Avec l’autorisation de M. Denis Collin, professeur agrégé de philosophie et animateur du site La Sociale, www.initiative-communiste.fr publie cette analyse « in situ » des effets possibles de la réforme (dévastatrice) du lycée qui s’annonce
Il n’est pas toujours facile de comprendre ce qui sortirait de l’application du rapport Mathiot et les chiens de garde veillent au grain (y compris le SNALC définitivement rallié au pouvoir depuis qu’il a perdu une partie de ses effectifs). Certains font mine de croire que ce n’est qu’un rapport alors que Blanquer a annoncé que l’architecture ne changerait pas.
Il y aurait à faire des considérations terminologiques intéressantes. La LV1 n’existe plus, elle est remplacée par l’anglais et suivie non d’une LV2 mais de « la langue vivante ». Les langues anciennes ne figurent pas dans le répertoire (sauf peut-être dans les options) et les mathématiques s’appellent maintenant « mathématiques-informatique ». Ces détails (le diable est dans les détails) sont en eux-mêmes révélateurs. Comme est révélateur le fait que ce rapport reprend de nombreux éléments de la réforme Darcos (rejetée à l’époque) et … des propositions de « Terra Nova », un club qui servait de boîte à idées pour toute l’aile droite du PS.
Je vais essayer ici d’aborder le détail du projet et de montrer de quoi il s’agit en testant quelques cas.
Dans mon lycée, il y a actuellement 14 sections de terminale qui demandent 60 heures d’enseignement de philosophie. Parmi ces 14 sections, 3 sections de terminale littéraire avec 8 heures hebdomadaires. Avec le rapport Mathiot, les heures de philosophie feraient partie du « tronc commune » (unité 1) où 6 disciplines se disputent 12 heures d’enseignement. On peut donc estimer que la philosophie aurait 2 heures sur ces 12 heures. Pour mon lycée, cela ne ferait plus que 28 heures de philosophie par semaine. On peut donc supprimer 2 postes sur les 4 ! Admettons que, par extraordinaire, la philosophie bénéficie de 3 heures hebdomadaires, cela ferait 42 heures soit entre un poste et un poste et demi supprimé. Soyons fou ! Imaginons que l’on introduise la philosophie dans une majeure ou une mineure de l’unité 2. Imaginons que plus de 12 élèves choisissent cette majeure ou cette mineure, cela ferait encore 3 ou 4 heures de philosophie soit au total entre 45 et 46 heures. C’est toujours 15 heures de moins par rapport à la situation actuelle (un service d’agrégé, par exemple). Et c’est une hypothèse très optimiste car compte-tenu du nouveau mode dit d’orientation (en fait de sélection), les élèves sont invités à s’orienter en fonction des « attendus » des établissements d’enseignement supérieur. Quel élève choisirait une discipline pour laquelle les attendus « philosophie » seraient seulement ceux des UFR de philosophie et des CPGE littéraires (et encore, pas nécessairement) ? Dans le meilleur des cas, dans l’hypothèse la plus folle donc, seule une poignée d’élèves aurait 7 heures de philosophie au lieu de 8 aujourd’hui pour les 2000 classes de TL que comptent les lycées de ce pays. Pour tous les élèves des actuelles filières ES et S, le projet Mathiot détruit toute tentative de dispenser un enseignement élémentaire de philosophie. En tout cas, dans les hypothèses les plus optimistes, on aboutit à la suppression d’un quart des professeurs de philosophie. Tout cela au nom de la promotion de la philosophie « discipline universelle ». Le rapport Mathiot est un exercice terrifiant de « novlangue ».
