Problèmes de démocratie ? « Il faut plus d’Europe ». Problèmes d’intégration ? « Il faut plus d’Europe ». Problèmes économiques ? « Il faut plus d’Europe ». Problèmes sociaux ? « Il faut plus d’Europe ». Le mot Europe est devenu un vrai joker. Lorsqu’on manque de quelque chose, il suffit d’ajouter le mot Europe et le discours devient subitement cohérent.
Chacun d’entre nous peut donner le sens qu’il souhaite au mot Europe. De toute manière, aucun dictionnaire ne peut en donner une signification exacte si ce n’est la définition géographique.
Qu’est-ce que l’Europe ? Évitons, faute de temps, de retracer les derniers millénaires d’histoire et limitons-nous uniquement au XXème siècle et aux premières années de ce XXIème siècle.
Dans la seule première moitié du XXème siècle, l’Europe du capital a déclenché les deux pires guerres que notre planète n’ait jamais connues : la Première et la Seconde Guerre mondiale. Au cours des années suivantes, sans nous arrêter sur les politiques coloniales menées et encore appliquées par certains pays européens, l’Europe a été le terrain d’affrontements entre deux pays non européens, les États-Unis et l’Union soviétique. Les États-Unis ont lancé le plan Marshall puis la machine militaire de l’OTAN pour placer l’Europe de l’ouest dans leur sphère d’influence, obligeant l’URSS (qui souhaitait à l’origine une zone-tampon constituée d’États neutres et démilitarisés entre elle et la France) à créer un glacis de pays socialistes, puis le pacte de Varsovie.
Avec la chute de l’Union Soviétique, l’Union européenne a pris un malin plaisir à faire exploser un des États européens les plus complexes, la Yougoslavie. Les bombardements et les massacres commis avec l’assentiment voire la collaboration active de nos « amis étasuniens » ont créé les bases culturelles d’une Europe qui se rapproche de celle du XXIème siècle.
La déstabilisation concomitante de toute une région a engendré le processus de balkanisation de toute une région et attisé les haines, ethnique et religieuse. Une « victoire » à mettre au crédit de l’Europe du capital…
Derniers exemples en date : la Libye et les bombardements qui ont mis fin aux progrès économiques initiés par la Jamahiriya, la tentative de déstabilisation de la Syrie (à des fins humanitaires, cela va de soi…) ou encore l’appui des nazis et des fascistes ukrainiens qui massacrent leur propres concitoyens dans l’est du pays pour rendre service à quelques fanatiques occidentaux.
Dans les moments de grande difficulté interne, le comportement européen est encore plus embarrassant. Un pays (par exemple la Grèce) souffre économiquement ? Ce sera le moment de se présenter sur place en position de force et de le contraindre à brader son propre patrimoine. Un pays est en difficulté face à l’afflux de migrants qui fuient « l’arrivée de la démocratie » apportée par les États-Unis et l’Union européenne ? Laissons-le se débrouiller. Et, depuis une quelconque conférence de presse dans un quelconque palais de verre à Strasbourg ou Bruxelles, nous l’accuserons de nazisme et de fascisme puisqu’il doit affronter seul un problème plus grand que lui.
Honnêtement, quelle Europe souhaitons-nous maintenant ? Une Union Européenne supranationale « sociale » qui n’existe pas à l’évidence, ou une construction internationaliste qui laisse à chaque Nation sa souveraineté (comme le fait l’ALBA en Amérique Latine !) en poursuivant l’œuvre des humanistes, du refus de la guerre impérialiste porté par Jaurès et les bolcheviks, de la Révolution russe (que Lénine lui-même présentait comme une sortie de l’Asie, à l’époque totalement arriérée, et une entrée dans l’Europe des Lumières), de la résistance antifasciste et de l’anticolonialisme.
Imaginez si un Australien se réveillait demain avec l’idée saugrenue qu’il faille plus d’Océanie… Tout le monde se demanderait à quoi cela servirait. Il serait peut-être temps, lorsqu’on entend la fameuse ritournelle selon laquelle « il faudrait plus d’Europe », de se demander de quelle Europe il s’agit au juste.
Capitaine Martin