Qui est à l’origine du terrorisme islamiste ? La question est importante à l’heure où les attentats se multiplient dans le monde, en Afrique, en Asie et en Europe. Qui est derrière ces terroristes islamistes, ces fous de dieu d’Al Quaïda ou de Daesch ?
Aux origines des mouvements terroristes islamistes, il y a l’impérialisme américain. En 1965 déjà, en Indonésie, c’est sur les mouvements islamistes radicaux et réactionnaires que le gouvernement américain s’est appuyé pour renverser le président Sukarno et placer à la tête du plus grand pays musulman du monde un sanguinaire pouvoir fasciste, la dictature du général Soeharto qui s’est maintenu jusqu’au milieu des années 1990. Les conséquences ont été terribles avec le génocide de 3 millions de communistes ou supposés tels en Indonésie en 1965-1966 et leurs persécutions jusqu’à aujourd’hui, mais également le génocide du peuple du Timor Leste.
En 1979 alors que les États-Unis viennent de perdre la guerre du Vietnam et se voient privés de la dictature du Shah en Iran, ils financent et arment massivement les premiers groupes terroristes « islamistes » en Afghanistan : Ben Laden, Al Quaida sont ainsi une création américaine. La guerre civile qui s’en suit en Afghanistan oblige le gouvernement de Kaboul à faire jouer ses accords de défense avec l’URSS et l’intervention de l’armée rouge. À partir de ce moment, les USA renforcent tant et plus leurs soutiens aux moudjahidin. Le résultat sera la chute du gouvernement laïque remplacé par une dictature islamique, les Talibans.
À la fin des années 1990, afin de faire exploser la Yougoslavie, c’est également sur les islamistes que les États-Unis et l’Union Européenne parient en Bosnie, provoquant là aussi une guerre sanglante. Puis en Libye c’est encore sur les islamistes que les États-Unis s’appuient pour semer le chaos dans le pays et faire chuter le pouvoir de Kadhafi dont le tort n’était pas son pouvoir autoritaire mais de refuser d’obéir à l’impérialisme américain. Dans le Golfe, au Pakistan, les États-Unis soutiennent par ailleurs les dictatures et autres monarchies absolues qui sont les principaux bailleurs de l’intégrisme islamique et du terrorisme islamique international.
« Oui la CIA est entrée en Afghanistan avant les Russes »
Le Nouvel Observateur : L’ancien directeur de la CIA Robert Gates l’affirme dans ses Mémoires : les services secrets américains ont commencé à aider les moudjahidin afghans six mois avant l’intervention soviétique. À l’époque, vous étiez le conseiller du président Carter pour les affaires de sécurité. Vous avez donc joué un rôle clé dans cette affaire ? Vous confirmez ?
Zbigniew Brzezinski : Oui. Selon la version officielle de l’histoire, l’aide de la CIA aux moudjahidin a débuté courant 1980, c’est-à-dire après que l’armée soviétique eut envahi l’Afghanistan, le 24 décembre 1979.
Mais la réalité gardée secrète est tout autre : c’est en effet le 3 juillet 1979 que le président Carter a signé la première directive sur l’assistance clandestine aux opposants du régime prosoviétique de Kaboul. Et ce jour-là j’ai écrit une note au président dans laquelle je lui expliquais qu’à mon avis cette aide allait entraîner une intervention militaire des Soviétiques.
Le Nouvel Observateur : Malgré ce risque vous étiez partisan de cette « covert action » (opération clandestine). Mais peut-être même souhaitiez-vous cette entrée en guerre des Soviétiques et cherchiez-vous à la provoquer ?
Zbigniew Brzezinski : Ce n’est pas tout à fait cela. Nous n’avons pas poussé les Russes à intervenir, mais nous avons sciemment augmenté la probabilité qu’ils le fassent.
Le Nouvel Observateur : Lorsque les Soviétiques ont justifié leur intervention en affirmant qu’ils entendaient lutter contre une ingérence secrète des États-Unis en Afghanistan, personne ne les a crus. Pourtant il y avait un fond de vérité. Vous ne regrettez rien aujourd’hui ?
