Nous publions, ci-dessous, une Déclaration du Front Syndical de Classe
Une situation nouvelle
Incontestablement quelque chose de fort s’est produit à l’occasion des dernières municipales dans l’opinion ancrée réellement à gauche et parmi ses militants et les militants syndicaux en particulier.
Et une nouvelle situation en a résulté.
D’abord en raison des résultats marqués par notamment la perte de municipalités historiquement ancrées dans le camp progressiste, la remontée de la droite et la percée de l’extrême droite, comme par le niveau record de l’abstention signe de la désespérance et la colère des couches populaires.
Mais il y a plus : certes nombreux étaient ceux qui n’avaient aucune illusion sur Hollande et sa politique, mais constater que face à l’ampleur du désaveu populaire, Hollande persiste et signe et s’apprête en fait à aggraver cette politique contre les travailleurs, les sans emploi, les précaires et les retraités, a constitué un véritable choc, conformément aux plans européens de casse des droits et de financements publics des profits capitalistes.
Et a entraîné des réactions diverses et contradictoires.
Par exemple, comment qualifier les réactions de Thierry Lepaon à la manifestation du 12 avril intitulée « Maintenant ça suffit ! Marchons contre l’austérité, pour l’égalité et le partage des richesses ? » à l’appel de 200 personnalités, syndicalistes, animateurs de mouvements associatifs, acteurs très divers du monde de la culture, universitaires, responsables et élus de formations politiques de gauche ?
Cette manifestation se voulant une réplique immédiate à la volonté proclamée du pouvoir prétendument socialiste de poursuivre ses méfaits.
Une question majeure est posée dans la CGT
Au cours de la dernière commission exécutive de la confédération le mardi 1er avril, Thierry Lepaon a estimé qu’il fallait prendre « un peu de temps et de recul » pour tirer les enseignements des élections municipales et de la nomination de Manuel Valls à Matignon. « Ne brûlons pas l’étape de l’analyse » a-t- il précisé.
Et d’ajouter, s’inquiétant de la « montée des positionnements individuels, au détriment d’un positionnement collectif« , … « les organisations ont besoin d’autonomie, de réflexion, d’action, de positionnement mais on a besoin aussi de responsabilité et de cohérence« … « Je me mets à la place des gens qui vont regarder la télévision le soir du 12 avril, qui vont voir des banderoles et des drapeaux CGT dans le cortège et qui auront entendu Thierry Lepaon sur RTL ou vu sur France 2 dire : « la CGT n’appelle pas à la manifestation ». Je pense qu’on ajoute à la confusion et que des camarades se réfugient derrière le syndicat, la CGT, pour ne pas s’engager politiquement. »
C’est que plus de 30 militants et dirigeants de la CGT sont signataires de l’appel à la marche du 12 avril.
Thierry Lepaon se livre donc à un rappel à l’ordre, à la cohésion, à la cohérence, c’est-à-dire en fait exige l’alignement sur ses propres positions.
Mais qui menace en réalité la cohérence, le positionnement collectif, le respect des orientations décidées en commun au cours des congrès ?
La question s’est déjà posée en plusieurs circonstances récemment comme à propos de la rencontre avec le CRIF ou lors du débat sur « le nouveau visage du syndicalisme » organisé avec le MEDEF et Laurent Berger entre autre au Conseil économique et social ou avec l’entretien donné au « Nouvel économiste ».
Au point que de nombreuses organisations et militants ont interpellé T. Lepaon et qu’à l’unanimité, l’UD de Paris a estimé que « ces déclarations [au Nouvel Economiste où Lepaon en viennent à nier l’existence même de la lutte des classes, et donc à renier toute l’histoire des succès de la CGT] remettent en cause les fondements mêmes de la CGT« , s’interrogeant sur « sa conception du mandat de secrétaire général confédéral » et ajoutant « ce type de démarche peut-il perdurer ? ».