Poursuivons. Il y a 3 classes de TES. En mathématiques, cela fait 15 heures auxquelles il faut ajouter 2 heures pour la spécialité, soit 17 heures au total. Avec le projet Mathiot, on pourrait avoir des SES/math et des SES/histoire-géo. Admettons que les maths disposent encore de 4 heures dans le premier cas auxquelles on pourrait ajouter une mineure de maths de 3 heures. On aurait encore 7 heures pour une classe. Imaginons une deuxième SES/math sans mineure math mais avec une mineure complémentaire SES par exemple et enfin une troisième SES/histoire-géo avec un mineure math, on arriverait à 14 heures de maths (au lieu de 17). Mais si on espère conserver les heures de mathématiques, cela ne pourra se faire qu’au détriment de l’histoire … ou des SES. Autrement dit, dans une hypothèse optimiste pour les professeurs des mathématiques, on perd des heures dans cette discipline (environ 20%) et on perd des heures en histoire-géographie et en SES. Il y a un autre problème : les classes préparatoires ECE ont un horaire et un programme de mathématiques assez robustes. Le nouveau bac soit restreindrait drastiquement les possibilités d’accès au CPGE soit demanderait une refonte radicale (à la baisse) des programmes de mathématiques dans ces CPGE.
Il y a des dizaines de combinaisons à tester et il est bien difficile de se faire une idée précise des variations horaires. Mais la tendance générale est parfaitement claire : une baisse drastique du volume des enseignements et le montage d’une véritable usine à gaz de disciplines au choix du client, privée de toute cohérence. Il n’y aurait plus de classes (et donc plus de conseils de classe !), plus d’unité de travail pour les élèves.
Cette réforme nécessite aussi la réécriture de tous les programmes et l’articulation des programmes des troncs communs, des majeures et des mineures ; bref, l’organisation du chaos dans les enseignements disciplinaires.
Enfin la réforme a des conséquences directes sur l’enseignement supérieur. Les CPGE auront le plus grand mal à recruter des candidats ayant un « profil » un tant soit peu cohérent et devront donc s’adapter au chaos. Et comme les CPGE préparent le recrutement aux grandes écoles, on voit que c’est à un dynamitage complet du système que veut procéder le ministre, ce qui n’est pas surprenant, puisqu’il n’a jamais caché que son objectif était bien de faire sauter le système.
Cerise sur le gâteau : le rapport Mathiot préconise une large autonomie des établissements dans l’offre des majeures et des mineures et même la possibilité de proposer des enseignements qui ne figurent pas dans le « catalogue » national. Fin du caractère national des diplômes et fin de l’ « éducation nationale ». Et pour ceux qui s’inquiéteraient de la baisse générale de niveau des élèves, il y a une réponse toute prête : recours massive au « numérique », c’est-à-dire à l’enseignement par vidéos (MOOC).
Il n’y a rien à garder de ce rapport. Il doit être rejeté en bloc et en détail, non seulement parce qu’il affaiblira dramatiquement le niveau des élèves mais parce qu’il liquide toute la philosophie généralement de notre système d’enseignement qui gardait quelques restes de la tradition humaniste. De ce point de vue, la discussion sur sélection ou pas sélection à l’Université est une question assez secondaire. La sélection est simplement un élément du dynamitage global du système éducatif. Il y a d’autres aspects sur lesquels on reviendra et qui ne sont pas moins graves.
Denis Collin – 1 février 2018
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Une interview de Blanquer donnée à « SOS éducation » et subrepticement supprimée du net :
« Il faut simplement une méthodologie de la réforme. » Qu’il développe ensuite :
« Pour commencer en douceur, il faut donner de la liberté à certains territoires, à certaines structures, sur la base du volontariat. Il faut faire réussir des initiatives à moindre échelle, avant de les généraliser.
Si on prend l’exemple de l’établissement autonome, on n’est pas obligé de le faire tout de suite à 100 %. Même en le voulant, de toutes façons, on n’y arriverait pas. Il faut commencer sur une petite base de 5 à 10 % d’établissements volontaires, montrer que c’est un jeu gagnant pour tout le monde, y compris pour les professeurs qui pourront choisir leur lieu de mutation. Par ailleurs, il faut aussi faire saisir qu’il y a des effets de système et que si un élément administratif est modifié, des éléments pédagogiques le seront aussi : si le recrutement des professeurs est modifié, leur formation le sera également, ainsi que le contenu des programmes. Tout se tient : il faut avoir une vision systémique, qui ne soit pas pyramidale et qui fasse confiance aux acteurs. »
Sur l’éventualité de voir apparaître « une offre scolaire autonome », M Blanquer explique : « Sans aller vers des logiques de privatisation, on peut aller vers des logiques de délégation, qui permettent d’accomplir mieux le service public en responsabilisant davantage les acteurs. »