaire le 17 juin 1940, à l’annonce de la capitulation rebaptisée « demande des conditions d’armistice » par le faux « républicain » et vrai nazophile Camille Chautemps : seul Raymond Brugère, dans son Veni, vidi, Vichy[20], avait dès 1944 nommé les « ventres dorés de la synarchie », que, ambassadeur à Belgrade, il avait vu entamer de fructueuses négociations pétrolières avec des délégués de Göring, tractations menées à leur terme sous l’Occupation[21].
Sans la nommer, Guillemin dresse les contours de la synarchie et s’arrête sur plusieurs de ses dirigeants ou membres éminents. Il fait plus que pressentir, à partir du personnage de Pétain, devenu le favori incontesté de la synarchie depuis 1934-1935, ce que l’ouverture massive des fonds d’archives intérieures a désormais livré. Il perçoit son plan de « réforme de l’État », visant à liquider tous les obstacles politiques à son pouvoir de décision et, en particulier, les instruments de défense de la population (syndicats et partis ouvriers). Il montre comment la synarchie a joué la carte Pétain, aidée de tous ses instruments, ligues et mouvements groupés en Cagoule ou CSAR (Comité secret d’action révolutionnaire, le règne de l’antiphrase n’ayant pas attendu Vichy).
Guillemin a compris les facteurs extérieurs de cette stratégie, la séduction exercée dans la décennie de la crise sur le grand patronat français (et international) par le modèle intérieur allemand, souverain en matière d’écrasement des salaires. Il insiste beaucoup, dans ce cadre, sur ce qu’on a couramment taxé d’habileté machiavélique d’Hitler à « manipuler » les Français, alors que le phénomène relevait de la « connexion étroite […] entre la politique intérieure française et les événements internationaux ». Il s’agissait moins de manipulation dupant des naïfs que de l’exploitation de « l’appui spontané que lui prêterait une bourgeoisie capitularde »[22]. Guillemin se réfère aux discussions Hitler-Rauschning de 1938 parues en français fin 1939 (Hitler m’a dit), qui attestent une parfaite compréhension des ressorts de classe du jeu français de la carte allemande : intelligent adepte de « la démolition d’un pays quelconque par l’intérieur », Hitler avait raison de tenir pour « auxiliaires infaillibles […] les hommes d’affaires pour qui le seul mot de profit s’écrit en lettres capitales ». Ces « propos [sont] d’une extrême importance » sur les « complicités » dont l’Allemagne jouissait « en France » : elles lui vaudraient la victoire militaire éclair dont Hitler ne doutait pas, « “ces gens-là ne [voula]nt plus rien savoir de la guerre et de la grandeur” ». Il avait bien évalué l’ampleur de la « “dislocation psychologique” » des Apaiseurs français (et anglais), gage sûr de « “la défaite morale de l’adversaire avant la guerre” ». Il avait « “la certitude absolue que son adversaire, démoralisé, succombera[it] sous le premier choc” »[23].
Ces « entretiens » sont aujourd’hui dépréciés par l’historiographie bien-pensante, en France et ailleurs. Ainsi l’historien britannique Ian Kershaw, devenu de plus en plus prestigieux en France au fil des décennies de son évolution réactionnaire et toujours traduit dans les meilleurs délais[24], a-t-il brocardé des « entretiens » grotesques, dans sa biographie d’Hitler : « Je n’ai pas cité une seule fois le Hitler m’a dit de […] Rauschning, ouvrage dont l’authenticité apparaît désormais si mince que mieux vaut carrément l’oublier »[25]. Cette source imprimée a pourtant été pleinement confirmée par les archives auxquelles Kershaw s’est bien gardé de recourir. Hitler m’a dit, manifestement authentique, reflète, comme l’affirmait Guillemin en 1945, l’avis pertinent d’Hitler sur la « “dislocation psychologique” » des Apaiseurs français (et anglais). Les archives de l’Auswärtiges Amt publiées dès 1949 sont formelles, tel le PV de la conférence entre Hitler et ses généraux sur le « Plan “Vert” » d’occupation de la Tchécoslovaquie, début septembre 1938. À ses hauts officiers qui raisonnaient en termes militaires, il concéda que l’Allemagne était alors incapable de supporter militairement en Tchécoslovaquie une guerre appelée en sus à se généraliser. Mais la question était exclusivement politique, pas militaire : Paris et Londres empêcheraient Prague de faire usage de ses moyens de défense – de ses troupes, de ses puissantes fortifications des Sudètes et de son équipement édifié par le groupe Schneider, propriétaire de Skoda et roi de la république tchécoslovaque[26] ‑‑ qui, s’ils étaient utilisés, « saigneraient à blanc les unités allemandes » comme à « Verdun!! (sic) »[27].
Ce comportement des « Apaiseurs » des années 1930 s’inscrivait dans la tradition historique de la trahison nationale ‑‑ avis jugé sacrilège par les censeurs contemporains de « l’historiographie militante ». Comment ne pas saisir une continuité entre, d’une part, l’allégresse intérieure de 1940 de la grande bourgeoisie devant la débâcle militaire et la dictature, et, d’autre part, « l’accueil enthousiaste [des] cosaques à Paris [par] l’aristocratie » en 1814; les espoirs de Romieu, en 1851, d’intervention en France du tsar Nicolas Ier au service des « conservateurs, terrifiés depuis février 1848 »; la volonté de trouver dans la poigne allemande la solution définitive au « même drame social [de] la France de l’entre-deux-guerres »; le goût du monde de l’« Argent » pour « [l]es “gouvernements forts” » d’Europe, Hongrie d’Horthy, Italie de Mussolini, Portugal de Salazar, Allemagne d’Hitler, Espagne de Franco, « ces régimes où les possédants respirent, même s’ils doivent verser à qui les protège une prime d’assurance assez lourde ». La prime était moins lourde qu’il ne le pensait puisqu’elle incombait de fait à la seule masse de la population, qui régla partout le pillage alors que « les possédants » prospéraient[28]. Le fascisme européen, par son « Antibolchevisme » constituait le « rempart [… des] “honnêtes gens”, industriels, banquiers, hommes d’affaires », comme « les émigrés de 92 » avaient pu compter sur leurs pairs, aristocrates européens salvateurs, contre rétribution (payée par leur peuple). Guillemin amorçait là son analyse de 1956, plus fouillée et systématique, des motivations du choix « de classe » de la défaite de 1870 et de la répression de la Commune[29].
Il a compris, comme Marc Bloch dès 1940, que « c’est la politique intérieure, ce sont les intérêts privés d’un clan-maître, qui pèsent ou du moins cherchent à peser, avec tout ce qu’ils ont de forces, sur la politique extérieure du pays ». Les priorités extérieures de la sécurité nationale, qui dictaient « la double alliance avec l’Angleterre, d’une part, la Russie de l’autre », avaient compté pour rien : le primat intérieur avait transformé les autoproclamés « nationaux » dénonçant « avec tant de fougue le “danger allemand” » en « pacifistes », « l’ennemi n° 1 étant devenu, pour les maîtres de la nation, non plus l’envahisseur possible mais bien la nation elle-même, rétive à leur pouvoir, le peuple en un mot. » Guillemin recense la forte cohorte, qu’éclairent désormais les archives de tout type, des auxiliaires nazis de plume et de main, des hommes des ligues et de la Cagoule : ils étaient tous au service des « grands syndicats patronaux, le Comité des Forges, le Comité des houillères [double pilier, avec la haute banque, de la synarchie], la Confédération générale du patronat français, qui possédaient Le Temps, Les Débats, […] contrôlaient l’Agence Havas », et avaient assigné, entre autres, aux hebdomadaires Gringoire, « organe [… d’]un consortium bancaire », et Je suis partout, « cet immense travail de termites qui devait ronger la structure française ». C’est cette presse « gleichshaltée » autant par ses propriétaires que par le Reich hitlérien que le journaliste Alexander Werth, remarquable témoin, avait décrite, quotidiennement, comme correspondant à Paris du Manchester Guardian depuis 1935, et dans des livres rédigés avant et pendant la guerre[30].
Guillemin décortique la « tactique de l’éclat de rire », à laquelle la presse de « l’Argent », Gringoire en tête, recourut si efficacement « pour masquer au public la vérité » accablante sur l’affaire de la Cagoule de la mi-septembre 1937. Or, c’était bien, au contraire de ce que soutient l’historiographie dominante aussi prompte à « l’éclat de rire », la deuxième tentative du putsch contre le régime républicain : elle succédait à la celle du 6 février 1934 et constitua la répétition générale du troisième, celui de juillet 1940 et de l’installation de Pétain : les archives policières et judiciaires en font foi. Guillemin note que Marx Dormoy, ministre de l’intérieur en 1937, avait payé [en janvier 1938] de la perte de son poste gouvernemental, et [en juillet 1941] de sa vie sa volonté d’enquête et ses « listes nominatives du plus haut intérêt » : les « hommes du CSAR » qui le tuèrent furent même directement guidés par les éminences gouvernementales de Vichy[31].
Guillemin a saisi que la Cagoule, pieuvre aux monstrueuses ramifications, était organiquement liée au grand capital. Mais dans ces « Préludes », il présente surtout les ligueurs comme séduits par l’Italie et l’Allemagne, qu’ils soient issus de l’Action française ou de la « gauche » anticommuniste ‑‑ « des dissidents à vendre, comme Doriot, des ambitieux comme Marquet et Déat, des habiles comme Paul Faure, Spinasse et Belin ». Tous, il ne le dit pas, avaient été embauchés par la synarchie, le plus souvent dans les années 1930, parfois dans la décennie antérieure (tel Charles Spinasse). Il discerne moins nettement la visée intérieure de ces plans ou ne l’impute qu’aux plus « impatients » des comploteurs (ils étaient tous également « impatients »), ceux qui s’affairaient à « organiser une légion de choc “anticommuniste” et […] préparer un 6 février, plus sérieux ». Mais il les sait « appuyés » et financés [de fait, pilotés directement] par « des agents de la haute banque et d’un patronat “d’action” », tels « M. Pucheu, en particulier, du Comptoir sidérurgique, et M. Lehideux, administrateur [et même directeur général!] de la société Renault » (neveu par alliance de Louis Renault). Guillemin recense parmi eux « trop de personnages de tout premier plan. Trop d’officiers aussi : le maréchal dont Franchet d’Esperey, Darlan, le général Huntziger et tant d’autres… »
« Tant d’autres », assurément. Béteille, juge d’instruction chargé entre 1936 et 1939 de toutes les affaires des ligues « dissoutes » et du CSAR, requis en 1939 d’enterrer l’affaire par le gouvernement « républicain », s’était exécuté. L’État gaulliste lui confia après la Libération l’instruction des cas d’une partie des ministres de Vichy (et synarcho-cagoulards) à la Haute Cour de Justice. Ce grand juge que les pourfendeurs du « mythe de la synarchie » ne mentionnent jamais, savait, lui, que la Cagoule savait qu’elle ne relevait pas de l’« épiphénomène » à fort « parfum de romantisme noir » ou de la cohorte « découverte et décapitée » après l’attentat du 11 septembre 1937 contre le siège de la CGPF, formules respectives d’Henry Rousso et Olivier Dard très sûrs d’eux[32]. Il évaluait au printemps 1945 l’« organisation autonome » de la Cagoule militaire à « 12 000 officiers » sur un total de « 120 000 [cagoulards] pour toute la France, répartis en 40 légions » en 1939-1940[33]. Mais Guillemin oublie ici des « personnages de tout premier plan » : Weygand, qu’il absout par ailleurs, n’est pas cité, pas plus que Pétain, chef suprême de la Cagoule dans lequel il voit surtout le « propriétaire », homme d’ordre que ses intérêts personnels mettent en contradiction formelle avec sa mission présumée de gardien de la sécuritédes frontières. Il ne dit rien des liens précis, anciens et considérables, de Pétain avec le capital financier.
