Programmes de philosophie : (SE) DÉFENDRE (AVEC) MARX ET FREUD, UNE OBLIGATION POUR TOUS LES AMIS DE LA PHILOSOPHIE
La contre-réforme Blanquer ne signifie pas seulement le démantèlement du bac national, des filières scolaires, des disciplines universitaires et de l’Éducation « nationale », le tout sur fond de casse de l’emploi statutaire et d’alignement régressif de l’école publique française sur les normes européennes, voire anglo-saxonnes. Les contenus scolaires aussi sont attaqués dans toutes les disciplines sur la base d’une orientation générale franchement néolibérale et réactionnaire.
C’est pourquoi Initiative Communiste publie ci-dessous la tribune stimulante récemment parue dans Libé à propos de l’éviction de Marx et de Freud, plus exactement, de certaines notions qui permettaient assez directement de les aborder (le travail, conscience et inconscient…). Tout cela dans le cadre d’une déstabilisation générale de l’enseignement de la philosophie au lycée.
On lira aussi ci-dessous la lettre ouverte que la Commission philosophie de la revue ÉTINCELLES (organe théorique du PRCF) avait adressée il y a un an aux professeurs et aux étudiants de philosophie.
Georges Gastaud, professeur agrégé de philosophie.
Philo en terminale, exit Marx et Freud ?
Par Anaëlle Lebovits-Quenehen, membre de l’Ecole de la cause freudienne et de l’Association mondiale de psychanalyse, directrice de publication de la revue «le Diable probablement» — 15 avril 2019
Il est question que Marx et Freud disparaissent bientôt des programmes de philosophie de classe de terminale. La chose laisse perplexe. Marx et Freud sont (avec Nietzsche) les maîtres du soupçon qui, faisant rupture avec une longue tradition philosophique, ne mettent plus la conscience au cœur de leur pensée. Qu’on adhère ou non à leur abord du monde, tous deux ont, en cela, une formidable propension à éveiller l’esprit critique des jeunes générations. Et voici qu’à l’heure des grands débats, on les congédierait sans autre forme de procès ! Quelle mouche a donc piqué les auteurs de cette réforme qui devrait être entérinée par le Conseil supérieur des programmes (CSP) dans quelques jours ?
Sur le projet d’effacer Freud, risquons une hypothèse. Nul ne sait quels obscurs dédales cette réforme a empruntés avant de voir le jour. Seulement l’éviction de Freud trouve une singulière résonance avec les goûts du ministre Blanquer. On sait sa tendance à appliquer à l’Education nationale les idées de Stanislas Dehaene, qui fait du cerveau l’alpha et l’oméga de l’existence humaine. Songeons qu’il n’y a peut-être pas plus opposé à ce réductionnisme que la découverte freudienne de l’inconscient. Tandis que Stanislas Dehaene réduit l’esprit au cerveau, Freud avance, au contraire, que l’esprit se voit doublé de l’inconscient. Le réductionnisme du premier écrase l’esprit sur l’organisme ; la découverte du second lui fait gagner en profondeur, l’éveille, saisissant le mot d’esprit en ce qu’il a de plus vif. Mais il y a plus. Avec l’inconscient, Freud étend l’empire de la responsabilité plus loin qu’il ne l’a jamais été, puisque la responsabilité s’étend, avec lui, à l’inconscient y compris. Au contraire, rabattant l’esprit sur le cerveau, Stanislas Dehaene et ses amis réduisent la responsabilité à portion congrue puisqu’on ne saurait être responsable de son organisme et de son fonctionnement.
S’il est vrai que tout débat épistémologique débouche inévitablement sur un débat éthique, n’est-ce pas là que se situe l’enjeu véritable de la disparition de l’inconscient des enseignements de philosophie ? On peut le penser. L’enjeu est d’autant plus crucial que se sentir responsable de ce qui nous arrive dans l’existence est la condition sine qua non de tout acte qui porte à conséquence. A l’heure du triomphe du cerveau, exit Freud !