Zbigniew Brzezinski : Regretter quoi ? Cette opération secrète était une excellente idée. Elle a eu pour effet d’attirer les Russes dans le piège afghan et vous voulez que je le regrette ? Le jour où les Soviétiques ont officiellement franchi la frontière, j’ai écrit au président Carter, en substance : « Nous avons maintenant l’occasion de donner à l’URSS sa guerre du Vietnam. » De fait, Moscou a dû mener pendant presque dix ans une guerre insupportable pour le régime, un conflit qui a entraîné la démoralisation et finalement l’éclatement de l’empire soviétique.
Le Nouvel Observateur : Vous ne regrettez pas non plus d’avoir favorisé l’intégrisme islamiste, d’avoir donné des armes, des conseils à de futurs terroristes ?
Zbigniew Brzezinski : Qu’est-ce qui est le plus important au regard de l’histoire du monde ? Les talibans ou la chute de l’empire soviétique ? Quelques excités islamistes ou la libération de l’Europe centrale et la fin de la guerre froide ?
Le Nouvel Observateur : Quelques excités ? Mais on le dit et on le répète : le fondamentalisme islamique représente aujourd’hui une menace mondiale.
Zbigniew Brzezinski : Sottises. Il faudrait, dit-on, que l’Occident ait une politique globale à l’égard de l’islamisme. C’est stupide : il n’y a pas d’islamisme global. Regardons l’islam de manière rationnelle et non démagogique ou émotionnelle. C’est la première religion du monde avec 1,5 milliard de fidèles. Mais qu’y a-t-il de commun entre l’Arabie Saoudite fondamentaliste, le Maroc modéré, le Pakistan militariste, l’Egypte pro-occidentale ou l’Asie centrale sécularisée ? Rien de plus que ce qui unit les pays de la chrétienté.
———————————————–
(1) “From the Shadows”, par robert gates, Simon and Schuster
(2) Zbigniew Brzezinski vient de publier “Le Grand Échiquier”, Bayard éditions
Question: The former director of the CIA, Robert Gates, stated in his memoirs [“From the Shadows”], that American intelligence services began to aid the Mujahadeen in Afghanistan 6 months before the Soviet intervention. In this period you were the national security adviser to President Carter. You therefore played a role in this affair. Is that correct?
Brzezinski: Yes. According to the official version of history, CIA aid to the Mujahadeen began during 1980, that is to say, after the Soviet army invaded Afghanistan, 24 Dec 1979. But the reality, secretly guarded until now, is completely otherwise Indeed, it was July 3, 1979 that President Carter signed the first directive for secret aid to the opponents of the pro-Soviet regime in Kabul. And that very day, I wrote a note to the president in which I explained to him that in my opinion this aid was going to induce a Soviet military intervention.
Q: Despite this risk, you were an advocate of this covert action. But perhaps you yourself desired this Soviet entry into war and looked to provoke it?
B: It isn’t quite that. We didn’t push the Russians to intervene, but we knowingly increased the probability that they would.
Q: When the Soviets justified their intervention by asserting that they intended to fight against a secret involvement of the United States in Afghanistan, people didn’t believe them. However, there was a basis of truth. You don’t regret anything today?
B: Regret what? That secret operation was an excellent idea. It had the effect of drawing the Russians into the Afghan trap and you want me to regret it? The day that the Soviets officially crossed the border, I wrote to President Carter. We now have the opportunity of giving to the USSR its Vietnam war. Indeed, for almost 10 years, Moscow had to carry on a war unsupportable by the government, a conflict that brought about the demoralization and finally the breakup of the Soviet empire.
Q: And neither do you regret having supported the Islamic fundamentalism, having given arms and advice to future terrorists?
B: What is most important to the history of the world? The Taliban or the collapse of the Soviet empire? Some stirred-up Moslems or the liberation of Central Europe and the end of the cold war?
Q: Some stirred-up Moslems? But it has been said and repeated Islamic fundamentalism represents a world menace today.
B: Nonsense! It is said that the West had a global policy in regard to Islam. That is stupid. There isn’t a global Islam. Look at Islam in a rational manner and without demagoguery or emotion. It is the leading religion of the world with 1.5 billion followers. But what is there in common among Saudi Arabian fundamentalism, moderate Morocco, Pakistan militarism, Egyptian pro-Western or Central Asian secularism? Nothing more than what unites the Christian countries.
Translated from the French by Bill Blum