« Le Maréchal », pense-t-il, « se tient en liaison, décidément, avec les gens du Comité secret d’action révolutionnaire. Prudent, il ne s’engage point », et se contente d’utiliser « le commandant Loustaunau-Lacau, son « intermédiaire » avec le factieux (sans commentaire) notoire Franchet d’Esperey[34]. Il omet de présenter l’aide de camp de Pétain, clé du complot de la Cagoule militaire que dirigeait le Maréchal. C’est l’échec [très relatif] du « 6 février » puis de la nouvelle tentative de 1937, celle du CSAR qui ont, pense Guillemin, fourni à « la “bourgeoisie capitularde” » dont Hitler attendait une victoire écrasante, la clé du succès de la dictature intérieure. Il situe peu avant l’attaque allemande du 1er septembre 1939 contre la Pologne l’adoption définitive de cette ligne, que proclament les champions inconditionnels de Pétain [dès 1933-1935] : Gustave Hervé, qui avait vanté les vertus d’Hitler depuis 1933, et Maurras. Le premier, dont Guillemin a puisé le descriptif des inlassables campagnes pro-Pétain chez André Schwob[35], exaltait la défaite extérieure « sans ambages » comme seul moyen de la victoire intérieure : « “Il n’y a qu’en temps de guerre, et particulièrement en cas de défaite […] qu’on puisse réussir l’opération. ». Le deuxième, « beaucoup moins sot », et sachant « prendre ses sûretés », avait prévu la chose « de longue date » contre la République haïe, mais il avait présenté le plan avec plus de précautions langagières : « Sans pouvoir souhaiter ni espérer le mal […], faut-il s’interdire de le prévoir? »[36] Qui pouvait croire que Maurras tenait la mort de la République pour un « mal »?
L’abandon intérieur précoce de la défense nationale
C’est sur l’abandon des intérêts de sécurité nationale que Guillemin est en 1945 allé le plus loin, posant des questions ou suggérant des solutions résolument écartées par les tabous du 21e siècle. Il est à cet égard significatif que Gilles Perrault, écrivain audacieux, ait en 2006 jugé aventureuse ou excessive la problématique du Choix de la défaite : concédant que « la volonté de vaincre faisait cruellement défaut » , il conjecturait qu’il n’y avait « sans doute pas [eu] choix délibéré de la défaite »[37].
Guillemin n’éprouve aucun doute sur le « choix délibéré de la défaite », centrant l’analyse sur le rôle de Pétain, sur celui de Laval (beaucoup moins) et sur les choix opérés pendant la décennie 1930, en particulier dans la période qui suivit Munich. Cette abdication avait en effet constitué l’avant-dernière étape sur la voie de l’invasion du territoire français qu’avait annoncée un militaire de l’entourage de Gamelin, extraordinaire Cassandre militaire, deux semaines avant l’abandon franco-anglais officiel de Prague : fatale à la France, « une telle annexion [celle de la Tchécoslovaquie] sera et ne peut être qu’une préface […] à une guerre qui deviendra inévitable, et au bout des horreurs de laquelle la France courra le plus grand risque de connaître la défaite, le démembrement et la vassalisation de ce qui subsistera du territoire national comme État en apparence indépendant. »[38]. C’était le prélude à l’exclusion décidée d’emblée de l’alliance tripartite France-Royaume-Uni-URSS, officialisée au cours de la farce de Moscou, en août 1939 – et ultime étape avant l’issue prévue auparavant.
Guillemin évoque, mais furtivement, et pas avant son descriptif de la phase du « désastre » (au chapitre IV), la responsabilité du grand capital dans la planification de la défaite : il relève la référence du procès de Riom de 1942 au « scandale des tentatives [réussies] de sabotage […] des nationalisations [partielles de 1936] de l’armement […] pratiquées par certains industriels, la maison Schneider notamment ». Ce fut la règle des grands groupes, qui « touchaient en effet un dividende égal à 30% », tel « l’un des plus véhéments adversaires du système […,] M. Brandt, beau-père de M. Renault ». Il mentionne comme aussi notoirement « hostile aux nationalisations » Raoul Dautry, sans préciser sa fonction de haut lieutenant du capital financier ‑‑‑ porte-parole depuis les années 1920 du puissant et fasciste magnat de l’électricité Ernest Mercier, fondateur d’une des ligues initiales, le Redressement français (1925-1926) . Dautry, écrit-il, fut « ministre », depuis la mi-septembre 1938, sous le président du Conseil Daladier[39]. Allusion insuffisante : « ministre de l’Armement » de Daladier puis de son successeur Paul Reynaud, Dautry était aussi un des « membres du conseil d’administration du Comité France-Allemagne », et son nom figurait sur la liste complète « à la date du 28 novembre 1938 »[40]. La direction des RG (habituée des rapports et PV sincères éventuellement censurés dans d’autres documents) l’en avait gommé dans un rapport du 2 mai 1945 sur le CFA joint au dossier d’enquête sur Brinon[41] : évidemment parce que de Gaulle avait nommé Dautry ministre de la Reconstruction[42]. Guillemin ignorait-il le lourd passé de ce dernier ou le gaulliste d’alors voulait-il épargner le ministre d’après-Libération du général?
Guillemin a préféré braquer les projecteurs, depuis son chapitre I (« Le vainqueur de Verdun »), sur Pétain, qui « exècre la mémoire de Foch, qu’on lui a imposé au commandement suprême, en 1918, et dont il a dû attendre la mort, par surcroît, pour entrer à l’Académie ». Le choix politique et militaire de Pétain ne pouvait être qu’un choix de la défaite : il avait, de l’avis de tous les chefs militaires et politiques de la Première Guerre mondiale, incarné le défaitisme. On mesure l’effarante dégradation, d’une part, des connaissances historiques communes sur le lent cheminement conjoint vers la Défaite et vers le régime de Vichy et, d’autre part, des études académiques françaises, en comparant aux réalités révélées de longue date le discours officiel actuel érigeant Pétain en chef incontesté de la victoire française de 1918. La mission de réhabilitation de Vichy que se sont assignée nombre d’historiens français, dont Bénédicte Vergez-Chaignon, depuis le début du 21e siècle[43], a d’ailleurs failli aboutir à une nouvelle commémoration officielle : le président de la République a cru en novembre 2018 pouvoir exalter le grand Pétain d’avant juillet 1940. L’assaut a été, heureusement, brisé par un spécialiste de la Première Guerre mondiale, l’historien Jean-Yves Le Naour, dont la grande presse a, cas rare, répercuté l’avis défavorable, formel[44]. Le faux « vainqueur de Verdun » était un « défaitiste […] connu de tous les chefs, civils et militaires » entre 1916 et 1918. Il était haï de Joffre et de tous les chefs de l’état-major non défaitistes, et avait déjà alors prévu de faire porter aux Anglais le chapeau de la défaite qu’il envisageait[45].
On joindra utilement à l’ouvrage de Guillemin l’excellente annexe n° 10, de celui de 1944 de Raymond Brugère, fils du général Joseph Brugère : le prédécesseur de Guillemin citait dans Veni, vidi, Vichy, une série d’avis de chefs militaires, dont Joffre, et civils, dont Clemenceau et Poincaré. Extraits des mémoires de Joffre et Poincaré et des carnets (échelonnés du 20 septembre 1915 au 28 avril 1918) de son père décédé en août 1918, ces jugements attestent le consensus général sur le sens véritable de la vieille option « défensive » de Pétain : ce défaitiste notoire, qui avait en septembre 1915 jugé « criminel de continuer », avait déclaré, le 26 mars 1918 – comme il le fit, sans répit, en mai-juin 1940 : « Les Allemands battront les Anglais en rase campagne. Après quoi ils nous battront aussi. »[46]
Le fiasco de la prétendue « sécurité collective » avait été définitivement scellé par la guerre d’Éthiopie, dans laquelle « toute la droite française prit parti pour l’agresseur contre la victime [,…] parce que l’Italie, c’était le fascisme. » La sécurité extérieure de la France ne pouvait reposer que sur « la double alliance » avec l’Angleterre et la Russie. Mais, pour les raisons intérieures analysées plus haut, les « classes aisées » la honnissaient. Pétain, ministre de la Guerre en 1934, et Laval, ministre des Affaires étrangères « en 1935 » [nommé de fait sur pression allemande au lendemain de l’assassinat de Barthou (9 octobre 1934 à Marseille), mitonné par le Reich qu’affolait l’éventualité d’une renaissance de « l’Alliance de revers »[47]], partageaient la haine desdites « classes » contre l’« alliance franco-russe ». « Car le problème français, pour la droite, cessait de se poser en termes de défense nationale : la défense sociale comptait seule. »[48]
Guillemin a relevé l’importance d’un texte qui fit grand « plaisir » à Berlin, « la préface de Pétain de 1938 » à l’ouvrage du général de réserve Louis Chauvineau, Une invasion est-elle encore possible? » « Quant aux chars », avait osé écrire l’ancien professeur à l’École de Guerre [1908-1910],« leur faillite est éclatante »; toute éventuelle guerre « ne saurait être qu’une “guerre de siège” ». Pétain, maniaque de la baisse des « crédits militaires », n’avait cessé de la vanter comme président du Conseil supérieur de la guerre; il l’avait mise en œuvre comme ministre de la Guerre, en 1934. À moins d’un an d’une guerre allemande prévue par tous comme offensive, il approuvait publiquement la Défensive, par cette longue préface qui le qualifia plus que jamais, aux yeux du Reich, comme interlocuteur gouvernemental. Il postulait par-là, officiellement, « l’invulnérabilité de la frontière [des Ardennes], L’INUTILITÉ des chars agissant par masses ». Il prônait l’alliance italienne et l’abandon des alliances « russe […] superflue, inopérante », et anglaise, renouant avec un de ses thèmes favoris, celui de « “la Grande-Bretagne [qui] a toujours eu besoin des soldats des autres.” […] Ce livre [était logiquement] devenu introuvable dès l’établissement du régime de Vichy ». Pétain, parachevant cet interdit, inclut tout ce qui démontrait sa longue guérilla contre le réarmement français dans sa censure rigoureuse des révélations du procès de Riom sur sa contribution personnelle et celle de sa clique, avant-guerre, à la débâcle : il l’avait combattu depuis 1927 au moins, au Conseil supérieur de la guerre et, en 1934, comme ministre réducteur « PAR DÉCRET » de « crédits militaires […] votés par le Parlement ». Quel aveu que cette préface de 1938 du cauteleux Pétain, lequel avait lui-même « annoncé, comme le colonel de Gaulle, le 1er mars 1935 » dans un « article de la Revue des Deux Mondes, la guerre-éclair, l’emploi massif des blindés par l’Allemagne, et la rupture du front ».
Guillemin, hésitant encore sur le sens de la réduction des crédits militaires de 1934[49], ne doutait pas plus que Marc Bloch en 1940 de la « trahison » avérée de 1938 : il fit d’ailleurs la liaison entre la préface à Chauvineau et les entretiens Hitler-Rauschning. Hitler avait en effet dès 1938 affirmé que le Reich n’aurait pas à combattre en France, les privilégiés y supplantant avantageusement sa Wehrmacht (comme ils empêchaient leur alliée tchécoslovaque de se défendre) : « “Si je fais la guerre […,] j’introduirai peut-être en pleine paix des troupes à Paris. Elles porteront des uniformes français […] JE SERAI DEPUIS LONGTEMPS EN RELATIONS AVEC LES HOMMES QUI FORMERONT LE NOUVEAU GOUVERNEMENT, UN GOUVERNEMENT À MA CONVENANCE […]. Nous n’aurons même pas besoin de les acheter; ils viendront nous trouver d’eux-mêmes. » Le pion majeur de sa stratégie et de sa tactique serait Pétain, « le “soldat” qu’une légende entoure d’un éblouissant prestige ». Guillemin a d’ailleurs perçu la signification des conversations, aux obsèques de Pilsudski, du tandem empressé Laval-Pétain, « en [mai] 1935, à Cracovie, […] avec Göring […,] le délégué du Reich […] Des documents nouveaux fourniront peut-être quelque jour certaines clartés supplémentaires »[50]. Hitler n’avait certes pas tout dit ou Rauschning pas tout rapporté de ce que livreraient lesdits « documents », français et allemands : ces « hommes » du futur « gouvernement à [l]a convenance » du Reich lui étaient acquis depuis 1930-1933 au plus tard, du capital financier – avec pour porte-voix le délégué du Comité des Forges à Berlin, l’ambassadeur de France (depuis 1931) André François-Poncet ‑‑ à Pétain et Laval[51].