C’est une question récurrente et grave
La contestation de ces positionnements du secrétaire général s’étendant à de plus en plus de militants et de structures de la CGT comme le montre l’appel rendu public le 4 avril dernier dans l’Humanité signé par :
Jean–Marc Canon, Secrétaire Général de l’UGFF-CGT, Mireille Chessa, ancienne secrétaire de l’UD des Bouches du Rhône,Christophe Couderc, ancien secrétaire de l’UD de l’Ariège appelé à d’importantes fonctions au niveau national au sein de la fédération CGT des services publics, Christophe Delcourt, responsable CGT des finances publiques, Lina Desanti, secrétaire Union Départementale des Syndicats CGT de Tarn-et-Garonne, Pascal Joly, secrétaire général de l’URIF, Denis Lalys , le secrétaire général de la CGT des Organismes sociaux, Valérie Lesage, membre du bureau confédéral, Camille Montuelle, Secrétaire Générale de l’Union Départementale CGT 94, Daniel Sanchez, membre de la Commission Exécutive confédérale, Baptiste Talbot, secrétaire général de la Fédération CGT des Services Publics, Céline Verzeletti, Secrétaire Générale de la CGT Pénitentiaire, Gisèle Vidallet, Secrétaire général UD Haute-Garonne
Ce texte ci-après est important et témoigne de l’ampleur de ce qui bouge dans la CGT dans le sens d’une affirmation sans ambiguïté du caractère de classe et de masse de l’organisation.
Il aborde les questions de la caractérisation de la crise du système capitaliste, de la régression d’ampleur historique qui marque la politique du gouvernement socialiste, de la nécessité pour le monde du travail de passer à l’offensive, de la responsabilité particulière et historique du mouvement syndical, de l’entreprise considérée comme le cœur de la confrontation de classe et de l’affrontement des intérêts antagonistes du patronat et des travailleurs, de la stratégie unitaire du syndicalisme devant être fondée sur la volonté de retrouver la voie des conquêtes sociales, sur la défense farouche du fruit des luttes et donc sur le refus de négocier les conditions des reculs sociaux etc.
Toutes choses avec lesquelles nous sommes profondément d’accord et que nous mettons en avant depuis des années.
Toutes choses qui entrent en contradiction avec les orientations mises en avant par Thierry Lepaon.
De même qu’en matière de recherche d’unité, le refus catégorique de négocier les reculs sociaux impliqués dans l’ANI ou le pacte Hollande-Gattaz (dit de responsabilité) est incompatible avec la poursuite de l’alliance privilégiée avec les dirigeants de la CFDT qui eux sont partisans de ce pacte.
Alors pourquoi proposer de manifester coude-à-coude avec eux le premier mai prochain ?
Rajoutons qu’à notre sens, il est temps que la CGT prenne ses distances avec la CES qui par l’entremise de la CFDT notamment tente d’imposer en France ce qu’elle pratique en Europe : l’accompagnement de la politique du capital et de sa crise. Il s’agit parallèlement de renforcer les liens avec les forces offensives au plan international à l’instar de la Fédération de la chimie qui selon nos informations devait décider lors de son congrès, ces derniers jours d’adhérer à la FSM.
On le voit bien, nous sommes effectivement à un tournant dans la CGT.
Le débat d’orientation doit non seulement se poursuivre, les tendances à le refuser et à multiplier les mesures répressives contre ceux qui sont porteurs de réflexions critiques et de la volonté d’affirmer le caractère et les orientations de classe de la CGT doivent être condamnées.
Plus que jamais l’expression, le rassemblement des militant-e-s resté-e-s fidèles aux orientations qui plongent dans la riche et exaltante histoire de la CGT est à l’ordre du jour.
En conclusion de l’article récent du Monde consacré à ce qui se passe dans la CGT et parlant de trouble, se conclut sur la remarque : « Il y a en effet fort à craindre que ce trouble fragilise encore la CGT pendant quelque temps« .
A l’exact inverse, nous pensons que ces interrogations, réflexions, échanges confortent la CGT et la prépare à affronter les enjeux majeurs auxquels elle est confrontée, comme l’ensemble des travailleurs.
Le Front Syndical de Classe, 6 avril 2014
Publié dans l’Humanité le vendredi 4 avril
Contre l’austérité, pour l’égalité et le partage des richesses
Depuis plusieurs années, le contexte est dominé par la violente crise du système capitaliste. Elle trouve son origine dans l’accélération de la financiarisation de l’économie et la nécessité pour le capital de continuer de faire croître sa rémunération, au détriment du travail.
Elle engendre mise en concurrence des salarié-e-s, explosion du chômage et de la précarité, restructurations, délocalisations, casse du droit du travail, des services publics, de l’industrie, de la protection sociale, aggravation des conditions de travail.
Alors que la situation nécessiterait en France comme en Europe un projet ambitieux mettant en œuvre des politiques de rupture, nous vivons depuis mai 2012 une régression d’ampleur historique : une majorité se réclamant de la gauche prend le pouvoir et tourne immédiatement le dos à l’ambition du progrès social.
