L’Amérique s’impose de plus en plus comme une puissance tératologique et apocalyptique, illustrant une destinée de violence depuis presque deux siècles maintenant. En guerre elle donne Hiroshima, l’Irak ou le Vietnam, en culture les Tortues Ninja, Madonna ou Lady Gaga, en économie inégalités et dettes, des zones zombies ou la hideuse guirlande des Urban Sprawls (prolifération cancéreuse et géométrique des banlieues) qui défigurent le monde, et que le grand essayiste et écologue Dean Kunstler a brillamment dénoncé.
Dean Kunstler parle d’une économie hallucinée; on peut dire que le militarisme américain est aussi halluciné, qui propose aux Européens une extermination sous anesthésie pour cet été — car où est passée l’opinion publique susceptible de réagir ici ou là, où est passé le gouvernement européen susceptible de demander aux Américains d’arrêter leur délire? Je me souviens des manifestations menées par nos partis communistes en Occident, et qui rassemblaient 300.000 personnes, ou même des manifestations européennes contre la guerre en Irak…. Aujourd’hui personne ne réagit.
Mais en Asie aussi, la Thaïlande, les Philippines, d’autres Etats vassaux et corrompus, quadrillés par les bases US, promeuvent cette idée d’une guerre d’influence contre la Chine.
Faisons quelques rappels pour situer notre lecteur.
Tocqueville a recensé les désastres humains et culturels qui allaient venir d’Amérique (l’argent, le messianisme, le féminisme, le racisme, les médias aux ordres, la vulgarité…). Et alors que l’Amérique est encore loin de tout, il consacre plusieurs chapitres à la question militaire en « démocratie » américaine (Tome II, Troisième partie):
« De toutes les armées, celles qui désirent le plus ardemment la guerre sont les armées démocratiques. (…). On peut donc dire d’une manière générale que, si les peuples démocratiques sont naturellement portés vers la paix par leurs intérêts et leurs instincts, ils sont sans cesse attirés vers la guerre et les révolutions par leurs armées. »
Puis Tocqueville se fait encore plus inquiétant:
« Il y a deux choses qu’un peuple démocratique aura toujours beaucoup de peine à faire: commencer la guerre et la finir… (…) Il n’y a pas de longue guerre qui, dans un pays démocratique, ne mette en grand hasard la liberté. »
Deux éléments importants sont soulignés par le grand analyste français:
D’abord les Américains n’aiment pas faire la paix — ou la bâclent du mieux qu’ils peuvent. Du Traité de Versailles en 1919 en passant par le Vietnam ou la Guerre Froide après 1945 et l’actuelle ébullition russophobe et antichinoise, ils se livrent à la « guerre perpétuelle ».
Deuxièmement, Tocqueville voit que la guerre mettra fin aux libertés, comme l’a fait la guerre contre le terrorisme (cet EGM, être généré médiatiquement) à partir des années 90 ou du 11 septembre; la fascisation américaine peut être datée de Clinton, mais Chesterton la voyait poindre au cœur des années vingt: lynchage des noirs, chasse au facies (pas de juif, d’italien ou de balkanique en Amérique!), chasse au bolchevik-anarchiste, chasse enfin au buveur de bière ou de vin rouge…
Voilà où nous en sommes deux siècles après Tocqueville, quand les vassaux et les politiciens choisis (un politicien européen n’est plus élu, il est choisi, a déclaré un historien américain) vont accepter leur ruine avec un bel esprit de renoncement et dans l’indifférence d’une opinion publique momifiée. Les prétextes incriminés relèvent de la plus criante hypocrisie, hypocrisie qui existait déjà à l’époque de Rudyard Kipling ou Jules Verne quand on envahissait et pillait un pays pour les mêmes éhontés prétextes humanitaires. On évoque souvent l’hypocrisie de cette civilisation « démocratique » anglo-saxonne; l’analyste anti-impérialiste Hobson parlait en 1900 d’inconsistance de l’esprit humanitaire et impérial britannique. Peu cher payé pour les camps de concentration des Boers…
On pourra enfin rappeler une chose: ces démocraties se pensent meilleures, mais elles ne sont meilleures que parce qu’elles ont gagné leurs récentes guerres. Robert McNamara, dans Le Brouillard de la Guerre, le rappelle: « si nous avions perdu en 1945, nous aurions mérité d’être pendus. »
Il fut un temps où les démocraties prenaient plus de gants. On avait peur du péril jaune, du péril rouge, mais aujourd’hui on n’a même plus besoin de prétextes. L’Europe devient une colonie d’esclaves au service de l’étranger ou du bankster américain. A ce titre, elle et sa population sont « expendable », liquidables sur un champ de bataille ou dans une salle de marché. On fait confiance à la télé et aux ordinateurs pour anesthésier tout le petit monde.
Je pense au grand écrivain américain Gore Vidal; dans son beau pamphlet sur la guerre perpétuelle US, il écrivait:
« La junte du Pentagone en charge de nos affaires a programme son président pour nous dire que Ben Laden était un maléfique qui enviait notre bonté, notre richesse et notre liberté. »
Gore Vidal recense après 200 opérations militaires US de 1960 à 2000 puis il fait le lien entre la cruelle oligarchie boursière des années Clinton-Bush et la militarisation de la politique US devenue ultra:
« L’administration US, à peu près inepte dans tous les domaines sauf dans l’exemption des impôts pour les plus riches, a déchiré tous les traités auxquels les nations civilisées souscrivent, les accords de Kyoto, puis les accords nucléaires avec la Russie. »
Enfin, Vidal rappelle ce que c’est qu’un terroriste. Et ce n’est pas pour lui un fou d’Allah:
« Selon le dictionnaire d’américain d’Oxford, le mot terroriste désigne un supporteur des Jacobins, qui défend et pratique la Terreur, soit la répression et le bain de sang dans la propagation des principes de démocratie et d’égalité. »
Le grand romancier de conclure: la plupart des terroristes actuels se trouvent dans nos gouvernements occidentaux.