Guillemin situe bien tard, entre 1934 et 1938, la mutation brutale des prétendus « nationaux » du bellicisme au « pacifisme » exacerbé : elle datait des années 1920 et, à titre définitif, de l’acceptation, en 1924, du « Plan [américain] Dawes », par laquelle la France dirigeante s’interdisait formellement toute mesure de rétorsion militaire pour obtenir paiement des « réparations »[52]. N’en demeure pas moins précieuse sa collection d’aveux des champions précoces de Pétain, après Munich et plus encore après la Défaite, enivrés par leur victoire intérieure. Il puise abondamment dans leurs articles et ouvrages, mêlant la haine sociale contre « l’ennemi intérieur » et la hâte puis la joie de la Défaite, au nom de la croisade contre « la Révolution » ‑‑ nouveau nom donné à la défense des frontières contre l’invasion. Les diplomates allemands avaient décrit en 1938-1939, en citant la presse française, l’appel obscène des élites françaises à la débâcle militaire, Maurras et ses clones de l’Action française en tête : les archives de l’Auswärtiges Amt (ministère des Affaires étrangères) en font foi [53]. Le « nationaliste intégral » Maurras rappela en 1941 dans La seule France, comme il l’avait fait si souvent avant-guerre dans son journal, L’Action française, à quel point les autoproclamés « nationaux » s’étaient obstinés depuis 1935 [la guerre d’Éthiopie] à faire barrage à la Défense française, pour ne pas contrarier Mussolini, Hitler et Franco : quel triomphe ils avaient obtenu en faisant « écarter une troisième fois, à la fin de septembre 1938, […] cette première ébauche de drôle de guerre [en] oblige[ant le gouvernement] à aller conclure à Munich le contraire de ce que la Révolution désirait. »
Cette lecture factuelle de Maurras[54] prouve autant que les sources originales le caractère négationniste de la réhabilitation actuelle de Vichy par des plumes éminentes. Au degré de droitisation atteint par l’historiographie dominante, ce type de négationnisme ne pose cependant aucun problème. On comparera la prose de Maurras sur les « préparatifs » du complot de Pétain et de la Défaite, citée par Guillemin, à celle d’Olivier Dard, thuriféraire du « Maître » au point d’oublier son antisémitisme viscéral et létal (sous l’Occupation) et de certifier son statut intangible d’« antiallemand »[55]. Sa mémoire sélective a débouché sur une flatteuse notice biographique de Maurras agréée par le Haut comité des commémorations nationales début 2018 : l’omission quasi complète de l’antisémitisme du « Maître » ayant soulevé un scandale public, la ministre de la Culture d’alors fut contrainte d’évincer brutalement la complaisante notice. L’amnésie d’Olivier Dard sur ce point (on ne parla même pas du reste de ses omissions) n’a pas ébranlé les pairs dudit Comité, qui, ulcérés, démissionnèrent presque tous pour protester contre cette inqualifiable « censure »[56]. Confortés par ce soutien à la victime, les médias du service public, qui avaient complaisamment interviewé l’historien préféré de l’Action française après sa mésaventure, le consultèrent autant qu’auparavant sur « le Maître » et maint autre sujet lié, tel le fascisme[57].
Du tenace « travail de termites » dirigé contre la sécurité française par le grand capital, via sa presse, de la droite classique à la droite ouvertement fasciste, rien ne fut plus significatif que l’article « Au lendemain de Munich » de Thierry Maulnier, membre de la clique maurrassienne, paru dans le mensuel « d’extrême droite » Combat de novembre 1938. Guillemin a sans doute emprunté à Pertinax et au politiste américain Charles Micaud cette citation – il a omis la note de référence ‑‑, démontrant définitivement que « la politique extérieure de la France était commandée, dans l’esprit des conservateurs, par l’unique souci de leur politique intérieure » et que « la droite française – l’ancien parti des “patriotes” spécialisés ‑‑ était devenue le parti de la paix à tout prix » :
« “Ces partis [de droite] avaient l’impression qu’en cas de guerre non seulement le désastre serait immense, non seulement une défaite ou une dévastation de la France était possible mais encore qu’une défaite de l’Allemagne signifierait l’écroulement des systèmes autoritaires qui constituent le principal rempart à la révolution communiste et peut-être la bolchevisation immédiate de l’Europe. En d’autres termes, une défaite de la France eût bien été une défaite de la France et une victoire de la France eût moins été une victoire de la France que la victoire de principes considérés à bon droit comme menant tout droit à la ruine de la France et de la civilisation elle-même. Il est regrettable que les hommes et les partis qui avaient cette pensée ne l’aient pas en général avouée, CAR ELLE N’AVAIT RIEN D’INAVOUABLE. J’ESTIME MÊME QU’ELLE ÉTAIT UNE DES PRINCIPALES RAISONS ET DES PLUS SOLIDES, SINON LA PLUS SOLIDE, DE NE PAS FAIRE LA GUERRE EN SEPTEMBRE 1938.” »[58] C’était en somme, la défaite ou rien.
Manque de sources et timidité politique : les lacunes de Guillemin
En 1945, Henri Guillemin était un anti-pétainiste, officiellement déclaré depuis 1942, mais il demeurait un notable « républicain ». Il confondait donc volontiers la ligne politique d’entre-deux-guerres des chefs de la Troisième République ou des « républicains » de gouvernement avec l’image avantageuse qu’avaient donnée d’eux la répression vichyste et leurs déclarations du procès de Riom (1942). Certes, il ne disposait pas alors du soutien que l’ouverture massive des fonds d’archives intérieures a apporté depuis le tournant du 20e siècle : c’est la « déclassification » de ces sources qui a révélé crûment la complicité des leaders « républicains » avec le plan de démolition de la République des putschistes – complicité passive, dans le meilleur des cas, active, dans le pire et le plus fréquent des cas.
Du « clan-maître » au peuple absent
Marc Bloch, dès 1940, et Pertinax, en 1943, avaient abordé plus hardiment que Guillemin la question de la responsabilité majeure assumée en toute connaissance de cause dans les années 1930 par ces « républicains » allégués : tous, de la droite prétendue « républicaine », celle du faux anti-munichois Reynaud, à la « gauche de gouvernement » du parti radical et de la SFIO (Léon Blum inclus), avaient pratiqué un « Apaisement » inconditionnel envers le Reich, drôle de guerre incluse. Cette option générale n’eut pour eux pas d’autre motivation que la soumission aux « intérêts privés [du] clan-maître », c’est-à-dire du capital financier. Guillemin qui, oiseau rare, se radicalisa au fil des décennies, décrirait ce groupe avec plus d’acuité en dévoilant en 1956 le caractère de classe du choix de la défaite de 1870 et de la répression de la Commune; et en montrant que cette ligne avait regroupé sans faille la quasi-totalité des « républicains » de gouvernement et toute la droite monarchiste[59]. En 1945, son ignorance des questions économiques et financières ou sa timidité sociopolitique l’empêche d’aller au bout de la critique malgré sa reconnaissance du rôle crucial des puissances d’argent. Il analyse fort bien la composante fondamentalement intérieure de leur ligne extérieure, « la défense sociale », qu’il croit « seule » en lice. Il sous-estime ou ignore le fondement économique, commercial et financier de la politique extérieure, autrement dit les liens anciens et organiques entre capital financier français et allemand[60].
De même est ici presque absente une donnée qu’il saisira grâce à son étude personnelle approfondie de la Commune, la dimension nationale de l’intervention populaire : dans La vérité sur l’affaire Pétain, le peuple n’apparaît que dans le regard haineux des privilégiés, mais il est fondamentalement absent. Guillemin concède que les communistes n’ont guère pratiqué le défaitisme ou « l’action […] contre la guerre » après le pacte de non-agression acte germano-soviétique, même s’il cède à l’antienne du défaitisme des chefs en l’opposant à la vaillance antinazie de la base, ces « masses communistes [qui, elles,] savaient qu’Hitler demeurait l’ennemi ». Ainsi prête-t-il au courage politique de Nizan son départ des « cadres du parti »[61] qui dut davantage à des rapports discrets avec les gens d’en haut ou à la peur du cachot[62]. Le cagoulard « colonel Alerme » (éminence de l’agence Inter-France, qui chapeautait la presse de droite de province et se transforma en agence d’espionnage allemand sous l’Occupation), n’avait pas même jugé bon de dénoncer la mythique « propagande
[défaitiste]
communiste », dans son livre [de 1940], Les causes militaires de notre défaite[63]: il se contenta d’attribuer à la République le pitoyable « “moral” de l’armée ».
Guillemin le prend au mot de sa philippique contre « “les bellicistes” » : car « les “pacifistes” de l’époque, ce ne sont point les gens de gauche, mais bien les “nationaux” » qui, tel Maurras, ne vibraient plus au son du « petit tambour » mais le ridiculisaient désormais (L’Action française du 28 août 1939). Le futur historien de la Commune patriotique délaisse en 1945 le peuple qu’il montrerait en 1956 acharné à bouter l’envahisseur hors du territoire. Il crédite certes « les petites gens [d’avoir] fait la guerre sans l’aimer – ce qui vaut mieux sans doute que l’aimer sans la faire. »[64] Mais l’absence des lutteurs, français et étrangers ‑‑ les « métèques », antifascistes italiens, judéo-bolcheviques, républicains espagnols, si souvent passés par les Brigades internationales et en si écrasante majorité dans la « résistance intérieure » ‑‑, compte pour beaucoup dans ses erreurs de jugement sur Daladier et Reynaud. En 1945, il a évacué la participation de ses héros gouvernementaux « républicains » à la « guerre intérieure ». Or, elle avait pris tournure d’ouragan quand ils occupèrent, d’avril 1938 à juin 1940, la présidence du Conseil afin de gérer au mieux les « intérêts de classe » du « clan-maître »[65].
Il ferait de cette composante de la trahison des « élites » le pivot de son analyse que onze ans plus tard. Il a certes fallu un demi-siècle supplémentaire pour que fût livré aux historiens le détail de la croisade conduite par les chefs « républicains » tuteurés par le « clan-maître » en vue d’écraser dans l’œuf toute résistance populaire à l’invasion allemande, à coups de décrets anticommunistes et anti-« métèques » de Daladier, Reynaud, Héring, Sérol et consorts. L’assaut passa depuis août-septembre 1939 par la case prison. L’occupant n’aurait qu’à y cueillir, en masse, et pas seulement comme « otages », les « meneurs » du mouvement social de l’entre-deux-guerres, chefs de la résistance patriotique à l’occupant, en vue d’exécution ou de déportation. Avec l’aide, entre autres, de Pucheu et de tous ses pairs[66].
Vision optimiste des « républicains » et de Weygand dans les années 1930
Le notable « républicain » ne se montre pas plus curieux sur les chefs civils et militaires de la République, sans pouvoir ou vouloir dissimuler les sérieuses contradictions de son argumentation. Il semble ignorer l’état d’avancement des projets de putsch, fin 1933, à l’heure où François-Poncet annonçait à Hitler et à son ministre des Affaires étrangères von Neurath l’imminent « gouvernement fort » ou « très fort » concocté pour la France : il serait dirigé, au choix, par la gauche ou la droite, par « M. Daladier [un des chefs du parti radical, alors ministre de la Guerre] ou peut-être M. Tardieu »[67]. Guillemin se trompe sur Doumergue, qu’il pose en simple partisan d’« un cabinet d’union » [nationale] pour « laisser la vague s’amortir ». Or, cette « vague » du 6 février 1934, soulevée par le Comité des Forges, qui en contrôla toutes les phases[68], fut la première tentative du putsch : celle qui, après une autre tentative (à la mi-novembre 1937) des ligues regroupées depuis le tournant de 1935 en Cagoule, aboutit au triomphe de l’été 1940.