Non seulement l’alternance ne s’est pas traduite par des avancées sociales mais le président de la République et le gouvernement s’inscrivent dans la continuité des politiques d’austérité initiées par la droite, au profit du patronat et des possédants. Cela engendre colère, désillusion et défiance à l’égard du politique.
Comme le démontrent les municipales, ce climat délétère conduit en particulier à une montée de la droite la plus réactionnaire, de l’extrême droite raciste et xénophobe. Ces forces se nourrissent de la désespérance sociale et des renoncements de la majorité gouvernementale.
Elles comptent bien remettre en cause toute les conquêtes sociales des salariés et menacer la démocratie. Face à cette situation, les forces de progrès doivent passer à l’offensive. Dans ce cadre, les responsabilités du mouvement syndical sont particulièrement importantes. Le syndicalisme doit alimenter le débat au sein du monde du travail sur l’urgence et la possibilité d’opérer d’autres choix en matière économique, sociale et environnementale.
La manne des plus de 230 milliards d’euros de fonds publics dont bénéficient les entreprises constitue de ce point de vue un gisement considérable de moyens mobilisables pour une autre politique.
Il doit rassembler les salariés, retraités, jeunes et privés d’emploi pour construire les luttes et développer le rapport de forces indispensable pour en finir avec l’austérité. Cette construction doit s’opérer en premier lieu dans l’entreprise, au cœur de la confrontation de classe et de l’affrontement des intérêts antagonistes du patronat et des travailleurs.
Elle doit s’ancrer autour du travail et des enjeux dont il est porteur en termes de création et de partage des richesses, de conditions de vie des salariés, d’émancipation. Il y a urgence à rompre avec les logiques capitalistes qui nous ont conduits à la crise actuelle ! Militantes et militants de la CGT, nous sommes déterminé-e-s à œuvrer en ce sens.
C’est au nom des urgences sociales et économiques que dans plusieurs pays d’Europe, des forces de progrès s’unissent pour frayer une voie rassemblée face aux situations extrêmes vécues par les peuples. Cela nous conforte dans la recherche en France de ces voies de rassemblement. Ce n’est certes pas le chemin le plus facile mais renoncer serait laisser grande ouverte la voie aux stratégies d’accompagnement, au bénéfice du capital et de l’extrême droite, qui progresse partout sur le continent.
Nous estimons également indispensable de poursuivre la construction d’un syndicalisme de lutte et de transformation sociale progressiste, y compris en créant les conditions d’un rassemblement des organisations qui agissent dans ce sens.
Nous pensons que la stratégie unitaire du syndicalisme doit être fondée sur la volonté de retrouver la voie des conquêtes sociales, sur la défense farouche du fruit des luttes et donc sur le refus de négocier les conditions des reculs sociaux.
La bataille contre le pacte de responsabilité est de ce fait une priorité de la période et, en ce sens, nous réitérons notre attachement à la Sécurité sociale basée sur le salaire socialisé et la solidarité intergénérationnelle. Nous revendiquons l’indépendance du syndicalisme. Dans le respect du rôle et des prérogatives de chacun, nous jugeons incontournable de contribuer à la construction de ré- ponses politiques à la hauteur des enjeux.
La situation historique dans laquelle nous sommes appelle la mise en mouvement convergente de tous ceux qui veulent agir pour trouver une issue à la crise. Dans cette perspective, il y a urgence à développer le dialogue et les convergences entre le syndicalisme et les forces de gauche portant l’ambition de transformer la société.
Un tel dialogue et de telles convergences, arrimés au développement des luttes sociales et politiques, ont été la condition des grandes phases d’avancées sociales de notre histoire récente (conquêtes du Front populaire ; mise en œuvre du programme du Conseil national de la Résistance à la Libération ; avancées sociales du début des années 1980).
C’est à partir de cette vision des enjeux de la période que nous nous engageons dans l’appel à manifester le 12 avril sous le mot d’ordre « Maintenant ça suffit ! Marchons contre l’austérité, pour l’égalité et le partage des richesses«
Cet appel rassemblant personnalités et forces du mouvement social, associatif, politique et syndical est à nos yeux une étape importante pour rouvrir le champ des possibles et faire grandir l’ambition collective de la transformation sociale.
Appel collectif de syndicalistes (1). Pourquoi les salariés doivent-ils manifester le 12 avril ?
1. Les signataires : Jean-Marc Canon ; Mireille Chessa ; Christophe Couderc ; Christophe Delecourt ; Lina Desanti ; Pascal Joly ; Denis Lalys ; Valérie Lesage ; Daniel Sanchez ; Baptiste Talbot ; Céline Verzeletti ; Gisèle Vidallet.