Quid de Marx ? Risquons une autre hypothèse. Marx inspire encore l’extrême gauche, qui n’a pas renoncé à son influence. Or notre gouvernement sait avoir de redoutables opposants dans les rangs de cette gauche – la chose s’est révélée dès la dernière élection présidentielle, bien avant que les gilets jaunes ne s’illustrent. Faire sortir Marx des programmes de philosophie serait-il une façon de répondre à ceux que Marx inspire encore ? Et si tel était le calcul, croit-on vraiment étouffer la révolte (pour celle qui vient de la gauche) en la privant des moyens de penser son action ? Si telle était bien la visée de cet exit, il attesterait surtout d’une naïveté confondante. Non, la révolte ne meurt pas quand on lui retire les moyens de penser, elle devient seulement plus violente qu’elle ne l’est déjà, et plus haineuse aussi. Si l’ignorance excite la pulsion de mort (cf. Freud encore), elle ne concourt certainement pas à inhiber les penchants révolutionnaires des révoltés. On peut en outre n’être pas marxiste et considérer l’importance d’un tel philosophe !
Mais cela mis à part, faut-il vraiment ne rien savoir de Marx qui est le penseur critique du capitalisme à l’heure de son triomphe ? Faut-il ne rien savoir de Marx à l’heure de la plus grande refonte managériale de l’Education nationale, à l’heure où le ministère demande aux communes de financer désormais les écoles maternelles privées au même titre que les maternelles publiques ? Cette réforme remplirait donc les classes d’élèves pour vider les savoirs de leur contenu !
Pour ce qui concerne le seul domaine de la philosophie, qui n’est pas le seul domaine touché par cette réforme – loin s’en faut -, le nombre d’heures d’enseignement baisse, le nombre d’élèves par classe augmente (35 en terminale), et deux notions cruciales disparaissent.
Qu’on réduise à néant (ou quasi) les apports de Marx et de Freud pour la jeunesse de France n’empêchera ni l’inconscient de se manifester ni la révolte d’aspirer à la révolution. «E pur si muove», «Et pourtant elle tourne», affirmait Galilée alors qu’il venait d’abjurer.
Combattant Marx et Freud, ce n’est pas la psychanalyse ou le marxisme que Jean-Michel Blanquer atteint, c’est l’esprit des Lumières. S’il veut combattre Marx et Freud, qu’à cela ne tienne, qu’il le fasse. Il existe pour cela la voie du débat d’idées, celle de la joute intellectuelle, celle qui voit des thèses s’affronter. Mais pour emprunter la voie du débat, il faut connaître, même a minima ce qu’on combat – la classe de philosophie ne permet en réalité rien d’autre que ce minimum qui est, en fait, une nécessité absolue. Sans cela, le débat d’idées vire à la haine. Et nous en avons déjà notre dose de la haine !
Emmanuel Macron se souviendra-t-il enfin qu’un très grand nombre de ses électeurs l’a porté au pouvoir pour que la haine promise par l’extrême droite ne nous gouverne pas ? Aidera-t-il Jean-Michel Blanquer à retrouver ses esprits, afin qu’ils portent secours à son cerveau ? Car Jean-Michel Blanquer allégeant les programmes et alourdissant les conditions de travail des enseignants atteste d’abord qu’il est entré en guerre contre l’intelligence.Anaëlle Lebovits-Quenehen membre de l’Ecole de la cause freudienne et de l’Association mondiale de psychanalyse, directrice de publication de la revue «le Diable probablement»
Lettre ouverte, aux amis de l’enseignement philosophique en France
commission philosophie de la revue Etincelles
* c’est assez débile cette révision sélective de l’Histoire ! Macron s’érige en censeur néo-libéral…
* Paru ce matin : Classement mondial de la liberté de la presse 2019: La France, patrie des droits de l’homme et grande donneuse de leçons se classe en 32ème position. Un vrai désastre ! Les pays scandinaves, la Suisse et les Pays-Bas en tête de classement.
https://rsf.org/fr/classement?fbclid=IwAR18WbFhxw9xMz2hKUAsUcbf-fFVmvGUFcdXrxAA6vFHg0pd2Raz_w2CaFk