Guillemin affiche sur Gamelin, qu’il croit hostile à Laval, un optimisme indu. Il ne se trompe cependant jamais autant que sur Weygand, second de la Cagoule militaire, derrière le premier, Pétain, qu’il détestait, certes, mais suivait. Son indulgence envers ce factieux-type l’amène à des contradictions qui finissent par le gêner. Il le déclare opposé, à la différence de Pétain, à la baisse des crédits militaires. Convaincu que « ses passions politiques ne parvenaient pas à l’emporter sur son sentiment du devoir », il le prend pour un vrai « patriote ». Il l’innocente d’intentions coupables à plusieurs reprises, le croit toujours « sincère » même quand il diffuse le 13 juin, à Cangey, tout à fait sciemment, la (fausse) nouvelle « qu’un soulèvement communiste s’est produit, le matin même, à Paris, et que les “rouges” se sont emparés de l’Élysée ». Pertinax avait été plus net sur cet ennemi juré de « la Gueuse », « administrateur de la [fort généreuse] Compagnie du canal de Suez » qui lui alloua à sa retraite (depuis 1935) 600 000 francs par an ‑‑ comme Doumergue, certes, mais c’étaitun « privilège dont aucun [autre] militaire ne fut jamais [jusqu’alors] gratifié ». Il classait sans hésitation ce « factieux » notoire aux côtés de Pétain dans le lot des hauts officiers, « émigrés de Coblentz […] lecteurs de Gringoire et de Je suis partout et autres feuilles du même genre qui, dans leurs récriminations incessantes contre les Soviets et contre Léon Blum, regardaient volontiers Hitler et Mussolini comme des piliers de la société traditionnelle »[69].
Guillemin concède pourtant que les plans militaires de Weygand ne visaient qu’une seule cible, « le véritable ennemi extérieur, la Russie »[70]: rien ne distinguait donc ce présumé « patriote » du traître Pétain. Son flatteur portrait antérieur devient donc incohérent, de même que celui des « républicains ». Car, bien plus que Pertinax et Marc Bloch, Guillemin les croit à la fois loyaux à la République et attachés à la préservation des frontières. Le légitime censeur de Pétain s’est trompé sur Briand, qu’il crédite de « sagesse » alors qu’il fut un des fondateurs de l’Apaisement envers le Reich dans les années 1920, dicté par des impératifs économiques américano-allemands dont le fameux « clan-maître » avait très tôt reconnu la légitimité : c’est en toute connaissance de cause que le cynique et lucide Briand s’attela à la réconciliation défaitiste et pacifiste qui liquida, dès 1924, avec le Plan américain Dawes, toutes les précautions militaires françaises face à République de Weimar.
Guillemin croit d’ailleurs cette dernière démocratique et pacifique[71], alors qu’elle était aussi obsédée par la revanche et l’expansion que l’État hitlérien qui lui succéda[72]. Et ce, parce que les « classes hautes » avaient procédé à un « retournement » ou à ce que Guillemin prend pour « une totale volte-face », qu’il situe dans les années 1930. Il a dix ans de retard : elles avaient sereinement admis au début de la décennie 1920 l’incompatibilité de la politique d’exécution avec les prescriptions américaines et les vieux liens commerciaux et financiers franco-allemands. Il est en 1945 plein d’illusions sur Léon Blum qu’il croit sincèrement soucieux de réarmement et de bonnes alliances défensives. Il fut de fait si « apaiseur » que les dignitaires nazis, tel l’ambassadeur d’Allemagne en France von Welczeck, en oublièrent en 1936-1937 qu’il était juif. Et ce jusqu’au bout, puisque Blum crut encore fin août 1939 devoir mettre en garde Daladier contre toute velléité de fermeté française dans la défense des frontières de la Pologne[73]. Le risque était mince, Daladier s’étant révélé apaiseur au moins autant que lui.
Guillemin gagne en lucidité sur les auxiliaires de moindre rang de la ligne de capitulation, recrutés souvent très à gauche, séduits par les dictateurs d’Italie puis d’Allemagne, sur ces « complicités à gauche » de « dissidents à vendre comme Doriot », Marquet, Déat, Paul Faure, Spinasse et Belin. Il s’étend moins sur le recrutement par la synarchie de la gauche anticommuniste, systématique dans la décennie de crise menaçant de radicaliser les populations, parfois entamé bien avant, par exemple pour l’intime de Blum Spinasse[74]. Il évoque, sans insister, les défaillances des « honnêtes “catholiques de gauche” » (dont il avait été) animant la revue Sept puis, après le veto du Vatican qui l’avait liquidée, la nouvelle revue Temps présent[75]. La Curie les détestait mais les maniait habilement pour leur faire combattre toute « alliance de revers » (avec l’URSS). Marc Bloch, en 1940, en avait dit plus que lui sur le ratissage à gauche : il s’était étendu, sans citer, il est vrai, un seul nom, pas même celui de René Belin, sur l’alliance contre-nature conclue par des confédérés de la CGT, naguère « gauchistes », avec leurs ennemis de classe (les grands synarques) en vue de crucifier la Tchécoslovaquie à Munich[76].
On perçoit enfin, à propos de la réaction des « républicains » à la nouvelle tentative de putsch fasciste, non datée (mi-novembre 1937), un Guillemin perspicace, mais aussitôt paralysé sur les tenants et aboutissants de cette « étrange » capitulation. On ne reconnaît pas le sévère Guillemin des décennies suivantes dans ce descriptif fort mou des gouvernants, parfaitement informés, notamment par le ministre de l’intérieur Marx Dormoy, des œuvres des « hommes du CSAR ». Il sait que « les maîtres de l’argent » tiennent entre leurs mains le sort du pays, mais il euphémise : « Les plus clairvoyants se sentent pris dans une aventure sans issue. […] Les ministres “républicains” eux-mêmes préfèrent étouffer l’affaire du CSAR » où sont impliqués, on l’a dit, « trop » d’officiers supérieurs. « Le plus facile est d’ignorer, d’attendre la suite; deux et deux, peut-être, cesseront de faire quatre ». La pluie de comparaisons se poursuit. « Au dernier moment, en 39, on [qui donc? Daladier et les siens] se résignera à quelques arrestations » ‑‑ pas précisément datées non plus : anecdotiques, elles eurent lieu juillet-août 1939, au seuil de la Deuxième Guerre mondiale, soit vingt mois après la tentative de putsch cagoulard, et, on l’a vu, Béteille fut chargé d’enterrer le dossier.
Pierre Cot, si vaillant dans l’effort militaire (aéronautique) pour faire barrage à l’invasion de la France[77], s’était montré à New York, en 1944, d’une indulgence aussi coupable pour son compagnon de parti radical Daladier, mais aussi pour Gamelin. Son ouvrage était pourtant très documenté sur la trahison (stricto sensu) des chefs « républicains » et de Pétain, chef cagoulard. Il savait tout ou presque sur Daladier[78], et probablement que, comme ministre de la Guerre, il avait brûlé le dossier de Cagoule de Pétain et en sa présence : à la direction du parti radical, l’épisode était un secret de Polichinelle à la Libération[79]. Guillemin, qui avait forcément lu Cot et assurément lu Pertinax, reprit la légende des « républicains » civils et militaires, lavés par leurs témoignages ‑‑ très partiels ‑‑ au procès de Riom et leur internement par Vichy[80]. Cette timidité fut quasi générale de la part de ceux qui n’ignoraient rien mais ménageaient un peu ou beaucoup leurs anciens amis pour l’avenir politique. Et Guillemin l’étendit à l’après-Munich.
Sur l’après-Munich, beaucoup d’aveuglement
On a perdu l’habitude, depuis le scalpel de son étude sur la Commune et l’audace de ses conférences, de voir Guillemin en accord avec l’historiographie dominante sur le comportement de ses héros « républicains ». C’est sur leur active contribution à l’agonie et à l’exécution finale de la République que son Affaire Pétain est de loin la plus faible ou la plus complaisante. Son chapitre III, sur « la guerre », multiplie les poncifs et ne fustige que les traîtres pétainistes avérés, de Maurras à Benjamin en passant par le ministre des Affaires étrangères Georges Bonnet : le radical Bonnet était une canaille avérée, certes, mais seulement plus franche dans l’abdication que ses compagnons de gouvernement; il était aussi et surtout un « agent notoire des milieux dirigeants de l’économie », comme l’aristocratique ambassadeur d’Allemagne, le nazi von Welczeck, l’avait noté avec simplicité au printemps 1938[81].
Sur Daladier, Guillemin accrédite la thèse, sur laquelle le rejoindrait ensuite toute l’historiographie bien-pensante[82], de la fermeté du « tournant » extérieur de mars 1939 qui aurait suivi l’occupation de Prague et de la Bohême-Moravie ‑‑ légende balayée par les sources. Il décrit un Daladier fidèle aux alliances de la France, « refus[ant] de trahir la parole donnée », et une Angleterre enfin « réso[lue] à tenir bon », résolution qu’aurait démontrée la déclaration de guerre commune du « 3 septembre 1939 ». On s’étonne que cet esprit acéré n’ait point vu malice dans la nomination sidérante, venant de républicains sincères, de Pétain comme « ambassadeur très illustre » chez Franco : ç’aurait été pour « ne pas accroître la tension entre son pays et l’Espagne » et par conviction que le maréchal « ferait là-bas une politique française et servirait utilement les intérêts de sa patrie ». L’historiographie dominante n’en doute pas[83] mais cette thèse est fausse, puisque Pétain put là-bas, au su et au vu de tous les milieux bien informés, Daladier en tête, préparer sa dictature dont tous les décrets de juillet 1940 étaient prêts depuis un an et plus[84].
C’est à « M. Georges Bonnet » et à Pétain qu’est imputée la décision de remettre à Franco l’or de la Banque d’Espagne, contre les prétendues « résistances […] au sein du cabinet français. » Résistances de qui donc? Daladier et Bonnet, et tous les autres gouvernants, depuis le cabinet Blum de 1936, et plus encore depuis le cabinet Chautemps de 1937, partagèrent (avec un même ministre des Affaires étrangères, le radical Yvon Delbos) l’égale responsabilité d’avoir obéi aux ordres de la Banque de France. Or, celle-ci avait préféré d’emblée (juillet 1936) le putschiste et ses soutiens italiens et allemands à la République qui lui avait à la naissance de la République, en 1931 (pas en 1936), remis une partie de ses réserves métalliques, véritable aubaine en ces années 1930 de fuites d’or. C’est le tandem Daladier-Bonnet qui assura l’exécution définitive d’une décision, symbolique entre toutes, des « maîtres de l’argent » auxquels aucun gouvernant « républicain » n’avait jamais résisté[85].
Guillemin déplore l’échec du « gouvernement très large » qu’aurait préparé Daladier à l’époque de la déclaration de guerre en vue de « témoigner […] de l’unité française devant l’ennemi » : « l’unité française » acquise en persécutant les lutteurs, français et étrangers, par décrets, depuis le printemps 1938, et plus encore après le prétexte du pacte de non-agression germano-soviétique du 23 août 1939? Il avait été signé près de deux mois après l’engagement formel pris par Bonnet, au nom de Daladier, devant l’aristocratique ambassadeur d’Allemagne, le nazi von Welczeck, à « suspendre les élections, arrêter les réunions publiques et mettre les communistes à la raison » (1er juillet 1939). Cette déclaration officielle est publique depuis la parution, en 1939, du Livre jaune français. Documents diplomatiques 1938-1939 [justificatifs pour Bonnet souvent tronqués, mais pas dans ce passage][86]. Guillemin se serait évité ce ralliement à la Doxa (d’aujourd’hui) en consultant ces « Pièces relatives aux événements et aux négociations qui ont précédé l’ouverture des hostilités entre l’Allemagne d’une part, la Pologne, la Grande-Bretagne et la France d’autre part ».
On ne comprend pas non plus que Guillemin ait dissocié son autre héros « patriote », Paul Reynaud, de ses ministres, tel l’inamovible ministre des travaux publics de Monzie ‑‑ synarque déjà présenté et maquignon, avec les « confédérés » les plus droitiers de la CGT (Syndicats), de la propagande populaire en faveur de Munich[87]. Ayant lu Ci-devant, il sait mais omet de préciser que de Monzie se flattait aussi de ce dernier exploit, et pas seulement d’avoir entendu Pétain lui annoncer, « le 30 mars 1940 » (neuf jours après l’intronisation de Reynaud) : « Ils auront besoin de moi dans la deuxième quinzaine de mai. »[88] Des chefs civils, tel celui de l’Information et de la Censure (le synarque Jean Giraudoux, que Guillemin ne nomme pas), réservaient des trésors de douceurs à l’Axe, théoriquement en guerre contre la France, mais laissaient libre cours à la vindicte « contre la Russie ». Et ce, alors que les patriotes Daladier et/ou Paul Reynaud se trouvaient aux commandes? Pétain et Weygand, appelés par Reynaud, n’étaient donc pas les seuls à maudire cette alliance de revers? De cet immense « patriote », chéri plus encore que le précédent, Daladier, et nommé le 20 mars 1940, Guillemin ne dit rien ou presque avant le chapitre IV, entamé sur l’attaque allemande du 10 mai 1940[89]. Or, Reynaud, personnage si actif et instrument du « Comité des Forges » et de la haute banque, avait été souvent ministre dans la décennie 1930, et sans interruption depuis l’ère Daladier (avril 1938)[90].
