Les événements dramatiques qui se sont produits à Paris début janvier interviennent dans un contexte de montée des extrêmes droites, de l’islam politique comme de l’islamophobie. Avec son aimable autorisation, www.initiative-communiste.fr publie cette tribune de Rémy Herrerra
lire à ce sujet le dossier spécial d’Initiative-communiste.fr
Liberté, liberté chérie, où sont tes défenseurs ?
Par Rémy Herrera, Chercheur au CNRS.
FAUDRA-T-IL PLUS DE SANG, DE RUINES ET DE MISÈRE ? UNE TROISIÈME GUERRE MONDIALE ?
Le président François Hollande l’a dit : la France est « en état de choc » et doit « faire bloc ». Soit. Il en va ainsi face à la barbarie. La barbarie, c’est d’assassiner l’enfant qui se rend à l’école, c’est d’abattre le passant qui n’aurait pas la « bonne religion », c’est de forcer les portes d’une salle de rédaction pour y tuer des journalistes parce que ce qu’ils écrivent, ou dessinent, déplaît. C’est pourquoi, face à cette barbarie-là,
tant de Français veulent que leur pays continue à placer si haut dans ses propos la question des
libertés de conscience et d’expression, celle de la laïcité, celle de l’éducation. Et ils seront nombreux, très
nombreux à être tout à fait résolus à ne pas reculer d’un pouce face aux attaques subies par ces principes progressistes. Rassembler contre le fanatisme religieux et son obscurantisme moyenâgeux est chose aisée. Bien plus difficile en revanche – surtout sous le coup de l’émotion devant l’horreur, dans une certaine confusion peut-être aussi qui voit l’ami et l’ennemi politiques soudainement côte à côte et offre l’opportunité de récupérations – est de s’entendre sur l’interprétation de ces événements dramatiques. Tant sur leurs causes, ou les responsabilités ultimes et multiples, que sur les conséquences à tirer ou les solutions qu’il paraîtrait souhaitable d’explorer.La France attaquée… mais quelle France?
Car le fait est que cette tragédie a eu lieu en France. Et certainement pas par hasard. Cette France qui, il y a fort longtemps certes, accoucha d’une révolution si grande qu’elle a laissé des traces ineffaçables, irréversiblement positives, et dont les principes fondamentaux sont issus : liberté d’expression, inscrite déjà dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et poussée loin ; laïcité, pour laquelle il a fallu lutter plus d’un siècle encore après 1789 afin qu’elle structure la société ; éducation publique, bien sûr, gratuite, obligatoire, mur porteur de la République. Un pays où le racisme a (avait ?) reculé – et d’abord dans les quartiers les plus populaires, dans les familles les plus pauvres, les plus mélangées, antiracistes, et pourtant les moins bien traitées par nos gouvernants. Pays où l’on voit (voyait ?), partout et toujours, les cultures, couleurs et religions se brasser, le « métissage » progresser, plus qu’ailleurs en Europe. Un pays qui sut (saura ?) accueillir des générations d’étrangers, tous réputés « problématiques » en leur temps, mais finalement « intégrés », et qui peut, qui doit s’en enorgueillir. Un pays qui compte et la plus forte «communauté musulmane » et la plus forte « communauté juive » de l’Union européenne. Un pays où il n’est peut-être pas totalement inimaginable qu’un jour les luttes de masse, tournées vers le progrès social à l’intérieur et vers la solidarité avec les peuples du Sud à l’extérieur, se mettent à nouveau en mouvement. N’est-ce pas également ce que cette France-là peut représenter aux yeux du monde que ces fanatiques religieux ont frappé ?
La liberté d’expression… pour mieux se taire?
Est-ce un hasard si les coups portés contre cette même France, celle que nous voulons, celle de tous les combats anti-esclavagistes, anticolonialistes, anti-impérialistes, antifascistes, celle qui est à l’heure présente confrontée au défi de réinsuffler les valeurs de progrès (du programme du Conseil national de la Résistance) tout en bâtissant une société de tolérance, est-ce vraiment un hasard si ces coups proviennent aussi des politiques néolibérales actionnées par les puissances de l’argent ? Voilà bientôt un demi-siècle que ces politiques, par leurs idéologues, se déchaînent contre la raison des Lumières, calomnient l’héritage révolutionnaire – Robespierre, qui abolit les privilèges et l’esclavage, sera le premier des « terroristes » ! –, abandonnent l’école aux marchés et aux chapelles confessionnelles, vendent les services
publics pourtant indispensables à l’exercice de la citoyenneté, bradent la souveraineté nationale, attisent les communautarismes et leurs haines, criminalisent la révolte dès qu’elle n’est plus pro-systémique ou manipulable ? Telle est la ligne de la finance ; tel sera le dogme des médias dominants qui lui appartiennent. Pour faire l’opinion, ou plutôt la formater. Quelle est cette liberté dont parlent brusquement les porte-paroles des oligopoles financiers, marchands d’armes, milliardaires « philanthropes » ? Se borne-t-elle à la bêtise télévisée de ces chroniqueurs économico-politico-sportifs rétrogrades rivalisant de provocations
? Est-ce la portée espérée du débat démocratique ? Juste la longueur de la laisse du chien de garde rageur qui aboie pour plaire à son maître et mériter sa pâtée ?