Les chapitres suivants, IV, « Le désastre » ‑‑ éclair, en cinq jours, définitivement acquis après la percée allemande 14 mai à Sedan, où se tenait l’armée du traître Huntziger ‑‑ et V, « La prise du pouvoir »[91], sont fort instructifs sur les œuvres de la camarilla de Vichy, civile et militaire : sur la « vaste désertion des officiers », sur les aveux du très collaborationniste Montherlant dans Solstice de juin, exaltant l’objectif unique de « tirer sur des Français »[92]. Mais ces utiles développements ne font guère avancer le lecteur dans la compréhension du rôle décisif des « républicains » (à l’exception du traître notoire Chautemps, identifié) dans « l’assassinat de la Troisième République ». Guillemin a cru à la volonté de Daladier, puis de Reynaud, de faire la guerre et de la gagner, en s’appuyant sur un nombre de divisions mobilisables franco-anglaises quasi équivalent aux allemandes, 130 contre 140. Il se trompe sur le néant franco-anglais, puisque, les archives militaires sont catégoriques, Paris et Londres avaient depuis les années 1920 si bien fait et tant aidé le Reich à se renforcer, avant et depuis Munich, que le Reich pouvait, sur ce que le tandem Gamelin-Daladier appelait pompeusement « le front du Nord-Est » – la frontière franco-allemande – aligner début 1940, contre près de 200 divisions allemandes, 70 françaises et quasi rien d’Angleterre (une à deux divisions, effectif prévu depuis 1936)[93].
À Pierre Cot, aussi timide que lui sur Daladier, Guillemin a largement emprunté le compte rendu éclairant sur la trahison militaire des séances du procès de Riom, mais en ne soulignant que la responsabilité de la clique de Pétain : maintien des armements dans les parcs, non-approvisionnement des combattants en armes, confirmés par les témoignages convergents, immenses ressources que les Allemands, conformément à la tactique exposée par Hitler à Rauschning, n’eurent plus qu’à saisir, munitions, chars, avions[94]. C’est un aspect qu’un Guillemin audacieux mettrait en lumière dans son ouvrage de 1956 sur la Commune : il décrirait alors la remise des inestimables trésors de ravitaillement et d’armements de Metz, mais après avoir longuement démontré que les « traîtres » militaires avaient comblé les vœux des faux « républicains »[95].
Pour le reste, on trouve chez Guillemin à peine moins de lucidité sur Reynaud, acteur de la dernière étape synarchique prévue avant le putsch, que chez Pertinax, aveugle volontaire sur la trahison de l’homme politique que, en 1943, depuis New York, il veillait à ne pas compromettre pour la suite. Chez Guillemin, comme chez Pertinax (et même plus encore, car ce dernier finit par douter visiblement de son héros), Reynaud aurait été une victime expiatoire à répétition : victime de l’infâme Mme de Portes, responsable de la nomination de Paul Baudouin aux Affaires étrangères. Ce grand synarque, directeur général de la Banque d’Indochine, avait été le chouchou de Reynaud, comme l’autre grand synarque et traître de longue date, Yves Bouthillier, maître de tous ses cabinets des années 1930, dont il fit son ministre des Finances, avant de céder, comme prévu, le 16 juin 1940, son siège à Pétain. Mais, s’obstine Guillemin, Reynaud serait alors resté « toujours acharné à poursuivre la guerre », partisan de la résistance aux côtés de l’Angleterre à la mi-juin, malgré l’écrasante pression de Weygand (ce « patriote »?) en faveur de l’armistice. Abandonné par ses militaires, il n’aurait songé qu’à transférer son gouvernement à Alger, avec l’aval enthousiaste de Jules Jeanneney et d’Édouard Herriot – alors, malgré le mythe ultérieur, aussi capitulards et pétainistes que lui. Trahi par les chefs militaires puis par ses ministres, le martyr aurait été contraint d’abandonner « découragé », « évincé, culbuté » par le machiavélique tandem Pétain-Laval.
On ne trouve pas trace, ici, de sa fuite pour Washington, où il comptait devenir l’ambassadeur de Pétain : cette issue, avouée par Reynaud aux Américains, avait choqué Pertinax, qui ne précisa toutefois pas (le savait-il?) que le grand « patriote » avait organisé son départ avec près de vingt millions de « fonds secrets » volés, fonds que le veuf de Mme de Portes osa en 1945 réclamer à la Banque de France ou à l’État français[96]. C’est Laval qui aurait trompé ou évincé tout son monde : le président de la République Lebrun ‑‑ qui avait tant pleuré sur l’échec (relatif) du 6 février 1934 – prétendument « désorienté, aurait été réduit à une totale impuissance, comme les parlementaires et les chefs de leurs chambres respectives, Jeanneney (Sénat) et Herriot (Chambre des Députés)[97]. Ces naïfs auraient en outre mal compris le sens des propos de Laval de juillet 1940 sur la future « collaboration d’une représentation nationale » avec le gouvernement; ils auraient cru entendre ou comprendre que « la révolution nationale » ne ferait pas obstacle au « “contrôle exercé par la nation.” » Ils avaient tout bien compris, et depuis longtemps. Le maintien de « leur indemnité mensuelle », plat de lentilles promis par Laval, acheva le consensus des « 569 oui »[98] aux pleins pouvoirs de Pétain : depuis les années 1920, nombre d’entre eux soutenaient « la réforme de l’État », joli nom de la dictature de l’exécutif. La promesse financière de Laval, si utile à l’exécution, par les parlementaires eux-mêmes, de la République parlementaire, fut d’ailleurs tenue.
Les exécuteurs avaient agi toute connaissance de cause, comme l’avoua en novembre 1940 un sénateur de la « délégation » venu « sur l’initiative de M. Jeanneney » demander (très hypocritement) à Pétain « de bien vouloir convoquer le Parlement », en se réclamant de l’engagement de juillet de Laval à maintenir les Chambres jusqu’à création des « Assemblées ». Ledit sénateur, plus franc sur le versement maintenu de l’indemnité des parlementaires, y voyait une preuve, non d’« une marque d’estime » mais du mépris écrasant à leur égard de Vichy en général et de l’ex-parlementaire Laval en particulier : « C’est encore une malice de M. Laval. Une double malice même. D’une part, il croit que nous le laisserons tranquille. Il se trompe. » Il ne s’était pas trompé. « D’autre part, cela nous fera encore un peu plus mal apprécier des contribuables qui nous accuseront de toucher de l’argent alors que nous n’existons plus constitutionnellement. »[99]
Par son analyse sociopolitique de Vichy, Guillemin ouvre sur l’avenir de la recherche
Plus timide en 1945 sur les « républicains » que d’autres analystes de 1940-1944, Guillemin fait preuve sur les maîtres de Vichy d’une acuité de jugement qui s’amplifia ensuite au fil des décennies. Car, cas rarissime, ce diplomate ne cessa de « radicaliser » son analyse, au sens où le philosophe Marx l’entendait dès 1843 : « Être radical, c’est prendre les choses par la racine. »[100]
Son chapitre VI, sur « Vichy », renoue avec l’analyse socio-économique et sociopolitique amorcée sur l’avant-guerre, et anticipe sur la méthode de Cette curieuse guerre de 70. Il saisit l’enjeu de classe de la fondation de Vichy, qu’il qualifie de « drame social » en France, et use avec succès de la méthode comparative : « Le coup d’État du 11 juillet [1940], c’est le 6 février enfin réussi », affirme-t-il, rappelant « la part déterminante » que « prirent un groupe de banquiers » au 18 Brumaire (9 novembre 1799), Les vrais décideurs du 11 juillet avaient agi comme leurs prédécesseurs, bailleurs de fonds du dictateur Bonaparte, « les Perrier, les Mallet et le Suisse Perregaux ». Munis de la double protection de la dictature française et de l’occupant en armes, ils réalisèrent l’objectif qu’avait avoué un de leurs auxiliaires de plume, le très fasciste journaliste Pierre Dominique, dans Candide (28 août 1940) : « Il s’agit de traiter le malade, de lui appliquer, qu’il crie ou non, un traitement de cheval. »
Guillemin (ou « Cassius » renvoyant à la prose de juillet 1944 de « M. Henri Guillemin » dans « l’hebdomadaire suisse Servir »)décrit avec bonheur la « jubilation », la « prodigieuse euphorie » des « honnêtes gens » devant la Défaite. Surenchérissaient dans la haine des Lumières les fascistes, tous issus de l’Action française, de Benjamin à Maurras en passant par (le synarque) René Gillouin vomissant sur « les “saturnale de 1789” et les “folies du Front populaire” ». Le littéraire relève l’usage permanent de l’antiphrase, norme des époques de gros mensonge, de ce « vocabulaire où les mots servent à désigner le contraire de ce qu’ils signifient. » L’anticonformiste cite le grand républicain Marat, réprouvé sous Vichy, réprouvé aujourd’hui, décryptant en 1792 le vocabulaire adapté aux Chaînes de l’esclavage : « “Abusés par les mots, les hommes n’ont pas horreur des choses les plus infâmes, décorées de beaux noms; et ils ont horreur des choses les plus louables, décriées par des noms odieux. Aussi l’artifice ordinaire des cabinets est d’égarer les peuples en pervertissant le sens des mots, et souvent des hommes de lettres avilis ont l’infamie de se charger de ce coupable emploi.” Ils appellent “loyauté la prostitution aux ordres arbitraires, rébellion la fidélité aux lois, révolte la résistance à l’oppression […], punition des séditieux le massacre des amis de la liberté. »[101]
Guillemin traque pareillement l’« imposture dans le langage », sur la défaite militaire, l’ignominie de la capitulation et la fuite devant l’ennemi transformées en démonstrations de patriotisme. Les putschistes s’étaient exercés de longue date à l’antiphrase, tel le grand synarque Yves Bréart de Boisanger, sous-gouverneur de la Banque de France promu à sa tête par la Débâcle. Il avait proposé le 20 juillet 1939 à Rome, au financier fasciste italien Giovanni Malvezzi, directeur général du très patronal l’IRI (Instituto di ricostruzione industriale italiano), un accord franco-germano-italien contre la maudite alliance tripartite avec URSS. On ferait ingurgiter aux Français la substitution de l’un à l’autre par une tactique paralysante : il est « nécessaire de porter les peuples – étant donné que les gouvernements ont pour vivre besoin du consentement populaire – à un état de détente [il voulait dire bourrage de crânes ou « dindonn[age] »[102]] tel que les sacrifices nécessaires puissent être acceptés non comme une diminution de prestige » mais comme inévitables, « immédiatement » ou « au moment opportun. »[103]
Vichy ne cessa de mentir, pratiquant la « tactique ancienne » consistant à accuser l’innocent du crime commis par le coupable, et faisant « grand usage » de l’antiphrase et à tout propos : en dénonçant avec Philippe Henriot les « fuyards de 40 », pas les officiers félons, mais les partisans du passage du gouvernement en Algérie; en stigmatisant l’« argent étranger » ou « l’or de étranger », sauf l’allemand et l’italien déversé avant-guerre ‑‑ en avances sur recettes; en prétendant la patrie corrompue par la détestable école publique et laïque (celle que Pétain et Weygand n’avaient cessé de dénoncer dans l’entre-deux-guerres); en proclamant de Gaulle responsable de la défaite; en inondant les Français des philippiques du grand menteur Pétain contre « les mensonges qui vous ont fait tant de mal »[104].
Marc Bloch avait vu cinq groupes de responsables œuvrant « chez nous de 1933 à 1939 » pour faire de « l’Axe Rome-Berlin », ou plutôt du Reich, le maître « de l’Europe »[105]. Guillemin réunit en « quatre groupements principaux » les mêmes, piliers de Vichy après avoir mitonné le putsch et de la défaite, « L’Action française, les hommes d’argent, les anciens néo-socialistes [stipendiés des précédents], et l’armée (officiers supérieurs, Marine) ». Dans ce dernier corps, selon leurs propres archives, les Allemands ne réussirent pas à débusquer un seul faux « résistant » à « déporter d’honneur » en 1943 ou 1944[106]. Cette armée qui avait « trouv[é] enfin contre la République la revanche de l’Affaire Dreyfus » et que, comme Marc Bloch, Guillemin jugeait « la grande coupable », reçut pour récompense de son indignité tous les honneurs gouvernementaux. Le prétendu « patriote » de l’avant-guerre Weygand la jugeait encore insuffisante : il proposa « de maintenir en service actif, sans limite d’âge, tous les généraux ayant commandé une armée », énormité qui fit hésiter Pétain. Guillemin désigne nombre de ces prébendiers faillis, y compris, seul non nommé, « un amiral [François Bard] préfet de police de Paris, d’où il passera à une ambassade [à Berne]. »[107]
Il recenserait mieux encore en 1956 la cohorte des officiers supérieurs, traîtres impatients de la débâcle, complices de Bazaine, qui leur distribua une foule de médailles et d’honneurs. C’est à ces officiers supérieurs que de Gaulle, après les avoir laissé pérorer au service de Pétain comme « témoins de la défense » à la farce de son procès[108], consentit, admet Guillemin, un pur « simulacre [d’]“épuration” »[109]. Quant à l’Action française, qui avait si longtemps travaillé à son double objectif de défaite et de dictature, il est sain, alors que l’historiographie bien-pensante s’aligne sur un Maurras toiletté par Olivier Dard en « Maître » à peine antisémite et impeccablement germanophobe, de lire sa prose d’Occupation non censurée : Maurras fut en effet aussi haineux que naguère, « réclam[a]nt l’épuration raciale » avec autant d’ardeur dans Lyon occupé qu’avant novembre 1942, et comptant sur l’ennemi pour « se débarrasser des “séditieux”, “terroristes” et autres fortes têtes »; et de constater que le journaliste fasciste Gentizon, se félicitait encore « en janvier 1945 » dans son très « axiste » Mois suisse, en pleurant sur « Les proscrits de Sigmaringen »que « LES MEILLEURS CADRES DE LA MILICE [EUSSE]NT ÉTÉ ET [FUSSE]NT ENCORE D’Action française »[110].
Passons sur les néos, agents tarifés des « hommes d’argent », sur lesquels Guillemin approfondit ses remarques sur l’avant-guerre, retrouvant les accents de Marc Bloch pour jauger l’inspection des Finances, fief des « commis de l’État » qui n’ont « d’autre ambition que d’entrer au service des parasites l’État » : l’historien avait en 1940 dénoncé le rôle funeste des « hauts fonctionnaires » issus des grandes écoles, « Sciences Po » en tête, qui méprisaient leur aimable République et « ne la serv[ai]ent qu’à contrecœur »[111]]. Guillemin retrouve Lehideux et Pucheu, découvre Du Moulin de Labarthète et Guérard, « passé au service de la banque Worms » ‑‑ tous synarques ou synarcho-cagoulards ‑‑ et leurs stipendiés néos et assimilés. C’est sur la nature des « intérêts de classe » de Vichy, comme dans ses « préludes », que Guillemin est le meilleur, amorçant les analyses radicales de son âge plus avancé. Il montre que Vichy, logiquement, fut une bénédiction pour ceux qui avaient porté Pétain à la tête (apparente) de l’État (la synarchie lui dictait tout[112]). Il balaie les faux-semblants de la dénonciation des « trusts », ravis, la chose est rare, de se voir quotidiennement fustigés. En fait de suppression des trusts, ce fut le renforcement des structures du très grand capital, sur fond de propagande contre la division en « partis » et en « classes »; il contrasta avec la vraie suppression des syndicats ouvriers ‑‑ cible primordiale des synarques depuis l’origine.
Toujours empathique envers les « républicains » ‑‑ même quand ils avaient, sous l’Occupation, solennellement cessé de l’être ‑‑, Guillemin ne prononce pas ici le nom du cosmétique ministre de la production industrielle et du travail (juillet 1940-février 1941) puis du travail seulement (février 1941-avril 1942), René Belin, ancien lieutenant de Jouhaux prévu à sa succession à la tête de la CGT, mais passé au fascisme avant le milieu des années 1930. « Traité » et financé depuis lors par Jacques Barnaud, chef synarque et directeur général de la banque Worms, Belin se contenta de signer, le 10 novembre 1940, le décret de la vraie dissolution de la CGT rédigé par son vrai patron, comme, un an plus tard, le décret créant la Charte du travail (4 octobre 1941). Jouhaux apparaît en opposant syndical type, « en prison », le 2 octobre 1940, époque où le secrétaire général de la CGT ne se rebellait pas contre Vichy[113].
Mais Guillemin établit clairement que Vichy fut le régime par excellence des trusts, affiché dès la « loi » (Vichy ne connut que le décret) « du 16 août 1940 » instituant « les “comités d’organisation” devenus aussitôt la proie des trusts » : c’est à cette fin que Barnaud, qu’il ne cite pas, avait au nom de la banque Worms, peaufiné ledit décret dont, selon l’habitude, Belin, ministre en titre de la production industrielle, n’avait été « qu’une signature »[114]. Ce décret synarchique, qui servit d’emblée les « trusts » autant que l’économie de guerre du Reich[115], fut complété par « une législation fiscale appropriée » facilitant « les fusions » par « l’exonération » fiscale du revenu des dividendes « distribués en faveur des “sociétés mères” qui possédaient 39% du revenu de leurs filiales ». Cette « législation », Guillemin ne le précise pas, dut beaucoup non seulement au grand synarque Bouthillier, ministre des Finances et collaborationniste de premier plan, mais aussi à son second, le directeur des Finances extérieures et des changes, le jeune (33 ans en 1940) et brillant synarque Couve de Murville. De Gaulle, bien disposé à l’égard des « élites » en ferait son ministre ou son ambassadeur tant à Alger, au Comité français de Libération nationale, qu’après la Libération puis à son retour aux affaires de 1958 à 1969.
Guillemin a cependant tracé la voie dans le décorticage du « mensonge de l’anticapitalisme officiel », démontré par l’ouverture des fonds de la Troisième République et de Vichy. Il retrouve dans ce chapitre sur l’ère de leur triomphe public et franco-allemand les synarques Pucheu et Lehideux, investis à la production industrielle, mis au service de l’économie du Reich, avant que Pucheu n’obtînt en juillet 1941 l’intérieur (cédant la PI à son ami Lehideux). La déclassification des archives a montré à quelles extrémités sa vieille haine du communisme avait conduit celui que Pertinax avait si justement qualifié d’« homme de sang »[116]. Tragique signe du temps présent, son tri entre syndicalistes, les bons, « anticommunistes », les mauvais, « communistes », remis dès le début de la résistance armée comme otages « aux “autorités d’occupation” afin, écrit Guillemin, d’en débarrasser le régime », lui vaut désormais les louanges. Dernier en date (en 2018) d’une collection d’ouvrages pieux, son dernier biographe et avocat (stricto sensu), particulièrement hagiographique, lui en fait une gloire, la haine anticommuniste tenant lieu d’impeccable « patriotisme »[117]. Tous les types de sources ont corroboré ce jugement de Guillemin : « Paradis! Pleins pouvoirs aux consortiums industriels et bancaires, et le Trésor, pour eux, grand ouvert! La défaite avait rapporté, cent pour cent, ce qu’on en attendait », et permis, ce qui seul comptait pour le grand capital, « de gagner gros »[118].
« Histoire militante »? Non, histoire factuelle, qui inscrit Guillemin dans la lignée très honorable des publicistes qui, sous l’Occupation ‑‑ soit clandestinement en France, soit réfugiés à l’étranger ‑‑, puis juste après la Libération, avaient étayé la thèse de la trahison. Certes, on trouve parfois chez ses précurseurs de l’Occupation, Marc Bloch, Pertinax, Pierre Cot, Schwob, Brugère et, pour certains, ses inspirateurs, plus de netteté dans l’analyse des préparatifs de la Défaite militaire et de la Dictature, qui fut, autant que celle de Pétain, celle du « clan-maître » des « hommes d’argent ». Trop bienveillant pour les « républicains » qui n’avaient défendu ni la République ni les frontières nationales, Guillemin a montré beaucoup de perspicacité dans le portrait des hommes des « trusts », des idéologues et publicistes collaborationnistes, et des sphères dirigeantes de l’armée. Il fait partie de ceux qui ont ouvert la voie à la recherche scientifique – qui n’est actuellement qualifiée de « militante » que parce que les réalités « de classe », que le notable républicain et antifasciste Guillemin avait mises en avant en 1945, ont été depuis quelques décennies délibérément chassées de la recherche académique. La chasse a entraîné des représailles contre les audacieux, même après leur décès : en témoigne éloquemment sa fiche Wikipédia, nourrie de l’avis de bien-pensants arbitrairement dotés d’autorité intellectuelle exclusive pour asséner leurs « critiques de l’œuvre historique »[119].
L’historiographie dominante française s’acharne
à ne pas suivre la trace que ces pionniers ont ouverte et que les archives de
l’avant-guerre et de l’Occupation désormais disponibles ont formellement confirmée.
Guillemin, jeune encore (il avait 42 ans en 1945), prend dignement place auprès
des précurseurs de l’Occupation. Et, bien que les fonds originaux sur 1940 soient
restés inaccessibles de son vivant, il a intensifié ensuite la recherche personnelle,
sur cette question comme sur d’autres, dans les ouvrages qui ont suivi cette importante
ébauche et dans les conférences qu’il a multipliées, des années 1960 aux années
1980. Onze ans après L’affaire Pétain,
Cette curieuse guerre de 70 fit progresser la compréhension
sur la Débâcle de 1940, qui ressemblait tant à celle de 1870. Combien de docteurs
d’État (a fortiori de diplomates)
peuvent-ils se flatter, depuis que Guillemin est décédé (1992) d’avoir en
vieillissant gagné en courage, en radicalité et en indépendance intellectuels aussi régulièrement que lui?
[1] La vérité sur l’affaire Pétain, Genève, Milieu du Monde, 1945, rééd., éditions d’Utovie, 1996
[2] Paris, Gallimard, 1990, 1e édition, 1946, et infra.
[3] Le célèbre ouvrage de Robert Paxton, La France de Vichy, Paris, Le Seuil, 1973 (traduction de celui de 1972), fut rédigé sans l’apport d’un document d’archive français : les refus de communication des Archives nationales contraignirent l’historien américain à n’étudier Vichy que sur la base des archives allemandes saisies sur place par l’occupant américain et centralisées à Washington.
[4] Le même Paxton déplora, dans une conférence d’octobre 1995 à Beaubourg, les refus systématiques de communication essuyés dans sa recherche sur Dorgères, ce que confirme la lecture, décevante, de Le temps des chemises vertes. Révoltes paysannes et fascisme rural, 1929-1939, Paris, Le Seuil, 1996.
[5] Bloch, Cahiers politiques, n° 8, « À propos d’un livre trop peu connu », L’étrange défaite, p. 253.
[6] Souligné et en majuscule dans le texte, F1 a 3309, correspondance générale octobre 1944-mai 1945 et dossiers individuels des ministres de Vichy, AN.
[7] Fonds nominaux de la Haute Cour de Justice, W 3, AN, et fonds RG, GA, Archives de la Préfecture de police (APP). Sur les suites, relevant de la farce, Lacroix-Riz, La non-épuration en France (1943-années 1950), t. 1, à paraître, Paris, Dunod-Armand Colin, 2019.
[8] Sources de mes deux ouvrages sur cheminement vers la Débâcle, Le choix de la Défaite : les élites françaises dans les années 1930, et De Munich à Vichy, l’assassinat de la 3e République, 1938-1940, Paris, Armand Colin, 2010, 2008, et de nombreux articles et communications.