S’agit-il de défendre la liberté d’un système qui fait aujourd’hui le silence sur les exactions de l’armée ukrainienne au Donbass, tout comme hier sur le dépècement de la Yougoslavie par l’Otan ? Et les cris des enfants déchiquetés de Gaza ? Libérés, ces médias déversant leur flux incessant de propagande contre les avancées révolutionnaires latino-américaines ? Librement informé, le citoyen à qui l’on ne dit rien (ou presque) sur les innombrables victimes des guerres qui mutilent le monde arabo-musulman depuis la guerre du Golfe – en fait depuis la fin de l’URSS? Même pas quand ces victimes, évidemment usulmanes le plus
souvent, et parfois journalistes, sont exécutées par des fondamentalistes salafistes…Des responsabilités… équitablement partagées?
Ce sont ces puissances de la finance, à qui obéissent nos médias dominants, qui poussent depuis vingt-cinq ans le gouvernement des États-Unis dans une logique de guerre militaire permanente. Ce sont elles que les dirigeants français, atlantistes de tous bords, ont renoncé à combattre pour accepter de se soumettre à leur folie destructrice. Elles qui, pour maintenir l’ordre si violemment inégalitaire qu’elles imposent au monde, ont besoin de retourner contre les peuples du Sud – et de l’Est – les travailleurs du Nord, contre lesquels elles mènent pourtant une guerre sociale. Ce sont ces puissances qui, au fond, sont responsables de cette barbarie aux mille créatures. Ces créatures, devenues des démons, sont leurs. Talibans que les services étasuniens ont couvés, formés, jetés contre les communistes afghans appuyés alors par les Soviétiques. Intégristes du FIS égorgeant en Algérie, mais disposant de bureaux à Washington. Aqmi semant la terreur au Mali, mais surgie du chaos où la France (du président Sarkozy) plongea la Libye de Mouammar Khadafi – autocrate et rempart contre l’intégrisme à la fois. Dae’ch maintenant, fruit empoisonné de l’invasion de l’Irak de Saddam Hussein – autocrate, et anti-intégriste – par les États-Unis, mais aussi fruit de l’aide militaire de la France – du président Hollande cette fois – aux « opposants modérés du régime syrien » (Al-Nosra jusque fin 2012 ?) et du soutien de l’Arabie Saoudite et du Qatar, bailleurs de fonds du terrorisme et alliés des États-Unis et de la France (et donc d’Israël). Ces créatures ont servi et servent l’intérêt commun des impérialistes. Pas partout ni toujours, évidemment, mais moult fois et en maints endroits. Pourquoi ne le serviraient-elles pas encore à l’avenir, d’une autre manière ? Par exemple, en gagnant à leur cause guerrière la majorité des classes populaires du Nord ? C’est là toute l’utilité des « dérapages » islamophobes actuels. Faudra-t-il alors une guerre contre l’Iran, quand ses pasdarans sont, avec les peshmergas kurdes (et bien sûr les combattants du PKK, considérés comme des « terroristes » par la Turquie de Recep Tayyip Erdogan, et Bruxelles à sa suite), les plus efficaces à stopper la marche de Dae’ch ? Faudra-t-il s’acharner, en Syrie, contre un autre autocrate, luttant lui aussi contre l’intégrisme ? Une guerre ouverte au Yémen, au Pakistan ? Et après ? Une autre encore en Russie ? En Chine ? Faudra-t-il plus de sang, de ruines et de misère ? Une troisième guerre mondiale ? Laisserons-nous saccager le globe tout entier pour que quelques possédants continuent à nous asservir ? Combien d’« erreurs » va-t-on reconnaître après coup, combien de morts va-t-on compter, pour comprendre ? Ces voix sont celles de la déraison ; cette voie est celle du chaos. Il ne se trouve pas en France « libre », « démocratique », « civilisée », ni dans le Nord en général, un seul canal de télévision suffisamment progressiste et alternatif – du type
Tele Sur en Amérique latine, par exemple –, pour tolérer l’exposé argumenté, justifié, prolongé, répété d’un appel de paix qui tiendrait en ces mots : non aux guerres impérialistes, non aux injustices capitalistes qui sont à leur origine, non aux racismes qui en sont les effets !Publié également par la revue Afrique Asie dans son numéro de février 2015