[9] Voir archives dépouillées à l’appui de Choix, Munich, Élites françaises, Non-épuration Industriels et banquiers français sous l’Occupation, Paris, Armand Colin, 2013. Point sur l’historiographie dominante, L’histoire contemporaine toujours sous influence, Paris, Delga-Le temps des cerises, 2012, et « L’oligarchie française et le fascisme dans l’entre-deux-guerres : la synarchie contre la République, 1922-1940 », 3e partie : « De la thèse de l’immunité contre le “fascisme français” à la croisade contre Robert Soucy », Actes du colloque Journées sur les oligarchies, université Panthéon-Assas, 28 septembre 2018, à paraître dans la revue Droits, 2019.
[10] Dard, La synarchie ou le mythe du complot permanent, Paris, 1998, rééd. 2012, et « Mythologies conspirationnistes et figures du discours anti-patronal », Vingtième Siècle, n° 114, avril-juin 2012, p. 137-151.
[11] Paris, Armand Colin, 1933, bibliographie de Mornet, https://fr.wikipedia.org/wiki/Daniel_Mornet
[12] Travaux cités à la n. 9, et 1e édition d’Industriels, 1e partie, « Problématique, méthodologie et prolégomènes de la collaboration économique », dont chap. 1, « La collaboration économique en débat: concepts et sources », p. 3-39.
[13] Guillemin, Nationalistes et “nationaux”, 1870-1940, Paris, Gallimard, 1974, note du texte cité ici.
[14] François Broche et Jean-François Muracciole, Histoire de la Collaboration, 1940-1945, Paris, Tallandier, 2017, cité https://fr.wikipedia.org/wiki/Henri_Guillemin#cite_note-27, sous le titre « Critiques de l’œuvre historique ».
[15] Henri Guillemin et la Commune, le moment du peuple?, Bats, Utovie, 2017, dont « La défaite organisée de 1870 », p. 101-136, et https://www.initiative-communiste.fr/articles/culture-debats/video-1870-defaite-choisie-conference-dannie-lacroix-riz-lors-colloque-henri-guillemin-2016/
[16] Régulièrement cité par Guillemin, La vérité, dont p. 62-63.
[17] Monzie, Ci-devant, Paris, Flammarion, 1941, et infra; index de mes op. cit. et d’Élites françaises, 1940-1944. De la collaboration avec l’Allemagne à l’alliance américaine, Paris, Dunod-Armand Colin, 2016.
[18] Pierre Cot, Le procès de la République Éditions de la maison française, New York, 1944, 2 vol.
[19] Rapport Béteille, « relations de Pétain avec le CSAR », avril 1945, fonds Mornet, II, Bibliothèque de documentation internationale contemporaine (BDIC, désormais La Contemporaine). Sur Béteille, infra.
[20] Veni, vidi, Vichy, Paris, Calmann-Lévy, 1944, réédition éditions des Deux Rives, 1952Paris, Calmann-Lévy, 1944, réédition éditions des Deux Rives, 1952.
[21] Brugère, Veni, p. 135-136. Et, sur la base des sources, Lacroix-Riz, Le choix de la Défaite : les élites françaises dans les années 1930, Paris, Armand Colin, 2010; De Munich à Vichy, l’assassinat de la 3e République, 1938-1940, Paris, Armand Colin, 2008; et Industriels et banquiers français sous l’Occupation, Paris, Armand Colin, 2013. Jean-Baptiste Duroselle a relevé l’exception Brugère, L’Abîme 1939-1945, Paris, Imprimerie nationale, 1982, p. 187.
[22] En majuscule dans le texte.
[23] Guillemin, La vérité, p. 29-76, passim, citations, directes ou issues des « entretiens » (avec doubles guillemets), 30-33, en italique dans le texte.
[24] Le Seuil a aussitôt traduit (2012) son ouvrage de 2011, La fin. Allemagne 1944-1945 (The End: The Defiance and Destruction of Hitler’s Germany, 1944-1945), stupéfiant torrent de larmes sur les Allemands victimes de la barbarie et des atrocités de l’occupation soviétique fondé sur la littérature allemande irrédentiste.
[25] Kershaw, Hitler, 1889-1936, Flammarion, 1999, p. 11, avis tranché mais non étayé.
[26] Choix, index Schneider et Skoda.
[27] PV de la conférence des 9-10 septembre 1938, Documents on German Foreign Policy, D (1937-1945), vol. II, Germany and Czecoslovakia, 1937-1938, USGO, Washington, 1949, p. 727-730. Détail, Choix, p. 438-446, et, sur l’abandon de la Tchécoslovaquie, passim. L’affaire avait été définitivement bouclée entre Paris et Londres le 29 novembre 1937 (je dis bien trente-sept), ibid., p. 418-422.
[28] Mécanisme du pillage allemand sous l’Occupation (frais d’occupation et « clearing »), Industriels, « État et coût social de la collaboration », p. 25-26.
[29] Guillemin, Cette curieuse guerre de 70, Thiers, Trochu, Bazaine, 1e édition, 1956, réédition, Paris, Gallimard, 1960, et Henri Guillemin et la Commune, loc. cit.
[30] France And Munich Before And After The Surrender; The last days of Paris. A journalist’s diary; The twilight of France, 1933-1940, New York, Harpers & Brothers Publishers, Londres, Hamish Hamilton, 1937 1940, 1942, et Choix et Munich, index Alexander Werth.
[31] Guillemin, La vérité, citations, p. 33-36, 42-57, dont 50-51 sur « la tactique de l’éclat de rire » et Marx Dormoy. Démonstration archivistique sur ce dernier, Choix, p. 301 et 554.
[32] « Avant-guerre, la Cagoule a pu apparaître comme une menace sérieuse contre la République. En réalité, elle a été un épiphénomène, certes bruyant, sanglant, fascinant même pour une frange réactionnaire, mais elle ne fut en rien, ni en 1936, encore moins sous l’Occupation, une organisation politique d’envergure. Apparemment, son parfum de romantisme noir ne s’est pourtant pas totalement évaporé », Rousso, Libération, 31 mai 1991, « Les Cagoulards, terroristes noirs »; Dard, Les années trente, Paris, Le Livre de Poche, 1999, p. 162. Réalité, Choix et Vichy, passim.
[33] Rapport Béteille, « relations de Pétain avec le CSAR », avril 1945, fonds Mornet, II, BDIC.
[34] Guillemin, La vérité, p. 44-51, 63-66, souligné dans le texte.
[35] Schwob, L’affaire Pétain [Faits et documents, Éditions de la maison française], New York, 1944 [réédition éditions des Deux Rives, 1945].
[36] Guillemin, qui cite l’article « De Venizelos à Pétain », non daté, de Gustave Hervé, emprunté à Schwob, et L’enquête sur la monarchie de Maurras, de 1925, La vérité, p. 54-55 et n. 1 et 2, souligné et crochets dans le texte.
[37] Gilles Perrault, « Quand une défaite compte autant de parrains… Juin 1940 et l’occupation de la France », Monde diplomatique, août 2006, https://www.monde-diplomatique.fr/2006/08/PERRAULT/13759
[38] Note État-major (origine attestée par le papier et son en-tête, anonyme, 15 septembre 1938, N 579, Service historique de l’armée de terre, Vincennes, citée in Choix, p. 439-440.
[39] Dans sa n. 11 sur ce dossier La vérité, p. 99, Guillemin corrige partiellement les timidités que je recense plus loin. Noms cités, index Choix, Munich, Industriels.
[40] Base de l’interrogatoire par la direction générale des RG de la Sûreté nationale en juin 1945 de l’espion allemand Grimm sur ses rapports d’avant-guerre avec tous les membres ainsi recensés, Dautry compris, « Nouvelle interpellation », 14 juin 1945, F7 15327, Friedrich Grimm, APP.
[41] Dautry gommé de la liste dans le rapport Legat sur le CFA, 2 mai 1945, PJ 42, Brinon, APP. Voir Choix, p. 316 et Munich, p. 97.
[42] JO, 17 novembre 1944, GA, D 3, Dautry, dont le dossier RGPP a été vidé entre le 19 avril 1940 et cet extrait du JO, APP. Vrai Dautry, Choix et Munich, index.
[43] Longue mission entamée depuis Le docteur Ménétrel, éminence grise et confident du maréchal Pétain, Paris, Perrin, 2002 : voir « Troublante indulgence envers la Collaboration », feuilleton de quatre ouvrages : Denis Peschanski et Thomas Fontaine, La Collaboration Vichy Paris Berlin 1940-1945, Bénédicte Vergez-Chaignon, Pétain,Bernard Costagliola, Darlan. La collaboration à tout prix, Claude Barbier, Le maquis de Glières. Mythe et réalité, juillet 2015, p. 25, https://www.monde-diplomatique.fr/2015/07/LACROIX_RIZ/53208
[44] http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2018/11/07/01016-20181107ARTFIG00317-hommage-a-petain-le-vrai-heros-de-cette-guerre-c-est-le-poilu-dans-sa-tranchee.php (profusion d’articles à consulter en ligne) et, https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Yves_Le_Naour
[45] Guillemin, La vérité, p. 16-27, citation, p. 71.
[46] Brugère, Veni, réédition 1953 (origine de la pagination ci-dessous) : annexe n° 10, « Pétain jugé par ses pairs » et « Quelques jugements sur Pétain relevés dans les carnets du général Brugère », p. 182-184.
[47] Action allemande contre Barthou, Choix, index Barthou-Laval surtout au chapitre 5.
[48] Guillemin, La vérité, p. 36-37, 41, souligné dans le texte.
[49] « L’esprit tremble à lui prêter » dès cette décision de 1934 « le dessein » qu’atteste au contraire formellement la fameuse préface, Guillemin, La vérité, n. 1, p. 73-74. Une grande partie du livre montre que son « esprit trembl[ait] » moins que prétendu…
[50] Guillemin, La vérité, p. 58-62, 72-76, citations en italique et en majuscule dans le texte. Préface, 1938, ex. dac., 23 p., fonds Mornet, II, c) 3, « Écrits et discours de collaborateurs », BDIC, et http://archive.wikiwix.com/cache/?url=http%3A%2F%2Flignechauvineau.free.fr%2FPreface.htm. Entre autres bontés, la fiche Pétain parle de hausse des crédits par « le ministre de la Guerre » de 1934, puis, en 1935, au « Conseil supérieur de la guerre, [de] soutien[ à] la politique de guerre offensive promue par le colonel de Gaulle », https://fr.wikipedia.org/wiki/Philippe_P%C3%A9tain#cite_note-80. Texte si avantageux que Wikipédia l’a décrété « pas librement modifiable [par] les utilisateurs non[-]inscrits ou peu actifs sur le projet Wikipédia [qui] ne sont pas autorisés à modifier cette page jusqu’au 14 février 2019 environ », et surtout qui sont purement et simplement exclus des « discussions », procédure appliquée aux correcteurs déplaisant aux maîtres des fiches.
[51] Choix, passim, dont chap. 1-5.
[52] Frank Costigliola, Awkward Dominion: American Political, Economic and Cultural Relations with Europe, 1919-1933, Ithaca, Cornell University Press, 1984, passim; Lacroix-Riz, Le Vatican, l’Europe et le Reich de la Première Guerre mondiale à la Guerre froide (1914-1955), Paris, Armand Colin, 2010, chap. 5; Choix, chap. 1.
[53] Rapports du chargé d’affaires Curt Braüer, Munich et Choix (dont p. 505), index et notes.
[54] Guillemin, La vérité, « Préludes », passim, dont les aveux de Maurras, p. 53 et n. 2.
[55] Maurras. Le maître et l’action, Paris, Armand Colin 2013, pas de sous-titre en 1e de couverture, et référence suivante.
[56] Lacroix-Riz, « Apparences et réalités de la commémoration de Charles Maurras », 15-17 mai 2018, Lescrises.fr, https://www.les-crises.fr/de-charles-maurras-a-son-biographe-olivier-dard/; https://www.les-crises.fr/apparences-et-realites-de-la-commemoration-de-charles-maurras-2e-partie-une-commemoration-celebration-par-un-biographe-faisant-lunanimite-des-historiens-du-consensus/; https://www.les-crises.fr/de-lurgence-de-la-reedition-des-collabos-au-role-du-haut-comite-aux-commemorations-nationales-de-2011-a-2018/
[57] https://www.franceculture.fr/personne-olivier-dard.html ; on a hâte d’entendre la suite…
[58] Guillemin, La vérité, p. 53-54, en italique et en majuscule dans le texte. Repris à Pertinax, Fossoyeurs, II, p. 124, Micaud, The French Right and Nazi Germany, 1933-1939, New York, 1943, p. 224-225, citant L’Europe nouvelle du 28 juillet 1939, hebdomadaire où écrivait Pertinax (p. 242). Ma citation est celle de Micaud, ce qu’en a retenu Guillemin est ici en italique.
[59] Guillemin, Cette curieuse guerre de 70, et Henri Guillemin et la Commune, loc. cit.
[60] Guillemin, La vérité, p. 41 sq.
[61] Guillemin, La vérité, n. 1, p. 110.
[62] Cas général de ceux qui abdiquèrent, malgré la tenace légende inverse : Jean-Paul Enthoven, dans Le Point du 9 février 2012, décerne, sur la base de l’hagiographie de Nizan du psychiatre Yves Buin, des lauriers à ce héros rompant courageusement avec le communisme traître, et accable Aragon – « décidément, une canaille… » ‑‑ pour avoir, dans son roman Les communistes, décrit Nizan dans le « traître Orfilat », https://www.lepoint.fr/livres/paul-nizan-n-le-maudit-09-02-2012-1433593_37.php . L’anticommunisme ne valant pas compétence historique de principe, je conseille au critique littéraire, comme au psychiatre biographe, de consulter les archives diplomatiques et militaires françaises et internationales sur le fameux « pacte » ‑‑ qui ne fut pas « l’alliance de Staline avec le nazisme » (Choix et Munich) ‑‑ et les fonds F7, 14811 à 14814, enquêtes sur militants communistes, dossiers individuels, 1938-1940 (A-C; D-K; L-Q; R-Z) : tous sont plus honorables pour Georges Politzer et tous les emprisonnés que sur ceux qui fuirent les cachots « républicains ». Ceux qui vécurent au-delà de la guerre franco-allemande (Nizan « tomb[a] dans les Flandres », Guillemin, La vérité, n. 3, p. 110), sombrèrent dans la Collaboration (Munich, chap. 6, Élites, chap. 5; La Non-épuration, index Gitton. Et voir infra les aveux du Livre Jaune de Bonnet, en 1939.
[63] Que Guillemin ne date pas, 1940, édition Inter-France ; index Inter-France de tous mes op. cit.
[64] Guillemin, La vérité, p. 110-111.
[65] Guillemin, La vérité, p. 174 et 36.
[66] Munich, chap. 3, au titre erroné, p. 79-113, et chap. 6, « La guerre intérieure : “Les communistes mis à la raison” », p. 176-217, et « Événements intérieurs-extérieurs 28 septembre 1938-10 juillet 1940 », p. 376-382; Élites, chap. 5, La non-épuration, passim; et infra.
[67] Mémorandums von Bülow, Berlin, 25 novembre et 5 décembre 1933, Documents on German Foreign Policy (DGFP), C, II, p. 153 et 174-177.
[68] Le rapport général de la Commission d’enquête parlementaire qui siégea du 24 février au 8 mai 1934, intitulé Événements du 6 février 1934, Imprimerie de la Chambre des députés, 1934, est presque aussi explicite sur le Comité des Forges que les archives policières F7, AN, et APP.
[69] Pertinax, impitoyable pour Weygand, Les fossoyeurs, t. 2, p. 45 (in « Pétain et le mouvement contre-révolutionnaire », p. 7-144); t. 1, p. 45, et passim, dont « Paul Reynaud. Malheureux essai de dynamisme », t. 2, IV et VI.
[70] Depuis le début de ce paragraphe, Guillemin, La vérité, p. 57, 40, 61, 117-118, 121-122, 83-84. Ensemble des questions traitées ici, Choix, chap. 3, p. 122 sq.
[71] Guillemin, La vérité, p. 37, 42-43, et, obstiné dans l’erreur, p. 200; Briand, Lacroix-Riz, Choix; Vatican; Aux origines du carcan européen, 1900-1960, Le Temps des cerises-Delga, 2016, index Briand.
[72] Démonstration définitive, Fritz Fischer, Les Buts de guerre de l’Allemagne impériale 1914-1918, Paris, Trévise, 1970 (édition allemande, 1961).
[73] Guillemin, La vérité, p. 98-99; contre Choix, chap. 7-8, Munich, chap. 5 (dont p. 170), et index Blum. Sur son abandon de l’Europe orientale en général, de la Tchécoslovaquie en particulier, Nicole Jordan, The Popular Front and Central Europe : the dilemmas of French impotence, 1918-1940, Cambridge, Cambridge University Press, 1985
[74] Sur Spinasse, recruté en 1923, outre index des op. cit., « La direction de la synarchie (1922-années 1930) », La Raison, n° 562, juin 2011, p. 17-21, et « Léon Blum haïssait-il la finance? », 2e partie : « La ligne intérieure de Léon Blum du printemps 1936 à juin 1937 », Étincelles, n°36, février 2017, p. 32-38, et n°37, juin 2017, p. 13-37, http://www.historiographie.info/documents/partie2finance.pdf
[75] Guillemin, La vérité, p. 37, 42-43, 47.
[76] L’étrange défaite, p. 172-176. Noms dévoilés, Lacroix-Riz, « La défaite de 1940 : l’interprétation de Marc Bloch et ses suites », Scissions syndicales, réformisme et impérialismes dominants, 1939-1949, Montreuil, Le Temps des cerises, 2015, p. 14-29 (9-45).
[77] Choix, index Pierre Cot.
[78] Le procès de la République, éditions de la maison française, New York, 1944, 2 vol. Sur ses demi-aveux sur la trahison « républicaine », Munich, p. 63-70, 77, et Choix, chap. 6-11.
[79] XP 16, 25 mai 1945, F7 15549, AN. Détails, Lacroix-Riz, Munich, p. 64.
[80] Guillemin, La vérité, p. 50-52.
[81] Dépêche 229 de Welczeck, Paris, 1er mai 1938, DGFP, D, II, p. 253-254.
[82] Exemplaire, Elisabeth du Réau, Édouard Daladier 1884-1970, Paris, Fayard, 1993.
[83] Caricatural, Michel Catala, « L’ambassade espagnole de Pétain (mars 1939-mai 1940) », Vingtième siècle, n° 55, juillet-septembre 1997, p. 29-42.
[84] Sources diplomatiques et militaires françaises et allemandes, Munich, index Catala et Franco, Choix, index Franco, Pétain, Du Moulin de Labarthète, etc.
[85] Choix, chap. 7, dont p. 342-354, et Munich p. 144-148, et index Léon Bérard.
[86] Cette dernière citation, note Bonnet sur son entretien avec Welczeck, Paris, 1er juillet 1939, Livre jaune, Paris, Imprimerie Nationale, 1939, p. 205 (202-205), j’ai changé ici le temps des verbes, citation exacte, Munich, p. 126, chap. 3-6, et « Événements », loc. cit.
[87] Monzie, Ci-devant, Paris, Flammarion, 1941, entrées de septembre 1938, p. 32, 34 et 38, et Lacroix-Riz, « La défaite de 1940 », p. 25. Sur Monzie, index de tous mes op. cit.
[88] Monzie, Ci-devant, entrée du 30 mars 1940, p. 207, cité par Guillemin, La vérité, n. 1, p. 92.
[89] Ce qui précède, Guillemin, La vérité, p. 77-92, passim.
[90] Thibaut Tellier, Paul Reynaud, un indépendant en politique, 1878-1966, Paris, Fayard, 2005; pas « indépendant », Choix et Munich, index.
[91] Guillemin, La vérité, p. 93-111, 113-165, passim (trop de pages citées ici).
[92] Guillemin, La vérité, n. 1, 109, souligné dans le texte.
[93] Munich, chap. 7-8, dont estimation dans forces par le général en chef Gamelin, sa réponse du 29 février à la lettre 96 D.N. de Daladier, 13 janvier 1940 (mois et demi de délai, en pleine guerre théorique), souligné dans le texte, 5 N 580, Service historique de l’armée de terre (SHAT), p. 234 (233-238); et Choix, chap. 8-10. La « farce de Moscou » révéla crûment devant Vorochilov le néant franco-anglais, Munich p. 159-168, Choix, p. 484-505, et index Vorochilov.
[94] Indispensable, Guillemin, La vérité, p. 104-107.
[95] Référence de Guillemin à deux audiences Procès du maréchal Bazaine, cit. in Cette curieuse guerre de 70, p. 228-235 et « La défaite organisée de 1870 », p. 127-128 (101-136).
[96] Pertinax, Fossoyeurs, t. I, p. 322-325, réalité, stupéfiante, de la démission de Reynaud et de ses suites, Munich, p. 282-288 (264-288)
[97] La n. 2, p. 161, admet pratiquement son abdication.
[98] Guillemin, La vérité, passage final du chap. V, « 23 juin-11 juillet », p. 154-165, passim.
[99] RGPP, 27 novembre 1940, BA 1976, Laval, dossiers 1939-1945, APP.
[100] Introduction à la Contribution à la critique de La philosophie du droit de Hegel, en ligne.
[101] Guillemin, La vérité, p. 168-173, « M. Henri Guillemin », n. 1, p. 170, Marat, n. 1, p. 173-174, et ce chapitre VI, « Vichy », p. 167-207, passim.
[102] Le rédacteur de la note d’État-major du 15 septembre 1938 avait décrit « l’opinion française dindonnée » sans répit par les mensonges officiels, N 579, SHAT.
[103] Rapport Malvezzi à Ciano, Rome, 20 juillet 1939, Documenti diplomatici italiani, 8e série, XII, p. 466-467, cité in Munich, p. 143-144.
[104] Guillemin, La vérité, p. 175-178.
[105] Bloch, Cahiers, n° 8, « À propos d’un livre trop peu connu », L’étrange défaite, p. 253.
[106] Sur cette catégorie, Élites, p. 124-127.
[107] Voir index Industriels et Les élites françaises, 1940-1944
[108] Minutes du procès Pétain, Paris, Les Balustres-MRN, 2015, p. 389-398, dont ma « Mise en perspective du procès Pétain », p. 389-398.
[109] Guillemin, La vérité, très intéressante n. 1, p. 180.
[110] Guillemin, La vérité, p. 182-186, en italique et en majuscule dans le texte. Olivier Dard est un as de la censure par omission, voir la n. 56.
[111] Marc Bloch, L’étrange défaite, p. 193.
[112] Exemple caricatural de la fabrication de « la Charte du travail, fugace triomphe de la synarchie », Industriels, p. 601-603.
[113] Guillemin, La vérité, p. 189; voir Industriels et Élites, index Jouhaux et Belin.
[114] Lettre de Robert Lacoste (instrument patronal aussi synarque que Belin mais pas nazi), ministre de la PI, à ceux de la Justice et des Finances, 24 septembre 1945, W3, 57, AN, et index des op. cit.
[115] Industriels, passim, et Lacroix-Riz « Les comités d’organisation et l’Allemagne : tentative d’évaluation », in Hervé Joly, dir., Les comités d’organisation et l’économie dirigée du régime de Vichy, Caen, Centre de recherche d’histoire quantitative, Seconde Guerre mondiale, 2004, p 47-62.
[116] Pertinax, Fossoyeurs, t. 2, p. 240.
[117] Gilles Antonowicz, L’énigme Pierre Pucheu, Paris, Nouveau monde, 2018, passim, dont 2e partie, sur « le ministre »; sur le vrai Pucheu, index de tous mes op. cit., dont La non-épuration. J’y confronte la réalité de Pucheu aux déchirants sanglots des avocats (historiens) du héros crucifié par les rouges. Parmi les plus indignés, Jean-Paul Cointet, Expier Vichy : l’épuration en France (1943-1958), Paris, Perrin, 2008, et Bénédicte Vergez-Chaignon, entre autres dans son Histoire de l’épuration, Paris, Larousse, 2010,.index Pucheu, voire chapitres complets.
[118] Guillemin, La vérité, p. 192-193, avis démontré par les sources, cf. Industriels.
[119] https://fr.wikipedia.org/wiki/Henri_Guillemin#cite_note-27: pour ces « Critiques de l’œuvre historique » est même abusivement recruté … Patrick Berthier.